Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

« Des pauvres au pape, du pape au monde », un improbable dialogue dans un livre à paraître 

Critique 

Dans Des pauvres au pape, du pape au monde, publié le 1er avril aux Éditions du Seuil, le pape François répond à des questions désarmantes de simplicité, posées par des membres de l’association Lazare, qui développe des colocations entre jeunes actifs et anciens sans-abri.

  • Loup Besmond de Senneville (à Rome), 
« Des pauvres au pape, du pape au monde », un improbable dialogue dans un livre à paraître
 
Le pape François reçoit des membres de l’association Lazare, le 27 août 2021 au Vatican. VATICAN MEDIA/EPA/MAXPPP

C’est un texte du pape d’un genre un peu particulier qui sera publié début avril. Un livre (1) qui est le fruit d’un singulier dialogue entre François et des membres de l’association Lazare, qui développe depuis 2010 des colocations entre jeunes actifs et anciens sans-abri. Et c’est justement à ces seconds que l’évêque de Rome a accepté de répondre, et dont les questions parfois désarmantes de simplicité font entrevoir une facette peu connue du pape François.

Le pape y aborde quelques points de sa vie personnelle, se décrivant comme « un homme quelconque », parfois « soupe au lait » ou « impatient », et même « un pauvre type » qui se lève à 4 heures du matin, non sans mal (« la première demi-heure, c’est un vrai zombi ! », dit le pape en parlant de lui), avant de prier puis de travailler. « Je suis un rêveur », affirme aussi François, reprenant un mot qu’il a souvent employé ces derniers mois dans ses discours. « Je prends parfois des décisions dans la précipitation, dans un sentiment d’autosuffisance », dit-il aussi.

Si François ne révèle aucune information vraiment nouvelle, c’est le ton employé par le pape qui rend ce livre attachant. Revenant par exemple sur les premières heures de son pontificat, il se souvient avoir été « secrètement » ému, et ne pas comprendre vraiment, neuf ans après, pourquoi il a été élu. « Je n’ai pas fait campagne, je n’ai payé personne, je n’ai pas de grands titres universitaires, je suis vieux. Bref : une vraie ânesse ! »

« Le grand péché social du monde est la mauvaise distribution de la richesse »

Mais surtout, au cours de ces plusieurs heures d’entretien mené en 2020 et 2021 par « huit pauvres », ici condensées en une centaine de pages, le pape se révèle en homme inquiet par « ce monde saturé d’injustice, d’arrogance, de dictatures, où la dictature particulière de l’exclusion et de la ségrégation est partout répandue »« Le grand péché social du monde est la mauvaise distribution de la richesse », affirme-t-il encore.

→ ANALYSE. Réforme de la Curie, une nouvelle conception du pouvoir ?

Mais dans ces pages, il est aussi celui qui conseille ceux qui ont traversé la « galère », comme disent eux-mêmes les membres de Lazare au tout début du livre. « Je sais que le découragement menace toujours, mais nous pouvons aider, tendre la main à ce pauvre, lui demander de faire un pas et l’accompagner jusqu’à ce qu’il l’ait fait. C’est notre devoir », dit le pape. Tel un grand-père consolant ceux qui se confient à lui.

« Des pauvres au pape, du pape au monde », un improbable dialogue dans un livre à paraître
 

(1) « Des pauvres au pape, du pape au monde », du pape François, 120 p., 13,50 €.

« L’atmosphère est totalement différente » : comment le pape François redéfinit le rôle de la Curie 

Enquête 

Dans une nouvelle constitution, publiée samedi 19 mars, le pape François fait de son appareil de gouvernement un outil plus tourné vers le monde, et chargé de faire remonter du terrain les meilleures initiatives prises par les catholiques. Un changement de culture radical.

  • Loup Besmond de Senneville, à Rome, 
« L’atmosphère est totalement différente » : comment le pape François redéfinit le rôle de la Curie
 
Le cardinal Marcello Semeraro (à d.) et Mgr Marco Mellino (au centre), lors de la présentation du programme de réforme de la Curie romaine, lundi 21 mars au Vatican.DOMENICO STINELLIS/AP

François est-il en train de mettre fin à la toute-puissance de la Curie ? En publiant, samedi 19 mars, la nouvelle constitution de la Curie romainePraedicate evangelium, dont les 250 articles entreront en vigueur le 5 juin, le pape François redéfinit très largement le périmètre et le rôle de l’appareil de gouvernement de l’Église.

