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Mali : demain, la vie sans l’or ?

Mis à jour le 14 janvier 2022 à 10:42
 


Une mine de production du complexe minier aurifère de Loulo-Gounkoto, exploité par Barrick.. © Simon Dawson/Bloomberg via Getty Images

 

Principale source de devises du pays, l’or malien paraît, en partie, protégé de l’embargo terrestre de la Cedeao. Mais le pays, malgré des cours en hausse, fait face à l’épuisement des ressources. Comment les opérateurs miniers peuvent-ils y remédier ?

Le secteur aurifère malien se porte bien. Il faut dire que le cours de l’or n’arrête pas de grimper (il trône autour de 1800 dollars l’once en ce début de 2022). En même temps que le cours de l’or, le nombre de mines a fortement augmenté ces dernières années. De cinq exploitations en 2005 et sept en 2010, le Mali est passé à quatorze mines actuellement en activité. Environ 40 permis d’exploitation minière dans le domaine de l’or sont actifs au Mali, dont 11 attribués en 2021 selon le ministère des Mines.

L’écrasante majorité de la production nationale d’or du Mali provient des sites industriels, contre un peu moins de 10% pour l’exploitation artisanale. Avec quelque 70 tonnes produites par an en 2020 et en 2021 (contre 42 tonnes annuelles dix ans plus tôt), l’or représentait près de 80 % des ressources exportées par le Mali, indique le ministère des Mines, de l’Énergie et de l’Eau, devançant de très loin le coton et les produits agricoles.

Cette ressource est d’autant plus précieuse pour les finances publiques du pays alors que Bamako fait face depuis le 09 janvier à un embargo des pays de la Cedeao – à l’exception de la Guinée, elle-même sous le coup de sanctions – qui mettent en péril les exportations par voie terrestre des biens maliens. Les exportations d’or réalisées par voie aérienne, vers la Suisse et les Émirats qui pour l’instant ne se sont pas prononcés sur les sanctions de la Cedeao, représentent une bouffée d’oxygène pour l’exécutif malien.

 

                                                                                                                     "Évolution du cours de l’or (dollars par once) depuis 25 ans." 

400 permis de recherche

Pour autant, avertissent les professionnels de cette industrie, il s’agit d’un secteur cyclique. « Et les ressources commencent à s’épuiser », met en garde Sidi Oumar Haidara, directeur commercial de l’australien Marvel Gold, qui fait de l’exploration au Mali.

« Si on prend l’exemple de Morila [l’une des plus importantes mines du pays, située au sud de Bamako], la teneur en or était autrefois de 100 g, on est aujourd’hui à 1 ou 2 g », précise Chiaka Berthé, responsable des opération en Afrique de l’Ouest du canadien Barrick, numéro un mondial de la production aurifère. En 2020, le mastodonte a cédé l’exploitation du site à la junior australienne Firefinch Ltd. afin de lui offrir une seconde jeunesse. Dans un rapport de mars 2021, Barrick estimait que sa production à Morila avait baissé de 239 000 onces d’or en 2010 à seulement 37 000 onces en 2020.

IL FAUT TROUVER DE NOUVEAUX GISEMENTS

Morila, dont ont été extraites près de sept millions d’onces d’or en deux décennies, n’est pas la seule à voir ses ressources se tarir. Selon les données de janvier 2021 de l’Institut d’études géologiques des États-Unis, référence en la matière, les réserves d’or du Mali, en l’état actuel des découvertes, sont estimées à 800 tonnes, soit le plus faible niveau parmi les 10 premiers producteurs mondiaux.

Aussi, en plus de rafraîchir les installations déjà existantes, les compagnies minières actives au Mali mettent surtout le cap sur l’exploration. « L’unique solution, c’est la recherche minière, il faut trouver de nouveaux gisements », tranche Sidi Oumar Haidara.

À ce jour, 400 permis pour la recherche sont en cours, indique le ministère malien des Mines, qui a vu les demandes de licences d’exploration exploser depuis 2014. Si de nombreuses compagnies minières rechignent à communiquer sur les investissements opérés, le canadien Barrick, qui exploite le complexe aurifère de Loulo-Gounkoto dans le sud-ouest du pays, près de la frontière sénégalaise, assure avoir dépensé 100 millions de dollars dans l’exploration à travers le monde, en 2019 comme en 2020.

