Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Réforme de la Curie : « L’évangélisation en pole position ! 

 

  • Alex et Maud Lauriot Prevost, Délégués épiscopaux à la Nouvelle Evangélisation (Avignon), auteurs de Jésus recrute ! (EDB, 2022)
 

Très engagés dans l’évangélisation dans leur diocèse d’Avignon, Maud et Alex Lauriot-Prevost se réjouissent de la nouvelle constitution de la Curie, qui fait de « la prédication de l’Évangile » le cœur de la mission de l’Église. Une invitation aussi à « quitter l’entre-soi catholique ».

  • Maud et Alex Lauriot Prevost, 
Réforme de la Curie : « L’évangélisation en pole position ! »
 
« Dès à présent, sur le terrain, nous sommes tous invités à quitter l’entre-soi catholique que dénonce si souvent François. »STEFANO SPAZIANI/DPA/MAXPPP

La nouvelle constitution de la Curie – Praedicate evangelium – apparaît comme un vrai « traitement de choc » comme le titrait La Croix du 21 mars : l’évangélisation, la « prédication de l’Évangile » comme est dénommée cette réforme, devient désormais la priorité institutionnelle et donc pastorale du Vatican, et en cela, de toute l’Église, du pape, des évêques, des clercs – et des laïcs, insiste la réforme.

Nous vivons cette étape soixante ans après l’ouverture de Vatican II qui se voulait avant tout un concile missionnaire, « pour mieux dire Jésus au monde », expliquait Jean XXIII ; « la nouvelle évangélisation est le plus beau fruit du Concile », affirma pour sa part Benoît XVI.

→ À LIRE. Curie : « La vraie réforme, ce sera quand la doctrine de la foi sera dirigée par un laïc »

Il est sans doute utile en effet de souligner que cette priorité évangélisatrice s’est affirmée de manière croissante au plan théologique, pastoral et spirituel. À la suite du Concile, aux côtés des innombrables fruits qu’il a portés, l’Église fit le triste constat de certaines dérives dans son interprétation, comme la remise en cause de la légitimité de l’évangélisation visant à conduire des non-chrétiens à la foi chrétienne et à porter le Salut du Christ à tout homme.

De Paul VI à François

Paul VI décide alors de rappeler et d’actualiser les fondamentaux de l’évangélisation, en publiant en 1975 l’exhortation « L’évangélisation dans le monde moderne » : il y rappelle que « l’Église est faite pour évangéliser » et qu’on ne peut parler d’évangélisation sans une annonce explicite de Jésus Sauveur, Maître et Seigneur, de Jésus « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6).

Jean-Paul II approfondit cet impératif missionnaire en publiant en 1990 l’exhortation « La Mission du Rédempteur » ; il y développe les fondements, la nécessité et la mise en pratique de la nouvelle évangélisation, fil rouge pastoral de son pontificat. Benoît XVI décide pour sa part d’ancrer cette nécessité missionnaire dans l’organisation de l’Église : il instaure en 2010 le Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation, puis il convoque en 2012 un Synode pour la nouvelle évangélisation qui fit souffler un vent de Pentecôte sur tous les continents.

Avec l’exhortation « La Joie de l’Évangile » en 2013, le pape François offre à l’Église le texte programmatique de son pontificat, centré sur l’évangélisation, l’annonce et le témoignage du kérygme (1) comme le b.a.-ba de tout renouveau pastoral, puis il va publier ces derniers jours cette réforme majeure de la Curie.

Le plan structurel de l’Église

Ainsi le mandat que Jésus donne à ses disciples – « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28, 19-20) – se traduit désormais au plan institutionnel comme la priorité phare de l’Église. Elle traduit désormais au plan structurel que toute l’activité de l’Église doit se rapporter à l’évangélisation, que ce soit la doctrine, la liturgie, la pastorale, la sphère de la charité… ; elle engage désormais l’Église et les successeurs de François pour des décennies.

Cette réforme est un signe fort adressé à toute l’Église, à tous les baptisés, elle fixe le cap universellement… et localement : ce « traitement de choc » doit donc s’appliquer à tous les échelons – paroisses, diocèses, mouvements –, invités à s’en emparer et à traduire, dans leurs propres réformes, un changement d’organisation, de priorité et d’état d’esprit. En raison de leur ministère, les évêques sont en première ligne pour lancer et conduire ce chantier dans les diocèses ; toutefois, les prêtres, les religieux et bien entendu les laïcs y ont toute leur place, beaucoup en seront tout à la fois les acteurs, les aiguillons et les fers de lance.

