Sa primauté sur les autres religions du pays est confirmée par l’article 3 de la Constitution de 1975. Écrite « au nom de la Sainte Trinité », la Constitution grecque proclame ainsi « que la religion dominante en Grèce est celle de l’Église orientale du Christ ». Cette prédominance de l’Église orthodoxe grecque est en partie expliquée par le rôle très important qu’elle joua tant dans la guerre d’indépendance du pays que durant les quatre siècles d’occupation ottomane. Mais cette époque de prérogatives semble aujourd’hui de plus en plus révolue.
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C’est le gouvernement du socialiste Andréas Papandréou qui a donné le coup d’envoi à la laïcisation en 1982, en instaurant le mariage civil. Le primat d’Athènes de l’époque, Mgr Séraphin, s’y oppose alors violemment, mais le premier ministre persiste et signe, en excluant deux ans plus tard l’Église de la procédure de divorce à laquelle elle devait donner son accord préalable.
En 2000, son successeur, Costas Simitis, également socialiste et proeuropéen convaincu, supprime la mention de la religion sur les cartes d’identité. Là aussi, la bataille est plus que rude, mais Simitis maintient le cap malgré les anathèmes des religieux descendus dans la rue et les manifestations qui jalonnent le pays. Il est désormais interdit à toute institution publique de demander la confession de ses administrés, y compris dans les commissariats ou l’armée. Efstathios, 60 ans, catholique convaincu, se souvient de ce moment historique : « Dès que nous sortions notre carte d’identité, nous, “les papistes”, étions regardés de travers. Je n’ai jamais pu monter en grade dans l’armée. Il était temps que cela s’arrête. »
La fin des exemptions fiscales de l’Église
Pendant inattendu de ce changement, il est désormais possible de prêter serment sur la Constitution lors d’un procès, et non plus obligatoirement sur l’Évangile, la Torah ou le Coran. Les députés et les ministres devront attendre l’arrivée du parti de la gauche radicale, Syriza, en 2015, pour bénéficier eux aussi de cette réforme.
Dernier acte de ce recul du poids de l’Église orthodoxe sur la société : l’annulation de toute exemption fiscale durant la crise financière de 2010. L’Église, le plus gros propriétaire foncier du pays, voit son assiette fiscale augmenter drastiquement en juillet 2012, payant pour la première fois plus de 12 millions d’euros d’impôts. L’archevêque d’Athènes Mgr Hyéronyme tente alors de mettre en avant «l’importante œuvre caritative de l’Église », « l’impôt sur le revenu que les popes payaient comme tous les fonctionnaires », et les 96 % de ses biens immobiliers que l’Église a cédés en échange de ces exemptions et salaires des popes.
L’Eurogroupe qui surveille étroitement les finances du pays s’y refuse. L’Église plie, au grand soulagement des Grecs laminés par l’austérité imposée. «Franchement, s’emporte Irini, professeure d’histoire, je n’aurais pas compris que l’Église soit exemptée d’impôt foncier alors que j’ai failli perdre ma maison avec les nouveaux impôts locaux. Même ma mère qui ne rate jamais une messe était pour. »
L’Europe moteur de la laïcisation du pays
Cette laïcisation à marche forcée s’est faite, selon Stavros Zoumboulakis, « sous la pression de l’Europe ». Pour cet universitaire spécialiste des religions et auteur du livre Christianisme de la joie, le témoignage du pape François, « il n’était pas possible que la Grèce rejoigne l’Union européenne avec de tels anachronismes ». « Sans l’Europe, martèle-t-il, jamais l’Église orthodoxe grecque n’aurait accepté de tels changements. »
Toutes ces réformes qui ont remodelé la société ont été majoritairement bien acceptées par les Grecs. Y compris les toutes dernières promues par le gouvernement conservateur – pourtant proche de l’Église – qui concernent le mariage des personnes de même sexe, l’adoption pour les couples homosexuels, la crémation des morts ou l’abolition du délit de blasphème. « C’était le comble de l’hypocrisie, lâche en riant Roula, étudiante en architecture. On passe son temps à insulter pour tout et n’importe quoi, en invoquant tous les saints de l’iconostase, et on pouvait se retrouver au tribunal pour un blasphème ? C’était ridicule ! »
Plus traditionalistes que croyants
Roula comme Irini et une partie de plus en plus importante de la société grecque, essentiellement les jeunes, se déclarent athées. Pour autant, jamais elles ne manqueront la messe de Pâques ou les festivités de la Sainte Croix en janvier, lorsque les popes jettent une croix à la mer pour bénir les eaux. « Cela fait partie de mon identité », explique Irini. Selon les derniers sondages, 75 % de la population grecque continue ainsi à se marier à l’église et à baptiser ses enfants. Un chiffre qui tombe en revanche à moins de 10 % quand il s’agit de jeûner au-delà de la semaine de Pâques.
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« Les Grecs ont un rapport à la religion très traditionaliste, très festif, souligne de son côté Pierre Salembier, supérieur de la communauté jésuite de Grèce. Ils ne manqueront pour rien au monde d’allumer une bougie lors de la Semaine sainte, mais ils sont 15 % à aller encore à la messe. » Pour cet aumônier de la communauté francophone d’Athènes, « la Grèce est traversée par la modernité occidentale qui fait baisser la pratique religieuse ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2001, 85,6 % se déclaraient pratiquants, en 2015, ce chiffre est passé à 51,9 %. Une étude de l’université Panteion d’Athènes de 2015 le confirme : 60 % des Grecs estiment que « l’Église a moins d’impact qu’il y a dix à quinze ans », maisils sont 44 % à estimer la religion « assez importante » et 23 % « très importante ».
Pourtant, modère de son côté Alexandros Sakélariou, chercheur à l’université Panteion, « il n’y a toujours pas de séparation de l’Église et de l’État malgré la tentative d’Alexis Tsipras et des 55 % de la population qui le soutenaient sur ce dossier. » Maladroit dans sa gestion du dossier, l’ancien premier ministre s’est heurté aux courants les plus conservateurs de l’Église. « Il n’y a eu aucune réelle concertation avec les autorités religieuses. Aussi quand la question a été discutée au Saint-Synode, une majorité d’évêques se sont prononcés contre. »Pour Stavros Zoumboulakis, cette séparation largement soutenue par les Grecs n’est qu’une question de temps. D’autant que l’Église orthodoxe est sortie très affaiblie de la crise du Covid à cause de ses positions anti-vaccins.
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« Cette visite aplanit le chemin vers l’unification des chrétiens »
Archimandrite Ignace Sotiriadis, secrétaire des affaires extérieures du Saint-Synode de l’Église de Grèce
« Il y a des sujets qui nous séparent, dans le domaine du dogme, mais ce qui nous unit est la souffrance du monde moderne qui perd sa foi et s’angoisse pour son avenir.Cette visite pourrait démontrer que, désormais, nous sommes amis et nous nous visitons réciproquement. Ce n’est plus comme par le passé, lorsque nous nous contentions de nous accuser les uns les autres. Cette visite aplanit le chemin vers la future unification des chrétiens. Cela se fera petit à petit. Nous devons être dans la compréhension, la réconciliation et le dialogue. »