Face à la perspective d’une récession au Sénégal, le chef de l’État a adopté dès septembre 2020 un plan de relance de 22,4 milliards d’euros.
Après des années d’alliances qui lui ont permis de diriger le pays les mains libres, le président sénégalais a porté le coup de grâce en novembre 2020, avec un remaniement marqué par l’arrivée de poids lourds de l’opposition, comme le dissident PDS Oumar Sarr, ou le libéral Idrissa Seck, arrivé second à la présidentielle de 2019.
Une situation politique qui permet à Macky Sall de dérouler son Plan Sénégal émergent (PSE) sans entraves, ou presque. Comme l’ensemble des économies de la planète, celle du Sénégal n’aura pas échappé aux conséquences du Covid-19. Avec la mise en place très rapide de mesures pour faire face à la pandémie (fermeture des frontières, interdiction des déplacements inter-régions, couvre-feu), le pays a évité l’hécatombe sanitaire annoncée, mais son économie est mise à rude épreuve.
En attendant les premiers barils
En 2020, 24,7 % des entreprises sénégalaises ont fait face à un arrêt momentané de leurs activités, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), et des secteurs clés, comme le tourisme, sont à l’arrêt. Résultat, selon le Fonds monétaire international : la croissance devrait reculer de 0,7 % en 2020, au lieu des 6,8 % attendus avant la crise.
Des perspectives de récession face auxquelles le Sénégal a lancé, à la fin de septembre 2020, un plan de relance qui prévoit 22,4 milliards d’euros de financements d’ici à 2023, dont un tiers doit provenir du secteur privé.
En attendant la production des premiers barils d’hydrocarbures, prévue elle aussi en 2023, ce programme de relance économique est un réajustement du PSE, dont plusieurs projets phares sont attendus pour 2021. Le Train express régional (TER) d’abord, inauguré dès 2019 et dont le retard dans le démarrage cristallise les crispations, mais qui, selon le chef de l’État, devrait rouler entre Dakar et Diamniadio en 2021.
Cap sur les Jeux olympiques de la Jeunesse
D’importants chantiers devront aussi être lancés, comme le très ambitieux chantier d’Akon City, un projet de ville ultra-futuriste et écologique porté par le rappeur américain Akon. Les travaux, qui devraient débuter au premier trimestre de 2021 se poursuivront jusqu’en 2029, pour un coût estimé à 6 milliards de dollars. À quelques kilomètres de là, le port de Ndayane, sur la Petite Côte, au sud de Dakar, viendra décongestionner le port autonome de la capitale.
D’autres chantiers, déjà en cours, ont été retardés en partie à cause du Covid-19, tels que l’université Amadou-Mahtar-Mbow, dont la date d’achèvement reste incertaine, ou le Stade olympique de Diamniadio.
Confié à l’entreprise turque Summa, ce projet s’inscrit dans le vaste programme de construction et de réhabilitation d’infrastructures sportives en vue des Jeux olympiques de la Jeunesse de Dakar, d’abord prévus en 2022, puis reportés à 2026, qui visent à placer le Sénégal sur la carte des événements sportifs d’envergure mondiale.
Des élections locales en retard
Au-delà de la feuille de route infrastructurelle, la priorité doit être mise sur l’accès à la souveraineté alimentaire et sanitaire, mais aussi sur la relance du tourisme, durement touché par une année blanche. Avec, au programme, notamment la réhabilitation des aéroports régionaux et le lancement de lignes long-courriers de la compagnie aérienne nationale Air Sénégal.
L’incertitude demeure également autour de la date des prochaines élections locales. Maintes fois repoussés depuis juin 2019, les scrutins municipaux et départementaux auraient dû se tenir « au plus tard le 28 mars 2021 », selon le consensus trouvé entre la majorité et l’opposition lors du dialogue national.
Une date de moins en moins probable, selon les participants à ce dialogue, qui admettent un retard pris dans les travaux à mener en amont des élections, tels que l’audit du fichier électoral.
Qu’ils aient lieu en 2021 ou l’année suivante, les scrutins locaux devraient être une étape préparatoire à la présidentielle de 2024, notamment pour l’opposition, entravée par l’absorption par la majorité d’une partie de ses caciques et l’inéligibilité de deux de ses principales figures, Karim Wade et Khalifa Sall.
