Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Juifs du Maroc : regards sur une fraternité judéo-musulmane oubliée

Mis à jour le 1 décembre 2021 à 09:54
 


Nuheila, l’une des protagonistes du documentaire « Ziyara » de Simone Bitton. © Ciné Sud Prmotion

 

Avec son film « Ziyara », la réalisatrice Simone Bitton évoque avec subtilité l’exil des juifs du Maroc, au moment même où s’ouvre à Paris, à l’Institut du monde arabe, l’exposition « Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire ».

Difficile, a priori, d’imaginer un film plus complexe à réaliser que Ziyara, puisque ce documentaire ne parle que d’absents et de disparus. Dans tous les sens du terme. Comment le rendre passionnant alors qu’il ne s’agit que d’une promenade dans d’innombrables cimetières ? Et pourtant, Simone Bitton a réussi cette gageure : nous proposer un long métrage jamais ennuyeux et toujours esthétiquement séduisant pour nous conter, à sa manière, l’exode des Juifs marocains dans les années 1950 et 1960. Ils étaient plus de 250 000 au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il n’y a plus que quelques centaines de familles à résider encore au Maroc.

Croyances partagées

Pour l’essentiel, Ziyara propose un retour sur les lieux abritant les sépultures des ancêtres. C’est donc, en quelque sorte, un film sur des fantômes. Mais des fantômes que la réalisatrice fait revivre, autre gageure, en rencontrant et en enregistrant les témoignages non pas de Juifs – qui sont quasiment absents du film à part Simone Bitton elle-même, commentant son périple – mais des musulmans. Car tous les gardiens des cimetières juifs, tout comme la conservatrice du musée juif de Casablanca, sont des Marocains qui vénèrent Allah et son Prophète. Et qui prennent leur tâche très au sérieux.

« C’est la foi qui compte », dit cette dame très pieuse en charge d’un mausolée où ceux qui y viennent se recueillir peuvent aussi bien être des Juifs de passage que des Musulmans. Ce que confirme la gardienne de la synagogue de Fès, qui ne craint pas d’affirmer que, finalement, « la seule grande différence entre le judaïsme et l’islam, c’est Mohammed ». Rien d’étonnant quand on sait que si l’on compte environ 650 saints juifs au Maroc, 150 d’entre eux sont « partagés » par les Juifs et les Musulmans. La pratique populaire de la ziyara – qui a donné son titre au film et signifie en darija (dialecte populaire) « visite » des figures protectrices légendaires que sont les saints mais aussi « pèlerinage » – a d’ailleurs toujours été partagée par les deux communautés.

« L’idée du film, raconte Simone Bitton, est partie de cette constatation du partage des croyances. » Elle-même, née à Rabat en 1955, a commencé par grandir dans une famille sépharade où, si l’on apprenait le français à l’école, on parlait arabe à la maison. Avant que les siens émigrent en 1966, comme la plupart des Juifs marocains, en Israël. Là-bas elle devient, après s’être familiarisée avec l’hébreu, « femme de trois pays et de trois cultures ». Choquée par la politique d’agression d’Israël face à ses voisins, elle s’installe après la guerre du Kippour à Paris, où elle étudie le cinéma qui devient son métier.

Elle vit aujourd’hui entre la France et le Maroc. Auteure de nombreux documentaires remarqués et consacrés aussi bien à la Palestine – notamment le portrait de Mahmoud Darwich et un autre, celui de Rachel, cette militante pacifiste américaine écrasée par un bulldozer alors qu’elle protestait contre la destruction de maisons palestiniennes – qu’à la lutte anticoloniale, à travers par exemple un retour sur les combats de Mehdi Ben Barka. Elle a également tourné une série de films sur Les grandes voix de la chanson arabe (Oum Kalsoum, Mohamed Abdelwaheb, Farid el-Atrache).

« Ziyara », documentaire de Simone Bitton, sortie en France le 1er décembre.

