Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Les Églises chrétiennes réclament la création d’une « zone spéciale » dans la Vieille Ville de Jérusalem

Explication

Les Églises chrétiennes de Terre sainte ont appelé, lundi 13 décembre, à la mise en place d’un statut particulier protégeant le quartier chrétien de la Vieille Ville de Jérusalem des « agressions physiques et verbales » de la part de groupes radicaux.

  • Juliette Paquier, 

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Les Églises chrétiennes réclament la création d’une « zone spéciale » dans la Vieille Ville de Jérusalem
 
Le quartier chrétien de Jérusalem. MAXPPP

Qu'est-ce qu'une "zone spéciale" ?

Treize Églises chrétiennes de Terre sainte ont publié, lundi 13 décembre, à l’initiative du patriarche grec-orthodoxe Theophilos III, une alerte vis-à-vis de la « menace » qui pèse sur la présence chrétienne à Jérusalem.

→ EXPLICATION. Résolution de l’ONU sur Jérusalem : le vote français provoque des réactions de la communauté juive

Elles demandent au gouvernement israélien d’ouvrir au plus tôt un « dialogue » en vue de créer une « zone spéciale de culture et de patrimoine » dans le quartier chrétien de la Vieille Ville. Autrement dit, que le statut spirituel et culturel de ce quartier chrétien soit inscrit dans la loi israélienne, comme c’est le cas pour le quartier juif.

► À quoi servirait une telle zone ?

Selon les signataires, sa création permettrait de protéger le quartier chrétien des atteintes dont sont victimes les habitants depuis plusieurs années. Les responsables religieux alertent en effet sur le nombre d’« agressions physiques et verbales contre des prêtres et d’autres membres du clergé (…), avec des lieux saints régulièrement vandalisés et profanés, et l’intimidation permanente des chrétiens locaux ». Ils dénoncent également l’acquisition de « propriétés stratégiques » du quartier chrétien par des « groupes radicaux marginaux », qui traduit, selon eux, une « tentative systématique de chasser la communauté chrétienne de Jérusalem ».

→ ARCHIVE. En Israël, un sentiment antichrétien chez certains juifs

Les responsables des Églises de Terre Sainte rappellent au passage que les pèlerinages chrétiens du monde entier apportent « de grands avantages à l’économie et à la société d’Israël », citant un récent rapport de l’université de Birmingham, selon lequel le flux de pèlerins et les touristes « contribuent à hauteur de trois milliards de dollars à l’économie israélienne ». De plus, la petite communauté chrétienne locale fournit à tous une quantité « disproportionnellement élevée » de services éducatifs, sanitaires et humanitaires à travers Israël, la Palestine et la Jordanie.

► Pourquoi une telle demande ?

Rédactrice en chef de Terre sainte Magazine, Marie-Armelle Beaulieu resitue cet appel dans le contexte de tensions entre le Patriarcat grec-orthodoxe et l’organisation ultranationaliste juive Ateret Cohanim (« Couronne des prêtres »),au sujet de son acquisition controversée de biens immobiliers du patriarcat dans les années 2000.

Cette interminable bataille juridique s’inscrit dans la stratégie de l’organisation qui œuvre pour la colonisation israélienne de Jérusalem-Est. Lors de la cérémonie de l’illumination du sapin de Noël, jeudi 9 décembre, le patriarche Theophilos a d’ailleurs appelé à ne pas céder aux intimidations.

Pour autant, la pression exercée par Ateret Cohanim ne concerne pas uniquement la communauté grecque-orthodoxe, mais l’ensemble des chrétiens présents à Jérusalem. « S’il faut rappeler que ce groupe ne traduit ni la pensée des Israéliens dans leur ensemble ni celle de la communauté juive, on observe tout de même qu’il gagne progressivement du terrain », constate Marie-Armelle Beaulieu.

Selon elle, la demande de création d’une « zone spéciale » permettrait de rappeler que « Jérusalem n’appartient ni à une seule nation, ni à un seul peuple, ni à une seule religion », alors que le nombre de chrétiens présents dans la Vieille Ville est en baisse.

 

Bouddhisme : que représente encore aujourd’hui le dalaï-lama ? 

 

Une soixantaine de membres du Congrès américain ont appelé, mardi 14 décembre, le président Joe Biden à rencontrer le dalaï-lama, pour relancer l’attention internationale sur la situation au Tibet. À 86 ans, le guide spirituel, officiellement retiré de la vie politique depuis 2011, demeure une figure internationale incontestée.

