Un an après le décès de l’opposant Soumaïla Cissé, son parti est fragilisé par des querelles intestines entre Gouagnon Coulibaly et Salikou Sanogo. En filigrane : la question de l’investiture pour la présidentielle.
Au sein de l’Union pour la république et la démocratie (URD), la guerre est ouverte entre Gouagnon Coulibaly, 60 ans, ancien député de Kati et ancien directeur de campagne de feu Soumaila Cissé, décédé le 25 décembre dernier, et Salikou Sanogo, 78 ans, ancien professeur de physique qui a dirigé le ministère de l’Éducation sous Amadou Toumani Touré et qui assure, en tant que vice-président du parti, l’intérim de Cissé. Une rivalité relancée le 16 janvier par un congrès extraordinaire organisé par certains cadres, avec pour seul point à l’ordre du jour la désignation d’un nouveau président. Si c’est Gouagnon Coulibaly qui a finalement été porté à la tête du parti, Salikou Sanogo et une partie des membres de l’URD ne reconnaissent pas les résultats de ce qu’ils considèrent comme un non-évènement.
Résultats contestés
« L’intérim de Salikou Sanogo ne suffit plus à répondre aux défis actuels », estime Racine Thiam, vice-président chargé de la communication et très présent depuis quelques jours dans les médias. Pointant le manque de leadership du premier vice-président, il souligne que « l’URD est un parti qui focalise les attentes » et « a besoin d’un leadership affirmé ». Selon lui il était « loisible à Salikou Sanogo de chercher le poste de président […]. Il a préféré boycotter et entrer en résistance pour que le parti ne fonctionne pas ».
Racine Thiam défend un « congrès démocratique, tenu devant huissier » avec les deux tiers du bureau exécutif national et mené par Coulibaly Kadiatou Samaké, troisième vice-présidente. Cette dernière fait partie, aux côtés de Mamadou Hawa Gassama, Abdoul Wahab Berthé, Beffon Cissé et Amadou Cissé, d’une longue liste de cadres de l’URD qui réclament depuis quelques mois un congrès extraordinaire pour remplacer Soumaïla Cissé, allant jusqu’à se réunir en novembre au sein d’un « Collectif pour la sauvegarde de l’URD ».
SALIKOU SANOGO PORTE L’AFFAIRE DEVANT LA JUSTICE, ESPÉRANT OBTENIR UNE ANNULATION DES RÉSULTATS
Salikou Sanogo considère quant à lui que la question de la succession de Soumaïla Cissé est déjà réglée. « C’est le premier vice-président qui remplace le président en cas de vacances. Nous avons condamné ce congrès car il est l’œuvre d’un groupe de personnes qui ont fait dissidence. C’est du fractionnisme », assure-t-il à Jeune Afrique. Il confirme par ailleurs avoir porté l’affaire devant la justice, espérant obtenir une annulation des décisions du congrès. Samedi 23 janvier, devant la presse, il a reproché à ses adversaires de vouloir « casser le parti pour leurs ambitions personnelles » avant de rappeler qu’il ne fait qu’appliquer les textes de la formation.
Saisi également par les organisateurs de ce congrès de la discorde, le juge du tribunal de la commune V de Bamako a rejeté leur demande de retirer à Salikou Sanogo tout droit d’agir en justice au nom du parti… C’est donc sur le fond que le dossier sera jugé.
Sortie des flancs de l’Alliance démocratique au Mali–Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ) à la suite, déjà, de querelles internes, l’URD va-t-elle connaître le même sort et succomber au syndrome de la division ? Longtemps, Salikou Sanogo, dont le leadership est aujourd’hui remis en cause, a été présenté comme la soupape de sécurité. « Un facteur de stabilité et de diversité, », expliquait à Jeune Afrique en mars 2021 Alexis Kalambry, fin observateur de la scène politique malienne, prévenant que « si on le pousse vers la sortie, le parti risque de se morceler ».