À tel point que certains pronostiquent un affaiblissement général pour une administration qu’ils percevaient autant comme déconnectée du terrain que toute-puissante.

Un changement de culture déjà engagé

En réalité, en affirmant que la Curie romaine n’est plus seulement une administration au service du pape mais une forme de mission au service des évêques, François rappelle que ceux qui travaillent dans les divers dicastères ont d’abord une mission d’assistance de l’Église, et plus seulement de contrôle. Le texte publié samedi vient en fait expliciter un changement de culture déjà progressivement mis en œuvre depuis le début de son pontificat.

« Il y a plusieurs années, lorsque nous venions, nous avions l’impression d’être devant des inspecteurs », témoignait ainsi un évêque français à l’automne dernier, lors de la visite ad limina des responsables catholiques français, au cours de laquelle tous les évêques du monde doivent venir à Rome pour rendre compte de leur mission. « Désormais, on a l’impression d’être davantage écoutés, poursuivait la même source. Nos interlocuteurs nous posent des questions, nous écoutent. L’atmosphère est totalement différente. »

Un outil pour être en prise avec le monde

Ce rôle de la Curie comme outil permettant au Vatican d’être en prise avec le monde – par exemple à travers des consultations des conférences épiscopales avant la rédaction d’un texte important – est clairement exprimé dans la constitution.

→ EXPLICATION. Vatican : les précédentes réformes de la Curie romaine

« Parce qu’elle est un instrument au service de la communion, la Curie romaine, en vertu de la connaissance qu’elle tire de son service à l’Église universelle, est en mesure de recueillir et d’élaborer la richesse des meilleures initiatives et des propositions créatives en matière d’évangélisation avancées par les différentes Églises particulières », a ainsi affirmé lundi 21 mars Mgr Marco Mellino, le secrétaire du Conseil des cardinaux, au cours d’une conférence de presse.

Le rôle du Synode des évêques

Autre nouveauté exprimée par celui qui fut l’une des chevilles ouvrières du document : il est désormais clair que la Curie n’est plus le seul instrument à la disposition du pape pour diriger l’Église universelle. Là encore, la pratique est déjà mise en œuvre, puisque François a pour habitude de confier des travaux de réflexion à des proches ou des experts n’appartenant à aucun dicastère.

→ EDITO. Réforme de la Curie : conversion

Cette fois, a souligné Mgr Marco Mellino, il s’agit d’aller encore plus loin. « Il est important de souligner que la Curie romaine et le Synode des évêques (…) sont les institutions que le Saint-Père utilise ordinairement dans l’exercice de sa fonction pastorale suprême et de sa mission universelle dans le monde », a déclaré le prélat italien, qui a, pour ainsi dire, mis la Curie et le Synode sur un pied d’égalité : « Ce sont les deux institutions sur lesquelles le pape s’appuie », a-t-il insisté.

À côté d’elles une troisième va perdurer, car le pape a bien l’intention de continuer à réunir régulièrement son Conseil de cardinaux, initialement créé pour penser la réforme de la Curie. François compte s’appuyer sur lui pour prendre ses décisions. Leur prochaine réunion est d’ailleurs prévue le 25 avril.

Renforcement du pouvoir personnel du pape

Mais à côté de ce que François appelle dans le texte une « saine décentralisation »Praedicate evangelium renforce aussi considérablement le pouvoir personnel du pape. Plusieurs articles énoncent ainsi clairement qu’outre les nominations, qu’il opère personnellement, le pape est désormais incontournable pour prendre toute une série de décisions.

C’est le cas, par exemple, pour la constitution d’une commission de travail entre deux dicastères, ou encore de toutes les « décisions et les résolutions concernant des questions d’importance majeure ». Le texte établit également que « dans les affaires importantes ou extraordinaires, rien ne doit être fait avant que le chef d’une institution curiale ne l’ait communiqué au Pontife romain ».