Quitter l’entre-soi catholique

Même si toute la communauté catholique est concernée et doit s’impliquer, c’est aux forces vives actuelles de l’évangélisation en France de se mettre prioritairement au service de ce vaste chantier : sans exclusive bien sûr, nous pensons à tous ceux qui, dans leur grande diversité, se retrouvent très nombreux depuis des années dans les Congrès Mission annuels pour échanger et relire des expériences, réfléchir et se former à la mission, proposer et découvrir de nouvelles initiatives… Fin février dernier, le pape lui-même nous (2) partageait son action de grâce devant toute la vitalité, la diversité et la créativité missionnaire des laïcs qu’il observait en France. Les services de la Conférence des évêques, les diocèses, les mouvements, les diverses institutions ecclésiales pourront s’appuyer sur cette grande vague de fond (et certains le font déjà !) pour mener à bien leur propre réforme structurelle et spirituelle centrée plus que jamais sur l’évangélisation.

→ À LIRE. Réforme de la Curie : des laïcs pourront être nommés à la tête d’un dicastère

Dès à présent, sur le terrain, nous sommes tous invités à quitter l’entre-soi catholique que dénonce si souvent François, et mettre le cap sur la prédication convaincante du kérygme et le témoignage rayonnant de l’Évangile auprès de ceux qui ne viennent pas ou plus à l’église. L’enjeu de ce chantier est donc de mobiliser tous les pratiquants dans l’évangélisation des périphéries de l’Église pour devenir ces « disciples-missionnaires » si chers au pape. Ce chantier va encourager ceux qui y sont déjà engagés, aider ceux qui s’interrogent à franchir le pas, interpeller ceux qui y rechignent ou sont découragés.

Nous y voyons en tout cas l’impulsion d’un grand élan évangélisateur donné à l’Église de France du XXIe siècle, défi si prometteur pour la santé de notre Église et le service de nos frères.

(1) Annonce à chaque homme du Salut en Jésus-Christ.

(2) Avec le Conseil de la Communion Priscille & Aquila.

Séries du ramadan : de la créativité, mais pas trop…

Certains feuilletons dits « du ramadan » essuient les critiques des tenants d’une certaine moralité. Mais aussi, des opposants politiques.

Mis à jour le 14 avril 2022 à 14:38
 
Damien Glez
 

Par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

 

guez

 

© Damien Glez

 

 

Depuis quelques années déjà, l’Afrique du Nord a inscrit le mois du jeûne musulman dans la modernité audiovisuelle. Comme il existe des films de Noël christianisants et sirupeux, des séries télévisées créées spécialement pour le ramadan agrémentent, en mode telenovelas, la rupture familiale du jeûne. Si la liberté de création ne s’use censément que si l’on ne s’en sert pas, la dramaturgie du millésime 2022 gêne certains aux entournures, en Algérie, en Tunisie ou en Égypte…

Scènes « immorales »

En Algérie, c’est le feuilleton Hab el-Mlouk (“Les cerises”) qui a été suspendu pour une semaine par Ennaha, après la diffusion de quelques épisodes. Convoqué par l’autorité de régulation de l’audiovisuel, le directeur la chaîne privée a sous-entendu qu’il n’avait pas « passé en revue tous les épisodes » dont certains comportent, selon des téléspectateurs, des scènes « immorales ».

La séquence qui a mis le feu aux poudres montre une employée aguicher lascivement son patron – à la limite, selon certains, de la « prostitution » – mais la distance insuffisante qui sépare les protagonistes hommes et femmes est aussi montrée du doigt. Distance évaluée dans un tweet au risque de “french kiss”.

Production tuniso-algérienne, la série Hab el-Mlouk est toujours diffusée sur la chaîne tunisienne Hannibal TV. En Tunisie, c’est plutôt le feuilleton Baraa (“Innocence”) qui fait grincer des dents : le personnage principal entend s’unir avec une deuxième épouse, au nom de la charia qui serait, selon lui, « au-dessus de toutes les autres lois ».

Or, comme aime le rappeler une Marine Le Pen soucieuse de sanctionner le port du voile dans l’espace public, le Code du statut personnel (CSP), promulgué le 13 août 1956 par le président Bourguiba, a fait de la Tunisie un pays pionnier en matière de droits des femmes. Le Parti destourien libre (PDL), formation anti-islamiste, dénonce donc une promotion audiovisuelle de la polygamie et du mariage religieux dit orfi, à savoir non reconnus par la loi.

