Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

   

« Comment pourrions-nous avoir la prétention d’enfermer Dieu dans un rite ? »

tribune
  • Jacques Turckprêtre du diocèse de Nanterre

Dans cette réflexion autour du texte du pape François sur la liturgie, le père Jacques Turck rappelle qu’il ne faut pas considérer que la liturgie seule permettra d’annoncer l’Évangile et reprend de ce point de vue les grands enseignements du concile Vatican II.

  • Jacques Turck, 
« Comment pourrions-nous avoir la prétention d’enfermer Dieu dans un rite ? »
 
Selon Jacques Turck, la liturgie est à la fois « complexe et simple ». (Photo d’illustration)PAWEL HOROSIEWICZ/ADOBE

Quelle magnifique lettre apostolique le pape François vient-il de nous envoyer avecDesiderio desideravi ! À son propos des chrétiens écrivent, téléphonent, s’insurgent, félicitent ou se scandalisent… Voici ce que j’essayerai de dire pour élever nos cœurs : Sursum corda !

La liturgie est à la fois complexe et simple. Complexe, car elle nous oblige à considérer en même temps plusieurs données : les fondements de la liturgie et son mystère, la réception d’un Concile, la sollicitude pastorale, la psychologie humaine, la réclamation du fils aîné de la parabole toujours à l’affût d’une injustice dont il se croit victime. Sursum corda ! Oui… si nous élevions les cœurs !

Relativiser (et non absolutiser) toutes les formes liturgiques

Simple, car quelles que soient les manières de célébrer, la nécessité de consentir à la médiation d’un rite nous oblige à relativiser (et non absolutiser) toutes les formes liturgiques quelles qu’elles soient. Dieu seul n’est pas relatif… mais il entre en relation avec nous en des réalités fragiles et relatives. Croyons-nous que célébrer de telle ou telle manière affecte Dieu ? Allons ! Dieu est au-dessus de notre prétention à savoir « bien » célébrer, dans une forme déterminée ou une autre, le mystère de son sacrifice et de la Cène !

Comment pourrions-nous avoir la prétention d’enfermer Dieu dans un rite ? dans une expression liturgique ? Laisser faire le rite pour qu’il porte sa fécondité est un adage fondamental de notre foi chrétienne. Laissons faire le rite, Dieu fait le reste. D’où l’importance d’être fidèle aux rites, avec notre raison et notre sensibilité. Que le travail du rite fasse son œuvre car au-delà ou au-dedans des mots, des gestes, des instruments ou des vêtements, le mystère de Dieu se dévoile et demeure. Mais aucun d’entre nous, en aucun rite, n’en fait le tour Si nous savions accueillir l’épaisseur de la condition humaine en tous ses méandres, nous ne pourrions la réduire à telle ou telle expression. Que dire alors de l’immensité de ce qu’il reste à découvrir de Dieu ?

Pour ma part la lettre du pape François, aussi pertinente soit-elle, invite à l’humour. Un humour qui tricote avec le sérieux de notre condition humaine, le sérieux de notre liturgie et, entre les deux, le petit fil d’or d’une autorité qui conduit à plus de maturité spirituelle et liturgique. Comment imaginer que, parce qu’on aura célébré en tel ou tel rite, tout serait résolu de l’annonce de l’Évangile !

Non pas sur les places publiques, mais de l’annonce de l’Évangile au cœur même de la communauté chrétienne qui la célèbre (lex orandi, lex credendi), là où la manière de prier dit le contenu de notre foi. Quelle lisibilité et intelligence avons-nous du lien entre les deux ? Soyons-en persuadés, ce lien sera toujours fragile et à reprendre. Seule la beauté (dont les critères sont aussi relatifs) peut nous déposer sur le seuil du mystère où Dieu nous donne rendez-vous en chaque liturgie.