Manganèse et fer

Autre objectif, afin d’assurer la pérennité des compagnies présentes au Mali : la diversification des ressources exploitées. « L’or est une ressource finissante, il faut donc diversifier, s’orienter vers des secteurs plus pérennes », assure Chiaka Berthé.

L’EXTRACTION DE MANGANÈSE OU DE FER EST PARTICULIÈREMENT ÉNERGIVORE, CE QUI FREINE BEAUCOUP D’ENTREPRISES

Ainsi, les autorités maliennes pointent une augmentation des demandes d’exploration pour le manganèse, avec une dizaine de permis de recherche émis, et le fer, avec cinq permis délivrés en 2021. Des chiffres qui semblent peser bien peu par rapport à ceux de l’or. « Malgré notre forte volonté de diversifier le secteur, il est plus facile d’exploiter l’or que le manganèse ou le fer. Pour ces derniers, l’extraction est particulièrement énergivore, la transformation aussi. Cela freine beaucoup d’entreprises », admet Lassana Guindo, conseiller technique au ministère.

Le grand paradoxe

Reste une question, qui revient sans arrêt : « Comment se fait-il que les bénéfices de l’or malien ne se ressentent toujours pas dans le panier de la ménagère ? », interroge Mamadou Keita, ingénieur spécialisé en économie minière. « C’est en effet le grand paradoxe, reconnaît Lassana Guindo, l’or représente 80 % de la balance commerciale, mais pèse à peine 8 % du PIB. » Au sein des différents consortiums qui exploitent l’or malien, la part de l’État plafonne à 20 %, et l’économie aurifère reste fortement extravertie. « Une question d’investissements », défend Abdoulaye Maïga, directeur de l’exploration chez Segala Mining (filiale du canadien Endeavour Mining).

De son côté, Barrick Gold soulignait en novembre 2021 que « les opérations de Barrick/Randgold ont contribué pour environ 8 milliards de dollars à l’économie malienne sous forme de taxes, redevances, salaires et paiements aux fournisseurs locaux au cours des 24 dernières années », dont pas moins de « 4,3 milliards de dollars américains sous forme de dividendes, d’impôts et de redevances à l’État sur 24 ans ».

Cedeao : rien ne va plus dans le ciel du Mali

Mis à jour le 13 janvier 2022 à 22:44
 

 

Capture d’écran FlightAware des vols survolant l’espace Cedeao le 13 janvier 2022.

 

En quarante-huit heures, le ciel du Mali s’est assombri. Vols déroutés ou annulés, « violation » de l’espace aérien… Les compagnies aériennes hors Cedeao ne savent plus sur quel pied danser

En réponse aux sanctions imposées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), le ministère des Transports et des Infrastructures du Mali a indiqué le 10 janvier, dans un communiqué de presse, la fermeture des frontières terrestres et aériennes du pays avec les 14 États membres de la Cedeao « conformément au principe de réciprocité ».

Une décision non sans conséquences sur le programmes de vols des compagnies aériennes hors Cedeao, qui ont dû vite s’adapter. Alors que le DG des Aéroports du Mali, le colonel Lassina Togola a indiqué dans un communiqué officiel, le 10 janvier, que « les vols des compagnies non Cedeao continueront à desservir les aéroports du pays, mais des perturbations seront observées du côté des compagnies aériennes qui passent par les pays de la Cedeao pour des raisons techniques d’organisation des routes aériennes ». En pratique, les chambardements vont au-delà des simples « perturbations ».

Fermeté d’Air France

Face à l’incertitude, Air France a d’abord suspendu, le lundi 10 janvier, ses vols Paris-Bamako tout en indiquant sur son site web « suivre la situation en temps réel pour informer ses clients de toute évolution de son programme de vol de et vers Bamako ».

Le 11 janvier, deux vols Paris-Bamako (AF592 et AF 358) ont été déroutés vers Monrovia, au Liberia, alors qu’un avion de la compagnie française (AF4140) s’est bel et bien posé à Bamako, avant de se rendre à Nouakchott. Pour rappel, la Mauritanie ne fait pas partie des pays membres de la Cedeao.

