Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Antisémitisme : la communauté juive de France est la plus préoccupée par sa sécurité en Europe 

Analyse 

Réunie en conférence annuelle à Budapest lundi 20 et mardi 21 juin, l’Association juive européenne a dévoilé pour la première fois un indice de qualité de la vie juive en Europe. Cette enquête montre que la France est le pays européen sondé dans lequel les Juifs se sentent le moins en sécurité.

  • Juliette Paquier, 
Antisémitisme : la communauté juive de France est la plus préoccupée par sa sécurité en Europe
 
Des milliers de personnes lors d’un rassemblement à l’esplanade du Trocadéro, à Paris, pour « réclamer justice » dans l’affaire Sarah Halimi, le 25 avril 2021.JULIEN DANIEL/MYOP

En comparaison avec ses homologues européennes, la communauté juive française est la plus traversée par un sentiment d’insécurité, alors même que les actions du gouvernement envers les Juifs dans le pays sont perçues comme les plus performantes. Ce paradoxe est l’un des enseignements majeurs d’une vaste enquête commandée par l’Association juive européenne (EJA), présentée lors de sa conférence annuelle, lundi 20 juin, à Budapest.

L’étude, présentée pour la première fois sous la forme d’un « indice de qualité de la vie juive », rassemble les résultats de différents sondages (1) et données gouvernementales. Elle prend en compte quatre critères distincts : « la performance du gouvernement vis-à-vis de la communauté juive »« l’attitude de la population envers les Juifs et Israël »« l’antisémitisme » et « le sentiment d’insécurité perçu par les Juifs dans le pays ».

Chacun des 12 pays de l’Union européenne concernés par l’étude, dont la France, la Belgique, l’Italie, l’Espagne ou encore les Pays-Bas, se voient décerner un score sur 100, selon chaque paramètre.

La France championne de l’insécurité ressentie

En France, si les mesures gouvernementales sont perçues positivement comme les plus performantes (83/100), la communauté juive du pays est aussi celle qui ressent le plus d’insécurité (31/100). « Cette enquête confirme le paradoxe qui existe entre l’action gouvernementale, comme les lois contre le boycott de produits israéliens ou contre l’antisionisme, et les effets de ces mesures sur le ressenti de la communauté juive dans le pays, analyse Joël Mergui, président du consistoire israélite de Paris. Malgré ces mesures, nous assistons à la montée des actes antisémites, de l’islamisme radical et la présence policière aux abords des lieux de vie juive est moins visible… Tout cela crée un climat d’inquiétude pour les Juifs de France. »

Les attentats qui ont visé la communauté juive ces dernières années, mais aussi certaines décisions judiciaires, à l’instar de l’affaire Sarah Halimi – dont le meurtrier a été jugé pénalement irresponsable –, ont « porté atteinte à la confiance des Juifs de France », selon le président du consistoire de Paris.

Face à ce constat, Joël Mergui estime qu’« il faudrait augmenter la présence policière autour des lieux de vie juive. La visibilité de la sécurité a un rôle fondamental pour rassurer une communauté juive traumatisée par les attentats, même si cela ne nous empêche pas de continuer à vivre une vie à peu près normale. »

Collaboration européenne

« Il ne s’agit pas seulement de mesurer un seul paramètre, comme l’antisémitisme, ce qui a déjà été fait, explique Daniel Staetsky, statisticien pour l’Institute for Jewish Policy Research, auteur de l’étude, mais de donner aux gouvernements des données concrètes sur des thématiques ciblées pour améliorer la vie des Juifs en Europe. »

L’indice permet d’évaluer les disparités entre pays. Ainsi, la Suède semble être moins traversée par l’antisémitisme, mais la liberté d’y pratiquer sa religion, à travers l’accès aux produits casher ou la pratique de la circoncision, est moins respectée. « Il existe la crainte d’une contagion d’atteinte à la liberté religieuse au niveau européen », souligne Joël Mergui.

« C’est pourquoi il est important d’être en contact avec les responsables des autres communautés, car nos destins sont liés », poursuit-il. Avec l’objectif d’œuvrer ensemble, pour qu’il y ait «une corrélation entre les mesures gouvernementales et le ressenti de la population juive qui vit en Europe depuis des millénaires et a légitimement le droit de s’interroger sur son avenir».

« Assurer la possibilité de vivre en Europe »

Selon le classement final, tous critères confondus, l’Italie obtient le meilleur « score » (71/100), la France se place huitième (63/100), et la Belgique arrive dernière (50/100). Les débats autour de l’interdiction de l’abattage rituel dans le pays le placent en dernier en matière de performance du gouvernement, mais aussi d’antisémitisme.

