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Guinée: une mission de la Cédéao à Conkary pour discuter de la transition

 

Le médiateur de la Cédéao pour la Guinée, l’ex-président béninois Thomas Boni Yayi, étaient à Conakry depuis mardi 19 juillet soir, avec le président en exercice de la Cédéao et le nouveau président de la Commission de la Cédéao arrivant mercredi. Cette mission de médiation a rencontré les autorités de la transition en Guinée, pour notamment obtenir un « calendrier acceptable » de la durée de la transition et éviter à la Guinée d’être sanctionnée le 1er août. 

La mission a été organisée à l’initiative du président en exercice de la Cédéao, Umaro Sissoco Embalo et de l’ex-président du Bénin, Thomas Boni Yayi, chargé de mener la médiation. Ces deux personnalités ont d’abord consulté chaque chef d’État de la sous-région pour une position commune concernant la Guinée. Le tout nouveau président de la Commission de la Cédéao, le gambien Omar Alieu Touray, est aussi présent et il est accompagné des nouveaux commissaires de la Cédéao.

En arrivant, Umaro Sissoco Embalo et Thomas Boni Yayi ont eu un entretien à l’aéroport international avant de se diriger vers le centre-ville, où le président de la Guinée-Bissau a eu une journée très chargée : il a rencontré des ambassadeurs des pays de la Cédéao accrédités en Guinée, ceux du groupe du G5 et des membres du gouvernement guinéen, dont ceux des Affaires étrangères et de l’Administration du territoire, a rapporté notre correspondant à Conakry, Mouctar Bah.

Il a ensuite rencontré le président du conseil national de la transition, entouré de quelques conseillers au Palais du peuple, siège de ce parlement provisoire. En fin d’après-midi, toujours en compagnie du médiateur Thomas Boni Yayi et du président de la commission de la Cédéao Aliou Touré, le président Emballo a dit ses adieux au président Mamadi Doumbouya.

Si rien n’a filtré de tous ces entretiens, les observateurs estiment qu’Umaro Sissoco Embalo était venu attirer l’attention des dirigeants guinéens sur l’urgence qu’il y a à prendre une décision quant à une durée de la transition qui serait acceptable par tout le monde. Cela avant le prochain sommet de la Cédéao, prévu fin juillet. 

Une visite pour « initier le dialogue » ?

La Cédéao avait avec une proposition sur la table : deux ans, à l’image des propositions faites dans les autres transitions en cours au Mali et au Burkina Faso. Selon certaines sources, les autorités guinéennes seraient prêtes à accepter cette proposition. Reste à savoir à partir de quand faire démarrer les compteurs de la transition : juillet ou janvier, comme le suggèrent plusieurs partis politiques.

Cette visite est une première prise de contact pour également « initier le dialogue », commente un diplomate. C’est donc l’occasion pour le colonel Mamadi Doumbouya, de justifier le calendrier de la transition, d’expliquer les projets prévus par son équipe, avec notamment la rédaction d’une nouvelle Constitution, la convocation d’un référendum...  L’organisation d’élections municipales, législatives et présidentielle. À cela s’ajoute tout un programme de lutte contre la corruption. Tout ceci devrait être étalé sur 3 ans, explique le CNRD, au pouvoir depuis le 5 septembre 2021.

Seulement, les principaux leaders politiques, tels que Sidya Touré et Cellou Dalein Diallo, sont absents du territoire. Les discussions devraient donc être menées avec les états-majors des partis. Le but, précise-t-on, dans l’entourage de la délégation, est « d’instaurer d’abord la confiance entre acteurs de la classe politique ».

Bénin: Mauto ambitionne de révolutionner le marché des zémidjans

 

Au Bénin, les zémidjans, les célèbres taxi-moto seront-ils bientôt électriques ? C’est en tout cas l’espoir et l'ambition d’une nouvelle marque qui vient de s’installer à Cotonou, la marque Mauto. L’entreprise indienne qui les fabrique a été rachetée par un fonds d’investissement afro-indien, Atif, qui ambitionne de produire ces motos électriques au Bénin et au Togo. 

De notre envoyé spécial à Cotonou,

La boutique Mauto qui vient d’ouvrir ses portes à Cotonou ne désemplit pas. Les clients se penchent sur ces curieux engins qui n’ont ni moteur ni pot d’échappement, mais une grosse batterie à la place. Mohamed Wabi est un entrepreneur. Il songe à acheter une moto électrique pour livrer ses clients. « Ça me revient hyper moins cher. Pourquoi ? Parce que si je regarde le déplacement que je fais dans la ville pour mes distributions, je dépense environ quinze mille francs par jour. Avec une moto qui coûte 1 300 francs par jour, c’est fantastique », explique-t-il.