Les pays de la CEDEAO

Les pays de la CEDEAO © Les pays de la CEDEAO. Source : CEDEAO

Le mercredi 12 janvier,  le transporteur français a annoncé « suspendre ses vols de et vers le Mali avec effet immédiat et jusqu’à nouvel ordre ».

Air France a par la suite confirmé à Jeune Afrique que « cette mesure a été prise en application de la décision des autorités françaises. Les clients concernés sont informés individuellement ».

CETTE DÉCISION BRUSQUE A ÉTÉ PRISE SANS CONSULTATION PRÉALABLE ET SANS QU’AUCUNE JUSTIFICATION NE SOIT DONNÉE AUX AUTORITÉS MALIENNES

En conséquence, le vol AF4142 du 12 janvier assurant la liaison Paris-Bamako ; Nouakchott-Paris et le vol AF4141 Bamako-Paris ont été supprimés. Les trajets de et vers Bamako programmés les jours suivants seront également annulés jusqu’à nouvel ordre.

La ministre malienne des Transports,  Dembelé Madina Sissoko, a rétorqué en déclarant que « cette décision brusque a été prise par Air France sans consultation préalable et sans qu’aucune justification ne soit donnée aux autorités aéronautiques maliennes».

Confusion généralisée

Mauritania Airlines a  suspendu toutes les liaisons directes avec le Mali et dérouté vers Dakar, Abidjan et Cotonou, tous ses vols initialement prévus pour Bamako.

Ethiopian Airlines a elle aussi modifié ses itinéraires de vols pour les trajets à destination de Bamako. La compagnie a cependant déclaré que ses vols vers la capitale malienne ne sont pas totalement suspendus, mais qu’ils sont désormais opérés avec des numéros de vol différents. Tunisair, Smartwings, Turkish Airlines ont quant à elles maintenu jusqu’à hier quelques arrivées à l’aéroport international Modibo-Keïta-Senou.

Les données des traqueurs de vols en temps réel démontrent l’isolement du Mali : depuis des heures, aucun avion n’a percé son ciel. Une situation qui risque de perdurer. En effet, le boycott de la part de compagnies telles qu’Asky Airlines, Air Côte d’Ivoire, Air Burkina ou encore Air Sénégal a un lourd impact sur le trafic aérien du pays enclavé.

En temps normal, une quinzaine de vols au départ de Bamako sont quotidiennement programmés.

Vue de nuit de Bamako, capitale du Mali.


Vue de nuit de Bamako, capitale du Mali. © Mark Fischer/Flickr/Licence CC

 

Un secteur aérien local défaillant

Le secteur aéronautique malien est connu pour ses multiples déboires. Entre Air Mali, qui a cessé ses activités en 2012, Mali Air Express dépossédé de sa flotte, Mali Air ou encore Mali Airways et Trans Air mort-nés, le pays n’a pas réussi a maintenir en activité ses pavillons nationaux. Les quelques compagnies tenaces toujours dans la course se retrouvent aujourd’hui, plus que jamais, prises au piège.

Parmi elles, la jeune compagnie Sky Mali, fondée en 2020, et la compagnie aérienne de charter SAM Intercontinental.

« Violation » de l’espace aérien

Mercredi 12 janvier, l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) a signalé aux autorités maliennes une « violation de son espace aérien par un avion militaire français ». Il s’agit précisément d’un aéronef A400, immatriculé FRBAN, ayant effectué un aller-retour Abidjan-Gao. Pour rappel, l’armée française a une base militaire à Gao. Selon Paris, le blocus ne concerne pas les opérations et transports militaires.

Les autorités maliennes, elles n’ont pas tardé à accuser le coup en dénonçant dans un communiqué de presse paru le 12 janvier « cette violation de l’espace aérien du Mali auprès des autorités françaises qui ont, au demeurant, décidé de soutenir les sanctions de la Cedeao ». « Ledit aéronef, qui était en violation manifeste de l’espace aérien malien, avait à la fois éteint son transpondeur pour ne pas être identifié et coupé la communication avec les organismes maliens de contrôle aérien », précise ce même document.

