Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

L’accueil des migrants s’inscrit dans le catéchisme de l’Église catholique|La Croix-Africa

Des migrants installés dans la gare de Briançon pour protester contre la fermeture d’un refuge ont été accueillis dans une église, lundi 25 octobre, tandis qu’à Calais, deux bénévoles et un prêtre entament leur troisième semaine de grève de la faim, en soutien aux exilés. Comment l’Église se positionne-t-elle face à la question migratoire ?

Des migrants accueillis dans une église à Briançon, une grève de la faim en soutien aux exilés menée par un prêtre à Calais… La question migratoire ne cesse de revenir dans le débat public. Un thème cher au pape François, qui prend régulièrement position en faveur de l’accueil des migrants. Lui-même fils d’immigrés, il avait marqué les esprits dès le début de son pontificat en choisissant l’île de Lampedusa pour son premier voyage hors de Rome, cinq mois après son élection, en 2013.

Le pape François a, depuis, multiplié les appels à la fraternité et les discours symboliques : devant le Parlement européen, en 2014, lorsqu’il affirme qu’« on ne peut tolérer que la mer méditerranéenne devienne un grand cimetière ». Ou à la fin de l’été 2015, quand il appelle « chaque paroisse, chaque communauté religieuse, chaque monastère, chaque sanctuaire d’Europe » à accueillir « une famille » de réfugiés.

Lire la suite de l’article de Juliette Paquier dans La Croix-Africa du 27.10.21

Le tabou des statistiques ethniques en France :
un frein à la dénonciation collective des discriminations raciales? |The Conversation

France Inter a récemment révélé le résultat d’un « testing » réalisé par l’association SOS Racisme auprès d’un panel de 69 agences d’intérim franciliennes dans le domaine du BTP : 45 % d’entre elles acceptent ainsi de discriminer les travailleurs étrangers ou de « type non européen ». Si cette enquête contribue à évaluer l’ampleur des discriminations raciales en France, leur mesure reste encore un sujet tabou dans les débats publics, malgré la multiplication des études visant à quantifier les discriminations au cours de ces dernières années.


En France, contrairement au Royaume-Uni, les personnes victimes de discriminations raciales
ne peuvent pas s’appuyer sur des statistiques ethniques pour étayer leur argumentaire. Angela Roma/Pexels

Elodie DruezUniversité de Strasbourg

Interroger le cas français à l’aune de son voisin britannique

En effet, l’État français, marqué par sa tradition républicaine et assimilationniste, récuse la prise en compte des spécificités individuelles et se présente, en principe, comme aveugle à la race (comme construction sociale, au sens sociologique du terme).

Une telle approche interroge. En quoi ce principe « d’indifférence aux différences » influe sur la façon dont les premiers concernés perçoivent et mettent en récit ces vécus ? En quoi les idéologies étatiques, les politiques publiques, les discours politico-médiatiques s’avèrent structurants à cet égard ?

Ces réflexions sont au cœur de ma thèse de doctorat, soutenue en 2020. Celle-ci se penche, dans une perspective comparative, sur le vécu d’une population très spécifique : des diplômés du supérieur nés (ou arrivés enfants) en France ou au Royaume-Uni de parents originaires d’un pays d’Afrique subsaharienne.

Il s’agissait notamment de comprendre comment chacun de ces pays appréhende les discriminations raciales et plus spécifiquement comment la mise en œuvre de statistiques ethniques influe sur la capacité des citoyens ordinaires à dénoncer leurs expériences de discrimination.

Un usage des statistiques ethniques institutionnalisé au Royaume-Uni, contrôlé en France

Contrairement à la France, les institutions britanniques, dans une logique multiculturaliste, conçoivent le respect des différences culturelles comme un enjeu public et mobilisent explicitement la notion de race pour lutter contre les inégalités raciales.

L’État britannique, qui élabore de telles politiques dès le milieu des années 1960, s’appuie depuis le recensement de 1991 sur des statistiques ethniques pour mesurer les discriminations raciales, notamment dans différentes institutions publiques comme l’école, la police ou la justice.

