« La finance en héritage » En Côte d’Ivoire, qui s’intéresse de près ou de loin à la finance n’a pas pu passer à côté de la saga Kacou Diagou. De l’empire financier NSIA, on retiendra avant tout une histoire africaine.
Ne leur dites pas que la success story NSIA est une histoire familiale. « Le positionnement du Groupe NSIA est de sortir justement des « dynasties » pour faire correspondre l’image de NSIA au projet d’entreprise adopté, celui d’une Groupe financier africain », explique-t-on au sein de l’entreprise.
La narration de la célèbre famille ivoirienne de la finance ne peut être réduite à une simple transmission de père en filles. C’est déjà l’histoire d’un homme, l’une des premières fortunes de Côte d’Ivoire, qui a réussi à bâtir un empire financier ex nihilo, à l’âge de 50 ans.
Entrepreneur sur le tard – à son grand regret –, Jean Kacou Diagou (JKD) met sur les rails la Nouvelle société d’assurance interafricaine en 1995. En quelques années, il bâtit un ambitieux groupe de bancassurance dont le holding est aujourd’hui niché au cœur du Plateau à Abidjan, l’empreinte régionale est forte (12 pays) et les reins solides (15 milliards de F CFA de bénéfices en 2019 ; soit près de 23 millions d’euros). Le groupe, renommé NSIA en 2002, ne vise pas moins que le top 5 dans chacun de ses pays d’implantation.
Par le fruit du non-hasard, JKD a tenu à ce que ses enfants goûtent tôt à la matière qui occupe ses journées. « Pour chacun de ses enfants, mon père avait défini un métier », racontait sa fille Bénédicte Janine Kacou Diagou dans une interview à un média ivoirien au début de janvier 2021. Celle qui se rêvait pédiatre quand elle étudiait au Cours Sainte-Marie de Hann à Dakar a embrassé des études d’expertise comptable, puis est sortie diplômée en finance de la Middlesex University à Londres.
Une même vision
Bénédicte Janine entame sa carrière en tant qu’auditrice à Citibank et dans un groupe pétro-gazier, avant d’entrer à NSIA en 1999, à 26 ans. Elle reconnaît, non sans plaisir, avoir la confiance et la bénédiction de son père dans l’exercice de son activité, comme tout au long de son parcours dans l’entreprise. Une reconnaissance que ce dernier illustre, en parlant de sa propre succession à la tête du groupe : « Nous partageons la même vision ; et je ne suis pas inquiet, sur le plan de la technicité, elle est peut-être plus qualifiée que moi », disait-il en 2017 lors d’une interview au magazine télévisé Réussite.
LEUR PÈRE, AVANT DE CONNAÎTRE CE DESTIN ENTREPRENEURIAL, AVAIT BIEN FAILLI FINIR PRÊTRE
Pour l’heure, les traits amincis à la suite d’une longue maladie qui l’a frappée en 2020 et dont elle se dit aujourd’hui guérie, Janine aborde les affaires avec philosophie. Place aux jeunes, auxquels d’ailleurs l’aînée des Diagou fait la part belle sur les réseaux sociaux, et qu’elle encourage via sa fondation BJKD qui promeut l’entrepreneuriat dans la sous-région.
De son côté, sa sœur Mansan Dominique Diagou Ehilé, de trois ans sa cadette, se voyait elle interprète ou journaliste. Leur père, qui a bien failli finir prêtre après son séminaire, l’a poussée vers le marketing. Elle tombera elle aussi dans la finance, étrennant les diplômes à l’Institut franco-américain de management, puis à la Bryant University aux États-Unis et à l’Essec en France.
Dominique Diagou a commencé sa vie professionnelle à la SIR comme cadre financier. Elle poursuit à la trésorerie de Côte d’Ivoire Telecom avant d’intégrer le groupe NSIA en 2004. Elle aussi prend de plus en plus de responsabilités, notamment au sein de la branche assurance Vie du groupe, qu’elle dirige de 2012 à 2017.
Des pôles incontournables
Aujourd’hui les filles Diagou occupent des postes clés au sein de l’entreprise. Dominique est DG adjoint du groupe NSIA, chargée du pôle assurance, tandis que Janine est depuis 2015 DG du groupe ainsi que DG adjointe de son holding NSIA Participations.