Une fermeté emblématique du mode de travail déjà mis en œuvre par François, qui a pour habitude, après de larges consultations, tous azimuts, de prendre seul ses décisions. « Personne ne peut dire quand finira le pontificat, analysait l’un de ses collaborateurs il y a quelques semaines. Mais une chose est sûre : le pouvoir personnel du pape en sortira indéniablement renforcé. »

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Forme extraordinaire, la « faute d’inattention » des rédacteurs

Dès sa parution, la nouvelle constitution de la Curie a surpris les observateurs les plus attentifs qui n’ont pas manqué d’y relever, dans son article 93, la mention de la « forme extraordinaire du rite romain ».

Or, cette expression a été abolie par le motu proprio Traditionis custodes, qui a très fortement restreint en juillet dernier la possibilité de célébrer la messe tridentine. Interrogé sur ce point, lundi 21 mars, Mgr Marco Mellino, le secrétaire du Conseil des cardinaux, a admis une « faute d’inattention ». « Ce sera corrigé », a affirmé ce juriste italien. Qui a plaidé une « erreur humaine ».

Guerre en Ukraine : ce que se sont dit le pape François et le patriarche de Moscou au téléphone 

Analyse

Le pape François et le patriarche russe Kirill ont échangé au téléphone mercredi 16 mars, d’après un communiqué publié par le Patriarcat de Moscou. Il s’agit du dernier développement des initiatives auxquelles participe le pape sur un plan spirituel pour implorer la fin de la guerre.

  • Loup Besmond de Senneville (à Rome), 

Lecture en 4 min.

 

Guerre en Ukraine : ce que se sont dit le pape François et le patriarche de Moscou au téléphone
 
Le pape François rencontre le patriarche russe Kirill à La Havane, Cuba, le 2 février 2016.STR/MAXPPP

« La guerre n’est jamais la solution. »

Mais les éléments diffusés par le Vatican insistent aussi sur d’autres points. « L’Église, a convenu le pape avec le patriarche, ne doit pas utiliser le langage de la politique, mais le langage de Jésus », peut-on y lire, alors que Kirill est souvent pointé du doigt pour sa trop grande proximité avec le Kremlin.

Le pape François a aussi affirmé au patriarche que « les guerres sont toujours injustes. Car c’est le peuple de Dieu qui en paie le prix. (…) La guerre n’est jamais la solution. »

« Ceux qui paient la facture de la guerre, ce sont les gens, ce sont les soldats russes et ce sont les gens qui sont bombardés et qui meurent », a également affirmé le pape à Kirill, selon le communiqué du Vatican.

→ DOSSIER. Guerre en Ukraine et religion, tous nos articles

Cet entretien a eu lieu en présence du métropolite Hilarion, « ministre des affaires étrangères » du Patriarcat de Moscou, et du cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. L’annonce de cette conversation, en faveur de laquelle plaidait un certain nombre d’experts au sein même du Vatican, fait suite à une série d’initiatives prise par le pape dans le champ spirituel.

Offensive spirituelle

Première d’entre elles : l’utilisation par le pape, dimanche 13 mars, de l’expression « Dieu de la paix », et le rappel que tous ceux qui soutiennent la violence « profanent » le nom de Dieu, a été interprétée par de nombreux observateurs comme une réponse au patriarche Kirill. Depuis le début de l’attaque russe en Ukraine, fin février, le patriarche de Moscou a apporté à plusieurs reprises son soutien à la guerre, la décrivant dans ce qui transparaît de ses discours comme une forme de guerre sainte.

Dans une homélie très remarquée, dimanche 6 mars, le patriarche de Moscou, Kirill, avait en effet placé le conflit en Ukraine sur le plan « métaphysique » de l’affrontement entre la « loi de Dieu » et le « péché ». Dimanche 27 février, il avait déjà fustigé ceux qui luttent – qualifiés de « forces du mal » – contre l’unité historique de la Russie et de l’Ukraine.

« Pardonne-nous, Seigneur, si nous continuons à tuer notre frère »

Deuxième élément de l’« offensive spirituelle » entamée par François : la décision, annoncée le 15 mars par le Vatican, de consacrer la Russie et l’Ukraine au cœur immaculé de Marie. Un geste hautement symbolique, qui avait déjà été pratiqué par plusieurs papes du XXe siècle, particulièrement en temps de guerre ou de tensions très fortes. En 1942, Pie XII avait ainsi consacré le monde au cœur immaculé de Marie, tandis que Jean-Paul II fit de même, en 1981 et 1984. À l’époque, le pape polonais n’avait pas voulu consacrer explicitement la Russie, pour ne pas froisser la Russie ou le Patriarcat de Moscou.