  • Malo Tresca, 

Lecture en 3 min.

Bouddhisme : que représente encore aujourd’hui le dalaï-lama ?
 
Le dalaï-lama en 2016.FREDERICK FLORIN/AFP

Le vœu d’une rencontre hautement symbolique pour relancer l’attention internationale sur la situation au Tibet à l’aune du gel, depuis douze ans, du dialogue avec Pékin. Mardi 14 décembre, une soixantaine de membres - démocrates et républicains - du Congrès américain ont exhorté le président Joe Biden à organiser un rendez-vous avec le dalaï-lama.

À l’exception de son prédécesseur Donald Trump – vivement critiqué par le guide spirituel pour sa politique sur la crise climatique ou les droits des migrants –, tous les présidents des États-Unis se sont entretenus avec lui depuis le mandat de George Bush père, dans les années 1990.

→ ENQUÊTE. Les « enfants » du dalaï-lama, le projet secret entre la France et le Tibet

Par ailleurs, 38 sénateurs et 27 élus de la Chambre des représentants ont encore appelé la Maison-Blanche à faire pression sur la Chine pour que celle-ci renoue le dialogue avec les représentants du dalaï-lama. « (Ce serait la) manifestation visible d’une diplomatie de principes qui accorde une place prioritaire aux droits de l’homme (…)», ont notamment insisté les sénateurs américains Marco Rubio et Patrick Leahy. Et dans le cas où l’ancien Nobel de la paix 1989 était en incapacité de se déplacer, les élus suggèrent l’envoi de la vice-présidente Kamala Harris en Inde, où il réside depuis 1959 et l’offensive chinoise sur le Tibet.

« Très actif »

Cette rencontre pourrait-elle aboutir ? « Par le passé, les États-Unis ont montré qu’ils n’étaient pas frileux à la perspective de braquer Pékin, même si les relations sont actuellement déjà très tendues. Cela démontre que la Chine n’a pas encore réussi à faire taire toutes les voix qui s’élèvent contre les atrocités qu’elle peut commettre »,explique à La Croix Antony Boussemart, président de l’Union bouddhiste de France (UBF) et secrétaire du bureau de l’Observatoire Pharos, plateforme spécialisée sur le pluralisme des cultures et des religions.

Retransmissions de conférences, rencontres avec des visiteurs de tous les continents, audiences publiques… Malgré son retrait officiel de la vie politique en 2011 – et la déclaration, en avril 2019, d’une infection pulmonaire l’ayant contraint à limiter ses voyages à l’étranger –, la plus haute figure du bouddhisme tibétain reste très active et au fait de l’actualité internationale, depuis son temple de Dharamsala, dans le nord de l’Inde. Lundi 13 décembre, il avait encore écrit à Joe Biden pour lui exprimer ses « condoléances », dans le sillage des tornades meurtrières ayant dévasté, quatre jours plus tôt, plusieurs États du pays.

« Aura »

S’il n’exerce plus aucun pouvoir politique – la présidence du gouvernement tibétain en exil est aujourd’hui assurée par Lobsang Sangay, 52 ans, diplômé de Harvard et citoyen américain –, le 14e dalaï-lama figure régulièrement parmi les personnalités les plus appréciées au classement du Time Magazine, conservant une grande aura à l’international.« Il y a toujours une forte ferveur autour de sa personne, de son message. Au-delà de la communauté tibétaine, du giron des bouddhistes pratiquants, il reste indéniablement une figure spirituelle et intellectuelle marquante et respectée des XXe et XXIe siècles », poursuit Antony Boussemart.

→ À LIRE. Le dalaï-lama, leader spirituel toujours actif et respecté

Mais sa voix est-elle toujours aussi audible, notamment auprès des jeunes ? « Il est beaucoup intervenu sur la question centrale de la crise environnementale, l’une des préoccupations majeures de la jeunesse. Mais je ne suis pas certain que les outils utilisés soient les plus adaptés pour s’adresser aujourd’hui à celle-ci, elle qui n’utilise moins souvent les canaux médiatiques [traditionnels] », estime-t-il encore.

Le « dernier » dalaï-lama ?