 

Communiqué de Presse


Communiqué de Presse © Communiqué de Presse. Source : Gouvernement de transition du Mali

 

Le Mali indique par ailleurs décliner « toute responsabilité relative aux risques auxquels les auteurs de ces pratiques pourraient s’exposer, en cas de nouvelle violation de notre espace aérien ».

Pourtant, outre les restrictions de la Cedeao, la France est liée au Mali par des accords de défense. Un document officiel publié par le ministère nigérien de la Défense stipule par ailleurs que le Niger, membre de la Cedeao, « n’a pas d’objection pour les vols militaires vers le Mali ».

 

 

Communiqué de presse ministère de la défense du Niger


Communiqué de presse ministère de la défense du Niger © Communiqué de presse ministère de la défense du Niger. Source : Ministère de la défense du Niger

 

Selon les déclarations officielles d’un militaire concerné par cette affaire, « toutes les procédures ont été respectées. L’avion a déposé un plan de vol qui a été approuvé par les autorités maliennes. Et comme le veut la procédure suivie à chaque fois, à l’entrée de l’espace aérien malien, on bascule le transpondeur en mode de fonctionnement militaire. Pour nous, il n’y a pas de sujet ». La France engagée au Mali aux côtés de la force de l’ONU (Minusma) y effectue constamment des vols pour ses approvisionnements et opérations.

Le Mali cherche à surmonter les problèmes économiques engendrés par les sanctions

 
 

bamako 

 

Même si le Trésor malien a constitué des réserves, le pays ne tiendra pas longtemps en autarcie financière. © Getty Images/Contributeur

 

Gel des avoirs, interdiction des transactions financières, blocus des frontières sauf pour les produits essentiels et les produits pharmaceutiques, le Mali est sous le coup de sanctions aussi dures qu'inédites. Dans le pays, certains voient avec inquiétude la situation économique se dégrader rapidement, tandis que d'autres réfléchissent à la façon de contourner légalement l'embargo de la Cédéao. 

Depuis lundi 10 janvier, l'État du Mali n'a plus accès à la Banque centrale de l'Uemoa ni à ses propres avoirs qui y sont conservés. Dans le pays, les banques n'ont plus la possibilité de demander des financements à la Banque centrale comme elles le font quotidiennement.  

« Aujourd'hui, les banques ne sont approvisionnées que lorsqu'elles justifient que le décaissement demandé à la BCEAO est destiné à financer les exceptions édictées dans les sanctions de la BCEAO », explique Etienne Fakaba Sissoko, économiste au Centre de recherche, d'analyses politiques, économiques et sociales du Mali, le Crapes.

Même si le Trésor malien a constitué des réserves de guerre, le pays ne tiendra pas longtemps en autarcie financière. « Nous avons la possibilité d'un point de vue des liquidités de tenir un mois. Au-delà de deux, c'est intenable », ajoute-t-il.

► À lire aussi : Mali: l'impact des sanctions économiques de la Cédéao

Des sanctions qui ont un air de déjà-vu

Chez les gros commerçants, ces sanctions ont un air de déjà-vu. Moussa Diarra est le patron du groupe Recoma. Pour lui, « Il y aura un impact, c'est évident. Il ne sera pas minime et il sera continu. Mais, voilà, on va s'adapter. » S'adapter, autrement dit trouver d'autres chemins pour importer et exporter que les cinq frontières fermées avec les voisins de la Cédéao. 

« Déjà en 2012 au coup d'État qui a renversé le président ATT (Amadou Toumani Touré, ndlr), il y a eu des sanctions. Et, je me souviens, les commerçants se sont regroupés... On s'est dit qu'il ne fallait pas que l'approvisionnement du pays soit coupé, il faut que l'on joue notre rôle patriotique ; Et ceux qui déchargeaient à tel port, allaient à tel autre, parfois à mille kilomètres de là... Et on est passé par le port de la Guinée, par celui de la Mauritanie », ajoute Moussa Diarra.