« Nous voulons assurer la possibilité, pour la communauté juive, de vivre en Europe, souligne Menachem Margolin, rabbin de Bruxelles et président de l’Association juive européenne. C’est le moment d’encourager tout le continent à faire mieux. »

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Une rencontre à Budapest

La conférence annuelle de l’Association juive européenne réunit, lundi 20 et mardi 21 juin, plus de 250 participants, dans la capitale hongroise.

Les discussions porteront sur la préservation de la judaïcité sur le continent, de la liberté de culte et de religion à la question mémorielle, en passant par la culture juive ou encore l’instrumentalisation de la Shoah contre les Juifs. La question des réfugiés ukrainiens sera également abordée.

Les recommandations qui résulteront de ces échanges seront soumises au vote de 120 délégués des communautés, puis transmises aux gouvernements des 27 États de l’Union européenne.

(1) Plusieurs études de l’Institute for Jewish Policy Research, dont Experiences and perceptions
of antisemitism. Second survey on discrimination and hate crime against Jews in the EU, menée auprès de 16 000 Juifs européens en 2018 et publiée par la European Union Agency for Fondamental Rights.

Burkini : « Un signe religieux n’est pas automatiquement signe d’asservissement »

 
tribune
  • Rémi CaucanasHistorien, professeur à l’Université Saint-Paul (Ottawa)

Vu du Canada et du Québec, la passion française pour le sujet du burkini surprend. L’historien Rémi Caucanas raconte l’indignation que peuvent susciter ces interrogations laïques très françaises, et montre comment ces discussions contemporaines s’inscrivent dans l’histoire longue de la sécularisation.

  • Rémi Caucanas, 
Burkini : « Un signe religieux n’est pas automatiquement signe d’asservissement »
 
« La culture francophone serait-elle plus menacée par les voiles islamiques que ne le serait la culture anglo-saxonne ? »BERNA NAMOGLU/STOCK ADOBE

« La France accueillera les Jeux olympiques d’été de 2024. Permettra-t-elle aux athlètes portant le hidjab de participer aux Jeux olympiques ? » C’est la question que l’on pouvait lire encore récemment dans le Globe and Mail, le grand quotidien anglophone de Toronto. Le journal canadien pointait alors le paradoxe d’une France qui défend à l’ONU les droits à l’éducation des filles afghanes tout en réfléchissant à exclure de l’espace public des femmes musulmanes sous prétexte qu’elles seraient voilées.

À l’heure du débat hexagonal sur le port du burkini dans les piscines municipales, le Canada et ses voix anglophones formulent plusieurs interpellations, certaines n’hésitant donc pas à s’indigner de ce qui est perçu comme une discrimination religieuse dans le milieu du sport français. « De quoi la société se mêle-t-elle ? » n’hésitent pas à souligner des défenseurs des droits de l’homme (et des femmes), qui déplorent au passage que, encore une fois, le corps des femmes fasse l’objet d’un débat dont l’enjeu reste plus la domination masculine que l’émancipation féminine. « Que gagnerait-on à exclure des femmes voilées de l’espace public ? » s’interrogent des voix plus simplement pragmatiques qui se demandent pourquoi la France s’entête à se priver systématiquement de compétences humaines. « Aux prises avec ses peurs, la France est-elle encore en mesure de prétendre à l’universalité dont elle se targue ? » ironisent les plus critiques qui n’hésitent pas à rapprocher leurs critiques de celles qu’ils adressent à la province du Québec.

Expériences d’égalité

Car au Canada même, le Québec se distingue par ses initiatives législatives en la matière, mettant en avant une identité culturelle particulière. Le débat y remonte au moins à la commission Bouchard-Taylor de 2007 et a connu quelques épisodes marquants comme l’adoption de la Charte des « valeurs québécoises » en 2013 et de la Loi sur la laïcité de l’État, dite « Loi 21 » en 2019. Il y a quelques mois, le scandale a éclaté quand, en application de la loi, une enseignante de Chelsea, dans l’ouest de la province, a été retirée de sa classe d’une école primaire parce qu’elle portait le voile. La culture francophone serait-elle donc plus menacée par les voiles islamiques que ne le serait la culture anglo-saxonne ? Des contre-exemples de l’Ouest africain viendraient rapidement apporter des nuances intéressantes. L’insécurité culturelle qui ressort des cas français et québécois n’est-elle pas alors à mettre en relation avec un certain rapport au religieux ? En France comme au Québec, il est indéniable que le religieux fait partie de ces zones sensibles.