Celles-ci sont donc non seulement présentes dans le recensement, mais aussi dans tous les questionnaires d’enquête et les formulaires administratifs que les Britanniques sont amenés à renseigner dans leur quotidien. En outre, ce dispositif s’inspire du concept de racisme institutionnel qui fut certes rapidement mis de côté dans les doctrines officielles mais demeure néanmoins central dans l’espace public britannique aujourd’hui (dans les discours médiatiques, militants et académiques).

La France, quant à elle, ne se saisit de la lutte contre les discriminations qu’à partir des années 1990 et demeure encore très frileuse à l’égard des questions raciales : la dénonciation collective des discriminations s’avère largement illégitime, la mise en œuvre de statistiques ethniques est rigoureusement contrôlée et l’État refuse dans certains cas de reconnaître les discriminations dont il est l’auteur, à l’inverse de son voisin outre-Manche.

Or, ces différences de cadrages concernant les enjeux de race et la lutte contre les discriminations se reflètent dans la façon dont les personnes concernées dénoncent leurs expériences de discrimination, comme en témoignent les diplômés d’ascendance subsaharienne interrogés dans le cadre de ma thèse.

Au Royaume-Uni, des ressources pour dénoncer les discriminations

Au Royaume-Uni, ces Britanniques originaires d’Afrique subsaharienne mobilisent des catégories raciales sans gêne et parlent beaucoup plus spontanément de leurs expériences discriminatoires qu’elles ou ils conçoivent comme un phénomène généralisé, touchant la population noire britannique dans son ensemble.

Or, cette propension à appréhender ces vécus comme un problème public, à politiser cet enjeu, fait clairement écho à la façon dont la lutte contre les discriminations a été mise en œuvre au Royaume-Uni. Plus spécifiquement, ce sont les statistiques ethniques et le concept de racisme institutionnel qui semblent contribuer à cette aisance qu’ont les enquêtés britanniques à dénoncer leurs expériences.

En effet, les personnes interrogées s’appuient explicitement sur ces chiffres et ce concept. Emmanuel, manager britannique de 27 ans, me confie :

« Pour être honnête, les Noirs ont toujours sept fois plus de chances d’être arrêtés que leurs homologues blancs. »

De même, Sadia, Londonienne en recherche d’emploi après un master de droit, affirme :

« Il y a du racisme institutionnel […] les politiques au sein de la police et dans les prisons. Regarde le profil des personnes qui reçoivent des amendes ou des peines. »

Il s’agit en effet de deux ressources qui confèrent des connaissances empiriques et théoriques sur les discriminations. Les chiffres apportent des preuves factuelles révélant le caractère généralisé du problème. Le concept de racisme institutionnel, explicitement mentionné par la moitié des personnes interrogées au Royaume-Uni, offre quant à lui une clé de lecture pour appréhender le caractère structurel des discriminations raciales ainsi que la façon dont elles s’incarnent dans le fonctionnement même des institutions.

C’est pour l’essentiel face à trois institutions publiques – l’école, la police, la justice – et dans le cadre de l’emploi qu’émergent ces références aux statistiques ethniques et au racisme institutionnel dans les propos des Britanniques interrogés.

En France, une délicate dénonciation des discriminations

À l’inverse, dans un contexte hexagonal, aveugle à la race sur le plan institutionnel, les Français interrogés apparaissent souvent plus hésitants à rapporter des expériences discriminatoires ou à identifier une injustice comme relevant d’une discrimination raciale. Et même lorsque les enquêtés interprètent un évènement comme discriminatoire, celui-ci fait souvent l’objet d’une minimisation ou d’une banalisation.

On le perçoit notamment dans les propos de Sédar, commercial francilien de 32 ans, quand je lui demande s’il a déjà fait l’objet de contrôles policiers :

« Non, je n’y ai jamais été confronté. Peut-être une fois, mais c’était moi et mon frère, on marchait dans la rue et on correspondait à une description […]. Il y a peut-être un petit abus de pouvoir de temps en temps. »

En outre, les diplômés interrogés dans l’hexagone peinent à concevoir les discriminations comme un enjeu politique et collectif. Celui-ci est plutôt perçu comme étant le fruit de préjugés individuels s’incarnant dans des interactions ponctuelles et isolées.