► À lire aussi : Mali: la société civile dénonce les sanctions de la Cédéao

Une adaptation aux sanctions difficile et coûteuse

Les voies guinéennes et mauritaniennes, Etienne Fakaba Sissoko n'y croit pas. 

Par exemple en Guinée, le port n'est pas suffisamment outillé pour recevoir le trafic commercial du Mali. Donc, en cas de redirection de l'économie du Mali vers ce port-là, c'est deux à trois jours avant qu'il n'y ait des débordements (engorgements, ndlr) à ce niveau. Par rapport à l'Algérie, il faudrait passer par le Grand Nord qui échappe au contrôle de l'Etat. Et de l'autre côté, vous avez la Mauritanie avec laquelle nous n'avons même pas de routes fiables.

S'adapter aux sanctions sera difficile, mais surtout coûteux. Et le coût de la vie risque d'exploser, prédisent les économistes et les entrepreneurs.

En Côte d’Ivoire, le mystérieux temple des francs-maçons

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 12 janvier 2022 à 16:03
 

 

La Franc-maçonnerie est présente en Côte d’Ivoire depuis les années 1930 © GettyImages

 

« Dans les lieux secrets du pouvoir » (3/4). Si les palais présidentiels sont les symboles de la puissance des chefs d’État, d’autres édifices jouent un rôle primordial. Comme cette discrète villa d’Abidjan, qui abrite le siège de la Grande loge de Côte d’Ivoire.

Le ballet des grosses cylindrées commence à la nuit tombée. Plusieurs fois par semaine, il exécute sa chorégraphie. Avec le temps, les riverains s’y sont fait. Ils ont remarqué la présence de gardes du corps, les gyrophares et les plaques d’immatriculation officielles, reconnu certains visages aussi. Leurs interrogations, elles, demeurent. Que se passe-t-il à l’intérieur de cette bâtisse blanche ? À l’entrée, un seul indice permet d’aiguiller les initiés : deux grandes colonnes ornées de lettres représentant des noms maçonniques.

Nous sommes à Bietry, un quartier chic de la commune de Marcory, à Abidjan. C’est ici, dans cette villa au premier abord très ordinaire, que se trouve le temple de la Grande loge de Côte d’Ivoire (GLCI). Il n’est pas l’unique du pays – la GLCI en possède dans chacune de ses quatre provinces –, mais c’est le principal. Un lieu aussi secret que la puissante institution qu’il accueille. Chaque jour, au moins une loge y tient une réunion rituelle appelée « tenue ». Des rencontres administratives y sont également organisées, tout comme les « agapes », sortes de banquets rituels, confiés à un traiteur « maison ».

Pratiques fantasmées

Société initiatique largement méconnue des Ivoiriens, la Franc-maçonnerie est présente dans leur pays depuis les années 1930. Son histoire est aussi mouvementée – elle fut interdite par Félix Houphouët-Boigny jusqu’en 1972 – que ses pratiques sont fantasmées. Fondée à la fin des années 1980 par des commerçants et des hommes d’affaires, la GLCI et ses quarante loges est désormais l’institution maçonnique la plus influente des pays. Une des conditions pour en faire partie est de croire en Dieu.

Parmi ses 2 000 membres, dont aucune femme, la loge compte des ministres de premier plan, des magistrats, des hommes d’affaires ou des officiers généraux de l’armée. C’est moins une confrérie philosophique qu’un réseau d’influence qui permet à ses membres de gravir les échelons, d’obtenir des passe-droits, de faciliter certaines démarches ou la signature d’un contrat.

DANS LE GRAND HALL, LES PARTICIPANTS SE CHANGENT AVANT DE PÉNÉTRER DANS LES SALLES DE CÉLÉBRATIONS

Son temple de Bietry s’ouvre sur un grand hall où des casiers sont mis à disposition des participants. Ils peuvent s’y changer avant de pénétrer dans les différentes salles de célébrations. Chacune porte le nom d’une grande figure de la loge aujourd’hui décédée. La principale s’appelle le temple Clotaire Magloire Coffie, en référence au fondateur de la GLCI, mort en janvier 2017. À l’intérieur, des rangées de chaises rouges et de bancs tapissés en bleu entourent un pupitre. Deux tableaux, des insignes et des emblèmes distinctifs de la maçonnerie ornent les murs. Le sol est carrelé. Un damier noir et blanc a été placé au cœur de la salle.