Sensibles, car tout symbole religieux rappelle une emprise catholique aujourd’hui reniée. En France comme au Québec, la sécularisation n’a pas encore fini de travailler les cœurs et les esprits. En parallèle, une forme d’insécurité culturelle est alimentée par les vagues sans cesse plus puissantes d’un multiculturalisme anglo-saxon qui s’affirme en même temps que cette mondialisation finalement trop globale pour correspondre à la notion plus latine d’universalité.

Le prix de la fraternité

Entre des mémoires douloureuses et une sécularisation qui peut être agressive, la ligne de crête est souvent périlleuse. Prendre la défense des signes musulmans revient pour certains à se faire complice d’une islamisation de la société et trahir l’œuvre de christianisation, ou bien contribue à entretenir un conservatisme contraire à l’émancipation féminine. Et prendre la défense d’une laïcité exclusive revient pour d’autres à alimenter l’islamophobie ambiante, se faisant de fait infidèle au message évangélique.

Aussi sommes-nous peut-être d’abord appelés à l’humilité : celle qui favorise l’écoute des peurs et des blessures, souvent partagées en fait… « Hôpital de campagne » disait le pape François. Humilité… et exigence ! Car il faut aussi expliquer qu’un signe religieux n’est pas automatiquement signe d’asservissement et de domination ; que des discours musclés en faveur d’une émancipation féminine ne coïncident pas toujours avec des aspirations intérieures qui peuvent être bien plus libératoires que des lois agressives ; que la défense arc-boutée d’une certaine identité ne contribue pas forcément à sa préservation mais entraîne plutôt son étranglement. Bref, c’est parce que l’on exigera la liberté et l’égalité pour toutes et tous que l’on bâtira la fraternité et qu’on contribuera peut-être ainsi à l’universalité de la France, au rayonnement de sa culture et de sa devise républicaine.

« Les Gardiennes du secret » et « Le Harem politique » : l’islam est aussi une affaire de femmes 

Critique 

Deux publications récentes chez Albin Michel, dont une réédition en poche d’un ouvrage de référence de 1987, rendent hommage à la présence féminine dont « bruisse » le Coran.

  • Mélinée Le Priol, 

 

« Les Gardiennes du secret » et « Le Harem politique » : l’islam est aussi une affaire de femmes
 
Des femmes assistent à la prière du matin de l’Aïd-El-Kébir, à Dubaï, le 11 août 2019.KARIM SAHIB/AFP

Les Gardiennes du secret. Les grandes figures féminines de l’imaginaire musulman

Karima Berger

Albin Michel, 300 p., 21,90 €.

Le Harem politique. Le Prophète et les femmes

Fatima Mernissi

Albin Michel, 336 p., 9,90 €.

Les relations entre les femmes et le prophète de l’islam n’en finissent pas de créer la polémique. Au Royaume-Uni, une chaîne de cinémas vient de déprogrammer un film sur Fatima, fille de Mohammed et épouse d’Ali, après des manifestations dans plusieurs villes. En Inde, deux responsables du parti au pouvoir ont été accusés d’avoir tenu des propos « insultants » sur la relation entre le prophète et sa plus jeune épouse, Aïcha, provoquant une grave crise diplomatique.

Or Aïcha est l’une des « gardiennes du secret » que l’écrivaine franco-algérienne Karima Berger tient à exhumer « de la poussière accumulée par le temps et ses lois ». Le titre de son dernier livre fait référence à un verset coranique pour le moins énigmatique : « Les femmes sont les gardiennes du secret de ce que Dieu garde secret » (Coran 4,34).

Des gardiennes, la présidente du Prix écritures et spiritualités en réhabilite bien d’autres, notamment les figures bibliques d’Ève, d’Agar ou de Marie, aussi présentes dans le Coran. Autant de femmes révélatrices d’une certaine capacité – proprement féminine, à en croire Karima Berger – de « discernement des signes divins »« Marie illustre combien le divin a besoin de féminin pour se manifester », écrit-elle notamment, non sans s’être agacée au préalable de la manière dont la tradition chrétienne a « emprisonné » Marie dans son « unique destin de mère ».

C’est bien plutôt une femme de désir que Karima Berger voit dans la mère de Jésus. Avec un enthousiasme qui frise parfois l’emphase, cette autrice d’un dialogue remarqué avec Etty Hillesum en 2014 (1) rend cette fois hommage à la présence féminine dont « bruisse » le Coran et, plus largement, à la volupté si chère à l’univers islamique – ce qui lui valut d’ailleurs une image « lubrique et concupiscente » en Occident.