À l’inverse des Britanniques, les Français semblent manquer de ressources pour envisager les discriminations comme un phénomène structurel. Elles et ils sont peu nombreux à mentionner l’existence de chiffres ou de dispositifs de lutte contre les discriminations. Par ailleurs, le concept de racisme institutionnel est largement absent des entretiens réalisés en France.

Une dénonciation collective dans certaines circonstances

Toutefois, dans le contexte hexagonal, les discriminations peuvent parfois faire l’objet d’une dénonciation collective, d’une politisation, mais seulement dans certains cas de figure : tout d’abord, c’est dans la sphère de l’emploi – secteur qui a d’ailleurs été la priorité des politiques de lutte contre les discriminations et sur lequel il y a le plus de données chiffrées sur le sujet – que les Français s’avèrent le plus enclins à politiser leurs expériences de discrimination.

De même, une capacité à politiser les discriminations raciales apparaît chez des profils spécifiques d’enquêtés qui ont pour particularité d’avoir acquis des connaissances sur le racisme grâce à une exposition aux sciences sociales, à des milieux militants ou encore à de longs séjours dans des pays anglo-saxons.

Cette recherche met ainsi en lumière l’effet de la quantification des discriminations raciales sur la capacité des personnes discriminées à politiser leur vécu, c’est-à-dire à concevoir les préjudices subis comme un enjeu politique. Pourtant, les statistiques ethniques sont encore aujourd’hui l’objet d’importantes réticences de la part des pouvoirs publics en France. Malgré ces freins, plusieurs initiatives clés, telles que les enquêtes TeO1 et TeO2 (respectivement menées en 2008 et 2020 par l’Ined et l’Insee, celles-ci interrogent les trajectoires des immigrés et de leurs descendants en France), arrivent à voir le jour, contribuant à nourrir des connaissances essentielles à la lutte contre les discriminations raciales en France.

Elodie Druez, Post-doctorante, sciences politiques, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

En graphiques : Quelle identité religieuse pour la France? |The Conversation

 
 

L’appartenance religieuse des Français en pourcentage de la population. Pierre Bréchon/EVS 2018, CC BY

Pierre BréchonAuteurs historiques The Conversation France

Quelle est la place du fait religieux en France ? Faut-il s’inquiéter des formes qu’il prend avec d’un côté beaucoup de sécularisation mais aussi
des minorités crispées sur des visions très conservatrices au nom de leur foi ? Si les idéologues et les médias se plaisent à polémiquer, les enquêtes quantitatives,
notamment la European Values Study (EVS) et le module religion de l’International Social Survey programme (ISSP)
permettent d’analyser quelques tendances depuis plus de trente ans.

Ici, nous prendrons en compte d’abord l’image des religions dans l’opinion publique, l’identité subjective (se sentir religieux et/ou spirituel) et l’évolution des croyances.
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Les religions, sources de conflit

Alors que les religions se présentent très souvent comme des acteurs de paix, leur image est très différente dans l’opinion : elles sont largement considérées comme « apportant plus de conflit que de paix » selon 64 % des enquêtés, aussi bien en 2018 qu’en 1998. Et les personnes qui ont de fortes convictions religieuses sont considérées avec méfiance : 61 % jugent qu’elles « sont souvent trop intolérantes envers les autres ».

C’est donc l’image belliqueuse et intolérante des religions qui domine l’opinion publique, sans grand changement depuis vingt ans, probablement parce que, déjà à l’époque, des événements dramatiques avaient renforcé les craintes à l’égard des religions radicalisées, qui sont les seules que certains connaissent à travers les messages médiatiques. https://datawrapper.dwcdn.net/4o3yq/6/

Évidemment les religions n’ont pas toute la même image : 56 % des personnes enquêtées ont « une attitude personnelle tout à fait ou plutôt positive » envers les chrétiens, 40 % envers les bouddhistes, 36 % envers les hindous, 34 % envers les juifs et 24 % envers les musulmans.