En dépit de son âge avancé – 86 ans –, de ses soucis de santé et des innombrables pressions exercées sur lui depuis près de sept décennies par Pékin, le dalaï-lama ne semble pas vouloir s’arrêter de sitôt. « Il est persuadé qu’il vivra centenaireEt il est persuadé aussi qu’il reverra le Tibet », confiait Sofia Stril-Rever, l’une de ses biographes, en février 2020 à La Croix.

→ ANALYSE. Tibet - France, des relations ambivalentes

Dans ce contexte géopolitique trouble, comment envisager l’avenir de la lignée de Tenzin Gyatso, qui fut installé le 22 février 1940, à l’âge de 4 ans et demi, comme 14e dalaï-lama ? En 2017, ce dernier avait annoncé qu’il interrogerait les Tibétains sur la pertinence, ou non, d’abolir cette institution quand il atteindrait l’âge de 90 ans, en 2025, alors que la Chine cherche activement à influencer la nomination de son successeur.

→ PODCAST. Marianne Meunier raconte comment elle a retrouvé les « enfants » du dalaï-lama »

 

À Athènes, les conseils du pape François à l’attention des catholiques minoritaires|La Croix Africa

Au premier soir de l’étape grecque de son voyage en Méditerranée, samedi 4 décembre, le pape François a multiplié les encouragements à la petite minorité catholique de Grèce. Il a aussi à nouveau présenté ses excuses aux orthodoxes pour les fautes du passé, plaidant pour l’unité des chrétiens.

Ne pas se décourager et voir sa faiblesse comme une force. C’est, résumé en quelques mots, les conseils donnés samedi 4 décembre par le pape François à la petite communauté catholique de Grèce. À la cathédrale catholique Saint-Denys, à Athènes, le pape a multiplié les encouragements aux fidèles de cette Église, qui fait figure de quantité négligeable face à l’omniprésente Église orthodoxe.

« Être minoritaires – et dans le monde entier l’Église est minoritaire — ne veut pas dire être insignifiants », a ainsi rassuré François, devant une majorité de laïcs et de nombreuses religieuses présents dans l’église.

Lire la suite de l’article Loup Besmond de Senneville dans la Croix-Africa le 6.12.21

Locales au Sénégal : les confréries religieuses tentent de calmer le jeu

Mis à jour le 6 décembre 2021 à 16:27
 


Cheikh Ahmed Tidiane Sy, fils du défunt khalife Abdoulaziz Sy Alamine et neveu de l’actuel khalife Serigne Babacar Sy Mansour © Sylvain Cherkaoui pour JA

 

À un mois et demi des élections locales, les grandes confréries musulmanes essaient de faire retomber les tensions de plus en plus vives entre l’opposition et le pouvoir.

Comment prévenir les violences politiques et pacifier les élections du 23 janvier 2022 ? Alors que les hommes politiques ont échoué à s’entendre et que la société civile semble dépassée par l’engrenage de la violence des manifestations, la réponse pourrait venir encore une fois des leaders religieux.

Depuis plusieurs jours, le Cadre unitaire de l’islam du Sénégal (Cudis) – une plateforme où les principales confréries musulmanes du pays parlent d’une seule voix – fait le tour des partis politiques engagés dans le processus électoral afin de prôner l’adoption d’une charte de non-violence. « Le dialogue est totalement rompu entre l’opposition et le pouvoir, s’inquiète Cheikh Ahmed Tidiane Sy, président du Cudis. Les acteurs politiques se regardent en chiens de faïence et sont dans une épreuve de force à distance plutôt que dans une logique de conciliation pour des élections apaisées. »

« Nous n’avons pas confiance en Macky Sall »

Après avoir rencontré les leaders de la coalition de l’opposition Yewi Askan Wi, emmenée par Ousmane Sonko et Khalifa Sall, les responsables du Cudis ont pris langue avec Macky Sall dans la soirée du 29 novembre. Le chef de l’État avait reçu, une semaine plus tôt, Cheikh Mouhamadou Mahi Ibrahima Niass, le khalife général de Médina Baye, également porteur d’un message de paix.

SI LE PRÉSIDENT APPROUVE LA CHARTE DE NON-VIOLENCE, L’OPPOSITION RESTE MÉFIANTE

Si le président a donné son accord de principe aux dignitaires religieux pour signer une charte de non-violence, l’opposition reste méfiante. « Tout le monde sait que les leaders de la coalition sont des hommes de paix. Mais nous n’avons pas confiance en Macky Sall, [qui] est le seul détenteur de la violence grâce à l’arsenal juridique et sécuritaire qu’il détient », a martelé lors d’un point de presse Habib Sy, le président de la conférence des leaders de Yewi Askan Wi, qui s’est néanmoins dit sensible à la démarche des religieux.