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Ziyara », documentaire de Simone Bitton, sortie en France le 1er décembre. © DR

« Gâchis historique »

Ce que démontre avant tout ce pèlerinage profane en forme de « road movie » à la recherche de lieux de mémoire auquel nous convie cette cinéaste engagée, c’est à quel point le départ de Juifs du Maroc n’allait pas de soi. Ils ont abandonné un pays où ils étaient à l’évidence chez eux, en grande partie à cause d’un lobbying acharné de l’agence juive au profit d’Israël. Ce qui suscite peut-être des regrets chez ceux qui ont émigré, mais surtout une incompréhension du côté marocain. On est frappé par le sentiment de « gâchis historique » qu’évoquent nombre de Musulmans interrogés qui affirment sans ambages quelle perte a représenté pour le Maroc la disparition de la composante juive de sa société présente depuis des siècles et des siècles.

Une perte, nous rappelle une importante exposition qui vient de commencer à l’Institut du monde arabe (IMA, à Paris), qui ne concerne pas que le Maroc même si c’est là qu’elle a peut-être été le plus ressentie. « Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire », une véritable première à l’échelle internationale, permettra en effet jusqu’en mars 2022 de venir constater que pendant très longtemps « Juifs et Arabes n’étaient pas des étrangers mais du même monde », comme le dit Benjamin Stora, le commissaire de la très riche exposition inaugurée le lundi 22 novembre par le président Emmanuel Macron.

Une occasion de comprendre, en regardant des centaines d’œuvres venues du monde entier (tableaux, fresques, costumes, objets de tout sortes) et des textes souvent rares comme celui annoté de la main de Maïmonide au XIIsiècle, ainsi que des photos et des films, qu’il est non seulement réducteur mais en outre totalement erroné de considérer que l’histoire des rapports et du compagnonnage entre les deux communautés, commencé au sixième siècle avant l’ère chrétienne, serait uniquement celle du conflit israélo-palestinien. Une leçon d’histoire bienvenue en nos temps troublés, alors que triomphent les analyses à courte vue.

« Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire », exposition à l’Institut du monde arabe jusqu’au 13 mars 2022.

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Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire », exposition à l’Institut du monde arabe jusqu’au 13 mars 2022. © IMA

La COMECE réagit aux lignes directrices de la Commission européenne sur le «langage inclusif»

 

Communiqué de presse, 30/11/2021

« Le respect de la diversité ne peut conduire à effacer la religion du discours public »

 La COMECE se félicite du retrait des lignes directrices internes de la Commission Européenne sur la communication inclusive le mardi 30 novembre 2021. Le projet de texte contenait plusieurs recommandations terminologiques à l’intention du personnel de cette Institution de l’UE sur la manière de mener une communication interne et externe plus inclusive.

  

Tout en respectant le droit de la Commission Européenne de modeler sa communication écrite et verbale, et en appréciant l’importance de l’égalité et de la non-discrimination, la COMECE ne peut s’empêcher de s’inquiéter de l’impression qu’un parti pris antireligieux caractérisait certains passages du projet de document.

   Le projet de lignes directrices, par exemple, décourageait les membres du personnel de la Commission européenne à faire référence dans leurs communications aux vacances de Noël, à l’expression « noms chrétiens » ou à des noms qui proviennent généralement d’une religion.

  Le Président de la COMECE, le Cardinal Jean-Claude Hollerich SJ, a déclaré : « La neutralité ne peut pas signifier reléguer la religion à la sphère privée. Noël ne fait pas seulement partie des traditions religieuses européennes, mais aussi de la réalité européenne. Le respect de la diversité religieuse ne peut pas conduire à la conséquence paradoxale de la suppression de l’élément religieux du discours public ».

   Le Président de la COMECE a également souligné que « si l’Église catholique dans l’UE soutient pleinement l’égalité et la lutte contre la discrimination, il est également clair que ces deux objectifs ne peuvent pas conduire à des distorsions ou à l’autocensure. »

   La COMECE s’inquiète des dommages que cette circonstance a pu porter à l’image des Institutions de l’UE et au soutien au projet européen dans les États Membres. Il faut espérer qu’une version révisée du document tiendra compte de ces préoccupations.

