À Abidjan, la gouvernance en questions
Comme chaque semaine, les membres de l’association de fidèles Theos ont décidé de se réunir, à la Riviera Bonoumin, dans la commune de Cocody, à Abidjan. Avec, à l’ordre du jour ce samedi 5 février, une mise en commun des réponses au questionnaire du Synode, distribué en décembre 2021. Ces questionnaires doivent être retournés entre janvier et février par les différents groupes, mouvements et associations.
« Que chacun exprime son point de vue. Chacun doit se faire entendre », recommande d’emblée la fondatrice du groupe, Marie-Laure Abotcha-Boni, devant la trentaine de catholiques présents. Elle-même membre de l’équipe nationale de contact, Marie-Laure est bien consciente des obstacles au processus. Deux semaines plus tôt, elle assurait le 22 janvier à San-Pédro, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire, une formation sur le Synode aux missionnaires de la Consolata, pour mieux les préparer à répondre au questionnaire.
Seulement la moitié des catholiques sont informés de l’organisation de cette vaste consultation de l’Église universelle, et plutôt en milieu urbain, leur expliquait-elle, en reconnaissant aussi des problèmes de compréhension liés aux enjeux mêmes du Synode. « Une personne m’a interpellée en me disant qu’on lui avait remis le questionnaire synodal dans sa paroisse, mais que les explications fournies avec n’étaient pas assez claires. Les paroisses et structures ecclésiales sont parfois focalisées sur les besoins liés à leur fonctionnement quotidien, plus que sur le Synode. »
Un autre défi que l’Église ivoirienne pourrait mettre en lumière demeure le cléricalisme. « J’en ai fait l’expérience dans un autre diocèse, devant une assemblée de prêtres, poursuivait-elle devant les missionnaires. J’y intervenais avec deux prêtres. Quand ils s’exprimaient, il n’y avait aucun bruit. Mais quand cela a été mon tour, les prêtres se sont mis à bavarder… J’en ai demandé plus tard la raison à l’un d’eux : il m’a répondu qu’il leur était difficile de se laisser former par un laïc – et de surcroît, par une femme – dans un domaine qui relevait, à leurs yeux, de leur propre champ de compétences. »
Pour l’heure, ce 5 février à Bonoumin, les membres de Theos implorent l’Esprit Saint de les guider dans cette réunion sur le questionnaire synodal. Censées décliner la synodalité dans la culture ivoirienne, les premières questions – hasardeusement traduites à partir de proverbes locaux – suscitent des éclats de rire. « Devoir toujours prévenir celui avec qui l’on partage un tabouret avant de se lever, sinon on le fait tomber » a ainsi vocation à illustrer… la solidarité du groupe. Mais le ton devient rapidement plus sérieux lorsque est abordée la sixième question, portant sur l’organisation, la collaboration et les modes de gouvernance des structures ecclésiales. « L’organisation de certaines activités repose trop souvent sur les responsables », fait remarquer Morel, un des jeunes du groupe. Pour Gwladys, la sursollicitation de ces derniers explique parfois leur indisponibilité.
Son intervention suscite aussitôt un débat. « Il ne faut pas que les critiques se limitent aux responsables, réagit Max. Nous devons aussi faire notre autocritique. »« Certains nouveaux membres ici estiment qu’il y a un problème d’accueil, abonde alors Marie-Laure. Cela constitue un blocage à l’intégration des nouveaux venus. » Les discussions à bâtons rompus, pendant près de trois heures, n’auront permis de répondre qu’à six questions sur dix-sept. Mais beaucoup s’estiment satisfaits : « Tout le monde s’est exprimé, même ceux qui ne le font pas souvent. Lentement mais sûrement, nous marchons ensemble ! »
À Sao Paulo, une désillusion certaine
Après une pause de plusieurs semaines liée aux grandes vacances, les débats sur le Synode ont repris, chaque mercredi soir en ligne, au sein de la communauté ecclésiale de base (CEB) de Sao Mateus, dans la grande banlieue est de Sao Paulo. Mais l’enthousiasme des débuts a laissé place à une certaine morosité.
Peterson Prates, un participant de 25 ans très engagé dans la paroisse locale, ne cache pas son désabusement. « La première étape du Synode n’a pas rempli ses promesses. Suivant le calendrier, nous aurions déjà dû rendre notre copie au cardinal Odilo Scherer, notre archevêque, en décembre, alors que la phase d’écoute des fidèles se poursuit jusqu’en juillet », s’emporte-t-il devant cet échéancier bien court.
Pour ne pas briser sa dynamique, le petit groupe de Sao Mateus a décidé de poursuivre malgré tout les débats et de remettre la synthèse de ses réflexions directement à Rome, à l’été. Ce choix n’empêche pas les plus sceptiques de prendre leurs distances avec les débats ecclésiaux en cours. « J’ai mes doutes quant à l’efficacité de ce processus, car l’Église n’est pas préparée à écouter vraiment ce que les fidèles veulent pour son avenir », se désole Guto Godoy, maître en architecture et liturgie.