Le reste des réponses est massivement composé de personnes indécises (qui se disent « ni d’accord, ni pas d’accord »), qui n’ont probablement pas d’image claire des religions considérées. Les réponses négatives sont en fait rares : même pour les musulmans, groupe religieux le moins bien jugé, il y a seulement 26 % de réponses négatives, contre 4 % pour les chrétiens et 8 % pour les juifs. Il n’y a donc pas de rejet par principe des religions, la plupart des gens adhérant aux principes de la laïcité, reconnaissant à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire.

Religion ou spiritualité ? Les jeunes dans l’attente d’un au-delà

Peut-on distinguer des personnes « fidèles à une religion » et des individus simplement « spirituels, intéressés par le sacré et le surnaturel » ? En fait la moitié de la population française adopte des positions simples : ils sont « religieux et spirituels » ou « ni religieux ni spirituels ».

L’autre moitié de la population choisit des types plus complexes :

  • « adepte d’une religion sans se sentir spirituel », groupe assez âgé et à faible diplôme, pas très religieux mais plutôt conformistes, vivant probablement souvent la religion comme quelque chose allant de soi.
  • « pas religieux mais spirituel », groupe qui représente le religieux hors institution. Il est en petite progression de 15 à 18 % en dix ans, soit un tiers des personnes qui se disent sans appartenance religieuse. Et il est particulièrement présent chez les moins de 35 ans et les diplômés qui sont donc à la fois très souvent fortement sécularisés mais un peu plus ouverts au sacré et au surnaturel.

Les jeunes sont peu religieux, ils ne croient que rarement aux grands récits des religions institutionnelles mais ils peuvent être ouverts à des croyances que je qualifie de psycho-religieuses : forts de leur dynamisme vital, ils ont plus de mal que les plus âgés à imaginer que tout s’arrêtera avec la mort. Alors que le vieillissement rendrait les individus plus « réalistes » : les personnes âgées croient moins souvent à un futur sans fin que les jeunes. Il y aurait comme un effet d’âge qui expliquerait la propension des jeunes pour des croyances à un futur indéfinissable.

Les rapports aux croyances religieuses et les pratiques qu’elles occasionnent sont très variés et de plus en plus dérégulés par rapport aux grands dogmes des principales religions. Mais des minorités vivent souvent sur un mode radical et assez intransigeant les débats sur les religions, qu’elles défendent des modèles traditionnels soient ou des religiosités alternatives largement recomposées.

Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation France

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Décès inopiné d’Emilio Platti, o.p. |Avis de décès par l’Archidiocèse de Malines-Bruxelles

 

Le lundi 25 octobre 2021 est décédé à Louvain le père dominicain Emilio Platti, à l’âge de 78 ans. Fils d’un père italien et d’une mère flamande, il est né à Renaix le 2 janvier 1943. Après ses humanités au collège Sint-Antonius, il est entré chez les Dominicains le 8 septembre 1961; un an plus tard, il faisait ses premiers voeux, puis ses voeux solennels le 29 janvier 1967; il fut ordonné prêtre le 19 juillet 1969.

 Au service de l’Archevêché de Malines-Bruxelles, il a été consulteur pour les mariages entre chrétiens et musulmans de 1991 à 1995.

Après son ordination, Emilio poursuivit des études de théologie à l’Université Catholique de Louvain. Alors se manifesta son intérêt à regarder au-delà des murs du christianisme institutionnel et à discerner comment Dieu est présent en d’autres religions. Il pouvait passer plusieurs mois par an en Egypte, au Caire, notamment pour y étudier le christianisme arabe, auquel il consacra sa thèse de doctorat. Sa connaissance de l’islam le fit appeler à donner cours à l’UC Louvain (Louvain-la-Neuve), à l’Institut Catholique de Paris (ICP), à la KU Leuven, au centre flamand d’études religieuses (CKS), Lumen Vitae à Bruxelles, à l’Université Saint-Thomas (UST) de Manille aux Philippines. A Louvain, il fut aussi tout un temps professeur d’arabe.