Dette du Tchad
Le Tchad, premier pays de l’ère Covid à demander la restructuration de sa dette
Le pays d’Idriss Deby a sollicité le « cadre commun » mis en place entre le Club de Paris et le G20 pour le traitement de la dette. Ces bailleurs vont par ailleurs sans doute prolonger jusqu’à fin 2021 le moratoire dont bénéficient une cinquantaine de pays, pour la plupart africains.
Comptant déjà parmi les bénéficiaires de l’Initiative pour la suspension du service de la dette (ISSD), le Tchad vient de solliciter officiellement une restructuration de sa dette auprès des grands créanciers publics en parallèle à un accord de soutien conclu avec le FMI.
Relativement peu endetté, (4 2% du PIB selon le dernières données FMI, dont 25,6 points de dette garantie par l’État), le Tchad approche toutefois la crise de liquidités en raison d’une chute des recettes fiscales et à la baisse des recettes pétrolières. Fait notable, à côté de ses bailleurs extérieurs publics, le Tchad a contracté une très importante dette auprès du trader basé en Suisse Glencore gagée sur des ventes de pétrole, qui représente plus d’un tiers de ses encours extérieurs.
Sous programme avec le FMI
Le pays présidé par Idriss Deby va, par ailleurs, bénéficier d’un programme de soutien du FMI. À la suite de plusieurs réunions virtuelles en décembre et pour la dernière le 25 janvier, Tahir Hamid Nguilin, ministre tchadien des Finances, a indiqué ce 27 janvier que « le Tchad et le FMI [s’entendaient] sur un nouveau programme de réformes économiques de quatre ans appuyé par une Facilité élargie de crédit et un Mécanisme élargi de crédit, pour un montant de 560 millions de dollars. Ce programme est en outre soutenu par tous les partenaires du Tchad”.
Formellement acté le 13 novembre 2020 lors d’une réunion des ministres des Finances et gouverneurs de banque centrale du G20, le « cadre commun » sur la dette sert désormais d’épine dorsale au traitement de la dette des pays les moins avancés à l’ère Covid.
Tous les créanciers publics conduisent ainsi le processus de concert et avec la même approche, y compris la Chine, habituée à traiter les négociations avec ses créanciers sur un plan bilatéral.
Club de Paris, Chine et prêteurs privés logés à la même enseigne
« Les derniers travaux conduits au sein du G20 ont permis de s’assurer que la Chine, créancier majeur de l’Afrique, avait la volonté de s’intégrer à cette démarche commune », indique une source proche des autorités françaises.
Sur une autre question sensible, celle de la participation des créanciers privés aux restructurations de dettes, la même source indique que le Club de Paris et le G20 ont convenu que désormais aucune action de restructuration ne serait prise sans que les créanciers privés ne participent à même hauteur que les bailleurs publics.
« Les États débiteurs concernés devront prendre un engagement express en ce sens », résume-t-on du côté du Club de Paris. Une décision qui prendra tout son sens au Tchad.
Bientôt au tour de la Zambie et de l’Éthiopie ?
Dans le cadre de l’ISSD, une cinquantaine de pays en grande majorité des États africains ont obtenu un moratoire sur leur dette publique.
Après le Tchad, d’autres pays pourraient solliciter un réaménagement de leur dette ces prochains mois, notamment la Zambie et l’Éthiopie, selon nos sources, le cas assez critique du Soudan faisant l’objet d’un traitement différencié.
L’ISSD qui devait s’achever fin 2020, a été prolongé de six mois par le G20 et le Club de Paris lors du sommet du 13 novembre. Selon une source proche de Bercy, « il est très probable que cette suspension ISSD soit à nouveau étendue à l’ensemble de l’année 2021 au vu de la situation économique et sanitaire mondiale ». La question sera tranchée en avril prochain dans le cadre du G20, désormais présidé par l’Italie.
Terrorisme RCI
[Série] Terrorisme : de Kafolo à Tengrela, comment la Côte d’Ivoire fait face à la menace (2/4)
« Les visages du Nord » (2/4). En juin 2020, la première attaque dans le Nord fut considérée comme un tournant dans la lutte contre le jihadisme. Six mois plus tard, l’armée a ajusté sa riposte, mais la menace demeure insaisissable.