Des frais en moins, c’est l’argument qui séduit les conducteurs de zémidjan, les motos-taxis. Comme Simplice, ils sont des dizaines à faire la queue chaque jour pour tester les motos électriques. « Il n’y a pas de chaîne à changer, il n’y a pas de carburant à payer, il n’y a pas de mécanicien, et d’ailleurs l’entreprise nous promet de prendre ne charge les frais d’entretien jusqu’à trois ans », dit Simplice. 

Opération séduction de la part de Mauto

Il est vrai que l’offensive commerciale lancée par Mauto a de quoi séduire. Une location-vente deux fois moins chère que les offres traditionnelles pour les motos thermiques et des recharges électriques au prix de l’essence. Seul point noir, les points de recharge sont encore très rares. Une disponibilité qui devrait s’améliorer rapidement, selon Hervé Hountondji, le directeur des ventes. « Ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui, c’est de mettre en place des points de rechargement un peu partout dans le pays, grâce à des partenariats avec des distributeurs de produits pétroliers », avance Hervé Hountondji.

Économiques, écologiques, les motos sont aussi patriotiques. Le groupe Mauto qui vient d’être racheté par un fonds d’investissement indo-africain, Atif, va fabriquer d'ici à quelques mois ses motos au Bénin et au Togo, comme l’explique Shegun Bakari associé du fonds Atif. 

Nous sommes en train de construire des usines qui vont avoir chacune la capacité de produire mille motos par jour à partir du Bénin et du Togo pour desservir toute la région ouest-africaine et par-delà, l’Afrique. Notre objectif est de pouvoir fabriquer jusqu’à 85 % des motos électriques, directement au Bénin et au Togo et importera essentiellement les pièces que l’on ne peut pas fabriquer sur place, les phares, les pneus, etc.

Mauto n’est pas la seule entreprise à proposer des motos électriques en Afrique, mais son business model basé sur la production locale et l’énergie décarbonée en fait un acteur à part.

Mali : le gouvernement cherche-t-il à pousser la Minusma au départ ?

Quatre jours après l’arrestation de 49 militaires ivoiriens, considérés comme des « mercenaires » par Bamako, les arrivées et départs de Casques bleus déployés dans le pays sont suspendus jusqu’à nouvel ordre.

Mis à jour le 15 juillet 2022 à 14:11

 

Des soldats de la Minusma défilent à Bamako lors du 58e anniversaire de l’indépendance du Mali, le 22 septembre 2018. © MICHELE CATTANI/AFP

 

Ce jeudi 14 juillet, Bamako a annoncé la suspension de « toutes les rotations de contingents militaires et policiers » de la Minusma. Une décision à effet immédiat, précise le ministère malien des Affaires étrangères, laquelle s’appliquera jusqu’à la tenue d’une « réunion de coordination entre les structures maliennes et la Minusma [visant à] dégager un plan optimal permettant de faciliter la coordination et la réglementation de la rotation des contingents ». La date de cette réunion n’a pas encore été fixée.

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Avec quelque 13 000 Casques bleus déployés (dont plus de 12 000 militaires), la Minusma compte une cinquantaine de nationalités différentes, avec des contingents généralement relevés tous les six mois ou tous les ans.

Cloués au sol

Selon nos informations, la mesure prise par le gouvernement malien cloue temporairement au sol près de 3 500 policiers et militaires dont les rotations étaient prévues au cours des trois prochains mois. Le calendrier de ces rotations avait été transmis aux autorités maliennes.

La mesure prise par Bamako vient s’ajouter à des blocages antérieurs, décidés en réponse aux sanctions de la Cedeao (finalement levées le 3 juillet) et qui ont empêché certains contingents ouest-africains d’être relevés depuis le mois de janvier.

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Surtout, elle intervient quatre jours à peine après l’interpellation, dimanche 10 juillet, de 49 soldats ivoiriens à l’aéroport de Bamako. Accusés par les autorités d’être des « mercenaires » venus déstabiliser le pays, ces militaires sont présentés par Abidjan comme des éléments nationaux de soutien (NSE) déployés au Mali « en vertu d’une convention signée, en juillet 2019, entre la Côte d’Ivoire et l’Organisation des Nations unies, et conformément à un contrat de sécurisation et de soutien logistique signé avec la Société Sahel Aviation Service (SAS) ».