→ À LIRE. Le pape va consacrer l’Ukraine et la Russie au Cœur immaculé de Marie

Mais en annonçant cette double consécration, de la Russie et de l’Ukraine, à laquelle le pape procédera lui-même vendredi 25 mars, jour de l’Annonciation, à la basilique Saint-Pierre, le pape François a voulu poursuivre ses réponses spirituelles à la guerre, endossant son rôle de chef religieux, parallèlement au travail mené par sa diplomatie.

« Arrête la main de Caïn ! »

Enfin, François a lu mercredi 16 mars, avant de s’entretenir avec Kirill, une prière très forte pour implorer Dieu de mettre fin aux violences en Ukraine. « Pardonne-nous, Seigneur, si nous continuons à tuer notre frère, si nous continuons comme Caïn à enlever des pierres de notre champ pour tuer Abel », a-t-il ainsi supplié.

Le pape a aussi prié, sans la nommer, pour la Russie, identifiée ici à Caïn. « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, nous t’implorons ! Arrête la main de Caïn ! », a-t-il prié. Avant de poursuivre, un peu plus loin : « Et quand tu auras arrêté la main de Caïn, occupe-toi de lui aussi. C’est notre frère. »

Une coopération culturelle entre les Églises

En plus des canaux diplomatiques classiques, le Vatican s’efforce, depuis le début de la crise, de maintenir ouverte la possibilité d’un canal de communication avec le Patriarcat de Moscou. Le patriarche et le pape, qui s’étaient rencontrés en 2016 à Cuba, avaient prévu de se revoir en juin, dans un lieu qui n’avait pas encore été défini.

Mais ce projet, sur lequel Moscou et Rome travaillaient encore quelques jours avant le début de la guerre, n’est désormais plus à l’ordre du jour, selon plusieurs sources vaticanes. « On voit mal comment une rencontre serait de nouveau possible avec Krill, quel que soit le pape », explique l’une d’entre elles.

→ À LIRE. Guerre en Ukraine, ce que veut faire le Vatican

Le Vatican et le Patriarcat de Moscou n’entretiennent plus non plus, officiellement, de relations sur le plan théologique. Moscou a en effet quitté en 2018 la table des discussions menées par l’Église catholique avec toutes les Églises orthodoxes, notamment pour protester contre la place qu’y occupait le Patriarcat de Constantinople.

Les deux Églises entretiennent en revanche des relations en matière de formation, qui passent notamment par l’octroi de bourses, par le Vatican, à des prêtres russes afin qu’ils puissent étudier dans des universités pontificales, à Rome. Une « coopération culturelle » qui se poursuit.

Le patriarche Kirill s’est également entretenu, quelques heures après l’avoir fait avec le pape, avec le primat de la Communion anglicane, le Dr Justin Welby.

 

Un rapport analyse la « gravité croissante » des actes antireligieux 

Les faits

Exclusif. Une mission sur les actes antireligieux en France dresse un constat inquiétant, qui touche tous les cultes, et avance des propositions pour mieux répondre au phénomène. L’an dernier, 1 659 actes antireligieux ont été recensés.

  • Bernard Gorce, 

Lecture en 2 min.

 

Un rapport analyse la « gravité croissante » des actes antireligieux
 
Photo d’illustration : vol et profanation dans l'église Saint-Symphorien de Genouilly (Cher), le 5 janvier 2022.BENOIT MORIN/BERRY REPUBLICAIN/MAXPPP

C’est un phénomène qui s’installe dans la durée et s’accentue dans son intensité. Dans un rapport sur les actes antireligieux en France, qui sera remis jeudi 17 mars au premier ministre, les députés Isabelle Florennes (MoDem) et Ludovic Mendes (LREM) dressent un constat inquiétant qui touche tous les cultes et traduit une « une manifestation de la montée de la violence dans la société ».

→ ANALYSE. Près de 1 400 actes antireligieux en 2021 en France, le gouvernement lance une mission

Selon les chiffres publiés en début d’année par le ministère de l’intérieur, 1 659 actes antireligieux ont ainsi été recensés en 2021, dont 857 faits antichrétiens, 589 faits antisémites et 213 faits antimusulmans. Ce tableau représente « très certainement une sous-estimation » de la réalité, assure le rapport qui revient sur le dispositif de collecte de l’information.

