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Burkina Faso: encore beaucoup d'interrogations sur les attaques dans la région de l'Est

 

Au Burkina Faso, le gouverneur de la région de l'Est affirmait, jeudi 28 mai, dans un communiqué, que le bilan provisoire faisait état d'une cinquantaine de personnes tuées, mercredi 27 mai, dans une attaque par des hommes armés, à Madjoari, près de la frontière avec le Bénin. Un chiffre que le gouvernement ne confirme pas pour le moment.

Le gouvernement a affirmé, vendredi 27 mai, que les opérations de l'armée dans le secteur de Madjoari « n'ont pas permis de retrouver des victimes pour l'instant », tout en donnant un bilan de onze morts dans une attaque similaire, trois jours plus tôt, dans la localité de Gorgadji, dans la province du Séno.

RFI a pu joindre une personne qui est née et a grandi à Madjoari, qui a quitté la localité l'an dernier mais qui a pu communiquer avec des habitants. Selon celle-ci, les habitants manquaient de nourriture ou se sentaient en insécurité, depuis l'attaque du détachement militaire, il y a quelques jours.

« Certaines femmes ont quitté Madjoari pour Nadiagou, d'autres ont quitté Madjoari pour Namounou et en cours de route, sur les deux axes, les gardes de la brousse les ont interceptées. Les femmes pouvaient passer mais aucun homme n'a pu passer ici. À défaut de réseau, on ne pouvait pas communiquer. Les femmes n'ont pas eu le droit de communiquer pour empêcher les hommes de sortir. Les hommes ont été regroupés pour sortir. Ceux qui ont emprunté la route de Nadiagou ont été interceptés à mi-chemin. Les gardes ont dit aux femmes de continuer et ils ont retenu tous les hommes. Parmi eux, il y avait quatre personnes âgées. Ils les ont laissées partir mais ils ont gardé les jeunes. Les plus âgés se sont donc débrouillés en arrivant à Nadiagou. C'est là qu'ils nous ont raconté comment les autres avaient été exécutés. L'information n'est pas parvenue jusqu'au village pour que les hommes qui y étaient retenus ne soient pas tentés de sortir. Quant à ceux qui ont pris la route de Namounou, ils étaient au nombre de 30 dont 5 seulement ont pu s'échapper. Et ils sont blessés gravement ».

À lire aussi: Burkina Faso: des dizaines d'habitants de Madjoari tués par des hommes non identifiés

Pourquoi cibler les civils ?

Mahamadou Sawadogo, expert en sécurité, explique que cette zone connaît régulièrement des attaques, depuis quatre ans, mais selon lui cela faisait longtemps que les jihadistes n'avaient pas ciblé des civils. Comment expliquer ce changement ? Il nous détaille plusieurs hypothèses.

« La première hypothèse, cela peut être des éléments incontrôlés de l’un ou de l’autre groupe, c’est-à-dire du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans [Jnim ou GSIM] qui contrôle la zone, ou bien cela peut être des éléments subversifs de l’État islamique qui sont venus s’introduire pour aussi discréditer le Jnim qui est en train de s’implanter et d’avoir un ancrage au sein de la population. La deuxième hypothèse est que les forces de défense et de sécurité menaient aussi des opérations dans cette zone et cela peut être donc, en contrepartie, des représailles envers les populations qui peut-être collaborent avec les forces de défense et de sécurité. Et la troisième possibilité, c’est le fait que le camp qui protégeait les populations, le camp de Madjoari, a été détruit après avoir été attaqué et n’était donc plus opérationnel. Du coup, les populations ne se sentant plus en sécurité, ont décidé de quitter la zone, et, par mesure de représailles, les attaquants ont donc décidé de s’en prendre à ces populations. Ce sont des hypothèses ».

Guinée : faut-il juger Alpha Condé ? par François Soudan

Dans le contexte de vérité et de justice dont les Guinéens ont tant besoin et qui vaut aujourd’hui à l’ex-chef de l’État Alpha Condé les lourdes accusations dont il fait l’objet, d’autres dossiers impliquant des membres de la junte doivent être mis sur la table.