Le Pape prône l’alliance de l’héritage biblique et antique avec l’écoute des autres cultures |Vatican News

 

[…] En évoquant la volonté de Paul VI, au terme du Concile Vatican II, d’ouvrir un dialogue entre l’Église et les non-croyants, François explique que les transformations du monde depuis 1965 nécessitent de nouvelles orientations et une mise à jour de l’anthropologie chrétienne. Les développements technologiques et scientifiques de ces dernières années ont en effet bouleversé les clivages idéologiques qui structuraient de nombreuses sociétés jusqu’à la fin du XXe siècle.[…]

[…] Mais dans un contexte de circulation accélérée des personnes, des idées, des images, de représentations du monde qui se croisent et parfois se heurtent, l’évêque de Rome ajoute que «l’humanisme biblique et classique doit aujourd’hui s’ouvrir sagement pour recevoir, dans une nouvelle synthèse créative, également les apports de la tradition humaniste contemporaine et celle des autres cultures de toute la planète», qu’elles viennent d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine ou encore des peuples indigènes.

Certaines expériences vécues par ces peuples peuvent en effet permettre de dépasser l’individualisme des civilisations occidentales, et apporter une nouvelle dynamique dans les relations humaines et familiales, tout comme des savoirs précieux dans le domaine médical ou artistique. «Dans ces différentes cultures, il existe des formes d’un humanisme qui, intégré à l’humanisme européen hérité de la civilisation gréco-romaine et transformé par la vision chrétienne, est aujourd’hui le meilleur moyen d’aborder les questions préoccupantes sur l’avenir de l’humanité», poursuit le Pape argentin.[…]

Lire l’article de Cyprien Viet sur VaticanNews le 23.11.21

Académie de Suède/Prix Nobel: pour une «pratique quotidienne de la rencontre et du dialogue» |Zenit

 

Le pape François François recommande à croyants et non-croyants « la pratique quotidienne de la rencontre et du dialogue » pour féconder la société.

Le pape François a reçu en audience, ce vendredi 19 novembre, au Vatican, les membres de « l’Académie de Suède », chargés d’attribuer le Prix Nobel.

Le pape a souligné que cela ne signifie pas du relativisme: « Dialogue n’est pas synonyme de relativisme, au contraire, une société est d’autant plus noble qu’elle cultive la recherche de la vérité et s’enracine dans des vérités fondamentales ; surtout lorsqu’elle reconnaît que « tout être humain possède une dignité inaliénable ». Ce principe peut être partagé par les croyants et les non-croyants. »

Voici notre traduction [Anita Bourdin pour Zenit du 19.11.21], rapide, de travail  de l’allocution du pape François prononcée en italien.

Entre mode et religion, un corps à corps riche de sens |The Conversation

Quels sont les liens entre mode et religion ?

Durant trois ans, de 2019 à 2021, le Collège des Bernardins de Paris a tenu un séminaire intitulé « Revêtir l’invisible : la religion habillée ». En guise de conclusion, un colloque est organisé sur le thème « Mode modeste : pudeur, intimité, décence ».


La pudeur, Antonio Corradini, chapelle Sanseverio de Naples. Détail. WikipédiaCC BY-SA

Nathalie RoelensCollège des Bernardins

La « mode modeste », calquée sur l’anglo-américain « modest fashion » et renouant avec une morale vestimentaire imposée par les trois monothéismes, se traduit de nos jours par un double habitus : d’une part, adopter un style de vie réservé et, de l’autre, réorienter l’industrie vestimentaire vers des pratiques plus éthiques.

Où situer en effet la mode modeste sur l’arc qui va de la confection à la mise sur le marché et aux pratiques vestimentaires ? Comment allier la modestie et l’ostentation qu’imposent les réseaux sociaux et ses cohortes d’influenceurs ? Les questions du futile et de l’utile, du trivial et du spirituel, du luxe et de la sobriété s’invitent en effet dans nos réflexions.