Al-Sissi, sauveur de l’Égypte

L’ONG Aswat Nissa (“Voix des femmes”) demande à la Haute autorité de l’audiovisuel tunisien (Haica) d’intervenir contre la chaîne privée El Hiwar Ettounsi, tandis que les défenseurs de la liberté d’expression rappellent qu’une œuvre d’art est habilitée à représenter des délits, au bénéfice des débats nationaux sur des sujets tabous.

LA DISTANCE INSUFFISANTE ENTRE LES PROTAGONISTES HOMMES ET FEMMES EST MONTRÉE DU DOIGT

En Égypte, c’est la série politique al-Ikhtiyar de la chaîne On Drama qui cristallise la grogne. Pour la première fois dans le pays, un président en exercice est incarné dans une œuvre de fiction. Les pourfendeurs de ce programme qui tisse reconstitution romancée et images d’archives jugent la représentation d’Abdel Fattah al-Sissi par trop hagiographique.

Le chef de l’État apparaît comme le sauveur d’une Égypte menacée par la guerre civile et la radicalisation islamique. Et le média en ligne Arabi21 de rappeler que même Hosni Moubarak avait refusé un projet de film retraçant son parcours. Dans l’ambiance recueillie et festive du ramadan, chacun voit midi à sa porte audiovisuelle…

« Cette cohésion fait notre fierté » : au Sénégal, l’entente religieuse réaffirmée pour le Carême et le Ramadan 

Reportage 

Alors que cette année le Carême et le Ramadan ont plusieurs jours en commun, des initiatives visent à renforcer le dialogue islamo-chrétien au Sénégal, un pays où la cohabitation religieuse est issue d’une longue tradition.

  • Clémence Cluzel, 
« Cette cohésion fait notre fierté » : au Sénégal, l’entente religieuse réaffirmée pour le Carême et le Ramadan
 
Un bénévole de l’association « La main du cœur », à Dakar (Sénégal).CLÉMENCE CLUZEL

Samedi 9 avril, dans une maison de Liberté 6 (un quartier de Dakar), une soixantaine de bénévoles s’activent dans une ambiance bon enfant. Le sol de la cour a disparu sous les grandes marmites en aluminium, les sachets en plastique et les sacs de pains à garnir. Ils ont répondu à l’initiative de l’association « La main du cœur », en collaboration avec le Conseil national du laïcat du Sénégal, deux associations catholiques, d’organiser une distribution de nourriture pour la rupture du jeûne.

95 % de musulmans

Cette année, le calendrier a fait coïncider durant quelques jours le Carême et le Ramadan. Au Sénégal, la majorité des chrétiens respecte un jeûne de 24 heures avec un seul repas par jour. Un jeûne partagé ce mois-ci avec 95 % de la population sénégalaise, musulmane, qui observe le Ramadan. « Nous avions déjà fait un ndogou (rupture du jeûne) pour nos frères musulmans en 2021. Cette année, nous voulions faire une distribution pour tous », explique Marie-Cardinale Doye, présidente de « La main du cœur ».

→ VIDÉO. Carême, pourquoi jeûner ?

D’autres associations sont aussi venues aider à la préparation des 3 000 sachets contenant dattes, eau et sandwichs qui seront distribués. « C’est une grande joie d’être là », témoigne Salma, musulmane, tout en tartinant des pains. « Nous sommes tous unis par Dieu et nos cœurs sont devenus un pour cette distribution. Cela fait plaisir de voir travailler tout le monde ensemble », ajoute la présidente du groupe « Le Sénégal comme on l’aime ». « En aidant, j’accomplis aussi mon devoir religieux. Finalement, nos deux religions partagent certains points communs ! », sourit Angélique Daba Ndiaye, jeune chrétienne de 28 ans.

« Un bel exemple à montrer »

Au Sénégal, le dialogue islamo-chrétien n’est pas un vain mot. Il est fréquent de trouver au sein d’une même famille des chrétiens et musulmans. Lors des fêtes religieuses, les amis, religions confondues, s’invitent et partagent leurs repas. « Je suis bien placée pour le savoir : ma maman est chrétienne et mon papa était musulman. Petite, j’allais à la messe et à l’école coranique. J’ai des demi-frères musulmans », appuie Marie-Cardinale Doye. C’est la première fois qu’elle vit cela et souhaitait en profiter pour réunir et partager.

« Nous prônons le vivre ensemble et cela raffermit les liens entre nos communautés. Cette cohésion depuis des lustres a toujours fait la fierté des Sénégalais, c’est un trésor que nous avons et cela ne doit pas changer. C’est un bel exemple à montrer à travers le monde car ce n’est pas le cas partout », souligne-t-elle.

