Assoa Adou, le secrétaire général de la branche pro-Gbagbo du FPI, a rendu visite à Pascal Affi N’Guessan le 4 janvier. Un signe de rapprochement entre l’ancien président et celui qu’il a longtemps considéré comme un traître, qui pourrait se concrétiser dans les urnes à l’occasion des législatives.
La démarche se voulait avant tout symbolique, mais elle en dit long sur le chemin parcouru par les frères ennemis du Front populaire ivoirien (FPI). Lundi 4 janvier, Assoa Adou, le secrétaire général de la branche pro-Gbagbo du parti, s’est rendu, accompagné d’une délégation, au domicile de Pascal Affi N’Guessan, dans le quartier de la Riviera, à Abidjan. Depuis leur bataille pour le leadership du FPI, le premier n’avait plus jamais franchi la porte de la résidence familiale du second.
Cinq jours plus tôt, Affi N’Guessan avait été libéré et placé sous contrôle judiciaire, après presque deux mois de détention préventive. Poursuivi pour de nombreux chefs d’inculpation, l’ancien Premier ministre se voit reprocher son rôle dans l’appel à la désobéissance civile et la proclamation d’un très éphémère Conseil national de transition (CNT) après la réélection contestée d’Alassane Ouattara, le 31 octobre dernier.
Signe de dégel
Officiellement, Assoa Adou et son état-major avaient fait le déplacement pour manifester leur « compassion » et leur solidarité à Pascal Affi N’Guessan après son emprisonnement. Mais beaucoup ont aussi vu dans cette visite un nouveau signe de rapprochement entre Laurent Gbagbo et celui qu’il a longtemps considéré comme un traître.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">
JAMAIS LES « GBAGBO OU RIEN » N’ONT FAIT UN TEL PAS VERS NOUS
« Il y a quelque temps, on ne se saluait même pas. Alors aujourd’hui, quand on va chez lui, c’est sûr que cela peut être vu comme un signe de dégel », estime Franck Anderson Kouassi, le porte-parole du FPI pro-Gbagbo. « Ce n’était pas une visite anodine, jamais les GOR [les « Gbagbo ou rien »] n’ont fait un tel pas vers nous, glisse un proche collaborateur d’Affi N’Guessan. Il faut y voir un geste politique, qui augure d’un rapprochement entre nos deux camps. »
Juste après sa libération, Laurent Gbagbo avait appelé son ancien ministre pour prendre de ses nouvelles et lui annoncer l’envoi de cette délégation menée par Assoa Adou. Glaciaux depuis le schisme qui a déchiré le parti en 2014, les rapports entre les deux hommes se sont améliorés ces derniers mois à la faveur de leur combat commun contre le troisième mandat d’Alassane Ouattara.
Pascal Affi N’Guessan, l’un des rares candidats à la présidentielle dont le dossier a été validé par le Conseil constitutionnel, mi-septembre, avait rapidement rejoint l’appel à la désobéissance civile lancé par Henri Konan Bédié, le président et candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). À ses côtés, en concertation avec Gbagbo, il s’était engagé sur une ligne dure à l’égard de la « forfaiture » de Ouattara. Les deux hommes avaient ensuite refusé de participer à l’élection et appelé à son boycott actif. Devenu porte-parole de la plateforme d’opposition, puis celui du CNT, Affi N’Guessan avait finalement été arrêté le 6 novembre alors qu’il tentait de rallier son fief de Bongouanou, dans le Moronou.
Fin d’une décennie de boycott
Au fil de ces jours incertains, le président du FPI officiellement reconnu, que ses adversaires soupçonnaient il y a encore quelques mois de jouer les « opposants utiles », s’est imposé comme une des figures de l’opposition. Ses deux mois en détention n’ont fait qu’accroître son aura, l’érigeant en symbole de la répression du régime.
Désormais libre, Pascal Affi N’Guessan, 67 ans, entend bien faire fructifier ce nouveau capital politique. Dans sa ligne de mire : la présidentielle de 2025. Mais avant ça, il lui faudra franchir plusieurs étapes importantes, à commencer par les prochaines législatives, prévues le 6 mars. Le FPI « légal » a l’intention d’y participer. Son président sera d’ailleurs lui-même candidat à sa réélection dans sa circonscription de la sous-préfecture de Bongouanou. Le FPI pro-Gbagbo a lui aussi annoncé son intention d’y prendre part. La fin d’une décennie de boycott et le grand retour des partisans de Laurent Gbagbo dans le champ politique ivoirien.
Cette volonté partagée d’aller aux législatives pourrait, dans les jours à venir, rapprocher encore un peu plus les deux branches du FPI. Concrètement, Gbagbo et Affi N’Guessan réfléchissent à présenter des listes communes – même avec le PDCI et les autres formations de l’opposition, afin de ne présenter qu’un seul candidat face à celui du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, parti présidentiel).
« Nous n’avons pas d’autre choix que de nous entendre avec les GOR si nous voulons éviter un échec », résume-t-on dans l’entourage d’Affi N’Guessan. En coulisses, les discussions ont déjà démarré. Ainsi, le 5 janvier, après la réception de la délégation d’Assoa Adou, un buffet a été organisé chez l’opposant fraîchement libéré. Entre deux petits fours, les lieutenants des deux camps y ont évoqué leur potentiel rapprochement en vue des législatives.
Revenir dans le jeu
Pour les pro-Gbagbo, ce serait l’occasion de revendiquer à nouveau l’étiquette officielle du FPI et de revenir enfin dans le jeu. Après dix ans de boycott des élections nationales et locales, beaucoup de lieutenants du « Woody » de Mama ne veulent – ou ne peuvent – plus laisser filer les mandats et compromettre leur avenir. Quant à Pascal Affi N’Guessan et ses proches, ils savent bien le poids majeur conservé par les pro-Gbagbo sur le terrain et gardent toujours en travers de la gorge leur piètre score aux législatives de 2015, à l’issue desquelles ils n’avaient obtenu que trois sièges de députés.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">
HAMED BAKAYOKO A REÇU ASSOA ADOU POUR ÉVOQUER LE SORT DE LAURENT GBAGBO
De son côté, Laurent Gbagbo, toujours à Bruxelles en attendant la fin de sa procédure devant la Cour pénale internationale (CPI), veut revenir à Abidjan dès que possible. S’il a récupéré son passeport, il attend désormais d’obtenir des garanties de la part des autorités ivoiriennes. Les tractations sont en cours et différents émissaires continuent à faire la navette entre les bords de la lagune Ebrié et la capitale belge. Le Premier ministre, Hamed Bakayoko, est notamment à la manœuvre. Le 6 janvier, il a reçu Assoa Adou à la primature pour évoquer le sort de l’ancien président.
« Tout cela ne sert qu’à gagner du temps, considère un proche de l’ancien président. En vérité, Ouattara n’a aucune envie de voir Gbagbo rentrer. Tout est une question de rapport de forces. Quand il n’aura plus d’autre choix, Ouattara finira par le laisser revenir en Côte d’Ivoire. » Pour Gbagbo, un rapprochement avec Affi N’Guessan en vue des législatives présenterait un double avantage : peser à nouveau sur l’échiquier politique et montrer sa « bonne foi » en jouant le jeu démocratique. Or, comme le rappelle un intime de Ouattara, l’une des conditions qui a été glissée à l’ancien président pour pouvoir rentrer est justement de laisser ses troupes participer aux prochaines élections tout en gardant, lui, une forme de recul.