Emilio était un homme rayonnant de joie de vivre, de dynamisme et de gratitude. Son engagement était toujours habité de sa passion pour les gens concrets, les chrétiens du Moyen-Orient, les musulmans de partout dans le monde; c’est ainsi que tout au long des années, il s’impliqua au Centre El Kalima de Bruxelles et au Foyer de Molenbeek.

Ses funérailles seront célébrées en l’église Sint-Jozef, Bogaardenstraat, à Louvain le samedi 30 octobre à 10 h 30. Ci-joint sa photo.

Koen Jacobs,

Service du personnel de l’Archevêché de Malines-Bruxelles

EmilioPlattir

Père Emilio Platti

Un témoignage des pratiques magiques de l’Antiquité : la tablette de malédiction de Tongres |The Conversation

En 2016, des fouilles de sauvetage dans la ville de Tongres, en Belgique, ont mis au jour un objet exceptionnel, une tablette de malédiction sur plomb, que le contexte archéologique permet de dater du dernier tiers du Ier siècle apr. J.-C. Tombée sur le sol, dans un niveau de circulation, la lamelle de plomb était encore munie d’un des clous qui avaient permis de la fixer, peut-être sur l’une des constructions de bois qui se dressaient dans le secteur. La tablette, remarquablement conservée, est actuellement présentée au Musée gallo-romain de Tongres et a fait l’objet d’une étude par une équipe multidisciplinaire de l’Université libre de Bruxelles (ULB).


Sur cette fine feuille de plomb, des dessins et des textes en grec et en latin ont été incisés avec une pointe de métal. ARON bvba

Alain DelattreUniversité Libre de Bruxelles (ULB)

 


Vue des fouilles (en rouge, l’emplacement de la tablette). Photo : ARON bvba

Des textes et dessins magiques

Sur cette fine feuille de plomb, large de 12 à 14 cm et haute de 12 cm, des dessins et des textes en grec et en latin ont été incisés avec une pointe de métal. Au premier registre, on voit sept charaktêres, c’est-à-dire des signes magiques, inspirés notamment de lettres de l’alphabet et pourvus de petits cercles. Ils surmontent un bandeau où se lisent des mots magiques, du type « abracadabra », que l’on appelle noms barbares ou voces magicae, sous lesquels se cachent souvent des noms divins (« Iabêl tabbou chithassous Iab »). On y reconnaît Iabêl, qui associe le nom d’origine hébraïque Iaô (Yahve) et la racine sémitique Baal, « seigneur ». En dessous, d’autres formules magiques ont été notées (« kisthê sankanthara »), ainsi que des signes ésotériques. Une structure triangulaire, qui évoque une stèle, occupe le centre de l’objet ; les cinq lignes de texte contiennent des noms divins et un impératif grec : dos, « donne ! » L’ensemble est entouré par un demi-cercle, où on retrouve une fois encore des formes du nom divin Iaô (« Ia, Iaô, Iô »), auquel est associée, à gauche, l’épithète Sabaôth (« (dieu) des armées »). Dans le bas de la tablette, une autre main a gravé finement une inscription latine : « C(aius) Iulius Viator quem peperit Ingenua », « Gaius Julius Viator, qu’a engendré Ingenua ». Le personnage est un citoyen romain, comme le montre sa dénomination (ses tria nomina), et il est ici la cible de l’objet, celui sur qui doit s’exercer la magie évoquée dans le texte grec et les dessins.


Fac-similé de la tablette de Tongres. dessin : Alain Delattre, Fourni par l’auteur

Une malédiction « orientale », mais une fabrication locale

L’usage du plomb, un métal associé au monde des enfers, ne laisse aucun doute sur la nature négative de l’objet. La tablette s’insère dans la série déjà riche des textes d’exécration ou défixion, dont des exemplaires ont été trouvés dans presque toutes les régions de l’Empire romain. Ce qui est plus surprenant, c’est l’origine clairement orientale des formules magiques et l’usage du grec dans un territoire du nord de l’Europe.