Dress code

Deux types de réunions y sont organisées. Les premières, administratives, ne requièrent pas de protocole particulier, mis à part les prières d’ouverture et de clôture. On y vient vêtu en civil, il y a un ordre du jour, le compte-rendu de la précédente réunion est validé en début de séance, le vote se fait à main levée. Comme lors d’une vulgaire réunion associative, en somme.

Changement d’ambiance quand vient l’heure des « tenues » ou des assemblées générales des loges. Là, le dress code est strict : costumes, cravates, chaussettes et chaussures sombres, accompagné d’une chemise blanche. Les participants doivent aussi porter un tablier conforme à leur grade – apprenti, compagnon ou maître – ainsi qu’un collier propre à la fonction qu’ils vont occuper pendant la cérémonie – général maître, secrétaire, orateur, ou encore maître de cérémonie.

Après quelques informations administratives, un frère lit un texte. La feuille est posée sur une planche de bois. Son sujet a été préalablement décidé. C’est une sorte de dissertation consacrée à une thématique de société, abordée sous un angle maçonnique. Lors des grandes assemblées générales, le moment le plus attendu est l’accueil des délégations étrangères. Il répond à un protocole précis – chaque loge a son hymne et ses armoiries – et peut durer une heure et demie.

 

« Hambak », la perte d’un pilier

Hamed Bakayoko, le défunt Grand maître de la GLCI.

 

Hamed Bakayoko, le défunt Grand maître de la GLCI. © Bruno LEVY pour JA

 

Certaines « tenues », dites funèbres, sont l’occasion de rendre hommage à un « frère » disparu. Ces derniers temps, la GLCI n’a pas été épargnée. Habib Touré De Movaly est décédé le 26 octobre 2021, dans un hôpital parisien, d’un cancer du foie fulgurant. Il était le premier surveillant de la loge, une position très influente. Le 15 juin, c’est son grand secrétaire national, Michel Rosier, qui s’était éteint.

HAMED BAKAYOKO A MIS LA TRÈS SECRÈTE GLCI SOUS LE FEU DES PROJECTEURS

Avant eux, la GLCI avait surtout perdu son pilier le plus important : Hamed Bakayoko, décédé le 10 mars 2021 d’un cancer fulgurant. Tout-puissant Grand maître depuis 2015, l’ancien Premier ministre avait été réélu en 2020, pour un second mandat de cinq ans. Mais, en pleine épidémie de Covid-19, il n’avait pas pu être investi. Dans les jours qui ont suivi son décès, les maçons ont organisé de nombreuses réunions dans l’enceinte du temple de Bietry. Elles avaient une saveur d’autant plus particulière que c’est Hamed Bakayoko qui avait impulsé ses travaux d’agrandissement et de rénovation, conduits entre 2017 et 2019 par Alain Kouadio et Robert Daoud, deux architectes bien connus et frères de lumière.

La mort de « Hambak » a mis la très secrète GLCI sous le feu des projecteurs. La question de sa succession a notamment alimenté la presse.  Après avoir assuré l’intérim, Sylvère Koyo a finalement été élu en décembre dernier. L’avocat d’affaires sera installé lors de la prochaine assemblée générale, en avril.

« Trop de fuites »

Certains frères de la GLCI ont peu gouté de voir leurs activités déballées sur la place publique. Un soir de mars 2021, le beau-père du défunt et éminent membre de la loge, Emmanuel Tanoh, s’en est même ému. Celui qui officiait pour l’occasion en tant que grand maître d’honneur tape alors du poing sur la table. « Il y a trop de fuites », dénonce cet ancien bâtonnier, membre du Conseil constitutionnel et du parti présidentiel, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

Il donne notamment l’exemple de « Christ Yapi », un avatar bien connu des Ivoiriens qui abreuve Facebook, Twitter et Youtube d’informations prétendument exclusives, dont la maçonnerie est un des sujets de prédilection. Le coup de gueule de Tanoh plonge la salle dans un silence de cathédrale. Le jingle du fameux Yapi s’échappe alors du téléphone d’un des participants, déclenchant un large fou rire des frères de lumière.