« Augmentation des atteintes aux personnes »

Le sujet est délicat : difficile de distinguer l’acte de vandalisme d’une profanation d’une église, l’agression raciste d’une violence antimusulmane ou antisémite. La France ne dispose pas, en outre, de statistiques ethniques ou religieuses. Pour compléter les données des ministères de l’intérieur et de la justice, les pouvoirs publics se basent sur le service central de renseignement intérieur (SCRT) qui réalise « un travail de filtrage extrêmement minutieux », en s’appuyant notamment sur les remontées de terrain.

→ ENQUÊTE. Antisémitisme, la convergence des haines

Partant de là, le rapport tire trois leçons : sur la durée, ces remontées dessinent « un plateau », avec des actes qui oscillent entre 1 500 et 2 000 par an depuis 2015. Plus inquiétant, les députés constatent une « gravité croissante des faits ». Pour résumer, on est passé d’atteintes aux biens aux atteintes aux personnes dans l’espace public puis dans la sphère privée. Les juifs ont été les premiers a en être la cible avec le développement d’un « antisémitisme de proximité », tragiquement révélé par les meurtres de Sarah Halimi en 2017 et Mireille Knoll en 2018.

« Les actes anticatholiques semblent aujourd’hui suivre le même chemin, avec une augmentation des atteintes aux personnes », relèvent les auteurs. Les faits antimusulmans s’expriment aussi par « des menaces à l’encontre des membres de la communauté ». Personne n’est à l’abri. Le représentant de l’Union bouddhiste de France, auditionné, pense que « ce n’est plus qu’une question de temps » avant que les bouddhistes soient confrontés à des problèmes de sécurité.

Informations parcellaires

La troisième leçon est que les actes antireligieux sont largement sous-estimés – comme c’est le cas des discriminations ou actes racistes. Les rapporteurs s’appuient sur les enquêtes de victimation produites notamment par l’Insee ou des études internationales. Les raisons sont notamment liées à une sous-déclaration des faits par peur des représailles, sentiment d’humiliation ou encore souhait de ne pas « créer de problèmes ». Le faible taux d’élucidation des affaires peut également décourager les victimes : en 2021, sur les 1 659 actes recensés, seules 234 font état d’auteurs interpellés, soit 14 % des dossiers.

→ REPORTAGE. « Les gens ne portent pas plainte » : actes antireligieux, un phénomène difficile à mesurer

Parmi les onze propositions qu’elle formule, la mission demande une « communication plus complète sur les chiffres et les dispositifs mis en œuvre (…), idéalement interministérielle ». En général, le ministre de l’intérieur livre des informations parcellaires, parfois au détour d’une interview dans la presse. Elle souhaite « une connaissance plus fine » des actes antireligieux « pour permettre d’évaluer plus précisément le nombre de victimes ». Elle « encourage fortement » les pouvoirs publics, les cultes et les spécialistes « à progresser dans l’objectivation de la notion ».

L’État s’est mobilisé depuis plusieurs années pour renforcer la sécurité des lieux de culte et accompagner leurs responsables. Le rapport, qui met en exergue quelques bonnes pratiques, recommande un renforcement de cette action, notamment à l’échelon préfectoral. Sur le plan culturel, il plaide pour le soutien au dialogue interreligieux et pour l’enseignement du fait religieux à l’école.

Zohra, musulmane, marchera pour le climat dans « le cortège des convictions » 

Cette mère de famille, qui tente de suivre, au quotidien, « un modèle d’éco-spiritualité », a été séduite par cette initiative interreligieuse présente dans plusieurs défilés, ce samedi 12 mars.

  • Sixtine Lerouge, 
Zohra, musulmane, marchera pour le climat dans « le cortège des convictions »
 
Une marche pour le climat, à Amiens (Somme), le 22 janvier 2022.MANON CRUZ/LE COURRIER PICARD/MAXPPP

Le débit de parole de Zohra Abib-Boulif traduit la passion qui l’anime : l’islam et l’écologie. Et pas question de séparer les deux. Le lien entre religion et environnement, elle l’a fait depuis longtemps. Samedi 12 mars, c’est sous ces deux bannières qu’elle prendra part à la marche pour le climat de Paris au sein du « cortège des convictions ». L’initiative est une première, portée par un large panel d’associations et d’organisations de confessions diverses.

