Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Le dialogue islamo-chrétien, à contre-courant 

Reportage

Une rencontre « Ensemble avec Marie » a rassemblé environ 800 chrétiens et musulmans à l’église Saint-Sulpice, à Paris, dimanche 6 février. Alors que nombre de discours politiques actuels prônent plutôt la méfiance et le repli, ces participants ont confié à La Croix pourquoi ils continuent de croire au dialogue.

  • Mélinée Le Priol, 
Le dialogue islamo-chrétien, à contre-courant
 
La Chorale « Salam » par « Ensemble avec Marie », à l’église Saint Sulpice, le 6 février 2022.MÉLINÉE LE PRIOL

Quand on demande à des promoteurs du dialogue interreligieux pourquoi ils le pratiquent, les réponses semblent infinies. Pour les uns, c’est « une question de vocation ». Pour les autres, la valorisation de l’altérité découle directement des textes sacrés. Pour d’autres encore, elle est inscrite dans la théologie. « Dieu est dialogue en lui-même : entre Père, Fils et Esprit », résume ainsi le père Xavier de Verchère, aumônier général des Scouts et guides de France.

Croisé devant le stand « Jeunes, vivre nos différences au quotidien », l’un des huit installés dans les chapelles latérales de Saint-Sulpice, ce salésien s’entretient joyeusement avec Hamady Mbodj, commissaire international des Scouts musulmans de France. Chemise bleue, chemise verte, un foulard chacun. Ce binôme islamo-chrétien est loin d’être le seul à s’être constitué sous les voûtes de la plus grande église de Paris, ce dimanche 6 février. Cette journée « Ensemble avec Marie » aura attiré environ 800 personnes en tout, chrétiens comme musulmans.

Fraternité, « la mal-aimée de la devise républicaine »

Entre les deux scouts, la conversation se poursuit. « Si seulement on mettait autant d’énergie à chercher ce qui nous unit que ce qui nous sépare… », soupire Hamady Mbodj. Xavier de Verchère acquiesce : « C’est sûr que tant qu’on reste en surface, on ne voit que nos différences. Le dialogue, c’est une action volontaire ! Mais elle est nécessaire pour aller chercher nos points communs. »

Refusant toute confiance « aveugle » ou « béate », les participants à cette journée semblent conscients que rechercher la rencontre avec l’autre différent de soi n’a aujourd’hui rien d’évident. La fraternité n’est-elle pas « la mal-aimée de la devise républicaine », comme le disait tout à l’heure l’écrivaine Karima Berger, l’une des intervenantes de l’après-midi ?

→ ENQUÊTE. Trois ans après, le Vatican continue de promouvoir le « document sur la fraternité » d’Abu Dhabi

Les discours de méfiance, voire de haine, qui alimente le débat public en cette campagne présidentielle, les croyants croisés à Saint-Sulpice en ont connaissance. « Il m’arrive de dire qu’on fait beaucoup d’efforts pour peu de résultat », reconnaît Abdelkader Oukrid, l’un des organisateurs de la journée. Mais savoir qu’une part non négligeable des croyants des deux religions refuse tout dialogue ne « décourage pas » cet enseignant au Centre Sèvres.Il n’est pas le seul à se dire « stimulé » par le climat ambiant, qui rend le dialogue « d’autant plus urgent et nécessaire ».

Entre croyants, une fraternité « plus facile »

De son côté, Henri Foucard admet qu’il n’est pas toujours aisé d’attirer des jeunes vers le Groupe interreligieux pour la paix des Yvelines, dont il est secrétaire. « Des jeunes musulmans, on en a, mais on a du mal à faire venir des jeunes chrétiens », précise-t-il, supposant que ces derniers préfèrent des engagements « plus concrets » ou à plus fortes retombées sociales. Certains choisissent aussi l’évangélisation, y compris à destination de musulmans.

Parmi les jeunes musulmans présents à Saint-Sulpice samedi, Amina Lrhoula participe régulièrement à des ateliers de lecture du Coran et de la Bible. Si la fraternité avec des chrétiens lui semble si « naturelle », c’est avant tout parce qu’ils sont, comme elle, des croyants. « Je ne peux pas parler de Dieu avec n’importe qui… Mais avec les gens qui croient, qui ont une vie spirituelle, il y a quelque chose. C’est plus simple d’entrer en relation. »

Constat similaire chez Azhar Abbas, un chiite d’origine indienne qui se dit « conforté dans ses convictions » par l’ambiance chaleureuse de cette journée. « De toute façon, la méfiance, l’animosité, ce n’est pas durable. De la même manière que la gravité fait tout retomber vers le sol, notre nature est de vouloir la paix », affirme-t-il avant de préciser que son fils s’appelle Issa (le nom de Jésus dans le Coran) et son épouse Mariam (Marie).