C’est un préfabriqué vert pastel au milieu d’un terrain vague, comme abandonné à la va-vite. Le bâtiment est criblé de balles, ses portes ont été arrachées. À l’intérieur, plusieurs dizaines de lits de camp ont été laissés là. Une sandale, une paire de lunettes de soleil cassée, des boîtes de conserve, des canettes de Cody’s et quelques casseroles jonchent le sol… Il y a quelques mois encore, ce camp assez sommaire, situé à l’entrée sud de Kafolo, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, accueillait un détachement de l’armée. Dans la nuit du 10 au 11 juin, il a été la cible d’une violente attaque jihadiste, au cours de laquelle quatorze militaires ont péri. La deuxième en territoire ivoirien, après celle de Grand-Bassam en mars 2016, mais la première du genre dans cette région frontalière avec le Burkina Faso.
Devoir accompli
Cela faisait plusieurs mois que la menace se rapprochait. En juin 2019, plusieurs personnes suspectes avaient été signalées dans la zone de Ouangolodougou. D’autres l’avaient ensuite été vers Nasian. L’armée avait alors déclenché l’opération Frontière étanche et dépêché des renforts dans le Nord. Dans les jours précédant l’attaque, le chef d’état-major avait décroché son téléphone pour prévenir le camp d’un risque d’attaque imminent. Le jour même, une patrouille avait été menée, sans rien relever de particulier, et la troupe était partie se coucher avec le sentiment du devoir accompli.
Quelques heures plus tard, dans la nuit noire, les habitants sont réveillés par des tirs nourris. Il est 3 h 02. Les assaillants sont une quarantaine. Certains ont traversé le fleuve Comoé à la nage, d’autres sont arrivés à moto, mais la majorité se déplace à pied. Ils sont divisés en trois groupes.
L’un attaque un petit poste mixte composé de militaires, de douaniers et de gendarmes à l’entrée nord du village. Il longe ensuite le camp des rangers de l’Office ivoirien des parcs et des réserves (OIPR) et fonce vers la base des militaires. Le feu est nourri. Il vient du sud, de l’est depuis le parc de la Comoé, et de l’ouest, où se trouve un cimetière. En jargon militaire, on appelle ça une « triangulaire ».
« L’attaque a duré quarante-cinq minutes. Deux véhicules de l’armée ont été détruits. On a retrouvé des soldats cachés dans le village. Les assaillants avaient calculé le temps qu’il faudrait aux renforts postés à Kong pour arriver, explique une source militaire ivoirienne. Ils étaient très bien organisés, armés de kalachnikovs, de mitrailleuses PKM, de RPG et de fusils à crosse pliables assez modernes, utilisés notamment par quelques unités de l’armée burkinabè. Certains sont repartis vers le Burkina en traversant le village à pied. D’autres se sont engouffrés dans le parc. »
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ON A CRU QU’ON ALLAIT TOUS MOURIR
Casquette Levis, polo Eden Park, paire de Converse : Bamba Tiemoko est le chef du village. Il n’a rien oublié de cette soirée. « On a cru qu’on allait tous mourir. Personne n’a osé revenir au champ pendant deux semaines. Depuis, on est beaucoup plus vigilants et méfiants. Dès qu’un étranger arrive, on le signale aux autorités », raconte ce producteur d’anacarde.
L’attaque n’a jamais été revendiquée. Pour les autorités ivoiriennes, il ne fait toutefois aucun doute qu’il s’agissait d’une action de représailles en réponse à l’opération de ratissage menée au mois de mai dernier. Celle-ci visait un groupe d’une cinquantaine de combattants dirigés par un Burkinabè, Rasmane Dramane Sidibé, alias Hamza. Ses hommes sont à la fois liés à la katiba Macina, du Malien Amadou Koufa, filiale du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) d’Iyad Ag Ghaly, et à la faction burkinabè Ansarul Islam.
C’est l’un des principaux lieutenants d’Hamza, Ali Sidibé, dit Sofiane, qui est le commanditaire de l’attaque de Kafolo. Arrêté quelques jours après par la gendarmerie ivoirienne à Bondoukou, trahi par son téléphone alors qu’il s’apprêtait à embarquer dans un minicar, ce berger connu de tous à Kafolo venait régulièrement y acheter et y vendre des bœufs. Mi-décembre, il a participé à une reconstitution des faits. Plutôt coopératif, il a notamment révélé l’existence d’une cache d’armes, où quelques kalachnikovs usagées ont été retrouvées, et donné de précieuses informations sur le mode de financement du groupe.