Certaines propositions concrètes tentent tout de même d’émerger au sein de la communauté. Au premier chef desquelles la volonté, particulièrement exprimée par les jeunes, que le niveau de responsabilité des femmes reflète davantage leur importance au sein de l’Église. « Le diaconat des femmes doit être au centre des débats, et nous voyons que le pape François a souhaité ouvrir cette réflexion », appuie Peterson. Face au manque de prêtres dans la gigantesque communauté périphérique de Sao Mateus, leur participation est une évidence au quotidien. « Nous voulons que la hiérarchie donne à ces personnes la place centrale qu’elles méritent », insiste-t-il. Autre piste clé, la volonté d’avoir une Église qui s’implique davantage dans le débat politique, alors que les Brésiliens seront eux-mêmes appelés aux urnes en octobre de cette année pour élire leur prochain président. Les membres de la CEB ne cachent pas leur hâte de voir Jair Bolsonaro (extrême droite) décorer l’ex-chef de l’État, Lula, de l’écharpe présidentielle auriverde.
Le groupe se fédère autour de l’Église, mais aussi contre le gouvernement actuel. « On ne rate pas une seule manifestation contre Bolsonaro. On va sur l’avenue Paulista avec les banderoles de la communauté. Nous sommes des catholiques engagés, en dedans comme en dehors de notre Église », confie Lis, qui coordonne les débats synodaux.
L’Église a participé activement à la démocratisation après les trente années de dictature, mais en 2022, elle laisse les militants des droits de l’homme perplexes. « C’est comme si les droits de l’homme étaient une préoccupation des communistes ! Pourquoi l’Église ne se positionne-t-elle pas ? », interpelle encore Peterson, qui travaille au cabinet d’un conseiller municipal de gauche. « Il faut dénoncer les abus de pouvoir, l’autoritarisme, la montée de l’extrême droite, les attaques à la démocratie… »
À Rouen, une intense session de réflexion
Ils sont une quarantaine à discuter jovialement, ce samedi 11 décembre au petit matin, autour d’un café et de viennoiseries disposées au fond d’une large salle du centre diocésain, sur les hauteurs de Rouen (Seine-Maritime). « C’est un peu une session de rattrapage pour les membres de notre Assemblée synodale qui n’avaient pu être là lors de notre précédente réunion dédiée, fin octobre », campe d’emblée Fabrice Madouas, responsable de la communication du diocèse.
Attablés devant leurs gobelets fumants, le père Benoît Bréant, curé de Saint-Pierre d’Yvetot, et Jean-Marc Létondot, membre de l’équipe pastorale, y représentent leur communauté, située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de l’agglomération normande. Quelques semaines plus tôt, ils ont réuni une vingtaine de fidèles, par petits groupes, pour réfléchir à la thématique « Coresponsables dans la mission », proposée par le Vatican dans le cadre du processus synodal.
« Nous venons aujourd’hui forts de tout ce que nous avons lu et entendu autour de nous. C’est le diocèse qui se chargera ensuite de faire une synthèse générale des propositions », glisse Jean-Marc Létondot. À quelques mètres de lui, Maïté Massot, la référente diocésaine du Synode, vient de s’emparer du micro pour annoncer le déroulé de ce nouveau rendez-vous : prière, répartition de l’assemblée autour de diverses tables rondes d’une heure trente, avant un temps de partage collectif pour clore la session.
Après s’être brièvement présenté, chacun des membres du groupe « Discerner et décider » est appelé à faire part de son expérience et à faire remonter ses doléances sur la gouvernance dans l’Église. « Comme toute structure humaine, l’organisation de l’Église est une question sensible », entame François, jeune retraité engagé dans la Pastorale des migrants, venu d’une commune à l’ourlet sud de Rouen. « Il faut bien accompagner tout changement de prêtres ou d’équipes pastorales, pour que cela n’implique pas d’exclusion ou n’attise de rancœurs au sein des communautés. »
Très vite, des questionnements affleurent et s’égrènent au fil des discussions, soulevant même ici ou là des désaccords – qu’on devine liés à différentes sensibilités ecclésiales – chez les participants. Y a-t-il des espaces de dialogue à réinventer au sein de l’Église ? Comment renforcer la place de l’écoute dans les processus décisionnels ? Comment, ensuite, annoncer tel ou tel choix, le réajuster si besoin ? Quels charismes choisir, au service de quelles responsabilités ?
Les débats sont loin de se tarir quand advient déjà le moment de rédiger deux propositions concrètes à faire remonter auprès de l’Assemblée synodale. Pour ce petit groupe, ce sera « veiller à garantir plus de transparence dans les modes de nomination des personnes en responsabilité », mais aussi instaurer des « points d’étape » pour leur permettre d’être mieux accompagnées tout au long de leurs missions.
De retour dans la salle commune, des délégués de chacun des autres groupes – « Célébrer », « Écouter », « Dialoguer dans l’Église et dans la société » – se relaient au micro pour présenter, à leur tour, leurs idées clés : prendre davantage part aux activités organisées dans les villes et villages, renforcer la visibilité des équipes d’aumônerie, oser être davantage une Église en sortie… Du grain à moudre jusqu’à la prochaine réunion de l’Assemblée synodale, prévue sur une journée entière le 26 mars prochain, dans le diocèse de Rouen.