Le colloque interroge le rapport entre le corps propre et le vêtement comme matière, la dialectique entre l’être intime et le paraître social, la négociation entre une subjectivité et une norme imposée, ou encore, la double contrainte du vouloir se cacher (inhibition) tout en portant la bannière (exhibition) de son appartenance à un style de vie pudique.

On scrute également l’expérience sensorielle d’un corps qui habite la seconde peau qui l’habille, la nudité qui engendre la honte et la vulnérabilité, l’aporie de se couvrir et se découvrir. Enfin, le présupposé qui innerve tout notre séminaire, à savoir la mode comme religion (re-ligere) avec ses dogmes et ses codes mais aussi ses interdits et ses profanations, nourrira une nouvelle fois nos travaux. Les intervenants originaires de plusieurs pays échangeront sur l’histoire de la pudeur, sur les accessoires et leur charge symbolique (chevelures et couvre-chefs) ou sur la nudité et l’intimité, sublimées ou non par l’art. https://www.youtube.com/embed/ZKi5Z3SdC6c?wmode=transparent&start=22

Qu’entend-on par « modeste » ?

La richesse sémantique du vocable « modestie » lance toutefois un défi supplémentaire. Dans quelle mesure les comportements « vertueux » prônés par une mode moins polluante font-ils écho à la « vertu » comme exigence de pudicité ? Si celle-ci remonte à Tertullien avec ses règles de tenue vestimentaire et ses reproches de luxure, d’impudeur, voire d’« égarement du paganisme » (De l’ornement des femmes, Livre 2) adressés à la femme qui pare son corps ou farde son visage, on la retrouve aujourd’hui chez les talibans avec la création d’un ministère « pour la promotion de la vertu et la prévention du vice », chargé de veiller au respect d’un dress code strict et sévère. La mode modeste ne comporte-t-elle pas des dérives, des excès, telle cette nouvelle version de la tsniout, cette retenue imposée aux femmes juives, poussée jusqu’à la frumka, mot-valise composé de frum (dévotion) et de burka qui ne relève plus d’aucune coutume antérieure ?

Le mode modeste n’est d’ailleurs pas une simple question sémantique mais un défi épistémologique posé à la fois aux fashion studies et aux sciences religieuses. Pudeur morale et pudeur environnementale sont-elles conciliables avec le faste de la mode, son système consumériste ? Ce paradoxe est relevé par Alberto Ambrosio dans son article sur « la kénose de la mode » : « La mode peut-elle devenir plus éthique sans perdre de sa superbe ? » Ambrosio y soulève l’obscénité d’une fast fashion qui fait passer le lucratif avant les retombées écologiques. Il oppose lui-même l’éthique de la sobriété de Tertullien à l’apparat ecclésiastique proclamé par le concile de Trente. D’où son idée de « kénose » (dépouillement du divin dans l’humain) de la mode, qui somme les stylistes et les usagers de se convertir à plus d’humilité.

Or, celle-ci se cantonne-t-elle pour autant dans le volet écologique, avec son goût pour le recyclage et le troc ? L’humilité n’est-elle pas antithétique de la volonté de se singulariser (se « dé-marquer ») qui émane malgré tout de la modest fashion, témoin le crop-top, au départ un affranchissement des diktats marchands qui devient style de vie avec ses adeptes et ses détracteurs et dont le prêt-à-porter s’est aussitôt emparé ? Comment faire rimer la mode comme fille de la caducité, éphémère et futile, avec le durable, le responsable ?

Une contre-mode ?