Hadith « misogyne »

Que la femme musulmane, pourtant « supérieure » à l’homme sur le plan spirituel, pâtisse d’une telle infériorité sur le plan juridique : voilà un paradoxe que Karima Berger n’est pas la première à soulever. La sociologue marocaine Fatima Mernissi le faisait dès 1987 dans Le Harem politique, réédité ce printemps en poche, également chez Albin Michel. Dans ce livre pionnier, cette universitaire et militante féministe, décédée en 2015, déconstruit avec minutie le discours théologico-politique qui contribua à propager la domination patriarcale dans le monde islamique.

« Ne connaîtra jamais la prospérité le peuple qui confie ses affaires à une femme », énonce par exemple un hadith (propos prêté au Prophète ou à ses compagnons) que Fatima Mernissi n’hésite pas à qualifier de « misogyne », et dont elle remet fermement en cause la validité. Même sévérité à l’égard du hijab : ce « concept clé de la civilisation musulmane », désignant dans le soufisme le voile qui cache Dieu aux hommes et entrave ainsi la connaissance du divin, a été tristement réduit à « un morceau de chiffon que les hommes ont imposé aux femmes ».

Un « conflit divin-féminin »

Si chacun des monothéismes lui semble traversé par ce qu’elle nomme le « conflit divin-féminin », l’intellectuelle marocaine estime qu’aucune n’a été aussi loin que l’islam, qui a opté pour « l’occultation du féminin ». Or, soutient-elle, cette attitude « quasi phobique » n’a pas pour origine les sources scripturaires : au contraire, Mohammed avait encouragé ses fidèles à y renoncer. En témoignent notamment les nouvelles lois sur l’héritage édictées dans le Coran : l’héritage se voit élargi aux femmes alors que seuls les hommes y avaient droit jusque-là… et que les femmes faisaient même partie des biens hérités.

On regrette l’absence de développement sur la manière dont s’est opérée, sous les dynasties abbasside et omeyyade, la « glissade dans les abîmes » concernant la femme en islam. Mais c’est le sujet d’un autre livre de Fatima Mernissi, issu de sa thèse en 1975 : Beyond the Veil, jamais traduit en français.

(1) Les Attentives, Albin Michel, 224 p., 7,90 €.

Les musulmans burkinabè pourront se rendre à la Mecque en nombre limité

Au Burkina Faso, après deux ans de suspension, les musulmans pourront effectuer le pèlerinage à la Mecque. Suite à la crise sanitaire et aux nouvelles conditions de participation édictées par l’Arabie Saoudite, des milliers de musulmans burkinabè ne pourront malheureusement pas accomplir ce cinquième pilier de l’Islam, le nombre de places ayant été réduit.

Avec notre correspondant à Ouagadougou, Yaya Boudani

De 8 143 places habituellement, le pays ne dispose cette année que de 3 686 places et le coût du voyage a connu une hausse. Il est de 3 047 000 francs CFA. Les personnes inscrites depuis 2020 et 2021 seront prioritaires pour éviter qu’elles ne soient frappées par la limitation d’âge qui est de 65 ans. Selon Issa Dianda, représentant des agences de voyage: « Si on ne nous ajoute pas de quotas, ça va être visiblement très difficile que tout le monde puisse partir. »

« L’institution du paiement des visas hajj à hauteur de 300 riyals soit 54 000 francs CFA par pèlerin, l’institution d’une assurance de 109,25 riyals soit 19 665 francs CFA par pèlerin, enfin l’augmentation des prestations des services de base. Ces diverses évolutions intervenues au niveau de l’Arabie Saoudite vont entrainer, conséquemment, une hausse de coût du hajj », détaille Issaka Sourwema, ministre des Affaires religieuses et coutumières.

Afin d’atténuer les charges, le gouvernement de la transition a accordé une subvention de 800 000 000 francs CFA au comité d’organisation. Cette somme servira à la prise en charge des pèlerins, selon Mamadou Sawadogo, secrétaire permanent du suivi des pèlerinages religieux: « Les différents acteurs ont opté pour appliquer cette subvention aux prestations saoudiennes, c’est-à-dire l’alimentation, les déplacements et tout. 

Le comité d’organisation assure que les premiers vols pour l’Arabie Saoudite sont prévus pour le 21 juin prochain.

 

L’Afrique « extatique » à l’abbaye de Daoulas 

L’exposition « Afrique, les religions de l’extase » a ouvert vendredi 3 juin à l’abbaye de Daoulas (Finistère). Elle offre une plongée ethnographique dans la richesse spirituelle d’un continent.