Mis à jour le 25 mai 2022 à 12:44
 
François Soudan
 

Par François Soudan

Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

 

 

   L'ex-chef de l’État guinéen Alpha Condé. © Carlo Allegri/REUTERS

 

C’est un vieil homme seul de 84 ans en costume et chaussures immaculés qui, le 21 mai au matin, a pris place à bord d’un avion affrété par son ami le président turc Recep Tayyip Erdogan, à destination d’Istanbul. Le soir, au téléphone, la voix est fatiguée, mais comme soulagée de pouvoir me parler longuement, après neuf mois ou presque pendant lesquels l’ancien chef de l’État renversé le 5 septembre 2021 s’est morfondu dans la plus haute des claustrations, coupé de tout contact avec l’extérieur. « Pour l’heure, je me préoccupe de ma santé, me confie-t-il. Je ne souhaite pas parler de politique pour de multiples raisons, entre autres le comportement de certains cadres qui m’ont profondément déçu. Ce sont des Guinéens qui n’aiment pas la Guinée. »

En Turquie pour une série de check-up après une double opération subie en début d’année à Abou Dhabi, Alpha Condé fait depuis le 4 mai l’objet de poursuites en Guinée pour le plus infamant des crimes : celui d’assassinat et de complicité de meurtre, passible de la réclusion à perpétuité. La prison n’est pas une nouveauté pour lui, qui a connu les cellules infectes de la Maison centrale de Conakry entre 1999 et 2001, en combattant de la démocratie injustement condamné pour atteinte à la sûreté de l’État. Le motif était noble, et la mobilisation en faveur du « Professeur » fut à l’époque panafricaine et allait même au-delà, Jacques Chirac, Madeleine Albright et Nelson Mandela joignant leur voix à celle des militants socialistes qui, de Dakar à Dar es-Salaam, exigeaient sa libération.

D’ex-pairs mutiques et tétanisés

Vingt-deux ans plus tard, l’« instruction aux fins de poursuite judiciaire par voie de dénonciation » lancée contre Alpha Condé et vingt-six de ses proches sur décision du colonel Mamadi Doumbouya a été accueillie dans un silence de catacombe par les amis et obligés du président déchu, mutiques il est vrai depuis sa chute il y a neuf mois. Ses ex-pairs, dont certains sont tétanisés par la perspective de subir un sort similaire, préfèrent, eux, regarder ailleurs.

Alpha Condé a donc rejoint le club mouvant des anciens présidents africains poursuivis en justice, une demi-douzaine au total. Y figurent le Mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, le Comorien Ahmed Abdallah Sambi, le Sud-Africain Jacob Zuma, le Burkinabè Blaise Compaoré, le Centrafricain François Bozizé, le Gambien Yahya Jammeh et l’Éthiopien Mengistu Haile Mariam (ces quatre derniers en exil). À Bamako et à Ouagadougou, Bah N’Daw et Roch Marc Christian Kaboré sont en « simple » résidence surveillée, sans être pour l’instant incriminés, alors qu’à l’autre bout de la chaîne judiciaire, après le décès il y a près de un an du Tchadien Hissène Habré, seul le Soudanais Omar el-Béchir croupit actuellement en prison.

Il y a de tout dans ce club, tueur en série, prédateur, innocent, et nul doute que, pour le très médiatique avocat français William Bourdon, à l’origine avec son confrère Vincent Brengarth de la plainte contre Condé, ce dernier se doit de figurer au rang des criminels. Il le dit sans ambages, dans une tribune publiée le 14 mai dans nos colonnes. Le problème, c’est que son indignation, ainsi que celle des activistes du Front national de défense de la Constitution (FNDC), au nom desquels il agit, paraît pour le moins sélective.