Respect mutuel

Un avis partagé par l’imam Oumar Diène, qui ajoute : « Le respect mutuel de chacun dans sa conviction est essentiel. Nous devons avoir la paix ensemble et continuer à vivre dans une parfaite cohésion. Nous avons toujours vécu ainsi et nous devons protéger cela des deux côtés. »

La famille mixte de François Fara Bagnoucoume a décidé, pour marquer l’occasion, de partager une rupture ensemble. Les musulmans ont ainsi repoussé de quelques minutes l’heure de leur rupture pour attendre celle de 20 heures des chrétiens. « On était tous très contents de partager ce moment. Nous sommes tous ensemble, ce n’est pas la religion qui nous divisera », assure ce journaliste sportif de 22 ans.

→ RELIRE. « Certains pays sont exemplaires dans le dialogue interreligieux »

À mesure que l’heure de la rupture approche, la circulation se fait plus dense et des attroupements se forment sur le rond-point Jet d’eau, lieu de la distribution. Les bénévoles slaloment entre les automobilistes pour distribuer des gobelets de café touba (épicé) ou au lait, ainsi que les sachets. « C’est une initiative à saluer, c’est beau », les félicite un chauffeur de car rapide en soufflant sur son café brûlant.

 

Synode, l’heure des dernières remontées aux diocèses 

Reportage 

Les communautés catholiques à travers le monde doivent faire parvenir ces semaines-ci à leurs diocèses les comptes rendus de leur participation au Synode sur l’avenir de l’Église. De Sao Paulo (Brésil) à Abidjan (Côte d’Ivoire) en passant par Rouen (Seine-Maritime), La Croix continue de suivre trois lieux dans leur participation au processus. Synode, les catholiques ont la parole (4/5). Pour plus de détails penser à cliquer sur "synode" au bas de cet article.

  • Marie Naudascher (à São Paulo), Lucie Sarr (à Abidjan) et Malo Tresca (à Rouen), 
Synode, l’heure des dernières remontées aux diocèses
 
Des membres de l’association Theos, tournée vers la formation et l’enseignement de la foi, lors d’une réunion à Abidjan (Côte d’Ivoire) fin mars.ALEX KARMA POUR LA CROIX
     

► À Rouen, le souci de l’intégration des plus pauvres

Des sacs et paniers des près de 80 membres du conseil diocésain de la pastorale de Rouen (Seine-Maritime) rassemblés ce samedi 26 mars, dépassent par endroits des fleurs bleues et jaunes, aux couleurs du drapeau ukrainien. Apportées en « signe de communion » avec la population éprouvée par la guerre, au lendemain de la consécration par le pape François du pays et de la Russie au Cœur immaculé de Marie, elles viennent orner l’une des vastes salles du centre diocésain, hébergeant une grande journée de réunion dédiée au Synode sur la synodalité.

→ ANALYSE. Comment les fidèles s’approprient le Synode

Temps de prières, témoignages, déjeuner collectif, ateliers par groupes… « Aujourd’hui marque la dernière journée du processus synodal, mais ce dernier va continuer. Nous avons voulu relire cette expérience avec vous, artisans de cette démarche dans vos paroisses », campe d’emblée le père Alexandre Gérault, vicaire général du diocèse, avant d’insister sur la nécessité, au cœur de ce nouveau rendez-vous, de prendre davantage en compte la « parole des plus pauvres ».

Une « journée de la fraternité »

Fruit de cinq réunions organisées avec des responsables associatifs au contact de ceux-ci – précaires, prisonniers, sans domicile fixe, jeunes de banlieues… – une décision a d’ores et déjà été prise : la tenue, le 11 juin, d’un événement festif avec eux, une « journée de la fraternité », sur le parvis de la cathédrale de Rouen.« Ils sont souvent dans la fatalité, se sentent invisibles, nous disent que l’Église est trop dans l’entre-soi », appuie Christiane Rousseau, bénévole de l’association SHMA, affiliée à la société de Saint-Vincent-de-Paul.

→ REPORTAGE. Synode sur la synodalité : le temps des propositions concrètes (3/5)

« En partant de leurs attentes, ce temps du 11 juin n’a pas fini d’être bâti », redit Maïté Massot, déléguée diocésaine pour le Synode, avant d’inviter l’assemblée à des ateliers. En salle 104, six fidèles – dont un prêtre en milieu rural – se retrouvent pour réfléchir sur deux axes : « Comment avons-nous recueilli la parole des plus pauvres dans le processus synodal ? », et « quelles propositions pour mieux (les) intégrer dans nos communautés ? ».