Les autres arrestations effectuées par la suite et l’exploitation des téléphones et moyens de communication saisis ont permis aux autorités de mieux connaître cet embryon de cellule jihadiste. « C’était un groupe en gestation dont la base se trouvait à Alidougou, de l’autre côté de la frontière, confie un haut gradé de l’armée ivoirienne. Avant l’opération du mois de mai, il n’avait pas particulièrement prévu de s’en prendre à la Côte d’Ivoire. Initialement, leur chef n’était d’ailleurs pas favorable à cette attaque. Il considérait le territoire ivoirien non comme une zone de combat, mais comme une zone de repli et de ravitaillement. Il tentait d’étendre son influence. » Selon nos informations, le fameux Hamza avait même épousé une femme ivoirienne, originaire de la région.
Six mois après
Six mois après les faits, les forces armées ivoiriennes ont renforcé leur dispositif dans la région. Une centaine de militaires sont désormais stationnés à Kafolo – un autre groupe est positionné un peu plus loin, à Bavé. Ils effectuent des patrouilles dans le parc de la Comoé, assistés d’un hélicoptère basé à Kong. Ce matin de décembre, le vent frais de l’harmattan souffle sur le village. À la lumière de l’aube, plusieurs soldats déambulent devant le camp de l’OIPR où ils sont logés en attendant la construction d’une nouvelle base. D’autres sont assis sous un arbre alors qu’un gendarme contrôle un véhicule de transport sur le pont traversant le fleuve. À la saison des pluies, cette vaste étendue d’eau devient une barrière presque infranchissable, mais ce jour-là, elle est par endroits asséchée, facilitant les infiltrations dans le parc.
Bien que la zone soit classée en zone rouge par le ministère français des Affaires étrangères, la menace semble être aujourd’hui moindre. « Le coup de filet de l’armée après l’attaque a emporté une partie du réseau du groupe, il a été considérablement affaibli, assure une source sécuritaire française. Mais il a toujours la volonté de porter des coups et il y a un risque de glissement, car ses membres vont sûrement chercher de nouvelles zones où s’établir, et la Comoé est attractive, notamment par sa situation géographique. »
Cette immense réserve naturelle s’étire sur plus de 11 000 kilomètres. Ses savanes boisées, sa forêt parfois dense et rocailleuse et son relief en font un sanctuaire idéal. « C’est aussi une zone poreuse, enclavée et abandonnée par l’État, où la population est livrée à elle-même », souligne la même source.
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BRAQUAGES ET ENLÈVEMENTS SONT UNE DE LEURS SOURCES DE FINANCEMENT
Plusieurs enlèvements ont eu lieu ces derniers mois un peu plus à l’est, près de Doropo. Mi-novembre, un riche éleveur de cette localité frontalière du Burkina Faso a été kidnappé par des hommes armés de kalachnikovs. Il a été libéré quelques jours plus tard, après le paiement d’une rançon de 6,2 millions de francs CFA (9 452 euros). S’ils ne sont pas l’apanage des groupes terroristes, braquages et enlèvements sont une de leurs sources de financement.
Nouveau front
Les autorités ivoiriennes ont ouvert un nouveau front dans leur stratégie de lutte contre la menace jihadiste. Début octobre, elles ont été alertées par les services de renseignement maliens de la présence d’individus armés au nord de Tengrela et dans la forêt classée de Gbeleban (Nord-Ouest), aux frontières du Mali et de la Guinée. À Tengrela, la psychose s’installe rapidement. On évoque une attaque imminente, une ville déjà infiltrée. Un hélicoptère de l’armée la survole jour et nuit. Des détachements arrivent de Kong, Korhogo et Séguéla. « Il y a eu plus de peur que de mal », assure un haut-gradé, qui évoque néanmoins « des mouvements suspects de personnes armées traversant la frontière ».
Ces hommes armés, les habitants de ce petit village lové en pleine savane, tout près de la frontière malienne, les ont vus. C’était au cours de la première quinzaine de décembre, racontent-ils. En plein milieu de la nuit, une femme enceinte et son père s’apprêtent à prendre la direction de l’hôpital de Tengrela quand ils croisent la route de trois hommes à moto, qu’ils décrivent comme étant « de type sahélien ». L’un d’eux les menace avec son arme et dit : « On ne veut pas vous faire de mal. Mais si vous dites que nous sommes là, on revient tous vous tuer. » La nuit suivante, des motos traverseront le village. Personne ne sait vers où elles se dirigeaient, mais plusieurs sources sécuritaires évoquent un processus de recolonisation de la forêt de Misseni, située un peu plus à l’est, en territoire malien. Il y a plusieurs années, la katiba Khalid Ibn al Walid de Souleymane Keïta, une branche d’Ansar Eddine, s’y était déjà établie avant d’être démantelée de l’armée malienne en 2016.
