De la RDC au Ghana, en passant par la Zambie et l’Afrique du Sud, découvrez notre panorama des défis du secteur extractif africain, entre gros producteurs en déclin, zones au potentiel sous-exploité et course aux investisseurs…
Avec des milliards et des milliards de dollars de gaz, d’or, de cuivre et de cobalt sur les marchés africains, l’élection d’un nouveau gouvernement en Zambie en août 2021 a suscité un certain espoir chez les investisseurs quant au fait que le pays s’avère désormais un acteur incontournable de l’exploration minière sur le continent.
« Tous les regards sont tournés vers la Zambie », assurait en octobre dernier, au Cap, Peter Major, directeur de l’exploitation minière chez Mergence Corporate Solutions en Afrique du Sud, alors qu’il préparait un voyage d’investissement minier en Zambie. Avec le nouveau président, Hakainde Hichilema, le pays a selon lui « un véritable homme d’affaires » aux commandes.
Outre le cuivre, dont l’exploitation industrielle en Zambie remonte aux années 1930, le pays possède un potentiel important en or, manganèse, émeraudes et charbon. Il y a eu un manque criant d’exploration depuis la nationalisation des mines après l’indépendance, selon Peter Major. Au cours des cinq dernières années, en particulier, il n’y a eu « aucune motivation à prospecter ».
L’approche pragmatique de la Zambie
Un système cadastral fonctionnel donne à la Zambie un avantage crucial sur le Ghana et la RDC, souligne M. Major. Mais le point d’interrogation qui plane sur l’administration Hichilema est la manière dont elle va gérer la révision des licences minières existantes. « Nous avons besoin de voir des gens sortir de l’autre côté du pipeline », expose le responsable Mergence Corporate Solutions . Lorsque cela commencera à se produire, prédit-il, il y aura une « ruée » pour explorer et exploiter les mines en Zambie.
LES PROJETS DE RÉFORME MARQUENT UNE RUPTURE AVEC LA MENTALITÉ DE RAPINE DE L’ANCIENNE ADMINISTRATION
Selon Irmgard Erasmus, économiste financier senior chez Oxford Economics au Cap, Hakainde Hichilema et son ministre des Mines, Paul Kabuswe, sont susceptibles d’adopter une « approche plus pragmatique et axée sur le marché » dans leurs relations avec les sociétés minières, contrairement à la « position interventionniste et dure » de l’ex-président, Edgar Lungu. La Chambre des mines de Zambie a accueilli favorablement les projets de réforme du code fiscal, estimant qu’ils marqueraient une rupture avec l’ancienne « mentalité de rapine ».
L’exploitation minière a été le seul secteur de l’économie zambienne à décliner au deuxième trimestre de 2021, et la production de cuivre a chuté de 9 %, en raison de l’impact du Covid-19 et de la saison des pluies du premier trimestre. Le pays n’a donc pas pu profiter pleinement des prix élevés du cuivre, qui ont atteint un pic en mai 2021, selon l’économiste Yvonne Mhango de Renaissance Capital.
« Battre le cuivre quand il est chaud »
Erasmus prévoit que les prix du cuivre connaîtront à l’avenir une baisse modérée mais soutenue, amplifiée par la normalisation de la politique monétaire aux États-Unis et le risque d’un ralentissement de l’empire du Milieu dû aux tensions dans le secteur immobilier chinois. Ces vents contraires, selon Erasmus, garantiront que Hichilema restera « conscient de l’urgence de renforcer la production de cuivre ».
LA PURGE EST NÉCESSAIRE. MAIS RAMAPHOSA NE PURGE PAS, IL PROMEUT
Peter Major oppose les perspectives zambiennes à celles de l’Afrique du Sud, critiquant l’approche prudente du président Cyril Ramaphosa quand Hichilema se montre, lui, prêt à purger les personnalités associées à l’ancien régime.
« La purge est nécessaire. Mais Ramaphosa ne purge pas. Il promeut. L’Afrique du Sud a besoin d’un changement radical de gouvernance, et la Zambie lui montre la voie.
Le Ghana, des efforts et une amélioration constante
Le Ghana a dépassé l’Afrique du Sud en tant que premier producteur d’or du continent en 2019, et il y a peu de chances que cela s’inverse, car le gouvernement ghanéen « reconnaît les problèmes et prend des mesures pour aider l’industrie », selon Major, qui met en avant les efforts ghanéens pour conserver AngloGold Ashanti dans le pays.
IL N’Y A PAS PLUS D’OR AU GHANA QU’EN AFRIQUE DU SUD, MAIS LE CADRE JURIDIQUE Y EST MEILLEUR
En 2016, le responsable des affaires générales d’AngloGold, John Owusu, a été tué lors d’une émeute de mineurs artisanaux à la mine Obuasi de la société, mais AngloGold a maintenu le projet. « Il n’y a pas plus d’or au Ghana qu’en Afrique du Sud, mais le cadre juridique y est meilleur », affirme Peter Major.
Dans le classement de 2021 du Natural Resource Governance Institute (NGRI), le Ghana est noté 69 sur 100, une amélioration de 13 points depuis 2017. La gouvernance de la fiscalité s’est améliorée, principalement en raison du pouvoir de la Ghana Revenue Authority d’auditer toutes les entreprises, y compris les sociétés minières. En ce qui concerne le respect de l’impact social et environnemental, le Ghana a obtenu un score maximal de 100 sur l’indice NGRI, toutes les sociétés d’extraction d’or divulguant désormais des évaluations et des plans d’atténuation des conséquences écologiques pour les nouveaux projets.