Ne pas attirer à tout prix

L’objectif, produire trois idées clés, en trois phrases, à présenter ensuite au reste de l’assemblée. « Ce terme de pauvre, je ne l’aime pas trop, je lui préfère ceux de précarité ou fragilité, dans lesquels chacun peut s’inclure », entame Marie-Odile, retraitée, engagée au sein de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. « Je me méfie de cette Église qui veut “attirer à tout prix” les plus pauvres… Pour moi, il s’agit surtout de les rencontrer », renchérit Yves, un responsable de l’Institut normand de sciences religieuses (INSR) pour le pôle de Rouen.

Rapidement, les chantiers prioritaires se dégagent : « reconnaître nos pauvretés » – en encourageant cette prise de conscience via des groupes de partage, des rencontres… –, favoriser l’inclusion des plus pauvres dans l’Église – en abandonnant toute attitude surplombante –, et enfin oser porter ce combat à l’échelon politique. Et sur ce dernier point, la discussion va bon train.

Peser sur les réalités

« Révolté » par « la vision aujourd’hui des quotas de migrants », au cœur des débats de la campagne présidentielle, Yves exhorte avec force « à s’unir aux forces existantes » pour « fédérer et se faire entendre » : « Nous avons du pain sur la planche. Si nous restons uniquement dans le domaine de la foi, nous n’arriverons pas à peser sur les réalités que nous voulons changer. Il faut oser interpeller nos maires, nos préfets, les collectivités… »

Son constat rejoindra celui de quelques autres groupes pendant les restitutions, avant que l’après-midi ne s’égrène, autour d’un nouvel échange sur l’expérience synodale et de la présentation de l’équipe chargée de la relecture des contributions qui doivent être envoyées, avant le 16 avril, au diocèse.

Peu avant 17 heures, Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, clôture la journée : « Aujourd’hui, en particulier, les trois mots qui ont été associés au Synode ont beaucoup émergé : participation, communion, mission, relèvera-t-il doucement. Je sens que nous sommes sur ce chemin, et que le Seigneur marche vraiment avec nous. »

► En Côte d’Ivoire, la réflexion sur le fonctionnement des communautés

En Côte d’Ivoire, les synthèses diocésaines du Synode seront collectées par l’équipe nationale fin mai. Celle-ci sera chargée de faire une synthèse nationale qui sera envoyée au Vatican au mois d’août. En attendant, les réponses aux questionnaires se poursuivent dans les paroisses, groupes et associations et dans les communautés nouvelles, notamment les quelque 200 qui sont d’orientation charismatique et qui occupent une place importante dans la vie de l’Église. Leur spécificité sera sans doute prise en compte dans la synthèse nationale.

→ REPORTAGE. Synode : de France, de Côte d’Ivoire ou du Brésil, l’Église s’élance vers Rome 2023 (1/5)

Pour les membres de l’association de fidèles Theos, répondre aux questionnaires revient aussi à réfléchir au fonctionnement de leur structure. Theos a été fondé par Marie-Laure Abotcha-Boni, membre fondatrice de la communauté Mère du Divin Amour, la première communauté nouvelle ivoirienne. Son volet charismatique la rapproche des communautés nouvelles, mais elle est surtout tournée vers la formation et l’enseignement de la foi.

Lutter contre la marginalisation due à l’analphabétisme

Cette originalité peut en marginaliser les membres les moins instruits, dans un pays où le taux d’analphabétisme tourne autour de 40 %. La question a été au cœur des débats le 21 mars, pour la deuxième réunion de synthèse des réponses au questionnaire du Synode. « Il faudrait peut-être former une sorte d’académie, en interne, propose Rodrigue. Le but serait qu’on propose des formations par classe pour que chacun reçoive les enseignements qui lui sont nécessaires suivant son niveau d’instruction. »

Valérie, frêle jeune femme assise au milieu de la salle, donne, quant à elle, un exemple qui permet une réflexion sur la notion d’exclusion. « Je me suis sentie marginalisée quand, au cours de ma grossesse, aucun membre du groupe n’a pris de mes nouvelles », intervient-elle, lançant un débat sur les efforts fournis et à fournir pour permettre que tous les membres se sentent écoutés.

Éviter que le groupe repose sur le charisme du fondateur

La gouvernance est l’un des défis fondamentaux des associations de fidèles et des groupes de prière, l’enjeu étant que le groupe ne repose pas sur le charisme ou la personnalité du fondateur. En 2021, le pape François publiait un décret promouvant la rotation au niveau du gouvernement des associations internationales de fidèles.

« À Theos, de nombreuses activités sont déléguées à des membres, même quand la bergère n’est pas présente, assure Stéphanie, une des membres. Et nous accueillons des intervenants externes qui nous dispensent des enseignements dans des domaines spécifiques. » Tous conviennent de la nécessité de promouvoir la participation de tous pour que personne ne se sente exclu des prises de décision.