L’opposition de Mgr Lefebvre à la liberté religieuse

Reste l’en deçà et l’au-delà de la réforme liturgique qui nous oblige à ne pas oublier le concile Vatican II. L’en deçà : au Concile, Mgr Lefebvre a donné son accord au décret sur la liturgie qu’il a lui-même voté de façon positive. Ce n’est pas la disparition du latin, ni la forme rituelle qu’il a mises en cause dans le Concile. C’est la liberté religieuse et l’ouverture au monde. C’est-à-dire la constitution pastorale Gaudium et spes et tout ce qu’elle représente comme ouverture à ce qui n’est pas l’Église. Une ouverture qui est reconnaissance qu’il existe d’autres conceptions du monde que celle qui est offerte par le christianisme. À dater du Concile, l’Église prenait acte qu’il ne saurait être question, par exemple, d’instaurer un État chrétien géré par des clercs ou par des laïcs qui leur seraient soumis.

L’autre acquis du Concile est précisément la mise en lumière d’une relation prêtre-laïc qui n’est pas une relation de subordination, mais de collaboration. À cela nous avons réfléchi au long des mois passés lors de la réflexion sur la « synodalité ». Enfin, même s’il apparaît plus technique, le troisième acquis fondamental du Concile se trouve en Lumen gentium (n. 8), dans la petite formule si riche de conséquence : ecclesia subsitit in… qui nous rappelle que l’Église est tout entière présente là où est l’évêque. C’est-à-dire en chaque Église particulière présidée par l’évêque. Elle apparaît alors comme une communion dont l’évêque de Rome est le serviteur. C’est donc bien avec raison que Benoît XVI hier et aujourd’hui le pape François cherchent à recréer des liens de communion par les divers motu proprio.

Il nous revient de faire circuler à son sujet des dynamismes de communion non seulement pour entrer avec humilité dans le mystère de la liturgie évoqué plus haut, mais, au-delà, pour avancer vers une annonce pacifique de l’Évangile pour les hommes et les femmes de ce temps-ci. N’est-ce pas le grand désir de Jésus, la veille de sa mort ? Même s’il est vrai que le ferment de division par l’échange de parole entre Lui et Judas était déjà présent ! Pour répondre à ce désir de paix et de compréhension mutuelle, l’Église prend encore aujourd’hui de multiples et fréquentes initiatives qui me réjouissent.

Qui est Hassan Iquioussen, prédicateur musulman menacé d’expulsion, et que lui reproche l’État ? 

Explication 

Suivi par des dizaines de milliers d’abonnés sur YouTube et Facebook, le prédicateur Hassan Iquioussen, réputé proche de l’islam politique des Frères musulmans, a fait l’objet jeudi 28 juillet d’un arrêté d’expulsion de la part du ministère de l’intérieur. La décision est permise par la « loi séparatisme ».

  • Marguerite de Lasa, 
Qui est Hassan Iquioussen, prédicateur musulman menacé d’expulsion, et que lui reproche l’État ?
 
Le prédicateur musulman Hassan Iquioussen, chez lui à Lourches, le 12 novembre 2019.PIERRE ROUANET/VOIX DU NORD/MAXPPP

Près d’un an après l’adoption de la « loi séparatisme », le gouvernement affiche son volontarisme pour la faire appliquer. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé jeudi 28 juillet l’expulsion prochaine de Hassan Iquioussen, un prédicateur du Nord réputé proche de l’islam politique des Frères musulmans, en raison de propos « incitant à la haine et à la discrimination » et « porteurs d’une vision de l’islam contraire aux valeurs de la République française ».

Le 22 juin dernier, la commission départementale d’expulsion des étrangers avait donné, selon l’hebdomadaire Le Point, un avis favorable à son éloignement vers le Maroc.

« Ce prédicateur tient depuis des années un discours haineux à l’encontre des valeurs de la France, contraire à nos principes de laïcité et d’égalité entre les femmes et les hommes », a justifié Gérald Darmanin dans un tweet. « Il sera expulsé du territoire français. »

Hassan Iquioussen a contesté ces accusations dans un communiqué publié sur Facebook : « Depuis près de quarante ans, je m’attelle à la diffusion d’un islam authentique empreint d’amour et de tolérance, se défend-il. Dans mes interventions, j’ai toujours eu à cœur d’enseigner que le musulman français peut vivre pleinement sa foi dans le cadre des lois de la République. »

« Hassan Iquioussen ne présente aucune menace grave pour l’ordre public », a renchéri son avocate, Me Lucie Simon, dans un communiqué, en évoquant « ses récentes et nombreuses prises de position publiques, en faveur de la laïcité, de l’égalité hommes-femmes, des valeurs de la République et contre la xénophobie ».