Ces différentes alertes ont conduit à accélérer la mise en place d’une zone opérationnelle dans le Nord, qui disposera d’un commandement unique pour les opérations militaires. Après Frontière étanche, l’armée mène désormais deux autres opérations temporaires : Rétorsion et Muraille du Nord. À Tengrela, la présence de l’armée est discrète. Les hommes du Bataillon de sécurisation du Nord-Ouest (BSNO) ont pris position en centre-ville dans une concession abandonnée. Des éléments des forces spéciales sont installés dans une villa mitoyenne de la préfecture. Des patrouilles sont organisées dans les villages où les militaires tentent d’étendre leur réseau de renseignement.
Un matin, dans la petite bourgade de Namiasso, Seydou Koné a vu subitement sortir de la brousse deux véhicules de l’armée, intrigués par les pétarades de sa moto. Il se dit rassuré par leur présence. « Le principal problème, c’est la surveillance de la frontière avec le Mali. Depuis qu’elle est officiellement fermée, les gens empruntent les pistes, surtout en saison sèche. Ça rend les contrôles presque impossibles », déplore un militaire basé à Tengrela.
Dire que la frontière est poreuse est un euphémisme. C’est un dédale de pistes qu’il faut bien connaître sous peine de s’y perdre. Tous les jours à la nuit tombée, des minibus bondés quittent la gare routière de Tengrela pour le Mali. De l’autre côté de la frontière, la jeunesse de Kadiana fait régulièrement le chemin inverse. Le soir à la terrasse des maquis de Tengrela, des adolescents font le show sur leurs motos pour impressionner les filles. Certains viennent travailler dans les dizaines de mines d’or qui ont fleuri dans le nord et le centre de la Côte d’Ivoire.
Fièvre de l’or inquiétante
Cette fièvre de l’or inquiète tout particulièrement les autorités. Les mines font naître des flux de populations et représentent une importante manne financière. Il y a un an, des bergers suivis par les services de renseignement ivoiriens avaient tenté de prendre le contrôle de certains sites d’orpaillage et d’y faire travailler des membres de leur famille.
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LE RISQUE EST DE VOIR L’IDENTITÉ SÉNOUFO, DONT LA CULTURE REPRÉSENTE UNE DIGUE, SUBMERGÉE
« Contrairement à ce qui s’est passé au Mali ou au Burkina Faso, l’islam radical n’a pas pénétré dans le nord de la Côte d’Ivoire grâce à des investissements massifs dans le social. Il a en revanche profité de l’important flux migratoire venu du Sahel pour faire du prosélytisme auprès des communautés locales. Il y a un risque de voir l’identité sénoufo, dont la culture représente une digue contre l’extrémisme, submergée », s’inquiète le chercheur Lassina Diarra, spécialiste du terrorisme en Afrique de l’Ouest.
À Kafolo, les services de sécurité sont tombés des nues en découvrant le niveau de complicité des populations locales avec le groupe jhadiste, composé en grande majorité de Peuls. L’un d’entre eux, un berger qui tenait également une boutique, jouait un rôle d’informateur. Un autre lui procurait de la nourriture et de l’argent. « La veille de l’attaque, certains habitants avaient comme par hasard disparu. Dans les campements, ils étaient avertis à chaque fois qu’une patrouille de l’armée démarrait », affirme une source sécuritaire française. « Il y a toujours eu beaucoup de passage, notamment de bergers peuls, dans cette zone. Certains membres du groupe étaient connus de tout le village. Ils y avaient des parents. Mais la majorité ignorait tout de leurs activités terroristes », nuance le chef du village, qui précise qu’il n’y a aujourd’hui plus qu’un habitant d’origine peule à Kafolo, une femme dont le mari a été arrêté par l’armée.