Le Mali sous sanctions de la Cédéao: quelles conséquences pour le Sénégal et la Mauritanie?

 

Les dirigeants ouest-africains de la Cédéao ont décidé de fermer les frontières aériennes et terrestres avec le Mali et de mettre le pays sous embargo. Au-delà de l’impact sur l’économie malienne, ces mesures devraient aussi avoir des conséquences au Sénégal voisin : le Mali est son premier client commercial.

Avec notre correspondante à Dakar, Charlotte Idrac

Chaque jour, des centaines de camions empruntent le corridor Dakar-Bamako sur plus de 1 300 kilomètres. Un axe stratégique pour le Mali, pays enclavé, largement dépendant du port de Dakar pour ses importations. Et stratégique pour le Sénégal : l’an dernier, 21% de ses exportations étaient destinées au Mali, selon l'Agence nationale de la statistique).

« Cela va être extrêmement compliqué pour le budget du Sénégal, parce qu'un budget, c'est des prévisions de recettes. Recettes qui devaient venir des importations maliennes. Le Sénégal se tire une balle dans le pied. On sanctionne une économie aussi fragile que l'économie malienne. Mais en sanctionnant le Mali, on sanctionne le Sénégal aussi », constate Khadim Bamba Diagne, économiste et enseignant chercheur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.

► À lire aussi : Sanctions de la Cédéao: une situation intenable pour l’économie malienne

Depuis l’annonce des sanctions, dimanche 9 janvier au soir, Gora Khouma, secrétaire général des transporteurs routiers du Sénégal, reçoit de nombreux appels. « Nous sommes inquiets, parce que 80% du fret malien passe à Dakar. Le port de Dakar ravitaille le Mali. Si c'est fermé, ça va nous porter préjudice », craint-il.

La suspension des échanges décidée par la Cédéao ne concerne pas les produits alimentaires de grande consommation, le matériel médical ou encore les produits pétroliers.

La Mauritanie entre deux eaux

Le coup est donc dur pour le Mali, qui ne dispose pas non plus d’accès à la mer. Parmi les rares portes de sortie, reste la Mauritanie voisine. Hier, le président mauritanien s’est entretenu au téléphone avec Nana Akufo-Addo, le président en exercice de la Cédéao.

D'après l'agence mauritanienne d'information, c'est Nana Akufo-Addo qui a pris l'initiative de cet appel. Mohamed ould Ghazouani a écouté les arguments du médiateur et rappelé le souci de la Mauritanie de voir les frères maliens surmonter les difficultés actuelles.

Il faut dire que les relations économiques entre les deux pays sont étroites et anciennes. À dix kilomètres au sud du port de Nouakchott se trouve même un carrefour Bamako. Le Mali utilise un accès mauritanien à la mer pour exporter ses produits comme la gomme arabique et importer des produits manufacturés. Les frontières terrestres sont également très empruntées, notamment pour le commerce de bétail. 

La Mauritanie, pour sa part, n'a pas beaucoup d'autres choix que d'aider le Mali, explique Abdallahi Ould Awa, professeur d'économie à l'université de Nouakchott. Elle ne peut pas l'asphyxier, leurs relations et intérêts sont trop étroits, conclut-il. 

Mais la Mauritanie a tout intérêt aussi à conserver des relations cordiales avec la Cédéao à qui elle fait du pied depuis plusieurs années. En 2017, Nouakchott a notamment signé avec la commission de la Cédéao un accord d'association pour accélérer son intégration économique à la sous-région.

Enfin, côté guinéen cette fois, Conakry – dont la junte est, elle aussi, dans le collimateur de la Cédéao – maintient ses frontières ouvertes « avec ses pays frères conformément à sa volonté panafricaniste ». C'est ce qu'a annoncé lundi soir le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) dans un communiqué officiel de la présidence guinéenne.

Les frontières aériennes, terrestres et maritimes de la République de Guinée restent toujours ouvertes à tous les pays frères conformément à sa vision panafricaniste.

Lieutenant-colonel Aminata Diallo, porte-parole du CNRD