Une confiance difficile à communiquer

« Autour de Marie, nous sommes des frères priants », déclare pour sa part Jean-Marie Drouard, engagé dans le mouvement chrétien des Focolari, qui figure parmi la quarantaine d’associations partenaires de l’événement. S’il n’a aucun doute sur ses propres convictions, il reconnaît que « communiquer cette confiance » est moins évident de nos jours. « Qui veut bien l’entendre ? »

Au lendemain de l’événement, le diocèse de Paris a dû se justifier sur Twitter de « l’espace de silence disponible pour la prière musulmane » qui avait été installé la veille à Saint-Sulpice. « Cet espace, temporaire, s’inscrivait dans le cadre d’une rencontre entre chrétiens et musulmans », précise le diocèse dans son tweet. Une photo du panneau annonçant cet espace de prière avait en effet créé du remous sur les réseaux sociaux, certains internautes voyant là une « profanation ».

Les réseaux chrétiens, « bras » de la France au Moyen-Orient

Analyse

Emmanuel Macron doit remettre la Légion d’honneur, mardi 1er février, à Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient. Ces dernières années, l’État s’est souvent appuyé sur l’expertise de cette association, ainsi que d’autres proches de l’Église, pour déployer sa politique au Moyen-Orient.

  • Mélinée Le Priol, 
Les réseaux chrétiens, « bras » de la France au Moyen-Orient
 
Fin août, Mgr Pascal Gollnisch (à droite) faisait partie de la délégation officielle du voyage présidentiel en Irak.LUDOVIC MARIN/AFP

Quand il recevra la Légion d’honneur des mains du président Macron, ce mardi 1er février, le directeur de l’Œuvre d’Orient, Mgr Pascal Gollnisch, ne le rencontrera pas pour la première fois. Loin de là. Fin août 2021, il faisait partie de la délégation officielle du voyage présidentiel en Irak. Un an plus tôt, il avait accompagné le chef de l’État à Beyrouth, endeuillée par l’explosion sur son port. Et en janvier 2020, il était à ses côtés à Jérusalem.

→ LES FAITS. Légion d’honneur : plusieurs personnalités du monde religieux ont été distinguées

C’est lors de ce voyage que l’exécutif avait annoncé le lancement d’un fonds pour les écoles chrétiennes d’Orient, coadministré par le ministère des affaires étrangères… et l’Œuvre d’Orient. Chacun des deux partenaires a alimenté ce fonds à hauteur d’un million d’euros. La « rencontre » organisée par l’Élysée en amont de la remise de décoration et « consacrée aux actions de la France en faveur des chrétiens d’Orient » devrait être l’occasion de faire le point sur ses réalisations.

Une histoire ancienne

« La collaboration avec l’État remonte aux origines de l’Œuvre d’Orient (association fondée en 1856, NDLR), rappelle Mgr Gollnisch. C’est une histoire ancienne, qui s’est approfondie. » Pourquoi ? Outre la relation de confiance entre ce religieux et Emmanuel Macron, qui n’est un secret pour personne et qui a été facilitée par Charles Personnaz, camarade de promotion de l’ENA du chef de l’État et bénévole à l’Œuvre d’Orient, d’autres facteurs entrent en compte.

→ ENTRETIEN. Mgr Gollnisch : « Aucun chrétien d’Orient ne quitte son pays de gaieté de cœur »

2015 a constitué un tournant dans les relations entre l’État et les réseaux chrétiens au Moyen-Orient. Face aux exactions commises par Daech, Paris a mis sur pied une conférence internationale sur les minorités ethniques et religieuses de cette région du monde. Les observateurs y ont vu un « changement majeur d’état d’esprit », infléchissant la traditionnelle prudence de la France concernant le soutien aux minorités religieuses, notamment chrétiennes, par peur de procès en communautarisme.

Relais précieux pour l’État sur le terrain

Dès lors, plusieurs associations appartenant à la « planète catholique » se sont mises à constituer des relais précieux pour l’État sur le terrain. L’Œuvre d’Orient, donc, mais aussi des structures plus modestes comme Fraternité en Irak (fondée en 2011) ou encore la Fondation Saint-Irénée, membre du comité de suivi de la conférence de Paris de 2015. Leurs actions concernent aussi bien les écoles chrétiennes – et, par extension, la francophonie – que le patrimoine religieux.

« Sur place, on est vus comme un “bras” de la France, et c’est positif, estime Étienne Piquet-Gauthier, directeur de la Fondation Saint-Irénée, liée au diocèse de Lyon. L’État a besoin de structures comme les nôtres pour entrer en contact avec les responsables religieux : car dans ces pays, ils sont incontournables. »

« C’est gagnant-gagnant, renchérit Loÿs de Pampelonne, ancien directeur de l’Œuvre d’Orient en Irak. D’un côté, notre expertise offre à l’État un gain de temps et d’énergie ; de l’autre, quand je guidais des politiques français sur le terrain, j’en profitais pour montrer en priorité les projets portés par notre association. »

Risques de mise en danger

Au point que la France délègue une partie de sa politique au Moyen-Orient à ces associations ? « C’est un peu l’idée », confirment plusieurs de leurs membres. En particulier dans des pays avec lesquels la France n’a plus de relations diplomatiques, comme la Syrie depuis la crise de 2011. « Dans cet État où la France n’a pas d’ambassade, notre action a permis de maintenir des contacts entre nos deux pays», revendique Mgr Pascal Gollnisch. Un observateur fait remarquer que si le nom de l’ONG est le plus souvent cité, certains projets se voient parfois attribués à « la France » en général, bénéficiant ainsi à son rayonnement.