Confusion

Mais le flou demeure quant au contrat qui encadre leur présence à Bamako. Les Nations unies, qui ont dans un premier temps confirmé l’appartenance des soldats ivoiriens aux NSE, sont finalement revenues sur leur déclaration ce jeudi 14 juillet. « Les troupes ivoiriennes n’appartiennent pas aux forces de la Minusma. Une requête de la Côte d’Ivoire pour déployer des éléments nationaux de soutien a été approuvée en 2019. Cependant, aucune troupe n’a été déployée sous cette convention depuis ce moment-là », a assuré Fahran Faq, porte-parole de l’ONU.

Ces soldats ivoiriens sont pourtant bien déployés pour sécuriser la base de la Minusma de l’aéroport de Bamako, gérée par la société privée SAS. Une négligence administrative ou un contournement procédural, dont on ignore pour l’instant les détails, pourrait être à l’origine de la confusion.

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Pour de nombreux observateurs, les actes posés par les autorités maliennes visent à pousser la Minusma au départ. Le scénario n’est pas sans rappeler le bras de fer qui a longuement opposé Bamako et Paris, et qui a abouti au retrait des forces françaises déployées au Mali depuis 2013 – dont les derniers éléments doivent partir d’ici à septembre.

Depuis des mois, les manifestations pro-transition ont vu fleurir les slogans anti-Minusma, aux côtés de ceux accusant la force Barkhane de terrorisme. Le mouvement Yerewolo-Debout sur les remparts, chantre de l’anti-impérialisme au Mali, a d’ailleurs annoncé sa volonté de battre le pavé, dans les semaines à venir, afin d’exiger le départ des Casques bleus.

Algérie : le quotidien El Watan en grave difficulté

Il est l’un des rares médias francophones encore ouvert à l’opposition. Mais, criblé de dettes, ce titre emblématique risque bien de disparaître dans les prochains mois.

Par  - à Alger
Mis à jour le 14 juillet 2022 à 10:39

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l Watan comptait il y a encore quelques années plus de 300 employés pour un tirage qui a souvent dépassé les 120 000 exemplaires. © BILLAL BENSALEM/NurPhoto via AFP

 

Privé de publicité, ses comptes bancaires bloqués et en redressement fiscal, El Watan, le grand quotidien francophone algérien, vit sa plus grave crise depuis sa fondation en 1990 par un collectif de journalistes. Il risque de connaître la même triste fin que l’autre grand quotidien algérien, Liberté, sabordé au mois d’avril par son propriétaire, le fondateur du groupe Cevital Issad Rebrab.

Regroupés autour de leur syndicat, sans salaire depuis près de cinq mois, les travailleurs de l’entreprise El Watan ont décidé le 12 juillet de lancer une grève cyclique et graduelle pour interpeller leur direction sur « la situation intenable qu’ils subissent ».

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Les employés estiment avoir choisi de travailler sans salaire durant ces cinq longs mois pour « permettre la parution quotidienne du journal » et « donner le temps à la direction de trouver une issue aux problèmes financiers que traverse l’entreprise ». Seulement, aujourd’hui, ils « constatent avec regret qu’en plus de son incapacité à trouver une issue à la crise, la direction ne propose aucun dialogue sérieux au partenaire social ».

Découvert abyssal

De son côté, dans un communiqué publié le 12 juillet dans la matinée sur le site web du journal, le conseil d’administration de l’entreprise SPA El Watan avait pris les devants en informant de la volonté des travailleurs de recourir à la grève pour protester contre le non paiement de leurs salaires.

Avant de préciser que la direction du journal « s’attelle depuis des mois à trouver des solutions avec l’administration fiscale et la banque principale de la SPA, le Crédit Populaire d’Algérie (CPA), qui lui ont bloqué tous les comptes financiers ». El Watan, qui avait vu son contrat avec l’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep), principal distributeur de la publicité étatique, rompu unilatéralement par celle-ci, regrette de ne pas bénéficier de la manne publicitaire de l’État.

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Depuis le blocage de ses comptes, du fait d’un découvert bancaire de 70 millions de dinars (474 000 euros), le journal n’est plus en mesure de payer ses salariés ni les traites dues aux banques qui lui ont fait crédit, principalement pour construire son siège.