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LES BERGERS PEULS SE PLAIGNENT DU RACKET DES FORCES DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ
« Il existe un risque de voir ces populations davantage stigmatisées. Dans leurs conflits avec les agriculteurs, les bergers s’estiment souvent lésés. Ils se plaignent du racket des forces de défense et de sécurité qui profitent de leur situation particulière », explique Lassina Diarra. Créé au nord de Tengrela en 1963 par des bergers venus du Burkina Faso, Flagadougou est le plus vieux village peul de Côte d’Ivoire. S’ils bénéficient de l’électricité et d’une école depuis deux ans, ses habitants y vivent toujours de manière traditionnelle dans de petites habitations faites de briques de terre. Assis à l’ombre d’un arbre, Siaka Sidibé est le frère du chef du village. Petite barbichette grisonnante, cet homme d’une cinquantaine d’années au visage émacié exprime son inquiétude. « On entend que nos frères du Mali et du Burkina ont des problèmes, dit-il, le chèche qui lui couvre la tête balayé par le vent. Alors forcément, on a peur. Pourtant, ici, notre situation s’est considérablement améliorée. Mais nous sommes encore vus comme des étrangers. Ce que l’on veut, c’est avoir la nationalité ivoirienne. »
Ex président Mauritanien
[Tribune] Président un jour, intouchable pour toujours ?
24 janvier 2021 à 12h10 |
Par Yann Gwet
Yann Gwet est un essayiste camerounais. Diplômé de Sciences Po Paris, il vit et travaille au Rwanda.
L’ex-président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz revendique une immunité absolue. Un principe fondamentalement antidémocratique car il consacre une hiérarchie entre citoyens du même pays et une inégalité devant la loi.
L’affaire est passée quelque peu inaperçue dans le tourbillon des élections contestées de l’année 2020 en Afrique francophone. L’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz est visé par une enquête préliminaire pour des faits supposés de corruption. Une commission d’enquête parlementaire a révélé, fin juillet 2020, de nombreuses irrégularités liées à la passation d’une série de marchés publics sous sa présidence. Le principal intéressé a été placé en garde en vue du 17 au 24 août, avant d’être auditionné à plusieurs reprises. Plusieurs médias locaux et internationaux rapportent que son passeport lui a été retiré, et ses comptes bancaires gelés.
L’affaire est intéressante à double titre : d’abord, ce n’est pas tous les jours qu’un ancien président se retrouve malmené par la justice de son pays. Dans une partie du continent où les chefs d’État se considèrent comme des monarques de droit divin, ce développement ouvre des perspectives. Ensuite, et surtout, Mohamed Ould Abdelaziz excipe d’une immunité supposée absolue que lui conférerait l’article 93 de la Constitution mauritanienne pour éviter de répondre aux questions des enquêteurs, ses avocats faisant en outre valoir que, de toute façon, seule la Haute Cour de justice (HCJ), juridiction spéciale prévue par la Constitution, est habilitée à juger l’ancien chef de l’État.
Les avocats de l’État mauritanien contestent le principe de l’immunité absolue accordée au président de la République, précisant que cette immunité protège le chef de l’État uniquement dans l’exercice de ses fonctions. Par ailleurs, si la HCJ n’était pas encore sur pied au début de cette affaire, la nouvelle session parlementaire qui s’est ouverte au début de janvier en Mauritanie a voté la loi sur la constitution de cette cour, désarmant ainsi en partie la défense d’Ould Abdelaziz.
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EN L’ABSENCE DE « RÉPUBLIQUES » DIGNES DE CE NOM, NOUS AVONS HÉRITÉ DE ROIS THAUMATURGES
Le débat juridique est aussi inévitable que nécessaire dans cette affaire. Mais il nous éloigne des enjeux politiques de fond. Les régimes politiques d’Afrique francophone sont inspirés du présidentialisme robuste qui a cours en France. Ce n’est en rien une surprise quand on se rappelle que nombre de nos Constitutions ont initialement été rédigées par des « experts » français. L’esprit monarchique qui habite l’institution de la présidence en France imprègne donc aussi l’architecture présidentielle des anciennes colonies françaises. Nous étions censés avoir, nous aussi, un « monarque républicain ». Mais, en l’absence de « Républiques » dignes de ce nom, nous avons hérité de rois thaumaturges.