Ardoise magique pour Doumbouya et Samoura

Sur la liste du procureur général Alphonse Charles Wright, qui recense les présumés auteurs ou complices des violences létales perpétrées entre octobre 2019 et octobre 2020, à Conakry et à l’intérieur de la Guinée, dans le cadre des manifestations contre le troisième mandat d’Alpha Condé, deux noms manquent en effet à l’appel : celui du colonel Mamadi Doumbouya, à l’époque commandant du Groupement des forces spéciales, et celui du colonel Balla Samoura, commandant de la gendarmerie régionale de Conakry. Le premier est devenu chef de l’État depuis le putsch, et le second, commandant de la gendarmerie et directeur de la justice militaire.

Ces deux noms figuraient pourtant sur plusieurs listes du FNDC publiées jusqu’en 2021, et de nombreux tweets de militants anti-troisième mandat, ainsi que des rapports d’ONG, ont fait mention du rôle des Forces spéciales, qualifiées de « milice d’Alpha Condé » dans la répression des manifestations, particulièrement en septembre et en octobre 2020. Le coup d’État du 5 septembre 2021 ayant joué le rôle d’une ardoise magique, les deux identités remarquables ont disparu de l’inventaire pour des raisons évidentes. Faute d’être à même de les y rétablir, le procureur Wright et Me Bourdon seraient bien inspirés de considérer qu’ils jouent là une part importante de leur crédibilité.

Dans le même contexte de vérité et de justice dont les Guinéens ont tant besoin et qui vaut aujourd’hui à Alpha Condé les lourdes accusations dont il fait l’objet, d’autres dossiers doivent être mis sur la table. À commencer bien sûr par celui du massacre du 28 septembre 2009 dans le stade de Conakry – 157 morts et 1 500 blessés –, dont devraient répondre deux anciens chefs de l’État en exil, Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté. La Cour pénale internationale (CPI) s’en est saisie, mais l’organisation du procès traîne en longueur.

Fosses communes

Autre enquête nécessaire : celle concernant la sanglante répression, en pleine contestation du troisième mandat, de la mutinerie du bataillon spécial des commandos en attente du camp Samoreyah de Kindia, les 15 et 16 octobre 2020. Ces anciens Casques bleus de retour du Mali réclamaient le paiement de leur prime, allant jusqu’à exécuter leur propre commandant. Là encore, c’est aux Forces spéciales du colonel Doumbouya qu’Alpha Condé avait confié le soin de réprimer le soulèvement. Largement partagée à l’époque, une vidéo montre le futur putschiste débarquant lui-même des cadavres de mutins de l’arrière d’un pick-up.

Toute la lumière devrait également être faite sur le déroulement du coup d’État du 5 septembre 2021, lequel fut tout sauf un dîner de gala. Des dizaines, on parle même d’une centaine, de membres de la garde présidentielle ont perdu la vie lors des combats autour du palais de Sékhoutoureya, avant d’être jetés au fond de fosses communes dont l’emplacement n’a, à ce jour, pas été révélé aux familles – et ne le sera sans doute jamais, tant la volonté de la junte de jeter un voile opaque sur les pertes subies ce jour-là, y compris dans ses propres rangs, semble résiliente.

L’ACCOUPLEMENT ENTRE LA GUINÉE ET CELUI QUI VOULAIT « LUI FAIRE L’AMOUR » EST DEVENU TOXIQUE

« La Guinée est belle, nous n’avons pas besoin de la violer, on a juste besoin de lui faire l’amour. » Lancée par un Mamadi Doumbouya en plein état de grâce au lendemain du 5 septembre, la métaphore « peace and love » de l’ancien légionnaire avait fait gentiment sourire. Neuf mois plus tard, l’accouplement a tendance à devenir toxique. L’annonce par le Comité national de rassemblement pour le développement (CNRD) d’une période de transition minimale de trois ans non rétroactive, dont le décompte commencera après la promulgation de la loi et sa validation par le colonel Doumbouya, suivie par l’interdiction de toute manifestation publique, a dressé contre la junte la quasi-totalité de la classe politique et une bonne partie de la société civile.