Achevé depuis juin 2016, l’imposant immeuble de 8 étages fait toujours l’objet d’une mesure conservatoire de la part des pouvoirs publics pour des « irrégularités » lors de sa construction. Pour ne rien arranger, le journal fait l’objet d’un redressement fiscal d’un montant de plusieurs millions de dinars.

L’entreprise avait bien obtenu un accord de rééchelonnement dans un premier temps, mais celui-ci a finalement été annulé de façon unilatérale par l’administration fiscale. Cette situation a obligé l’entreprise à liquider quelques-uns de ses actifs immobiliers. Sans qu’elle parvienne pour autant à équilibrer ses comptes.

Années fastes

Au début des années 2000, à l’ouverture du marché algérien aux géants de la téléphonie mobile et de la construction automobile, El Watan, à l’instar des autres journaux indépendants, comptait plusieurs pages de publicité au quotidien. Cependant, regrettent plusieurs journalistes, les centaines de milliards de dinars engrangés durant ces années fastes n’ont pas servi à pérenniser le titre ni à lui faire prendre le virage du numérique.

Aujourd’hui, il ne subsiste sur le marché que la publicité institutionnelle confiée en totalité à l’Agence nationale de l’édition et de la publicité (Anep). Un monopole depuis longtemps dénoncé par les partis de l’opposition et par les professionnels du secteur des médias. Mais tous les appels visant à permettre une distribution de ce marché selon une logique économique et commerciale, et non politique, sont restés vains.

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Considéré comme un journal de référence en Algérie, El Watan comptait il y a encore quelques années plus de 300 employés pour un tirage qui a souvent dépassé les 120 000 exemplaires.

Le journal a vu sa rédaction se vider et ses effectifs réduits de moitié. L’instabilité a touché également sa direction. Depuis le départ de l’emblématique directeur de la publication Omar Belhouchet en 2019, deux journalistes actionnaires, Tayeb Belghiche et Mohamed Tahar Messaoudi, se sont succédé à la tête de la rédaction. L’un des rares espaces encore ouverts à l’opposition et à la société civile, El Watan, suspendu à six reprises en 32 ans d’existence, risque donc de mourir. Étouffé sous le poids de ses dettes.

Niger : entre la France et le Mali, le pari risqué de Mohamed Bazoum

Au pouvoir depuis un peu plus d’une année, le chef de l’État doit composer avec les impératifs sécuritaires, les effets de la crise malienne et un sentiment antifrançais grandissant. S’il a fait le choix d’apparaître comme l’allié des Occidentaux au Sahel, il sait aussi que ce pari est risqué.

Mis à jour le 27 juin 2022 à 15:22
 

 

(De g. à d.) Le chef de l’État nigérien, Mohamed Bazoum, accueilli par le président du Conseil européen, Charles Michel, et par le chef de l’État français, Emmanuel Macron, lors du Sommet Union européenne-Union africaine, le 17 février 2022, à Bruxelles. © Olivier Hoslet, Pool Photo via AP

Son envergure de douze mètres est devenue la hantise des soldats russes. Stationnés depuis la fin du mois de février dans l’est de l’Ukraine, ceux-ci ont appris à se méfier de cette terreur grise baptisée Bayraktar TB2 en l’honneur de l’ingénieur Selçuk Bayraktar, gendre du président turc Recep Tayyip Erdoğan. Certains, dans les armées occidentales, surnomment même ce drone la « kalach du XXIe siècle ». Relativement peu coûteux (moins de 5 millions d’euros), facile d’accès, efficace, il est l’une des explications à l’enlisement des troupes de Moscou en terres ukrainiennes. Alors, ce 20 mai, sur le tarmac de l’aéroport de Niamey, les hauts gradés nigériens ont le sourire. Devant eux vient d’atterrir un avion de transport Iliouchine II-76. Immatriculé en Ukraine – une coïncidence – sous le matricule UR-FSE, celui-ci est un habitué du continent : depuis la Turquie, qui loue ses services pour ses exportations d’armes, il effectue régulièrement le voyage vers l’Éthiopie, autre client d’Istanbul.

Les six drones TB2 sont lentement « roulés » en dehors du mastodonte. D’autres commandes passées en Turquie en novembre 2021 par le président Mohamed Bazoum suivront, ainsi que des véhicules blindés et des avions légers de marque Hürkus. « Le Niger se donne les moyens de ses ambitions sécuritaires », résume un conseiller du chef de l’État.