Le défi est donc de taille pour Cheikh Ahmed Tidiane Sy – lui-même fils de Serigne Abdou Aziz Sy Al Amine, ancien khalife général des Tidjanes, la plus grande confrérie du pays en terme de nombre de disciples, décédé en 2017 – et ses collaborateurs. Sauront-ils faire dialoguer opposition et majorité présidentielle afin d’éviter une nouvelle crise majeure au Sénégal ? « De par leur traditionnelle attitude à réguler l’espace public, les religieux peuvent être les garants d’un nouvel engagement moral », répond le président du Cudis.

Ces différentes démarches interviennent alors que le mois de novembre a été particulièrement mouvementé. Le 10 novembre, la convocation par la justice de Barthélémy Dias, candidat de Yewi Askan Wi à la mairie de Dakar, a provoqué des manifestations dans la capitale sénégalaise. Quelques jours plus tôt, le rejet de plusieurs listes avait déjà engendré des troubles à l’intérieur du pays.

Des religieux plus proactifs

Ce n’est pas la première fois que les autorités religieuses tentent d’user de leur influence pour apaiser les tensions politiques. Entre 2004 et 2007, le conflit ouvert entre Abdoulaye Wade et son Premier ministre, Idrissa Seck, s’était finalement réglé à Touba, ville sainte de la très influente confrérie des Mourides. Et en 2008, l’ancien président sénégalais, brouillé avec Macky Sall, n’avait eu d’autre choix que d’écouter Serigne Bara Mbacké, le khalife général, et de s’employer à améliorer ses relations avec le président de l’Assemblée nationale d’alors.

« Mais le caractère formel que prend l’initiative du Cudis est inédit. Jusqu’ici, les échanges pour calmer les guéguerres entre personnalités politiques au sommet de l’État se faisaient dans un cadre informel ou de manière spontanée et ponctuelle », explique le chercheur Seydou Kanté.

APRÈS L’ARRESTATION D’OUSMANE SONKO, IL A FALLU QUE LES KHALIFES GÉNÉRAUX S’EN MÊLENT POUR QUE LES VIOLENCES CESSENT

Les évènements de mars semblent avoir marqué un tournant. Après l’arrestation d’Ousmane Sonko, alors soupçonné de viol, plusieurs jours de manifestations avaient manqué de faire basculer le pays dans le chaos. La répression des forces de l’ordre avait fait 14 morts. Les efforts de médiation, alors portés par Jammi Rewmi, plateforme de la société civile regroupant une quarantaine d’ONG, avaient échoué. « Nous étions dans l’impasse. Il a fallu que les khalifes généraux s’en mêlent et s’adressent aux populations pour que les violences cessent », explique Cheikh Ahmed Tidiane Sy.

Pourtant, lors de sa création en 2015, l’objectif du Cudis n’était en rien de jouer un rôle politique. « Nous n’étions jamais impliqués dans les affaires politiques. Mais à la sortie de cette grave crise, nous nous sommes dits qu’il fallait adopter une démarche plus proactive et ne plus attendre qu’il y ait autant de morts pour démarrer une médiation », justifie son président.

La carte des confréries

Au Sénégal, où 95 % de la population est musulmane, l’influence des dignitaires de confréries n’est pas que religieuse. Leurs recommandations rythment la vie sociale de millions de disciples. Et leurs ndiguël (consignes) de vote peuvent faire basculer une présidentielle. Comme en 2007, quand le deuxième mandat d’Abdoulaye Wade s’est joué en partie à Touba grâce au soutien affiché de Cheikh Béthio Thioune, influent marabout mouride.

Depuis l’indépendance et le pouvoir de Léopold Sédar Senghor, les hommes politiques « ont tous joué la carte des confréries pour mieux asseoir leur légitimité ou pour bénéficier de leur soutien. Les confréries souhaitent entretenir et conforter des relations spécifiques avec l’État », explique Seydou Kanté dans son ouvrage La Géopolitique du Sénégal, publié en 2013 aux éditions de L’Harmattan. Un jeu du donnant-donnant favorisé par « l’attachement des Sénégalais à leurs marabouts qui détiennent [en retour] un pouvoir de décision sur leurs fidèles ».