Le secteur minier, moteur du développement industriel ghanéen ?
La gouvernance budgétaire nationale s’est améliorée grâce à l’adoption et au respect de règles fiscales, indique le NGRI. Cependant, le rapport affirme que le secteur extractif est freiné par le manque de portails de données en ligne et la faible adhésion aux normes de données ouvertes. Le gouvernement n’a mis en place, pour le moment, aucune politique visant à la divulgation des contrats du secteur minier, bien que celle-ci soit obligatoire dans les secteurs pétrolier et gazier.
LES INDUSTRIES EXTRACTIVES NE PEUVENT PAS ÊTRE UN SILO OU UNE ENCLAVE
Sulemanu Koney, PDG de la Chambre des mines du Ghana, est convaincu que le secteur minier du Ghana peut être le moteur du développement industriel du pays. Pour cela, affirme-t-il, le Ghana doit remonter la chaîne de valeur et commencer à raffiner ses matières premières. Il souhaite mettre fin à l’utilisation de caoutchouc importé pour les composants miniers et est en discussion avec une multinationale pour raffiner le caoutchouc ghanéen.
« Les industries extractives ne peuvent pas être un silo ou une enclave », déclare Sulemanu Koney, ingénieur chimiste de formation. « Une réflexion délibérée est nécessaire pour relier les thèmes entre eux. » Selon le PDG de la Chambre des mines du Ghana, le meilleur exemple est l’extraction de la soude caustique de la saumure, utilisée par l’industrie minière mais aussi dans la production d’aluminium et dans les détergents.
Le Ghana, selon Sulemanu Koney, a besoin d’une « stratégie d’industrialisation basée sur les minéraux ». Le défi, dit-il, est de « tirer parti de la présence de l’industrie minière pour le bien du pays » en favorisant la formation et l’investissement dans la technologie. « C’est ma raison d’être. Sinon, j’aurais abandonné depuis longtemps. »
Mozambique : année décisive pour le futur géant gazier
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Le mégaprojet gazier mozambicain, mis en pause après les attaques jihadistes de la fin de mars 2021. © Saipem
Au Mozambique, l’année à venir sera cruciale pour consolider les progrès réalisés contre l’insurrection djihadiste dans le nord du pays, qui a retardé les plans d’exploitation des ressources en gaz naturel de la région. Les progrès accomplis dans la guerre contre les terroristes islamistes signifient que « le sentiment a changé assez radicalement » pour le mieux au cours des derniers mois, analyse Hermano Juvane, responsable du pétrole, du gaz et de la chaîne de valeur chez Absa Bank au Mozambique.
Le soutien apporté à l’armée mozambicaine, notamment par le Rwanda et la Communauté de développement d’Afrique australe a contribué à cette amélioration, selon Hermano Juvane. Les gens ont pu rentrer chez eux à Palma, dans la province septentrionale de Cabo Delgado. En septembre, TotalEnergies a annoncé le report de deux ans de la première production terrestre de gaz naturel liquéfié (GNL) au Mozambique, la première production étant désormais prévue pour 2026. TotalEnergies a déclaré un cas de force majeure sur son projet de 15 milliards de dollars en avril 2021, mais l’activité du projet devrait maintenant redémarrer cette année. Le cadre d’Absa Bank considère que le nouveau calendrier est réaliste. « Il reste environ quatre ans de travail », dit-il.
LE MONDE ENTIER EST DE PLUS EN PLUS NERVEUX À L’IDÉE QUE LA CHINE CONTRÔLE LA CHAÎNE D’APPROVISIONNEMENT
Au Mozambique, Absa se concentre sur le financement des sous-traitants des industries extractives, indique Hermano Juvane, qui considère le pays comme porteur d’opportunités dans les sables lourds, le titane, le charbon, le lithium, le graphite, l’aluminium et les rubis. L’extraction des minéraux de terres rares, un ensemble de 17 éléments métalliques utilisés pour des applications de haute technologie telles que les téléphones portables, les disques durs d’ordinateurs et les véhicules électriques, pourrait être une industrie africaine de l’avenir.
La Chine domine l’approvisionnement mondial en terres rares avec une part estimée entre 85 % et 90 %, mais les tensions entre la Chine et les États-Unis ont accentué la nécessité pour le monde de trouver des sources non chinoises. »Les États-Unis tentent désespérément de ne pas acheter de terres rares à la Chine », affirme Simon Gardner-Bond, directeur technique de la société TechMet basée à Dublin. « Le monde entier est de plus en plus nerveux à l’idée que la Chine contrôle la chaîne d’approvisionnement ».
TechMet investit dans des projets visant à développer des métaux essentiels pour la transition vers les énergies renouvelables, et compte Rainbow Rare Earths parmi ses investissements. Rainbow, qui est coté sur le marché des investissements alternatifs AIM de Londres, détient la seule mine de terres rares en activité en Afrique, à Gakara, au Burundi. Mais le gouvernement burundais a arrêté la production en avril 2021 parce qu’il souhaite renégocier la convention minière, et les réunions entre le PDG de Rainbow, George Bennett, et le président Évariste Ndayishimiye n’ont pas encore permis de résoudre le problème.
Rainbow prévoit également de produire des terres rares à partir de cheminées de gypse générées par l’extraction de phosphate dur près de Phalaborwa, dans la province sud-africaine de Limpopo, et étudie la viabilité économique d’éventuels gisements de terres rares dans le nord du Zimbabwe. M. Bennett reste confiant quant à la possibilité de parvenir à un accord avec le Burundi. « Il y aura des concessions à faire », dit-il. « Nous parviendrons à une solution gagnant-gagnant ».