EN 2019, ANGE KACOU DIAGOU FONDE NEW DIGITAL AFRICA
Mais la deuxième génération ne serait pas complète sans les cadets de la fratrie. Pour Ange Kacou Diagou, le dessein a été de le former à l’informatique. Incontournable lorsqu’on lance une entreprise à la croissance rapide. En vingt-cinq ans, NSIA est passé d’une société ivoirienne de dix employés, avec un capital de 300 millions de F CFA à un groupe qui compte 2 800 employés dans douze pays, selon les derniers chiffres publiés. Propulsé au sixième rang dans la zone Umoa, avec 5,5 % du marché, après l’acquisition de la nigériane Diamond Bank en 2017 et l’entrée en Bourse de sa filiale NSIA Banque Côte d’Ivoire. Les structures se doivent d’être à la hauteur.
Ainsi, Ange Kacou Diagou fera les belles heures des systèmes d’informations du groupe pendant dix ans, terminant DG de sa filiale NSIA Technologies, fournisseur de services d’ingénierie informatique. En 2019, il lance New Digital Africa, sur les bases de NSIA Technologies, et l’installe au sein de la zone franche technologique de Grand-Bassam (le Vitib pour Village international pour les technologies de l’information et la biotechnologie).
De son côté, son frère Franck Olivier Diagou (titulaire d’un MBA en finance de Butler University, aux États-Unis) a été chargé d’affaires grandes entreprises puis chef de département réseau des particuliers et TPE à NSIA Banque Côte d’Ivoire entre 2011 et fin 2019. Ce quatrième financier de la famille, est, depuis le début de cette année, directeur central de la filiale NSIA Asset Management.
Éloigné du clan de financiers ab initio, Patrick Diagou s’est envolé pour Vancouver au Canada pour se former au marketing et au graphisme. Il est revenu en terres abidjanaises il y a un peu plus de cinq ans, bardé de deux diplômes mais avec un regard acéré sur son environnement. C’est son père qui a présidé l’inauguration de son studio de photographie, en présence d’un parterre de personnalités publiques et privées triées sur le volet.
Un pari très calculé
Alors, la finance dans les gènes ? Probablement. Un groupe familial ? La définition déplaît en haut lieu. En l’occurrence, s’il est vrai que Jean Kacou Diagou a su insuffler le goût des affaires à trois de ses enfants, et celui de la finance à ses filles en particulier, il ne s’est pas pour autant reposé exclusivement sur le socle familial pour construire son empire.
Déjà, son parcours et son expérience l’ont conduit à prendre un « pari très calculé » quand il lance NSIA. Jeune diplômé de l’École nationale d’assurances à Paris, Jean Kacou Diagou entre au service Sinistres de SIA, une agence de l’Union des assurances de Paris (UAP), puis devient secrétaire de section de l’UAP en Côte d’Ivoire, avant d’être nommé DG de l’Union africaine, filiale de UAP au début des années 1980. Grimpant les échelons dans ce groupe, il y finit vice-président jusqu’à son départ en 1994. À ce moment-là, l’idée de NSIA a germé, ses anciens partenaires et employeurs tordent du nez mais Kacou Diagou pourra compter sur ses réseaux et son entregent pour fonder sa propre compagnie d’assurance, sur capitaux africains.
NOTRE PROJET D’ENTREPRISE EST DE RESTER AFRICAIN
Le succès du tycoon ivoirien le conduira à la tête de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), le patronat national, onze années durant, jusqu’en 2016. Et c’est sans doute le profil de l’homme discret mais prolifique qui séduira bon nombre de partenaires – en dehors, donc, du cercle familial.
De fait, NSIA a été l’un des premiers acteurs ivoiriens à ouvrir son capital à des investisseurs institutionnels étrangers (Emerging Capital Partners – ECP –, puis Amethis, Banque nationale du Canada et enfin Swiss Re). Les parts sont minoritaires, les arrangements âprement négociés (avec sa fille Janine d’ailleurs, très présente dans les négociation pour la sortie d’ECP et l’entrée de BNC au capital). Comme le disait le fondateur du groupe à Jeune Afrique en décembre 2019 : « Notre projet d’entreprise est de rester africain et que le capital soit détenu en majorité par des investisseurs africains. » Une plus grande famille, donc ?