L’avocate a indiqué à l’AFP envisager « un référé devant le tribunal administratif de Paris et une saisine de la Cour européenne des droits de l’homme. »

► Qui est Hassan Iquioussen ?

Né en 1964 à Denain, près de Valenciennes (Nord), père de cinq enfants et grand-père de 15 petits-enfants de nationalité française, ce prédicateur semble avoir peu d’attaches au Maroc, le pays de ses parents.

Ayant grandi avec la nationalité française, il l’a finalement refusée à la majorité, puis a bénéficié de titres de séjour de dix ans, régulièrement renouvelés. Après avoir demandé, comme à son habitude, le renouvellement de sa carte de résident à l’hiver 2021, c’est finalement une notification d’avis d’expulsion qu’il a reçue le 3 mai.

Les autorités l’accusent, selon l’arrêté ministériel pris le 28 juillet et cité par le quotidien Libération, d’« inciter ouvertement à la violence » à l’encontre des Juifs, en soutenant dès 2004 la thèse d’une « entente entre le mouvement sioniste et le régime nazi pour favoriser l’installation des juifs en Palestine. » Il aurait réitéré ces propos lors de deux conférences en 2014, au cours desquelles il soutient l’existence d’un « complot juif ».

Le prédicateur est également accusé d’avoir eu des propos hostiles à l’égalité femmes-hommes. Il avait notamment déclaré lors d’une conférence diffusée sur YouTube : « C’est malheureux qu’aujourd’hui, les femmes considèrent que servir leur mari et leurs enfants soit une punition, alors que c’est une bénédiction. » L’arrêté cité par Libération mentionne que Hassan Iquioussen « encourage son auditoire au séparatisme en préconisant notamment de ne pas suivre les lois de la République (…) au-dessus desquelles il place la charia. »

Prédicateur vedette, suivi par 172 000 abonnés sur YouTube et 42 000 sur Facebook, Hassan Iquioussen gravite, depuis les années 1990, dans l’orbite de la confrérie islamiste des Frères musulmans.

Très souvent invité dans les congrès de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), « il faisait partie du cercle rapproché de ses dirigeants », rapporte Bernard Godard, ancien expert sur l’islam au ministère de l’intérieur. Musulmans de France, la fédération d’associations qui a succédé à l’UOIF à partir de 2017, a d’ailleurs relayé une pétition de soutien au prédicateur lancée vendredi 29 juillet. Le mouvement a aussi exprimé dans un communiqué son « étonnement et son incompréhension » face à la décision du ministère de l’intérieur, décrivant Hassan Iquioussen comme « un imam qui n’a jamais ménagé ses efforts afin de diffuser un islam authentique empreint d’amour et de tolérance. »

► Comment expliquer la décision du ministère de l’intérieur ?

Annoncée des années après la tenue des propos incriminés, la décision d’expulsion de Hassan Iquioussen est en fait permise par la loi dite « séparatisme » du 24 août 2021. « Le titre de séjour de Hassan Iquioussen est arrivé à expiration, et le cabinet du ministère de l’intérieur a dû penser que c’était l’occasion d’appliquer la nouvelle loi », interprète Bernard Godard. « Le gouvernement montre ainsi qu’il agit contre l’islamisme. »

« Fervent activiste numérique, le prédicateur islamiste constitue une véritable menace pour la préservation de notre cohésion nationale et notre modèle républicain, a estimé sur Twitter le Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) dans la soirée de vendredi 29 juillet. Face aux prêcheurs de haine, portant atteinte aux principes républicains, la France est, plus que jamais, déterminée à combattre partout, où qu’il se trouve, quels que soient ses relais, le danger islamiste et d’y faire face avec les armes du droit et de la démocratie ».