Se faire connaître dans les médias

Un autre défi est de se faire connaître. Les canaux sont, en plus des médias sociaux, les radios et la télévision nationale catholique. « Le manque de moyens fait que ces médias n’arrivent pas à couvrir les activités même intéressantes des groupes et associations, fait remarquer Max. À cela s’ajoute un manque de bonne volonté, car les médias confessionnels musulmans assurent parfois mieux la couverture d’événements pourtant chrétiens. »

► Au Brésil, la nécessité de s’engager politiquement

Le mois d’avril s’annonce chargé pour la dizaine de laïcs de la communauté de Sao Matheus, à l’est de Sao Paulo, au Brésil, engagés depuis novembre dans le processus synodal. « Nous sommes en train d’élaborer la méthodologie qui nous permettra de synthétiser en dix pages nos réflexions », explique Lis Marques, animatrice des communautés ecclésiales de base (CEB) de l’archidiocèse de Sao Paulo. Cette synthèse doit être rendue fin mai aux évêques, afin d’être transmise en août au Vatican.

Une participation féminine intense

Chaque jeudi soir, c’est Lis qui coordonne les réunions, à 19 h 30 sur la plateforme Meets. « Grâce à la technologie, nous accueillons des gens qui ne résident pas dans notre quartier », raconte-t-elle, infatigable, dès 7 heures du matin, depuis l’école catholique Notre-Dame dans laquelle elle travaille toute la semaine.

Les demandes de cette communauté, formée par différents acteurs laïcs des favelas et les quartiers pauvres périphériques du Brésil, sont principalement liées à la participation accrue des femmes au sein de l’Église. « Elle est intense et de qualité, tant dans les zones rurales qu’urbaines », pointe Dom Joaquim Mol, évêque auxiliaire à Belo Horizonte.

→ REPORTAGE. En vue du Synode sur l’avenir de l’Église, la prise de parole s’organise (2/5)

La remise en question de l’hégémonie masculine dans l’Église revêt une forme spécifique au Brésil. « Dans nos églises, il n’est pas rare que le prêtre ne vienne qu’une fois par mois. Donc les femmes mènent la célébration, distribuent la communion. Mais elles n’occupent pas des fonctions liées à la planification des priorités de l’Église », détaille Lis Marques.

Le pape François reconnaît la participation féminine, mais selon les contributeurs du Synode, il faut aller plus loin. « Le Synode, c’est comme un rêve que nous construisons collectivement. Cette Église dont je rêve, je ne serai plus là pour la voir quand elle aura évolué », confie Lis Marques, 59 ans.

Une Église qui s’engage politiquement

À six mois de l’élection présidentielle, le groupe s’accorde à dire que l’Église doit se positionner politiquement. Notamment face au discours pro-armes à feu du président Jair Bolsonaro (extrême droite), candidat à sa réélection. « Les armes tuent plus d’Afro-Brésiliens, de femmes, d’indigènes », rappelle Lis Marques.

La Conférence nationale des évêques (CNBB) a émis une vingtaine de communiqués pour condamner la violence des discours qui rythment la vie politique. Dom Mol lui-même est régulièrement attaqué sur les réseaux sociaux pour ses prises de position politiques. Recteur de l’Université catholique de Minas Gerais, il tient à rappeler que la population brésilienne s’est terriblement appauvrie au cours du mandat de Jair Bolsonaro. « Dans ce contexte, le processus du Synode nous interpelle, souligne-t-il. Nous voulons marcher ensemble, mais dans quelle direction ? »

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Vers la fin de la phase diocésaine du Synode

Dimanche 15 mai. Date limite en France pour le retour des synthèses diocésaines à l’équipe nationale, constituée sous la responsabilité de Mgr Alexandre Joly, évêque de Troyes (Aube). Toutes les synthèses seront publiées sur les sites diocésains, et la synthèse nationale sera rendue publique sur le site de la Conférence des évêques de France (CEF).

Mardi 14 et mercredi 15 juin. Assemblée plénière des évêques extraordinaire à Lyon (Rhône) pour discuter, amender et valider la synthèse qui sera envoyée à Rome.

Lundi 15 août. Date limite de remise des contributions des conférences épiscopales du monde entier au Vatican. En septembre débutera alors la phase continentale du Synode, qui s’achèvera en mars de l’année suivante.