Zohra ne s’en cache pas, sa dernière manifestation pour le climat remonte à « trois ou quatre ans »« Je vais plus souvent à celles pour la justice sociale », précise cette mère de deux enfants adultes. Mais cette année, l’aspect interreligieux proposé par le cortège l’a séduite. « C’est surtout ça que je veux défendre », appuie-t-elle, convaincue que « la religion a un rôle à jouer » si les responsables religieux s’emparent des questions environnementales.

Étudier le lien entre islam et environnement

Une idée qu’elle a poursuivie en intégrant le programme de formation interreligieux Emouna de Sciences Po Paris en 2021. Au fil de ses échanges avec d’autres croyants de confessions différentes, sa conviction est d’autant plus ancrée : « Les textes de chaque religion foisonnent de passages sur l’environnement. » Elle-même a découvert cette richesse en étudiant les textes de l’islam « en long, en large et en travers ». Un désir né de sa reconversion professionnelle d’ingénieure dans les énergies renouvelables à aumônière des hôpitaux.

→ TRIBUNE. Appel interconfessionnel sur le climat : « Le temps est venu d’un nouvel enracinement »

Mais « on n’oublie pas nos expériences antérieures, souligne Zohra. Donc j’ai commencé à regarder ce que disait le Coran au sujet de l’environnement. » Elle découvre une profusion de textes dont la lecture incite à un comportement « respectueux » de l’environnement. À commencer par le verset sur le rôle de Khalifa (vicaire) donné à l’homme : « Nous sommes dépositaires de la terre. Nous devons lui témoigner notre respect et lutter contre les actes immoraux envers l’ensemble de la création. »

Si l’environnement n’a pas toujours été une priorité, à un moment, « il y a toujours quelque chose qui dérange la conscience ». Son déclic a lieu au début des années 2000. Encore ingénieure, elle développait alors le réseau téléphonique en Afrique. Sur place, le manque d’énergie et le « gaspillage » du mode de vie occidental, entraîné par « nos habitudes de surconsommation », lui sautent aux yeux.

« Actions concrètes de terrain »

Zohra entame une première conversion dans les énergies renouvelables, « sans savoir où j’allais, mais convaincue de ce que je faisais ». Avec l’aide d’une association, elle s’investit sur le continent africain pour développer des formations à destination des habitants, afin de les aider « à développer leur propre énergie ».

Désormais aumônière musulmane dans un hôpital francilien, elle a conservé de cette expérience son goût pour les « actions concrètes de terrain ». Persuadée de leur efficacité, Zohra s’applique à faire bouger les choses au sein de sa communauté.

→ ENTRETIEN. Cécile Renouard : « La transition écologique, c’est avancer de façon heureuse et solidaire »

Pour le Ramadan, qui commence en avril prochain, « j’ai proposé que l’on remplace les bouteilles d’eau (pour la rupture du jeûne) par des gourdes dans la mosquée ». Elle a aussi développé une proposition de « Ramadan vert », envoyée à plusieurs acteurs de la communauté musulmane, détaillant dix bonnes actions pour éviter le gaspillage pendant cette période. Et rappelle que « le Prophète ne nous a jamais dit de consommer comme des fous furieux ».

« Quand on arrête de gaspiller, c’est pour partager »

À son échelle, Zohra tente de faire ce qu’elle peut, en suivant au mieux ce qu’elle nomme un « modèle d’éco-spiritualité » musulman. Exigeante, elle « ne (se) ne donne pas pour autant dix sur dix ». Pour se réfréner, elle se demande souvent : « Est-ce que tu en as vraiment besoin ? »

→ GRAND FORMAT. Réchauffement climatique : les larmes de l’Himalaya

Une question qu’elle pose aussi à ses enfants, dès que l’occasion se présente, jusqu’à suivre sa fille dans les rayons des magasins, en lui ressassant ce verset : « Les gaspilleurs sont les frères du diable. »

Elle en rit, mais sa logique est que « quand on arrête de gaspiller, c’est pour partager ». Partager la terre, avec ses contemporains et les générations à venir. Samedi, Zohra, fidèle à ses idées, marchera auprès des croyants, « pour le climat et la mobilisation interreligieuse ».