Des drones sur le front

Ces dernières semaines, les attaques de l’État islamique se sont intensifiées le long de la frontière avec le Mali. Emis-Emis, Inecar, Igadou, Aghazraghen… La liste des villages attaqués dans l’un ou l’autre pays s’allonge. « La réponse des Maliens est quasiment inexistante, déplore un cadre de l’armée nigérienne. Au moins provisoirement, c’est à nous qu’incombe la tâche de sécuriser la région. » Les TB2 feront-ils basculer le rapport des forces, malgré le terrain favorable à la dissimulation des terroristes ?

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Avec une portée de 150 km, une autonomie d’environ vingt heures et la capacité de frapper des cibles distantes de 8 kilomètres, ces drones se rapprocheront du front. Certains d’entre eux devraient être stationnés sur la base 201, construite par les États-Unis dans la région d’Agadez, afin de surveiller les convois de drogue, qui font partie intégrante du financement des jihadistes. Les autres, avec pour objectif premier de sécuriser les régions de Tahoua, et Tillabéri, devraient prendre leurs quartiers à proximité de la frontière malienne, dans plusieurs bases dont la construction est à l’étude actuellement.

C’EST À NOUS QU’INCOMBE LA TÂCHE DE SÉCURISER LA RÉGION

D’ici là, les ingénieurs turcs seront à pied d’œuvre pour remplir l’autre partie de leur contrat : former les futurs pilotes de drone nigériens. « Notre objectif est d’obtenir le maximum de moyens dans la surveillance aérienne, l’intervention rapide et la formation. Pour cela, nous diversifions les partenaires », résume une source sécuritaire.

« Pas uniquement une guerre contre les jihadistes »

Comme les États-Unis, l’Allemagne dispose d’une base logistique à Niamey et a concentré ses efforts autour d’un centre de formation des forces spéciales nigériennes. L’Italie et le Canada forment également des troupes d’assaut spécialisées. Enfin, et surtout, la France travaille actuellement à faire du Niger le noyau de sa présence au Sahel, dès lors que le retrait du Mali de l’opération Barkhane aura été achevé.

Depuis l’annonce du départ des troupes françaises du territoire malien, le président nigérien Mohamed Bazoum n’a cessé de se montrer favorable à un accueil plus important de moyens européens sur son territoire. À la fin de février, il a même réuni les « cadres » du pays – élus, leaders civils et religieux, hauts gradés… – afin de plaider en faveur d’un partenariat accru avec les Occidentaux et, en premier lieu, avec la France.

À LIRENiger : les plans de Mohamed Bazoum après le retrait de Barkhane du Mali

Dans un centre de conférences plein pour l’occasion, le chef de l’État a martelé que le Niger ne pouvait, face à un État islamique aux ramifications internationales, se passer de partenaires étrangers, quels qu’ils soient. « Si j’avais assez d’argent, j’achèterais plus d’hélicoptères […] mais ce n’est pas la réalité. Donc si, à côté de mes 12 000 militaires, je peux placer 400 à 700 Européens, je dois le faire », a-t-il lancé à une foule largement acquise à sa cause. Depuis, les discrètes réunions se multiplient entre les états-majors européens – en particulier français – et nigérien. Le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises, et son homologue nigérien, le général Salifou Modi, peaufinent un dispositif qui aurait pour objectif d’être opérationnel à la fin de 2022 et de s’articuler autour de bases de petite ou moyenne taille le long de la frontière malienne.

LE NIGER PEUT TIRER PARTI DE L’EUROPE DE LA DÉFENSE

« La portée des drones et la nécessité d’intervenir rapidement dans la zone frontalière nous obligent à un déploiement à proximité des enclaves jihadistes », explique un gradé nigérien. « Au-delà de la problématique militaire, il y a aussi une dimension symbolique. Mohamed Bazoum veut montrer aux habitants que l’État ne les abandonne pas. Ce n’est pas uniquement une guerre contre les jihadistes, c’est aussi une opération de reconquête des populations », ajoute un conseiller du chef de l’État. Ces dernières années, Niamey a tenté – en partie en vain – de renforcer le maillage de ses forces dans la région de Tillabéri et de garnir des avant-postes au plus près de la frontière malienne. « Nous avons manqué de moyens pour que cela soit efficace. Le recrutement de troupes et le renfort d’alliés devront nous aider à passer un cap », espère notre conseiller.