Le risque d’influence des religieux sur l’arène politique n’en est-elle pas trop forte? « Les grands chefs de confréries ne se hasardent plus à donner de consignes de vote afin de ne pas être décrédibilisés. Aujourd’hui, les gens prennent de plus en plus de libertés du point de vue politique, estime Cheikh Ahmed Tidiane Sy. On peut toujours imaginer un guide religieux s’appuyer sur sa petite communauté pour s’engager en politique. Mais de plus en plus, les khalifes généraux observent une posture d’équité. » Une neutralité sur laquelle le Cudis compte s’appuyer pour ramener à la table du dialogue opposition et pouvoir… avant qu’il ne soit trop tard.

Voyage du pape : l’Église orthodoxe grecque, des prérogatives en peau de chagrin

Après deux jours à Chypre, le pape François arrivera samedi 4 décembre à Athènes pour une visite de trois jours. Un pays où l’Église orthodoxe, longtemps omniprésente dans la vie sociale et politique, semble confrontée à une laïcisation inéluctable.

  • Thomas Jacobi (à Athènes), 

Lecture en 5 min.

Voyage du pape : l’Église orthodoxe grecque, des prérogatives en peau de chagrin
 
Célébration de la résurrection dans un monastère à Thessalonique, le 1er mai 2021. KONSTANTINOS TSAKALIDIS/SOOC VIA AFP
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Sa primauté sur les autres religions du pays est confirmée par l’article 3 de la Constitution de 1975. Écrite « au nom de la Sainte Trinité », la Constitution grecque proclame ainsi « que la religion dominante en Grèce est celle de l’Église orientale du Christ ». Cette prédominance de l’Église orthodoxe grecque est en partie expliquée par le rôle très important qu’elle joua tant dans la guerre d’indépendance du pays que durant les quatre siècles d’occupation ottomane. Mais cette époque de prérogatives semble aujourd’hui de plus en plus révolue.

→ LE CONTEXTE. Le pape à Chypre et en Grèce : les enjeux d’un voyage aux confins de l’Europe

C’est le gouvernement du socialiste Andréas Papandréou qui a donné le coup d’envoi à la laïcisation en 1982, en instaurant le mariage civil. Le primat d’Athènes de l’époque, Mgr Séraphin, s’y oppose alors violemment, mais le premier ministre persiste et signe, en excluant deux ans plus tard l’Église de la procédure de divorce à laquelle elle devait donner son accord préalable.

En 2000, son successeur, Costas Simitis, également socialiste et proeuropéen convaincu, supprime la mention de la religion sur les cartes d’identité. Là aussi, la bataille est plus que rude, mais Simitis maintient le cap malgré les anathèmes des religieux descendus dans la rue et les manifestations qui jalonnent le pays. Il est désormais interdit à toute institution publique de demander la confession de ses administrés, y compris dans les commissariats ou l’armée. Efstathios, 60 ans, catholique convaincu, se souvient de ce moment historique : « Dès que nous sortions notre carte d’identité, nous, “les papistes”, étions regardés de travers. Je n’ai jamais pu monter en grade dans l’armée. Il était temps que cela s’arrête. »

La fin des exemptions fiscales de l’Église

Pendant inattendu de ce changement, il est désormais possible de prêter serment sur la Constitution lors d’un procès, et non plus obligatoirement sur l’Évangile, la Torah ou le Coran. Les députés et les ministres devront attendre l’arrivée du parti de la gauche radicale, Syriza, en 2015, pour bénéficier eux aussi de cette réforme.

Dernier acte de ce recul du poids de l’Église orthodoxe sur la société : l’annulation de toute exemption fiscale durant la crise financière de 2010. L’Église, le plus gros propriétaire foncier du pays, voit son assiette fiscale augmenter drastiquement en juillet 2012, payant pour la première fois plus de 12 millions d’euros d’impôts. L’archevêque d’Athènes Mgr Hyéronyme tente alors de mettre en avant «l’importante œuvre caritative de l’Église », « l’impôt sur le revenu que les popes payaient comme tous les fonctionnaires », et les 96 % de ses biens immobiliers que l’Église a cédés en échange de ces exemptions et salaires des popes.