Dans le même sens, le ministère de l’intérieur a renouvelé mi-juillet pour cinq ans l’interdiction de séjour en France du prédicateur suisse Hani Ramadan, petits-fils du fondateur en Égypte en 1928 des Frères musulmans, Hassan El Banna.

Violences sexuelles : une lettre ouverte dénonce les agissements de « rabbins prédateurs » 

Les faits 

Cinq personnalités juives ont publié un texte pour dénoncer le « silence » de la communauté à propos de « rabbins prédateurs ». Elles appellent les autorités rabbiniques à créer une instance de suivi et de prise en charge des victimes de violences sexuelles.

  • Juliette Paquier, 
Violences sexuelles : une lettre ouverte dénonce les agissements de « rabbins prédateurs »
 
Un texte publié par cinq personnalités juives dénonce les agissements de « rabbins prédateurs » (photo d’illustration).BARTLOMIEJ KUDOWICZ/FORUM/MAXPPP

« Demain, ou dans dix ans, un autre scandale d’abus sexuel par un rabbin français éclatera au grand jour et éclaboussera la communauté dans son ensemble. » C’est pour se prémunir contre cette prédiction que cinq personnalités de confession juive ont publié, mercredi 20 juillet, une lettre ouverte intitulée « Quand la communauté juive est la proie de rabbins prédateurs. Abus sexuels sous silence ? ».

Signé par Janine Elkouby, agrégée de lettres et présidente de l’Amitié judéo-chrétienne de Strasbourg, Hannah Ruimy, responsable pédagogique et enseignante, Sarah Bloch-Elkouby, docteure en psychologie clinique, le journaliste Michael Blum et l’avocat Emmanuel Bloch, le texte en appelle à la création d’une instance de contrôle, de recours et d’accueil des victimes juives.

Les signataires, réunis dans un groupe intitulé « Nous pour elles », invitent les personnes qui le souhaiteraient à se tourner vers eux pour signaler d’éventuels abus.

« Partie émergée de l’iceberg »

« Au cours de l’été 2020, notre groupe a interpellé par écrit les institutions consistoriales sur les sérieuses questions soulevées par les agissements d’un rabbin français », indiquent les auteurs de la lettre, évoquant le cas d’un homme accusé d’avoir entretenu des relations sexuelles violentes avec plusieurs femmes en abusant de sa position spirituelle.

Si ce rabbin a été expulsé depuis et ne peut plus exercer, les auteurs de la lettre estiment que les témoignages recueillis « ne représentent sans doute que la partie émergée de l’iceberg ». « D’autres victimes, juives ou non-juives, existent probablement par ailleurs, quand bien même nous ne connaissons ni leur nombre ni leurs noms », écrivent-ils.

Ils mentionnent plusieurs cas : celui d’un rabbin accusé de pédophilie, « actuellement directeur rabbinique d’un beth din (tribunal religieux, NDLR) et responsable de la cacherout dans sa région », ou encore « celui d’un rabbin qui aurait profité de sa fonction dans sa communauté pour abuser d’une dizaine de jeunes femmes ».

Création d’une instance

Face à cette situation, les auteurs de la lettre ouverte en appellent, à défaut d’avoir un pouvoir d’action pénale, à la création d’une instance qui soit à la fois un « lieu de recours pour les victimes potentielles », un « observatoire sur les questions liées aux mœurs sexuelles dans les institutions communautaires », mais aussi un lieu d’accueil et de soin pour les victimes, avec des « professionnels de la santé mentale, assistants sociaux, avocats, dirigeants communautaires, anciennes victimes, etc. ». « Demain, ou dans dix ans, le sort d’innocentes victimes dépendra des décisions qui auront été prises aujourd’hui », préviennent-ils.

Parmi les signalements reçus par le groupe constitué, ils évoquent le cas d’un rabbin condamné en 2016 « pour agression sexuelle » à deux ans de prison avec sursis et à dix ans d’interdiction d’activité professionnelle, « mais qui continue aujourd’hui d’exercer à Marseille, avec la bénédiction du consistoire ». Quelques jours après la publication de la lettre, le consistoire israélite de Marseille a retiré de son site Internet le nom de ce rabbin, qui figurait dans un annuaire.