Drones turcs, formations européennes, troupes françaises… Mohamed Bazoum parviendra-t-il à remporter le pari de l’internationalisation du conflit sahélien ? Ces derniers mois, s’adressant à ses interlocuteurs, il a plusieurs fois fait le parallèle avec la guerre qui se déroule en Ukraine, appelant avec ferveur les Européens à se montrer aussi prompts au soutien matériel et financier en Afrique que dans l’est de l’Europe.

 

 © Discours de Mohamed Bazoum à l’issue du sommet en visioconférence avec les autres chefs d’État du G5 Sahel, organisé depuis le palais de l’Élysée, à Paris, le 9 juillet 2021.

 

© Discours de Mohamed Bazoum à l’issue du sommet en visioconférence avec les autres chefs d’État du G5 Sahel, organisé depuis le palais de l’Élysée, à Paris, le 9 juillet 2021.

 

« Avec la guerre au Sahel, Emmanuel Macron a échoué à faire avancer l’Europe de la défense. C’est l’Ukraine qui a finalement eu cet effet. Mais cela ne veut pas dire que le Niger ne peut pas en tirer parti », analyse un diplomate occidental à Niamey. Et d’ajouter : « À l’étranger, Mohamed Bazoum assume le pari de présenter le Niger comme le “dernier bastion” démocratique de la zone des trois frontières, en se montrant très critique vis-à-vis d’un Burkina Faso impuissant et d’un Mali infiltré par les Russes de Wagner. »

Politiquement explosif

Ce pari est-il risqué ? Du côté de l’opposition, certains n’hésitent pas à qualifier le chef de l’État nigérien de « vassal des Français », en particulier sur les réseaux sociaux où le sentiment anti-occidental a le vent en poupe. En novembre 2021, l’épisode du passage d’un convoi de Barkhane à Téra, dans l’ouest du pays – au cours duquel trois Nigériens ont été tués –, a contribué à rendre ce climat tendu. La France a finalement accepté de partager avec le Niger l’indemnisation des familles des victimes, mais sans reconnaître une quelconque culpabilité, dans la plus pure tradition de la « grande muette ». Si l’atmosphère n’est pas aussi délétère qu’au Mali, au Burkina Faso ou même au Tchad – où l’alliance avec Paris n’est pas remise en question par le pouvoir mais où des manifestations antifrançaises ont récemment eu lieu –, on y prête la plus grande attention au sommet de l’État.

BAZOUM ET SES PROCHES S’ACTIVENT À GARDER DÉSAMORCÉE LA BOMBE DU SENTIMENT ANTI-FRANÇAIS

« Mohamed Bazoum veut à tout prix garder la main sur la coopération avec les Français. D’abord, parce qu’il connaît mieux le terrain. Ensuite, parce que c’est politiquement explosif. Pour lui, il n’est pas question que la stratégie se décide à Paris », assure l’un de ses conseillers. À Niamey, Salifou Modi est ainsi chargé de faire en sorte que le futur déploiement européen corresponde au mieux aux attentes des Nigériens sur le plan opérationnel. Bazoum et ses proches s’activent quant à eux à garder désamorcée la bombe du sentiment anti-français. « C’est en partie pour cela que nous souhaitons privilégier un déploiement en dehors de Niamey, dans des bases de taille restreinte », explique un gradé nigérien. Dans leurs discussions avec les Français, les Nigériens se sont d’ores et déjà déclarés opposés à une augmentation des effectifs français autour de l’aéroport de la capitale.

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Mohamed Bazoum a également insisté sur le partage des renseignements relatifs aux mouvements jihadistes. Dépendant en grande partie des technologies françaises et américaines, le chef de l’État nigérien espère que ses nouveaux drones turcs viendront lui procurer une certaine autonomie. Conseillé par le patron des renseignements, Rabiou Daddy Gaoh, qui est proche de lui, il sait qu’il doit disposer du plus de cartes possibles dans la guerre qui l’oppose à l’État islamique, afin de le frapper militairement ou de le forcer à un dialogue entamé discrètement ces derniers mois. Le 3 juin, à Makalondi, dans une région de Tillabéri où il s’adressait à des victimes de jihadistes, le président a réaffirmé l’une des missions prioritaires de son premier mandat : la reconquête des territoires passés sous la domination de l’État islamique. « Faites-nous confiance ! » a-t-il lancé, en français, aux déplacés venus l’écouter. « Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre », disait le général et stratège Sun Tzu.