Tandis que la mode semble relever davantage d’une « kénose inversée » dès lors qu’elle ne dépouille plus Dieu de sa divinité mais habille de sacré l’humain, le transfigure en corps glorieux, lui conférant de l’éclat, Ambrosio montre qu’une touche de sobriété n’entame en rien la splendeur, et constate que les grandes maisons ont entendu cet appel de la contre-mode, respectueuse et responsable. La formule oxymorique « la mode s’humilie » résonnerait avec l’ascétisme préconisé par saint Thomas d’Aquin de sorte que le « durable » découlerait de la sobriété. De Thomas d’Aquin à TikTok, si l’on veut. L’« équitable » serait peut-être le lieu commun entre la modestie économique et la modestie morale. Encore une question de vocabulaire tout sauf anodine !

Qui dit pudeur, dit corps à revêtir, ou encore peau comme enveloppe et surface d’inscription. La question de la nudité entraîne celle de la chair, de l’épiderme, de l’incarnat et, partant, de l’incarnation. L’incarnat est un problème esthétique : en littérature, il est l’aveu somatique de la princesse de Clèves qui essaie de cacher sa rougeur (sa honte et son embarras) devant le duc de Nemours. En peinture, il rend vivante une œuvre de pur pigment.

L’incarnat peut faire scandale : ainsi des pieds roses de la princesse Europe de François Boucher incriminés pour leur réalisme ; ou des chairs meurtries de Lucian Freud, jugées obscènes car trop humaines. Dès que nous ne sommes plus dans le contexte mythologique, le nu devient potentiellement érotique, impudique. Même si le corps est privé d’incarnat, d’un blanc de porcelaine, il est indécent lorsque les vêtements jonchent le sol. Ainsi dans Rolla de Henri Gervex (1878), le jupon, la jarretière et le corset, disposés en désordre, suggèrent que la jeune femme s’est déshabillée devant son client et qu’il s’agit bien d’une fille de joie.


Un mannequin défile à Dubai en 2017, dans le cadre de la Fashion Week dédiée à la mode modeste. WikimediaCC BY

 

Et pourtant, la honte comme corrélat de la pudeur ne commence que là où la nudité est consciente. Adam et Eve « connurent qu’ils étaient nus. […] L’Éternel Dieu fit à Adam et à sa femme des habits de peau, et il les en revêtit. » (Genèse 3 : 7 et 21) Alberto Ambrosio inscrit tout un ouvrage, Théologie de la mode (à paraître), dans l’interstice entre ces deux versets, établissant un lien entre Création et créateur de mode. Les tuniques de peau que Dieu confectionne font de Lui le premier couturier, mieux, un triple tailleur : faisant fi des ceintures de feuilles de vigne, Dieu nous habille au moment de la découverte de la nudité, il nous refait un vêtement à notre baptême et il taille le vêtement de noces des élus de l’Apocalypse.

Aussi les stylistes-créateurs sont-ils amenés à réfléchir à la deuxième peau dont ils nous revêtent, surtout lorsqu’il s’agit de peaux de bête, d’où le débat sur la fourrure synthétique, qui ne porte pas préjudice au monde animal mais s’avère moins pérenne que la fourrure naturelle, d’où également les projets de cuir végane, en maïs. Le film d’Almodovar, La piel que habito, dit bien l’importance de l’enveloppe, en l’occurrence le justaucorps couleur chair aux coutures apparentes dont il affuble sa « créature », censé enrober une absence de femme.

De peau il sera encore question dans la performance artistique intitulée « Choisis ta peau – Fable », d’Élodie Brochier et de Nicole Max, qui offrira à la journée un point d’orgue totalement inédit en incarnant et sublimant les concepts mobilisés, telle une rédemption par l’art, la créativité. À l’inverse du conte d’Andersen Les habits neufs de l’empereur, où la nudité était victime malgré elle d’une machination couturière, ici la renarde, tout droit sortie de la tapisserie La dame à la licorne enfile en toute impunité une robe qui ne lui appartient pas, jusqu’à ce que celle-ci se rebiffe contre celle qui l’endosse… On le voit, la mode humble et « verte » n’a pas dit son dernier mot.

Nathalie Roelens, Professeur de théorie littéraire, Collège des Bernardins

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.