En province, les opérations de « marquage des domaines de l’État », qui ont déjà valu aux anciens Premiers ministres Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré de voir leurs domiciles de Conakry présumés mal acquis en partie rasés jusqu’aux fondations, se déroulent sous haute tension. À Kindia, Labé, Pita, Mamou, Coyah, Dalaba, des heurts ont accompagné ces opérations, au cours desquelles des militaires font le tour des villes pour identifier les bâtiments et les terres susceptibles d’être récupérés par l’État.

Le spectre du communautarisme

En Moyenne-Guinée, fief de Dalein Diallo, ressurgissent les miasmes anxiogènes de la persécution communautariste. « C’est l’ethnie peule qui est visée ! » s’exclame le président de la Coordination internationale du Fouta Djalon, Mody Sary Barry, avant d’appeler à la résistance contre un régime où, énumère-t-il, tous les postes clés seraient détenus par des Malinkés. Pour qui connaît la Guinée, ces mots sont d’autant plus inquiétants que les précédents affrontements entre les militaires et les civils ont toujours été, dans ce pays, une histoire de violences.

Certes, les poursuites judiciaires contre Alpha Condé et l’emprisonnement de plusieurs de ses proches, dont son Premier ministre, Kassory Fofana, sont là pour démontrer que le nettoyage auquel se livre Mamadi Doumbouya n’a rien de spécifiquement ethnique. Le problème n’est d’ailleurs pas là. Comme chez tous les officiers putschistes de sa génération – Goïta, Damiba, Déby Itno… –, le coup d’État de ce colonel quadragénaire aura été motivé par le souci sincère de recoudre un tissu national déchiré ou menacé de dislocation. Avant que le goût du pouvoir, la volonté de le préserver en écartant tous les concurrents possibles et l’obsession de ne pas être inquiété à l’issue de la période de transition finissent, tel un virus créophage, par absorber les rêves de celui qui voulait faire l’amour à son pays. On en est là. Et cela n’a rien de réjouissant.

 

Burkina Faso: le gouvernement réagit après un accrochage mortel avec des orpailleurs

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Des violences avaient éclaté mardi 25 mai lors d’une manifestation d’orpailleurs dont deux sont décédés et un blessé par balle, dans la ville minière de Houndé, dans la province de Tuy, à une centaine de kilomètres à l’est de Bobo Dioulasso. Aujourd’hui le calme est revenu, mais il reste précaire et un couvre-feu a été annoncé par le gouverneur.

Les manifestants demandaient la libération de douze de leurs camarades, arrêtés la semaine dernière après le saccage de la mine d’or industrielle Gold Operation. Après l’intervention des forces de l’ordre, parmi les victimes de ce mardi, un manifestant est mort dans une bousculade, l’autre a été tué par balle. La situation est grave, selon Lionel Bilgo, porte-parole du gouvernement qui s’est exprimé hier à l’issue du conseil des ministres…

« À l'heure où je vous parle, une enquête est en cours pour déterminer l'origine de ces balles et pour situer les responsabilités. Un comité de gestion de crise piloté par le gouverneur a été mis en place. Le gouvernement appelle donc au calme et l'ensemble des acteurs au dialogue pour trouver une solution durable. »

Hier, le gouverneur des Hauts Bassins s’est entretenu avec les chefs coutumiers et religieux. Une première rencontre qui a apaisé la situation, mais la demande des orpailleurs reste la même : la libération de leurs camarades. Sankara Daouda, un orpailleur…

« Les chefs coutumiers ont dit que ces personnes allaient être libérés. Pour le moment, rien n'est fait. Les orpailleurs n'ont même pas eu de rencontre avec le gouverneur. D'ici demain ou après-demain, si les personnes ne sont pas libérées, peut-être que les orpailleurs vont sortir encore. »

Pour l’heure, les habitants de Houndé doivent rester chez eux de 19h à 5h matin selon le couvre-feu instauré mercredi.