« Il a été clairement établi lors (du) jugement que l’accusé n’avait et n’a toujours aucun lien direct ou indirect avec le consistoire israélite de Marseille. Aucune des démarches religieuses ou des actions rabbiniques entreprises par cet individu ne sont reconnues par le consistoire israélite de Marseille et ne le seront jamais », se défend l’institution consistoriale locale sur sa page Facebook.

Commission consultative déontologique

Interrogés par La Croix, les services du grand rabbin de France, Haïm Korsia, mettent en avant sa mobilisation sur la question des violences sexuelles. « C’est un sujet dont le grand rabbin a conscience depuis déjà longtemps », indique-t-on dans son entourage, en évoquant la mise en place d’une commission consultative déontologique composée de rabbins à la retraite, de juristes, de psychologues et de médecins, il y a un an, pour auditionner personnes victimes et mises en cause.

« Depuis une semaine, nous recevons chaque jour de nouveaux noms, alerte Michael Blum, contacté par La CroixNous ne nous substituons pas à la justice et ne voulons pas venger des victimes ; si un rabbin a usé de son autorité religieuse et morale pour agresser des fidèles, alors nous voulons tendre la main aux victimes, leur dire “on vous croit”, et alerter les autorités. »

Pourquoi la vidéo d’un journaliste israélien à La Mecque suscite la colère dans les pays musulmans 

Explication 

Un Saoudien a été arrêté vendredi 22 juillet pour avoir aidé un journaliste israélien à s’introduire dans La Mecque, ville sainte de l’islam fermée aux non-musulmans. Cette interdiction, qui s’appuie sur un verset du Coran, s’est imposée progressivement.

  • Léo Durin, 
Pourquoi la vidéo d’un journaliste israélien à La Mecque suscite la colère dans les pays musulmans
 
Des fidèles autour de la Kaaba, dans la ville sainte de La Mecque, en Arabie saoudite, jeudi 11 juillet 2022.-/AFP

Depuis plusieurs jours, une vidéo publiée par un journaliste israélien se filmant à La Mecque, en Arabie saoudite, provoque un tollé parmi les musulmans. De fait, cette ville sainte de l’islam est interdite à tous les non-musulmans. L’affaire est embarrassante pour les autorités du royaume qui sont aussi les « gardiennes des lieux saints » et donc responsables de leur protection et de leur entretien vis-à-vis des musulmans du monde entier. Signe de leur préoccupation, elles ont annoncé vendredi 22 juillet avoir arrêté un de leurs ressortissants, qui aurait aidé le journaliste à « s’infiltrer » dans la ville sainte.

Répondant aux protestations sur les réseaux sociaux, Gil Tamary, qui a présenté ses excuses, a expliqué que son objectif était « de montrer l’importance de La Mecque et la beauté de l’islam ». Les Israéliens ne sont théoriquement pas acceptés en Arabie saoudite car les deux pays n’entretiennent pas de liens diplomatiques officiels, malgré les efforts des États-Unis, mais Gil Tamary possède également la nationalité américaine. Il était présent dans le pays, en tant que journaliste, pour couvrir la visite du président américain Joe Biden.

Lieu le plus saint de l’islam

La Mecque, berceau de l’islam et lieu de naissance du prophète Mohammed, est la ville sainte la plus importante de la religion musulmane. Elle indique la direction dans laquelle doit se tourner le croyant au cours de la prière et constitue le centre du pèlerinage annuel rassemblant des musulmans du monde entier, le hajj, un des cinq piliers de l’islam. Tout fidèle en bonne santé et disposant des ressources financières nécessaires doit l’effectuer au moins une fois dans sa vie.