Boubou Cissé et la présidentielle
Au-delà de cette querelle de leadership, qui tient désormais de la guerre des tranchées, se joue en fait la question du candidat qui sera investi par l’URD lors de l’élection présidentielle, dont la date n’a toujours pas été fixée. Salikou Sanogo juge ainsi être victime d’« une cabale qui, depuis le décès de Soumaïla Cissé, veut faire un hold-up sur le parti ». Dans sa ligne de mire : les personnalités qui ont rejoint les rangs du parti après cette disparition, et en premier lieu Boubou Cissé, l’ancien Premier ministre d’IBK, qui a pris sa carte en juin dernier.
L’ARRIVÉE DU DERNIER PREMIER MINISTRE D’IBK A PROFONDÉMENT CHANGÉ LA DONNE AU SEIN DU PARTI DE FEU SOUMAÏLA CISSÉ
Dans la bataille pour obtenir l’investiture de l’URD, l’ancien ministre de l’Économie, Mamadou Igor Diarra, ne cache pas ses ambitions. L’avocat Demba Traoré – que Salikou Sanogo est accusé de soutenir –, Madou Diallo ou encore Abdoul Wahab Berthé sont également dans les starting blocks. Mais c’est la personnalité de Boubou Cissé qui cristallise le plus les oppositions internes. L’arrivée de cet ancien économiste pour la Banque mondiale, plusieurs fois ministre (Industrie, Mines, Économie et Finances) et dernier Premier ministre d’IBK, a profondément changé la donne au sein du parti de feu Soumaïla Cissé. Accusé par nombre de ses détracteurs de vouloir mener une « OPA » sur l’URD, il ne cesse de multiplier les manœuvres pour décrocher l’investiture du parti, dont le candidat est arrivé en seconde position lors des deux dernières présidentielles.
Boubou Cissé bénéficierait du soutien de Sékou Abdoul Quadri Cissé, ancien député de Djenné, dont il est le neveu, mais aussi, et surtout, de celui de Gouagnon Coulibaly et d’autres cadres du parti. Beaucoup voient donc dans l’arrivée de Coulibaly à la tête de l’URD une manœuvre de l’économiste pour obtenir gain de cause quand l’heure de l’investiture viendra.
Pour l’heure, le nouveau président du parti se garde bien de la moindre déclaration prêtant le flanc à ces critiques, mais n’en attaque pas moins son adversaire, Salikou Sanogo. « URD is back », a-t-il déclaré après son élection, avant de dénoncer la gouvernance « chaotique et engluée dans l’immobilisme » de son prédécesseur et de promettre de faire de la formation « un parti qui pèse de tout son poids dans le débat public ». Pas un mot, en revanche, sur Boubou Cissé. Du moins en public.
Mamadou Igor Diarra sur les rangs
« La question de la candidature n’est pas à l’ordre du jour, nous n’avons cessé de le dire. [Les partisans de Salikou Sanogo] ont voulu ramener le débat à ce niveau, ce n’est pas notre cas, se défend Racine Thiam. L’URD devait avoir un président. L’ensemble des cadres du parti conviennent qu’il nous fallait un leadership consensuel et le jeu démocratique devait se dérouler à l’intérieur du parti ». « Ce n’est pas le président de parti qui choisit le candidat, mais le bureau exécutif national, s’insurge Salikou Sanogo. Je le dis et je le répète : je ne roule pour personne. C’est un faux débat. »
Quoi qu’il en soit, à en croire plusieurs cadres du parti, la perspective d’une investiture de Boubou Cissé s’éloignerait à mesure que ce dernier prolonge son séjour hors du pays. En cas d’empêchement, Mamadou Igor Diarra pourrait tenir la corde, d’autant qu’il pourrait alors profiter du ralliement des soutiens actuels du dernier Premier ministre d’IBK. Candidat à la présidentielle de 2018, ce banquier de 55 ans, plusieurs fois ministre (Énergie et Eau, Mines, Économie et Finances), a d’ailleurs envoyé les cadres du parti qui lui sont proches participer au congrès controversé, selon Racine Thiam. Un nouveau sujet de discorde en perspective ?