Côte d’Ivoire : vers une rencontre entre Ouattara, Gbagbo et Bédié

Longtemps réticent, le chef de l’État ivoirien envisage désormais de se réunir avec Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo. La dernière entrevue entre les trois piliers de la vie politique ivoirienne date d’avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2010. 

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 25 mai 2022 à 20:59

 

De g. à dr., Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié, à Abidjan, le 30 juin 2010. Au deuxième rang, Guillaume Soro, alors Premier ministre. © SIA KAMBOU/AFP

 

Dans certains milieux, on appelle cela « la rencontre des trois grands ». Selon nos informations, une entrevue entre Alassane OuattaraHenri Konan Bédié et Laurent Gbagbo est à l’étude. Si aucune date n’est pour le moment fixée, celle-ci pourrait avoir lieu d’ici à la fin du mois de juin, en fonction de l’agenda des participants. 

En France depuis le 14 mai, où il a notamment dîné avec Emmanuel Macron, le chef de l’État ivoirien regagnera Abidjan dans les prochains jours. Le 7 juin, Alassane Ouattara doit notamment superviser l’élection du successeur du président de l’Assemblée nationale, Amadou Soumahoro, décédé le 7 mai. Laurent Gbagbo séjourne quant à lui à Bruxelles, et ne devrait pas revenir en Côte d’Ivoire avant le début du mois de juin. Enfin, Henri Konan Bédié est actuellement occupé par l’organisation des funérailles de son frère aîné, Marcellin. 

Changement d’avis d’Alassane Ouattara

La dernière rencontre entre les trois piliers de la vie politique ivoirienne date d’avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2010. L’idée de les réunir une nouvelle fois chemine depuis le retour de Laurent Gbagbo à Abidjan, en juin 2021. Elle a d’abord été mise sur la table par Bédié.

Craignant le rapport de force que souhaitaient lui imposer les patrons du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), ADO y a longtemps été défavorable, préférant s’entretenir avec eux séparément. Il estime aujourd’hui que le moment est le bon.

Réchauffement avec Bédié, pas avec Gbagbo

Le processus électoral – des élections municipales auront lieu en 2023 –, la poursuite des mesures de décrispation, ainsi que la perspective du scrutin présidentiel de 2025 devraient figurer au programme des discussions. 

En dents de scie depuis la présidentielle d’octobre 2020, les relations entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié se sont récemment réchauffées. Les deux hommes ont notamment échangé par téléphone à la mi-avril. De nombreux points de crispation subsistent en revanche avec Laurent Gbagbo, dont les indemnités d’ancien chef d’État, notamment, sont toujours gelées par la présidence. 

Les relations entre le Vatican et Pékin sous tension

Alors que le cardinal Zen doit comparaître mardi 24 mai devant un tribunal de Hong Kong, les liens entre la Chine et le Saint-Siège sont soumis à rude épreuve depuis quelques semaines.

  • Loup Besmond de Senneville, 

Lecture en 3 min.

Les relations entre le Vatican et Pékin sous tension
 
Le cardinal Joseph Zen donne la communion lors de la messe commémorant le 30e anniversaire du massacre de Tien An Men, à Hong Kong le 31 mai 2019. JÉRÔME FAVRE/EPA/MAXPPP

Rome

De notre envoyé spécial permanent

C’est une présence discrète, au premier rang d’une conférence organisée un après-midi d’avril dans une église romaine. Sujet du jour : la présentation d’un livre sur un intellectuel chinois du XVIe siècle, Xu Guangqi. Or, ce mercredi 27 avril à la basilique Saint-Barthélemy-en-l’Île, ce lettré qui vécut sous la dynastie Ming, ami de Matteo Ricci, le jésuite évangélisateur de la Chine, fait l’objet d’une attention toute diplomatique. Et ce jour-là, c’est un représentant de l’ambassade de Chine en Italie qui est venu assister au colloque.