L’idée d’un objet importé, fabriqué en Méditerranée orientale et amené ensuite jusqu’à Tongres, doit être écartée. L’analyse isotopique du plomb montre en effet que le matériau provient des gisements de l’est de la Belgique ou de l’ouest de l’Allemagne : autrement dit la tablette a été confectionnée localement, à partir d’un modèle oriental.

Une langue commune magique

Trois autres tablettes de malédiction sur plomb présentent des similarités frappantes avec l’objet mis au jour en Belgique. La première a été découverte dans un puits, près du sanctuaire de Poséidon sur l’Isthme de Corinthe (Grèce), la seconde dans la nécropole païenne d’Hadrumète (Sousse, en Tunisie), la troisième provient de Carthage (Tunisie), sans plus de précision. Les trois tablettes adoptent une mise en page similaire à celle de Tongres ; les mêmes formules magiques et des séquences identiques de signes se retrouvent aux mêmes endroits ; seules de petites variations s’observent.


Tablette d’Hadrumète. BnF Gallica, dessin : Héron de Villefosse

 

Ainsi, la tablette de Carthage présente un texte de malédiction explicite : le complément de l’impératif dos, « donne ! », y est précisé : il s’agit de donner la mort (thanaton) à la cible.

La présence de ces textes en des lieux si variés et éloignés les uns des autres démontre l’existence d’un modèle dont se sont inspirés les auteurs des différents objets. Ce modèle figurait probablement dans un manuel de magie qui a largement circulé dans les provinces romaines, de la Grèce à la Tunisie et jusque sur le territoire de la Belgique actuelle. De tels livres, transportés par des soldats, des marchands ou des voyageurs, ont contribué à diffuser les idées et les pratiques magiques d’un bout à l’autre de l’Empire. Des manuels de ce genre ont été découverts en nombre en Égypte, où le climat a permis leur conservation.

Le contexte de la malédiction de Tongres

Les tablettes de défixion proviennent pour la plupart de contextes funéraires ou de lieux en rapport avec l’eau, des endroits naturellement en contact avec le monde souterrain et donc les divinités infernales. Les données archéologiques de la découverte de Tongres ne correspondent à aucun de ces contextes. Nous sommes ici plutôt en face d’un rare exemple d’une tablette de défixion dans la sphère domestique, en contact avec la victime, une pratique jusqu’ici connue surtout par des textes littéraires.

Tacite rapporte ainsi une anecdote à propos de la mort de Germanicus, dont les proches, jugeant suspecte la maladie dont il souffrait, avaient trouvé « sur le sol et sur les murs […] des formules d’envoûtement et d’exécration et le nom de Germanicus gravé sur des tablettes de plomb » (Annales 2, 69). La défixion de Tongres aurait donc pu être fixée, de manière non visible, sur le toit ou sur un mur de la maison de Gaius Julius Viator. Ce dernier, citoyen romain au Ier siècle de notre ère, appartenait probablement à l’élite de la cité des Tongres. Sa position sociale élevée a pu susciter des jalousies et provoquer la haine de l’un de ses contemporains, concurrent dans le monde des affaires ou de la politique, ou simplement rival amoureux. De nombreuses tablettes étaient destinées à blesser des adversaires dans le cadre des compétitions sportives, mais il faut probablement exclure ce motif dans le cas de Viator. La pratique de la magique maléfique était en tout cas monnaie courante à l’époque ; comme le signalait Pline l’Ancien au milieu du Ier siècle : « Il n’est d’ailleurs personne qui ne redoute d’être envoûté par des prières maléfiques » (Histoires naturelles 28, 4).


Pour en savoir plus, voir l’ouvrage de l’équipe multidisciplinaire qui a publié la tablette : Roxanne Bélanger Sarrazin, Alain Delattre, Daniel Demaiffe, Natasja De Winter, Alain Martin, Georges Raepsaet et Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier, avec la collaboration de Cecilia Melaerts-Saerens & Frank Scheppers, Iaô Sabaôth. Pratiques magiques dans la cité des Tongres : une tablette de défixion mise en contexte. Une version succincte de la recherche a été publiée dans la revue Latomus.

Alain Delattre, Professeur de papyrologie et d’épigraphie grecque, Université Libre de Bruxelles (ULB)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.