L’interdiction pour les non-musulmans d’accéder à la ville, qui s’étend aussi à la mosquée du prophète à Médine, est justifiée par un verset du Coran : « Ô vous qui croyez !, les infidèles ne sont qu’impureté. Qu’ils n’approchent donc point de la mosquée sacrée après la présente année. » Comme le souligne Harry Munt, historien du monde islamique, dans son article « No two religions » : Non-Muslims in the early Islamic Ḥijāz, ce passage peut toutefois faire l’objet d’interprétations contradictoires.

Polythéistes, chrétiens et juifs

Les interprétations divergent, selon les époques et les courants musulmans, sur la définition des « infidèles » évoqués. Pour Harry Munt, le terme pourrait désigner seulement les polythéistes. Toutefois, l’historien concède qu’un autre verset - considéré comme plus tardif, dans la tradition musulmane - semble viser aussi les chrétiens et les juifs.

Il existe un débat autour de la « mosquée sacrée » évoquée par le Coran : s’agit-il de la zone à proximité immédiate de la Kaaba ou d’un périmètre plus large ? Au cours des quatre premiers siècles de l’islam, il existait de « nombreuses opinions divergentes à ce sujet », relate Harry Munt.

Cependant, au fur et à mesure, l’idée d’exclure tous les non-musulmans de la Mecque s’est imposée. D’après l’historien, ce processus est concomitant à la sacralisation progressive du berceau de l’islam et de la cité voisine de Médine, où est enterré Mohammed : plus ces deux villes « deviennent sacrées, plus les savants veulent en exclure les non-musulmans ».

Une route réservée aux musulmans

À une époque où les musulmans cherchent à affirmer leur différence avec les autres religions monothéistes, les exclure de La Mecque est un bon moyen de le faire. « L’accès à l’espace sacré joue à l’époque le rôle de différenciateur entre les communautés religieuses », explique l’historien. Une stratégie également utilisée dans d’autres religions : au Népal, le temple de Pashupatinath, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, est aussi interdit aux non-hindous.

Pourquoi la vidéo d’un journaliste israélien à La Mecque suscite la colère dans les pays musulmans

Aujourd’hui, le gouvernement saoudien maintient strictement ces règles. Sur l’autoroute menant à La Mecque, un panneau indique la direction réservée aux musulmans et l’embranchement « obligatoire » pour les autres. La police religieuse veille. Tenter d’y déroger entraînera une amende, tandis que parvenir à pénétrer dans la ville mènera généralement à l’expulsion du pays.

Au Maroc, les discrètes « églises de maison » font vivre un christianisme de migration 

Reportage 

Depuis une vingtaine d’années, des petites communautés évangéliques se sont créées au Maroc grâce à l’installation d’Africains subsahariens. Faute d’autres lieux de culte, elles se réunissent dans des appartements ou des maisons. L’institut œcuménique de théologie Al-Mowafaqa forme gratuitement certains de leurs responsables.

  • Rémy Pigaglio (à Rabat), 

 

Au Maroc, les discrètes « églises de maison » font vivre un christianisme de migration
 
Le pasteur camerounais Didier Ndjikap officie dans l’église Elohim dans un immeuble du quartier populaire de Yacoub-Al-Mansour, à Rabat, le 3 avril 2018.MALIK NEJMI/VU

La salle commence à peine à se remplir que les premières notes de synthétiseur s’élèvent. Sur la trentaine de chaises en plastique, les fidèles sont en tenues du dimanche. Femmes en robes colorées, hommes en chemise. « Alleluia ! Tu es présent ! », lance Yannick Backala au micro pour commencer la prière. Originaire du Congo-Brazzaville, il accueille les fidèles qui arrivent et dont les prières s’élèvent dans ce modeste décor.

Les fidèles n’oublient pas le Maroc qui les accueille. « Tu vas prier pour ses habitants, qu’ils soient chrétiens ou non ! Que ce royaume soit béni ! Béni soit aussi le roi de ce pays ! », lance Yannick Backala, toujours en rythme et en musique.