L’Eurogroupe qui surveille étroitement les finances du pays s’y refuse. L’Église plie, au grand soulagement des Grecs laminés par l’austérité imposée. «Franchement, s’emporte Irini, professeure d’histoire, je n’aurais pas compris que l’Église soit exemptée d’impôt foncier alors que j’ai failli perdre ma maison avec les nouveaux impôts locaux. Même ma mère qui ne rate jamais une messe était pour. »

L’Europe moteur de la laïcisation du pays

Cette laïcisation à marche forcée s’est faite, selon Stavros Zoumboulakis, « sous la pression de l’Europe ». Pour cet universitaire spécialiste des religions et auteur du livre Christianisme de la joiele témoignage du pape François, « il n’était pas possible que la Grèce rejoigne l’Union européenne avec de tels anachronismes ». « Sans l’Europe, martèle-t-il, jamais l’Église orthodoxe grecque n’aurait accepté de tels changements. »

Toutes ces réformes qui ont remodelé la société ont été majoritairement bien acceptées par les Grecs. Y compris les toutes dernières promues par le gouvernement conservateur – pourtant proche de l’Église – qui concernent le mariage des personnes de même sexe, l’adoption pour les couples homosexuels, la crémation des morts ou l’abolition du délit de blasphème. « C’était le comble de l’hypocrisie, lâche en riant Roula, étudiante en architecture. On passe son temps à insulter pour tout et n’importe quoi, en invoquant tous les saints de l’iconostase, et on pouvait se retrouver au tribunal pour un blasphème ? C’était ridicule ! »

Plus traditionalistes que croyants

Roula comme Irini et une partie de plus en plus importante de la société grecque, essentiellement les jeunes, se déclarent athées. Pour autant, jamais elles ne manqueront la messe de Pâques ou les festivités de la Sainte Croix en janvier, lorsque les popes jettent une croix à la mer pour bénir les eaux. « Cela fait partie de mon identité », explique Irini. Selon les derniers sondages, 75 % de la population grecque continue ainsi à se marier à l’église et à baptiser ses enfants. Un chiffre qui tombe en revanche à moins de 10 % quand il s’agit de jeûner au-delà de la semaine de Pâques.

→ REPORTAGE. L’Eglise orthodoxe grecque refuse de se plier aux règles sanitaires

« Les Grecs ont un rapport à la religion très traditionaliste, très festif, souligne de son côté Pierre Salembier, supérieur de la communauté jésuite de Grèce. Ils ne manqueront pour rien au monde d’allumer une bougie lors de la Semaine sainte, mais ils sont 15 % à aller encore à la messe. » Pour cet aumônier de la communauté francophone d’Athènes, « la Grèce est traversée par la modernité occidentale qui fait baisser la pratique religieuse ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2001, 85,6 % se déclaraient pratiquants, en 2015, ce chiffre est passé à 51,9 %. Une étude de l’université Panteion d’Athènes de 2015 le confirme : 60 % des Grecs estiment que « l’Église a moins d’impact qu’il y a dix à quinze ans », maisils sont 44 % à estimer la religion « assez importante » et 23 % « très importante ».

 

Pourtant, modère de son côté Alexandros Sakélariou, chercheur à l’université Panteion, « il n’y a toujours pas de séparation de l’Église et de l’État malgré la tentative d’Alexis Tsipras et des 55 % de la population qui le soutenaient sur ce dossier. » Maladroit dans sa gestion du dossier, l’ancien premier ministre s’est heurté aux courants les plus conservateurs de l’Église. « Il n’y a eu aucune réelle concertation avec les autorités religieuses. Aussi quand la question a été discutée au Saint-Synode, une majorité d’évêques se sont prononcés contre. »Pour Stavros Zoumboulakis, cette séparation largement soutenue par les Grecs n’est qu’une question de temps. D’autant que l’Église orthodoxe est sortie très affaiblie de la crise du Covid à cause de ses positions anti-vaccins.

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« Cette visite aplanit le chemin vers l’unification des chrétiens »

Archimandrite Ignace Sotiriadis, secrétaire des affaires extérieures du Saint-Synode de l’Église de Grèce

« Il y a des sujets qui nous séparent, dans le domaine du dogme, mais ce qui nous unit est la souffrance du monde moderne qui perd sa foi et s’angoisse pour son avenir.Cette visite pourrait démontrer que, désormais, nous sommes amis et nous nous visitons réciproquement. Ce n’est plus comme par le passé, lorsque nous nous contentions de nous accuser les uns les autres. Cette visite aplanit le chemin vers la future unification des chrétiens. Cela se fera petit à petit. Nous devons être dans la compréhension, la réconciliation et le dialogue. »