  • Damien Fabre (à Daoulas), 
L’Afrique « extatique » à l’abbaye de Daoulas
 
Masque et costume de danse chinkuna fabriqué au XIXe siècle sur le territoire de l’actuel Angola par le peuple Chokwe. À voir dans l’exposition « Afrique. Les religions de l’extase » à l’abbaye de Daoulas (Finistère).DAMIEN FABRE
       

Effusion du Saint-Esprit dans les Églises pentecôtistes, pratiques de transes des confréries islamiques ou encore expériences de possessions dans le vaudou béninois, l’exposition « Afrique : les religions de l’extase » (1) du Musée d’ethnographie de Genève explore ses différentes expériences spirituelles.

L’établissement public de coopération culturelle Chemins du patrimoine en Finistère a choisi de la présenter dans l’enceinte de l’ancienne abbaye de Daoulas, près de Brest (2). Déroutante, elle se veut strictement ethnologique et contemporaine, en respectant la sacralité de ces expériences, la majeure partie des pratiques liturgiques qui sont données à voir étant encore vivantes aujourd’hui. L’exposition ne donne pas de clés pour approcher les mécanismes psychologiques ou physiologiques qui conduisent à l’état extatique, ou bien pour connaître l’évolution historique de ces pratiques.

Approche ethnologique

Parler des religions africaines avec l’extase pour fil rouge s’avère un pari risqué à double titre. Le premier risque réside dans l’impossible transmission de l’extase mystique, qui n’est pas une expérience communicable mais intime. Cet état qu’atteignent parfois certains croyants implique un au-delà, une transcendance. Comment faire comprendre cette expérience à un large public, étranger à cet élan ?

Le second risque concerne l’aire géographique étudiée : l’Afrique. Ce continent renvoie souvent à des représentations postcoloniales qui tendent à en nier les richesses. Les religions africaines sont généralement réduites à de grandes catégories englobantes comme l’animisme ou le chamanisme.

Mais l’Afrique ne manque pas de diversité religieuse. Chaque peuple, chaque ethnie possède son propre culte, ses propres pratiques, son panthéon. Si le christianisme et l’islam notamment étaient présents bien avant la colonisation, les blocs ne sont pas monolithiques : syncrétismes, schismes et autres cohabitations religieuses sont légion.

Expérience intellectuelle et sensorielle

Cette double difficulté est assumée par l’ethnologue Boris Wastiau, commissaire de l’exposition. Il a tenté de la résoudre en livrant une expérience intellectuelle et sensorielle. Intellectuelle d’abord par les explications détaillées et pédagogiques des collections données à voir, réparties en quatre salles thématiques.

Sensorielles ensuite par l’usage de nombreuses musiques, de lumières et de photographies marquantes, de Jean-Pierre Grandjean, Christian Lutz ou encore Mohau Modisakeng dont les tirages grand format particulièrement impressionnants ouvrent le parcours. Les projections vidéo de l’artiste Theo Eshetu qui ponctuent la déambulation achèvent de plonger dans un état qui permet d’entrevoir la dimension profondément subjective de l’expérience religieuse.

Pourtant, malgré ces dispositifs, le double écueil n’est pas totalement évité. Le grand nombre d’objets liturgiques présentés peut donner l’impression d’un catalogue qui n’est pas toujours en lien avec la transe. En outre, en voulant montrer un vaste panel de cultes différents, le risque de l’amalgame existe.

Un monde de sacralité

Toutefois, ces remarques ne réduisent pas l’intérêt de cette exposition, dans l’écrin de verdure de l’abbaye de Daoulas. Elle comporte deux temps forts particulièrement spectaculaires. L’impressionnant masque de danse chinkuna fabriqué au XIXe siècle sur le territoire de l’actuel Angola par le peuple Chokwe. Il symbolise une forme de possession liée à la fécondité des femmes et aux succès à la chasse des hommes. Par ailleurs, l’installation immersive Zar Possession que l’artiste Theo Eshetu a réalisée autour de la musique matriarcale du culte du zar filmé au Caire (Égypte) bouscule.

Le terme « extase » qui vient du grec ekstasis et signifie « action d’être hors de soi, égarement de l’esprit » est un bon résumé de cette exposition. Quitte à égarer le visiteur, elle peut aussi le projeter dans un monde de sacralité et d’expériences mystiques fascinantes.

(1) Informations et réservations sur https://www.cdp29.fr/

(2) Du 3 juin au 4 décembre.