Saâd Abssi est décédé le jeudi 9 décembre 2021. Il a créé en 1994, avec Michel Jondot et Mohammed Benali, l’association "Approches 92" devenue « Mes tissages / la Maison Islamo Chrétienne » dans laquelle Christine Fontaine les a rejoints. A ce titre, Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers, a demandé à Christine d’intervenir sur l’engagement interreligieux de Saâd, lors de l’hommage qui lui a été rendu le 8 janvier 2022 à la mairie de Gennevilliers. Vous trouvez ici le texte de son intervention.

On ne peut pas réduire la vie de Saâd à son implication dans le dialogue interreligieux. Pour avoir une vision plus complète de sa vie, on peut lire l’intervention de Patrice Leclerc lors de ce même hommage :
 intervention-du-maire-de-gennevilliers-lors-de-lhommage-public-a-saad-abssi-le-8-janvier-2022

Témoignage de Christine Fontaine

Nous devons tout à l’amitié entre Saâd et Michel

Je connais Saâd depuis plus de 25 ans. De formation j’ai fait des études de philosophie à la Sorbonne et ensuite de théologie à l’institut catholique de Paris. J’ai ensuite travaillé pendant 12 ans dans une paroisse avec un prêtre Michel Jondot qui fut ensuite le 1er en France à être nommé responsable pour les relations avec l’islam dans un diocèse, en l’occurrence celui des Hauts-de-Seine. Saâd et Michel se connaissaient depuis trois ou quatre ans quand ce dernier me demanda de les rejoindre. Ils venaient de créer, avec Mohammed Benali, l’association Approches 92 qui deviendra par la suite « la Maison Islamo Chrétienne ». Habitant la banlieue Sud de Paris, je comptais parmi mes amis quelques musulmans mais j’étais très étrangère à cette religion. Michel faisait appel à moi pour les rejoindre dans une cité de Villeneuve-la-Garenne où ils s’étaient implantés. Pourquoi cette cité ? Uniquement parce que c’était la barre de béton la plus longue d’Europe, un monde clos où régnaient délinquance et trafique de drogue. À la demande d’enfants de la cité, ils y faisaient du soutien scolaire et avaient besoin de mon aide pour rejoindre les mères de familles. Bien que nos activités s’orientent aujourd’hui vers les femmes plutôt que vers les enfants, ce qui a été semé par Saâd et Michel existe toujours et porte de nouveaux fruits. Mohammed et moi, qui leur succédons aujourd’hui, comme président et vice-présidente de la Maison Islamo Chrétienne, nous devons tout à l’amitié profonde qui les a réunis.

Saâd, le militant contre toute colonisation

C’est Saâd qui eut l’initiative de cette association. « Maintenant que nous sommes libres l’un devant l’autre, nous pouvons nous associer », déclara-t-il à Michel qui lui répondit : « Que signifie pour toi être libre l’un devant l’autre ? » « Je suis sûr que tu ne cherches pas à me convertir à ta religion et tu es sûr que je ne cherche pas à te convertir à la mienne, voilà ce que ça signifie. » Combien de fois n’avons-nous pas entendu Saâd nous rappeler ce hadith qui était l’un des fondements de sa foi musulmane : « Comme vous voulez que les gens agissent envers vous, agissez de même avec eux. Aucun d'entre vous ne croit vraiment tant qu'il n'aime pas pour son frère ce qu'il aime pour lui-même » (Hadith 13 de Al Nawawi). Il est interprété par un certain nombre de musulmans dans le sens : « Puisque tu es un frère, je désire le mieux pour toi. Et, comme la religion musulmane est la meilleure, je désire que tu deviennes musulman. » Le drame est qu’un grand nombre de chrétiens réagissent de la même manière à l’égard des musulmans mais aussi de toute personne qui ne reconnaît pas la foi chrétienne. Autrement dit, pour eux, ce qui est bien est que les autres deviennent comme eux, qu’ils leur ressemblent. On pourrait dire que ceux là – qu’ils soient musulmans ou chrétiens – se comportent comme des colonisateurs. Quand la France colonisa l’Algérie n’a-t-elle pas prétendu agir pour le bien des populations autochtones, pour leur apporter les bienfaits de la civilisation ? Ainsi en va-t-il de certains musulmans comme de certains chrétiens qui veulent convertir à leur propre religion leur prochain. Mais Saâd avait trop connu dans sa chair les méfaits de la colonisation pour agir ainsi. C’est pourquoi il traduisait le hadith « Comme vous voulez que j’agisse pour vous, agissez de même avec eux » par « comme je ne supporterais pas qu’un chrétien cherche à me convertir, je respecte que sa foi soit différente de la mienne sans chercher à le faire devenir semblable à moi. »