La venue de ce diplomate chinois, alors même que l’empire du Milieu n’entretient aucun rapport officiel avec le Vatican, a été très commentée à Rome, notamment dans les cercles diplomatiques. Il faut dire qu’elle intervient alors que les relations entre Rome et Pékin, dossier ultrasensible, traversent une période de tension. Signe de ces difficultés : l’arrestation, pour quelques heures, le 12 mai, du cardinal Joseph Zen, archevêque émérite de Hong Kong et opposant au régime.

L’homme d’Église de 90 ans, libéré sous caution, devrait être jugé le 24 mai. Le jour même de la Journée mondiale de prière pour la Chine, instituée par Benoît XVI en 2007. Une arrestation prise très au sérieux au Vatican, où elle a provoqué une onde de choc, et où l’on estime aujourd’hui qu’elle constitue à la fois un message envoyé à l’Église, mais aussi au cardinal Zen lui-même, en tant qu’opposant.

Autre dossier difficile sur la table : l’accord entre le Saint-Siège et la Chine sur la nomination des évêques, sous le feu des critiques depuis son entrée en vigueur, en octobre 2018, arrivera en effet à échéance en octobre, après avoir été renouvelé une première fois en 2020. Faut-il le prolonger à nouveau ? Le Vatican le souhaite, mais les négociations avec Pékin sont difficiles, selon nos informations. Alors que les représentants du pape souhaitent faire évoluer les termes de l’accord – dont le contenu n’a jamais été dévoilé –, la Chine repousse depuis plusieurs semaines toute perspective de rencontre, invoquant la recrudescence du Covid dans le pays. Un prétexte d’autant moins crédible que les discussions pour le premier renouvellement de l’accord, au printemps 2020, s’étaient déroulées en pleine première phrase du Covid, notamment par le biais de l’ambassade de Chine en Italie. Face à ces réticences, la diplomatie pontificale a fait savoir sa totale disponibilité à se rendre « n’importe où dans le monde » pour poursuivre les discussions.

« Il y a une vraie crainte côté Vatican de voir trente ans d’efforts tomber à l’eau », commente un observateur. « Le Saint-Siège ne peut pas perdre la Chine, même s’il y a sans doute dans sa position un peu de naïveté », estime un diplomate étranger en poste à Rome, très au fait du dossier chinois.

C’est dans ce contexte que le colloque sur Xu Guangqi a eu lieu à Rome, sous l’égide de la communauté de Sant’Egidio. Et à la tribune, tout en évoquant une figure du XVIe siècle, le cardinal Luis Antonio Tagle, préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, a semblé avoir un message à faire passer à Pékin. « Les missions ne sont pas une extension de l’Église occidentale mais une expression de l’Église universelle », a ainsi indiqué le cardinal, en citant une lettre de Benoît XV, Maximum illud, publiée en 1919 pour relancer l’activité missionnaire.

Le cardinal philippin, qui a également insisté sur la « totale séparation » entre l’évangélisation et « les intérêts du colonialisme occidental », s’est aussi appuyé sur une instruction publiée par Rome en 1659 : « Quoi de plus absurde en effet que de transplanter en Chine la France, l’Espagne, l’Italie ou quelque autre pays d’Europe. Ce n’est pas cela que vous devez introduire, mais la foi qui ne rejette ni ne blesse les rites et les coutumes de tout peuple, tant qu’ils ne sont pas mauvais, mais qui veut plutôt les sauvegarder et les consolider. »

Au Vatican, les relations avec la Chine demeurent une priorité, sur laquelle veille très directement le pape. Dimanche 22 mai, depuis la fenêtre du Palais apostolique donnant sur la place Saint-Pierre, François a d’ailleurs assuré les catholiques chinois de sa « proximité spirituelle »« Je suis avec attention et participation la vie et les vicissitudes des fidèles et des pasteurs, souvent complexes, et je prie pour eux chaque jour », a-t-il lancé, en priant également pour que l’Église puisse vivre, en Chine, dans « la liberté et la tranquillité ». Des mots pesés au trébuchet par la diplomatie pontificale, et qui veulent signifier, en des paroles très choisies, la préoccupation constante d’un pape pour la Chine.

sur la-croix.com

Un portrait du cardinal Zen