Secouée par l’affaire Petro-Tim, relancée au début du mois de juin par la BBC, la présidence sénégalaise se cherche une stratégie de communication de crise, entre promesses de transparence et verrouillages.
« Le pétrole c’est comme le cinéma, ça suscite des fantasmes. Mais rien n’est secret. » À l’occasion d’une concertation nationale sur la mise en œuvre de la loi sur le Contenu local dans le secteur des hydrocarbures, mardi 2 juillet à Diamniadio, Macky Sall a pour la première fois esquissé une réponse publique à l’enquête de la BBC sur l’affaire Petro-Tim diffusée le 2 juin.
Intitulé Un scandale à 10 milliards de dollars, ce reportage était venu raviver les braises de l’affaire Aliou Sall-Frank Timis, relative à l’attribution controversée, en 2012, de deux blocs gaziers à la société Petro-Tim, relançant des soupçons de corruption et de conflit d’intérêt qui éclaboussent la présidence depuis cinq ans.
La transparence pour leitmotiv
Le chef de l’État a donc profité de cet atelier pour marteler sa volonté de « mettre le Sénégal à l’abri de convulsions symptomatiques de l’exploitation du pétrole et du gaz dans certains pays », avec pour leitmotiv la transparence dans la gestion des hydrocarbures.
Devant des acteurs privés du secteur pétrolier, des représentants de la société civile et des élus locaux et nationaux, il a ainsi égrené les mesures prises sous son mandat, de « l’adhésion du Sénégal à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) », en 2013, à la « constitutionnalisation du droit de propriété du peuple sur ses ressources naturelles lors du référendum de mars 2016 ».
Macky Sall a également mentionné « la publication systématique des contrats miniers et pétroliers depuis septembre 2016 », ainsi que la « création du Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (COS-Petrogaz), élargi à la société civile et l’opposition ».
Couacs médiatiques
La rencontre, « prévue de longue date » selon le président sénégalais, intervient néanmoins à la suite d’une série de couacs dans la communication gouvernementale. Après la conférence de presse du gouvernement le 5 juin, au cours de laquelle la porte-parole Ndèye Tické Ndiaye Diop dénonçait « un tissu de contrevérités […] destiné à manipuler l’opinion et à jeter le discrédit sur le gouvernement et l’État du Sénégal », la communication de l’exécutif a en effet été marquée par des cafouillages malencontreux.
À deux reprises, en juin, le ministre-conseiller à la Communication El Hadj Hamidou Kassé a ainsi mis en porte-à-faux le chef de l’État et son frère Aliou.
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Et la presse locale de s’emballer de plus belle. Kassé vient donc d’être remplacé dans cette fonction par l’ex-porte-parole du gouvernement, Seydou Guèye, héritant du poste moins exposé de ministre-conseiller en charge de la culture. Une affectation selon lui prévue depuis mars mais que ses deux bourdes récentes auront accéléré. « Tant que je suis en politique, je ne ferai aucun commentaire sur le sujet », élude l’intéressé, interrogé par Jeune Afrique.
Zones d’ombre
Depuis, du côté du gouvernement comme de la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY, au pouvoir), la communication est verrouillée. « Nous avons pour consigne de ne plus nous exprimer sur ce dossier qui est entre les mains du procureur depuis le 10 juin. Mais évidemment, nous ne sommes pas à l’aise avec les propos de Kassé », nous confie un membre de BBY.
Un silence qui laisse en suspens plusieurs questions clés. À l’instar des critères qui ont motivé l’attribution des deux blocs à Petro-Tim, en 2012, aux dépens de pétroliers plus chevronnés comme le britannique Tullow Oil ou le nigérian Oranto Petroleum, alors que cette société de création récente ne présentait aucune référence dans l’exploration offshore. « Tout est conforme au code pétrolier », rétorque sobrement un officiel au ministère du Pétrole et des Énergies.
Des royalties surévaluées ?
Autre point qui cristallise la contestation, le montant des royalties que pourrait toucher Frank Timis suite à la cession de ses parts à British Petroleum, en 2017. Dans son enquête, la BBC avance des montants allant de 9 à 12 milliards de dollars sur quarante ans. « Les allégations de la BBC concernant le montant des royalties qui pourraient être payées à Timis Corporation sont absurdes », avait balayé Géraud Moussarie, directeur général de BP Sénégal, en conférence de presse.
Sur cette question, l’entourage présidentiel renvoie à la confidentialité qui entoure un contrat passé entre deux entités privées. Des émissaires de BP ont cependant été dépêchés auprès d’Ousmane Ndiaye, le secrétaire permanent du COS-Petrogaz, et de son adjoint, Mamadou Fall Kane, afin d’éclairer la lanterne des autorités.
Selon plusieurs sources au sein de British Petroleum et du COS-Petrogaz que Jeune Afrique a rencontrées, les royalties prévues au bénéfice de la holding de Frank Timis n’excéderaient pas 0,7 % à 1 % des futurs revenus de l’État liés au pétrole – eux-mêmes estimés autour de 23 milliards de dollars –, soit moins de 230 millions de dollars.
Très loin, donc, des 10 milliards de dollars évoqués par le média britannique.
Nouvelles mesures
En attendant de faire la lumière sur ces zones d’ombre, le gouvernement continue de se chercher une stratégie de communication à l’international, tout en rappelant à l’envi dans les médias locaux les mesures déjà prises pour assurer la transparence de ce secteur objet de tant de « fantasmes ».
De nouvelles mesures sont d’ailleurs en préparation, comme l’octroi systématique des blocs d’hydrocarbures par appel d’offres, ainsi que le prévoit le nouveau code pétrolier, adopté en janvier, ou encore le vote prochain à l’Assemblée nationale d’une loi sur la transparence dans l’utilisation des futurs revenus issus de l’exploitation du pétrole et du gaz.
Quant aux questions restées sans réponse à propos des blocs déjà octroyés à Petro-Tim avant d’être rétrocédés à Kosmos Energy et BP, « seule la justice pourra édifier le peuple sénégalais », estime l’entourage présidentiel.