Pour Saâd, la volonté de Dieu consiste à travailler pour la justice

Dirons-nous pour autant que Saâd était tolérant ou qu’il prônait un islam tolérant ? Qui a connu Saâd ne peut en vérité accolé le terme de tolérant à son nom. Saâd était un combattant, il était droit, véridique, pouvait s’emporter. Il n’admettait aucune compromission avec ce qui était pour lui le sens profond de l’islam. L’expression de musulman tolérant, en ce que la tolérance peut s’apparenter assez souvent à de l’indifférence respectueuse à l’égard des autres ou à une relativisation de sa propre religion, ne lui convient pas du tout. Il voulait être fidèle et aller jusqu’au bout de sa propre religion. Pour lui le sens profond de l’islam – la soumission à la volonté de Dieu – consistait à travailler pour rendre le monde plus juste et à collaborer avec toute personne partageant ce même désir, qu’elle soit ou non croyante. « Plutôt que de se faire la guerre entre religions, disait Saâd, travaillons ensemble à faire la volonté de Dieu. » C’est à ce titre qu’avec Michel ils se sont implanté au cœur d’une des cités les plus difficiles, à l’époque, de la région. C’est dans ce combat pour la justice mené avec d’autres que s’accomplissait pour Saâd sa foi musulmane.

L’islam pour lui n’avait rien d’un totalitarisme dont les membres chercheraient à imposer la loi de Dieu à l’ensemble de la société comme ce fut le cas pour le christianisme dans le passé. L’islam n’avait rien à voir pour lui avec un communautarisme qui consiste à se replier dans un entre-soi pour ne pas risquer d’être souillé par des impurs. Pendant de très nombreuses années, il a assuré des permanences d’écrivain public au Secours Catholique de Gennevilliers. Il ne pouvait lui venir à l’esprit qu’il aurait pu se souiller en entrant dans un lieu catholique. De même, il ne pouvait admettre que des musulmans pensent souiller une mosquée en invitant des chrétiens ou des athées à y entrer non pour se convertir mais pour y échanger en vérité à partir de points de vue différents. Au Secours Catholique, il ne se souciait pas de savoir si la personne qu’il accueillait était musulmane, agnostique ou chrétienne. « Saâd sort de ses repères religieux et il écoute l’appel mystérieux auquel il faut répondre », écrit de lui Michel Jondot qui ajoute : « Beau paradoxe, sortir de sa propre religion pour lui être fidèle ! »

Saâd, un vrai mystique

Que Saâd lutte pour arracher son pays à la colonisation française, qu’il combatte aux côtés des ouvriers de l’usine où il travaillait à Gennevilliers, qu’il dénonce avec force l’oppression dont sont victimes les Palestiniens ou qu’il aide les enfants d’une cité à faire leurs devoirs, son combat est tout entier porté par sa foi en Dieu, par sa foi musulmane. Il se sait convoqué par Dieu lui-même à ne pas accepter un monde où la volonté de puissance des uns plonge les autres dans l’esclavage ou la désespérance. Le combat politique de Saâd et son engagement interreligieux sont d’abord d’ordre mystique. C’est parce qu’il était un vrai mystique qu’il a été le politique que l’on connaît. C’est parce qu’il était mystique qu’il a su travailler avec des croyants d’autres religions chez qui il a reconnu le même désir, au nom de Dieu, que le sien.

Pour mener ce combat, il y faut du courage, de la persévérance et de la force. Saâd n’en a jamais manqué. Saâd et Michel ont eu le courage et la force de fonder, à partir de leurs fois différentes, le dialogue interreligieux dans un combat pour la justice. Rendre hommage à leur travail - rendre hommage à Saâd aujourd’hui - serait de l’hypocrisie s’il ne s’accompagnait pas d’un engagement de musulmans et de chrétiens à persévérer dans le chemin qu’ils ont eu le courage et la force d’ouvrir. Quand Michel m’a appelée à les rejoindre, dans une cité des Hauts-de-Seine, je ne connaissais rien à l’islam. Puis-je dire que je le connais mieux aujourd’hui ? Pas sûr tant la religion et la foi de l’autre nous dépasse toujours. Mais je peux dire que, grâce à Saâd, des musulmans sont devenus des frères pour moi comme pour d’autres chrétiens. Je pense qu’il en est de même du côté de certains musulmans à l’égard des chrétiens. Dans une société où l’exclusion des autres devient un argument électoral, le dialogue interreligieux – comme le concevait Saâd – me semble indispensable. J’espère, Saâd, que nous serons nombreux à avoir ton courage, ta persévérance et ta force pour le poursuivre !

Christine Fontaine