Au dernier étage d’un banal immeuble

De l’extérieur, rien ne révèle la présence de l’Église Elohim au dernier étage de cet immeuble banal du quartier populaire de Yacoub-Al-Mansour, à Rabat. Dirigés par le pasteur camerounais Didier Ndjikap, ses fidèles sont tous originaires d’Afrique subsaharienne. « Cela fait deux ans que j’y viens », raconte Didier Komol, 33 ans, lui aussi originaire du Cameroun. « Je l’ai choisie car c’est une Église du Réveil (un courant évangélique, NDLR). J’ai constaté que l’Esprit de Dieu était avec nous. Je sens sa présence et, à la fin du culte, je suis tranquille. »

L’Église Elohim est l’une de ces dizaines, voire centaines, d’« églises de maison » évangéliques apparues au Maroc ces vingt dernières années. À mesure que le Maroc accueillait des étudiants, des travailleurs ou des migrants d’Afrique subsaharienne, elles se sont implantées dans les quartiers populaires des grandes villes marocaines. Leur développement a été favorisé par les vagues de régularisation des années 2010, après une période de dure répression des sans-papiers.

Globalement tolérées

Elles s’ajoutent aux Églises « historiques », présentes depuis le protectorat et reconnues par le roi : l’Église anglicane, l’Église évangélique au Maroc (autrefois majoritairement composée de protestants réformés) et l’Église catholique. « Beaucoup trouvent que ces Églises officielles ont une hiérarchie un peu trop stricte et qu’il est difficile de s’y faire une place », explique le pasteur Jean Masembila, originaire du Congo-Kinshasa. Leurs édifices, situés dans les centres-villes, sont aussi difficiles d’accès en raison du coût du transport pour des fidèles souvent en situation très précaire.

Dans ces églises informelles, les fidèles sont marqués par l’expérience du racisme et de l’exode, qui s’accompagne souvent de drames. « Ils y créent une véritable théologie de la migration », décrit Sophie Bava, anthropologue (1). À ses yeux, « ce christianisme par le bas est un vecteur d’intégration. Mais il peut s’accompagner d’effets pervers ». Certains pasteurs tiennent parfois des discours radicaux, notamment vis-à-vis de l’islam.

« Prévenir les discours intolérants »

Pour répondre à cet enjeu, l’institut œcuménique Al-Mowafaqa, fondé à Rabat en 2012 par l’Église catholique et l’Église évangélique au Maroc pour former leurs propres responsables, a créé la Forem, la « formation des responsables des églises de maison ». « Les cours abordent des questions théologiques, mais aussi des aspects de sociologie, notamment sur la société marocaine, décrit Jean Koulagna, pasteur et directeur de l’institut Al-Mowafaqa. L’un des objectifs est de prévenir les discours intolérants. »

Près de 150 responsables d’églises de maison ont été formés, gratuitement, depuis sa création, à Rabat et à Casablanca. Si les églises de maison ne sont pas reconnues, elles sont globalement tolérées, tout en restant discrètes. Au Maroc, où l’islam est la religion officielle et les Marocains dans leur grande majorité musulmans, la liberté religieuse n’est pas garantie. La Constitution reconnaît seulement la liberté de culte. « Les églises de maison sont un peu dispersées, constate Jean Masembila, qui est devenu l’un des encadrants de la Forem. La formation nous pousse à dialoguer et nous nous mettons ainsi en quête de l’Église universelle comme corps du Christ. »

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Un institut de théologie ancré dans le dialogue

Fondé à Rabat en 2012 par l’Église catholique et l’Église évangélique au Maroc (EEAM), l’institut œcuménique Al-Mowafaqa répond à leurs besoins de formation et de dialogue œcuménique, interreligieux et interculturel.

Les cours sont assurés par des professeurs-visiteurs d’Afrique et d’Europe, auxquels s’ajoutent des universitaires marocains.

Le conseil d’administration est coprésidé par l’archevêque de Rabat, Mgr Cristobal Lopez Romero, et la présidente de l’EEAM, la pasteure Karen Thomas Smith.

Deux institutions sont partenaires : le Theologicum de l’Institut catholique de Paris et la faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg.

(1) Coautrice avec Bernard Coyault et Malik Nejmi de Dieu va ouvrir la mer. Christianismes africains au Maroc, Kulte Éditions, 2022.