Les personnalités politiques aiment les références historiques. Parfois pour agrémenter les discours d’un peu de culture ; souvent pour rechercher la caution de quelques héros de la nation, quelquefois pour flatter leur électorat quitte à réécrire l’histoire pour proposer un « roman national » où les objectifs politiciens l’emportent sur les faits historiques.
Mohand Hamoumou, Grenoble École de Management (GEM)
Le cas des harkis illustre l’utilisation de la déformation historique et de la repentance politique à des fins électoralistes, surtout à la veille d’élections.
Ainsi à six mois des présidentielles, Emmanuel Macron, actuel Président et probable futur candidat a “demandé pardon” aux Harkis. Son prédecesseur, François Hollande avait lui aussi, quelques mois avant l’éléction présidentielle, reconnu officiellement « la responsabilité des gouvernements français dans l’abandon des harkis » et dans ses conséquences dramatiques. Avant lui, Nicolas Sarkozy, huit jours avant les élections présidentielles de 2012, par une déclaration compatissante près du camp de Rivesaltes, s’est souvenu de la promesse du candidat en 2007, de reconnaître la responsabilité de la France dans l’abandon et les massacres des harkis.
Pourtant, la vérité était connue depuis longtemps. En 1991 déjà, Jean Lacouture écrivait dans Télérama :
« Cent mille personnes sont mortes par notre faute. Un massacre honteux pour la France comme pour l’Algérie. Le déshonneur est trop lourd à porter ».
Lucide, il ajoutait : « Ce tabou n’est pas prêt d’être levé. » En 1993, dans sa préface à mon ouvrage issu d’une thèse, Dominique Schnapper demandait que les autorités françaises reconnaissent rapidement la responsabilité de celles d’hier dans l’abandon des harkis comme cela fut fait pour la rafle du Vel d’Hiv. « Le temps presse, les survivants vieillissent et vont bientôt mourir », ajoutait-elle. En vain.
Aucune réparation en vue
Jacques Chirac en 2003 avait institué la Journée d’hommage national aux harkis (chaque 25 septembre) et reconnu publiquement aux Invalides que « La France n’a pas su sauver ses enfants ». La réalité est qu’elle ne l’a pas voulu. Le rapatriement des supplétifs et leurs familles n’a pas été préparé car il n’était pas souhaité.
François Hollande a eu le mérite de pointer solennellement et sans ambiguïté les responsables : les gouvernements français. Donc ceux de 1962-1964 pour non-assistance à personnes en danger, qui ont refusé de rapatrier des anciens soldats menacés et, pire, ont interdit à l’armée française, présente en Algérie, d’intervenir pour faire cesser exactions et massacres. Mais aussi les gouvernements suivants qui ont accepté que des familles vivent enfermées dans des camps jusqu’à leur révolte en 1975. Ou dans des cités ghetto et des hameaux forestiers isolés, handicapant ainsi lourdement la scolarisation des enfants et leur réussite.
Mais, si la faute et la responsabilité de l’État français sont reconnues officiellement, aucune réparation n’est envisagée. Or les gouvernements sont les représentants de l’État. Celui d’aujourd’hui, ou de demain, doit donc réparer au mieux les fautes de l’État d’hier. (Ce qui vaut aussi d’ailleurs pour les rapatriés de souche européenne dont beaucoup n’ont jamais été indemnisés décemment pour les biens perdus en Algérie.)
Un clientélisme éhonté
Sans une grande loi de réparation, cette reconnaissance de responsabilité apparaîtra toujours comme un geste électoraliste visant à capter le vote de cette communauté de destin. En 2017 déjà, la dénonciation de la colonisation par les candidats Emmanuel Macron et Benoît Hamon a pu ainsi, à tort ou à raison, apparaître comme une tentative de s’attirer les bonnes grâces des électeurs français d’origine algérienne.
Face à ce jeu de dupes, dont personne n’est dupe, il faut rappeler que ce clientélisme est peu efficace et nuisible aux valeurs de la République. Parce qu’il enferme des populations dans une histoire, de surcroît souvent déformée. Les anciens harkis (il n’en reste plus beaucoup) ou leurs descendants comme les enfants d’immigrés maghrébins sont d’abord des citoyens français dans toute leur richesse et leur diversité qui ne voteront pas en fonction de « d’où ils viennent » mais par rapport à « ce qu’ils veulent devenir ».
Ces références au passé, ces appels à la repentance sont un terrible carcan qui maintient dans une position de victimes. De ce point de vue, les harkis sont souvent piégés par le discours des pieds noirs. Car s’ils ont en commun leur trahison et leur abandon par le Général de Gaulle, s’ils ont pu, après mai 1958, partager le rêve d’une Algérie française avec enfin une égalité réelle entre tous ses habitants, leur histoire n’est pas la même et leur traitement en France non plus.
Si la colère d’associations de pieds noirs était compréhensible contre une terminologie juridiquement inadéquate, qualifiant la colonisation de « crime contre l’Humanité » et pouvant donc laisser croire à une comparaison des colons à ceux qui furent jugés au tribunal de Nuremberg, en revanche, les anciens supplétifs ou leurs descendants n’avaient pas à être blessés par la dénonciation de la colonisation car chacun sait en effet que les Algériens qui sont devenus harkis ne l’ont jamais fait par adhésion idéologique au système colonial. C’était pour la plupart des ruraux devenus harkis souvent pour refuser le terrorisme aveugle du FLN, parfois sous la pression de l’armée française, toujours pour essayer de sauver leur vie et protéger leur famille dans une guerre, civile à bien des égards. Le fait même de préférer au début « des événements » d’aller vers l’égalité des droits avec la France plutôt que vers l’indépendance par la violence, ne signifiait pas la volonté de voir perdurer un système terriblement injuste.
La réparation symbolique par la reconnaissance et la diffusion de la vérité historique est très importante mais pas suffisante. Bien sûr, aucune réparation ne rendra vie à tous les harkis massacrés en Algérie après les Accords d’Evian, souvent dans d’horribles conditions, ni n’effacera des années d’enfermement en France dans des camps. Mais on indemnise bien, par exemple, des victimes d’accidents d’avion ou des personnes condamnées et emprisonnées à tort. Il faut donc créer une commission d’évaluation des préjudices matériels, pour les harkis comme pour les pieds noirs qui n’ont toujours pas été indemnisés décemment de leurs biens spoliés ou abandonnés. Mais il est nécessaire d’évaluer aussi le préjudice moral pour les veuves, pour les enfants qui ont dû grandir dans les camps et donc sans égalité des chances de réussir.
Il faut espérer que le prochain Président ou la prochaine Présidente de la République, s’appuyant sur la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans l’abandon tragique des harkis, décidera enfin, pour l’honneur de la France, de passer d’une louable compassion à une juste réparation.
Mohand Hamoumou, Professeur de sociologie et de GRH, Grenoble École de Management (GEM)
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