À l’instar de la Constitution française, donc, les Constitutions des pays d’Afrique francophone garantissent généralement une forte protection au président de la République dans l’exercice de ses fonctions. Rien à voir sur ce point avec la relative précarité qui caractérise le titulaire du Bureau ovale. Mais, en République, ce n’est pas tant la personne du président qui est sacralisée que l’institution, c’est-à-dire la présidence de la République. Ou, plus précisément, c’est parce que l’institution est sacrée que celui qui l’incarne jouit d’un statut particulier.
Citoyen ordinaire
Au demeurant, que l’on soit aux États-Unis, en France, ou en Afrique francophone, l’idée de protéger la fonction présidentielle, et donc son occupant, des soubresauts de la vie politique tombe sous le sens. Que nos rois thaumaturges bénéficient d’un minimum de protection dans le cadre de leurs fonctions n’est donc pas en cause. En revanche, si la personne du président de la République fait corps avec l’institution de la présidence durant son mandat, dès lors que celui-ci prend fin il redevient un « citoyen ordinaire ». C’est cette disposition qui fait du monarque français un monarque « républicain ». Car, en République, le pouvoir est la propriété du peuple, dont le président n’est que l’ultime représentant.
Au bout du compte, l’immunité absolue que revendique l’ancien président Mohamed Ould Abdelaziz – et que ne renieraient pas nombre de ses homologues – est fondamentalement antidémocratique car elle consacre une hiérarchie entre citoyens du même pays et une inégalité devant la loi. Les anciens présidents appartiendraient à une sorte d’aristocratie dont la seule légitimité serait d’avoir un jour été portés, par le peuple souverain, à la fonction suprême : président un jour, président toujours.
Logique d’impunité
Au-delà du cas mauritanien, il n’est pas difficile d’imaginer les raisons pour lesquelles les présidents africains aspirent à une immunité éternelle. Beaucoup se rendent coupables de crimes si graves que seule une immunité absolue peut les soustraire à la justice. Certains plaident en sa faveur au motif qu’elle constituerait une réponse au problème des présidences à vie. En clair, certains chefs de l’État qui hésiteraient à lâcher le pouvoir par peur de poursuites seraient plus enclins à le faire s’ils se savaient protégés.
D’un point de vue tactique, l’argument n’est pas dénué de sens. D’un point de vue politique et moral cependant, il est irrecevable, car il institutionnalise l’impunité. Or cette logique d’impunité est l’un des cancers de nos sociétés. Elle alimente la corruption, les détournements publics, les atteintes aux droits humains. Sa validation par les peuples serait un suicide. L’immunité absolue est un contresens absolu. Nos (anciens) présidents doivent répondre de leurs crimes.
Déplacés au Sahel
Sahel: le nombre de déplacés dépasse les deux millions de personnes
Dans les pays de la région du Sahel, le nombre de déplacés internes atteint un niveau jamais enregistré. Pour la première fois, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en recense plus de 2 millions. Le HCR précise qu'il faut y ajouter 850 000 réfugiés, essentiellement originaires du Mali.
C’est un « triste » record que ce nombre de deux millions de personnes déplacées à l’intérieur de leurs propres pays, dans la région du Sahel, obligées de fuir des « violences incessantes », indique l’ONU.
Joint par RFI, Romain Desclous, porte-parole du HCR, estime que cette hausse du nombre de déplacés est symptomatique de ce qui se passe dans la région depuis deux ans.
« C’est quatre fois le chiffre d’il y a deux ans et c’est dû essentiellement aux attaques qui se poursuivent dans plusieurs parties du Sahel. Ces attaques sont illustrées justement par ce qui s’est passé au Burkina Faso. Dès le début de cette année, Koumbri a été attaquée ainsi que les villages environnants, forçant plus de 11 000 personnes à fuir. Au Niger voisin, pareil : le 2 janvier, deux villes dans la région de Tillabéri étaient attaquées. Plus de 10 000 personnes avaient fui.
Le nombre d’attaques a augmenté, l’intensité a augmenté et le nombre de victimes civiles a, hélas, également augmenté. Les personnes fuient des attaques. Soit elles en sont victimes, soit elles en sont témoins, soit elles fuient de manière préventive quand, dans les villages voisins, la localité voisine est attaquée.
Pour que ces personnes puissent rentrer chez elles – et elles le souhaitent – et pour que cela se passe, il faut une paix qui soit durable, que les gens puissent rentrer dans des conditions de sécurité, de sûreté et de dignité. Ce n’est pas encore le cas, hélas ! »