« Le problème, c’est qu’être vus comme trop proches du gouvernement peut faire de nous des cibles et nous mettre en danger », souligne un directeur associatif, évoquant les risques d’enlèvement. Certains partenariats ont par ailleurs concerné des structures controversées, comme SOS Chrétiens d’Orient, qui a bénéficié de 2015 à 2020 d’une convention avec le ministère de la défense alors que l’ONG était liée aux milices pro-Bachar en Syrie.

Charles Personnaz, directeur de l’Institut national du patrimoine (INP), tient à préciser que les liens entre l’État et les associations chrétiennes n’ont rien d’« exclusif ». Depuis le passage de Bernard Kouchner au ministère des affaires étrangères (2007-2010), les milieux diplomatiques et humanitaires ont eux aussi considérablement renforcé leurs liens.

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Biographie express

1952. Naissance à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)

1976-1989. Directeur des pèlerinages français en Pologne

1982. Ordination sacerdotale pour le diocèse de Paris

1982-1995. Cofondateur de la Maison Saint-Augustin et du Séminaire de Paris

2010. Directeur général de l’Œuvre d’Orient

2012. Chapelain de Sa Sainteté, ce qui lui vaut le titre de « monseigneur »

2014. Vicaire général de l’ordinariat des catholiques orientaux en France

2016. Publication de Chrétiens d’Orient. Résister sur notre terre (Éd. du Cherche Midi)

1er février 2022. Chevalier de la Légion d’honneur

 

Le plaidoyer du pape François pour l’unité des chrétiens

Les faits

Présidant les vêpres à la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, à Rome, le pape a appelé mardi 25 janvier les chrétiens à combattre la « peur de la nouveauté » qui paralyse « le long chemin vers l’unité » des chrétiens.

  • Loup Besmond de Senneville (à Rome), 

Lecture en 2 min.

Le plaidoyer du pape François pour l’unité des chrétiens
 
Le pape François le 23 janvier 2022.FILIPPO MONTEFORTE/AFP

Entouré de plusieurs responsables chrétiens, le pape François a lancé, mardi 25 janvier à la basilique romaine Saint-Paul-hors-les-Murs, un appel pour que les chrétiens aient « le courage de l’humilité » afin de pouvoir atteindre l’unité. Des propos tenus le dernier jour de la semaine pour l’unité des chrétiens, qui se tient chaque année, et qui a commencé le 18 janvier 2022.

→ À LIRE. Un document du Vatican analyse l’impact actuel et futur de la pandémie sur le mouvement œcuménique

« Combien de fois l’orgueil a été le véritable obstacle à la communion ! », s’est ainsi exclamé le pape, prononçant l’homélie des vêpres qu’il présidait, en présence du métropolite Polykarpos, représentant le patriarche de Constantinople, et de Ian Ernest, présent au nom de l’archevêque de Cantorbéry.

Le « long chemin vers l’unité »

« Les Mages, a poursuivi le pape, ont eu le courage de laisser leur prestige et leur réputation chez eux, pour s’abaisser dans la pauvre petite maison de Bethléem. » S’appuyant sur la figure des rois mages, célébrés bien au-delà de l’Église catholique au mois de janvier, il a poursuivi : « S’abaisser, quitter, simplifier : demandons ce soir à Dieu ce courage, le courage de l’humilité, seul moyen de venir adorer Dieu dans la même maison, autour du même autel. »

Le « long chemin vers l’unité », peut parfois être paralysé par la peur, a aussi admis François. « C’est la peur de la nouveauté qui ébranle les habitudes et les certitudes acquises ; c’est la peur que l’autre ne dérange mes traditions et mes schémas consolidés », a développé le pape.

Mais dans la vaste basilique de Saint Paul hors les murs, le pape a repris un argumentaire qu’il avait déjà développé, presque un an plus tôt, dans le désert d’Ur, en Irak, encourageant les croyants et leurs responsables à dépasser leurs différends en « regardant vers le ciel ».

Prier les uns pour les autres

Dans la figure des mages, a ainsi développé François, « nous pouvons voir le reflet de nos diversités, de nos traditions et expériences chrétiennes diverses, mais aussi notre unité naissant d’un même désir : regarder le Ciel et marcher ensemble sur la terre. » C’est précisément de ce regard vers le ciel que peut venir « l’unité parfaite ».

→ CRITIQUE. « En quête d’unité » de Patrice Mahieu et Alexandre Galaka : conversation entre un orthodoxe et un catholique

Comme il en a l’habitude, le pape a appelé à une forme d’unité spirituelle, par-delà les discussions et les querelles théologiques. « Ne nous lassons pas de prier les uns pour les autres et les uns avec les autres », a-t-il martelé.

Œcuménisme de la charité

Comme souvent en ces circonstances, le pape François a évoqué, sans le nommer ainsi, « l’œcuménisme du sang », qui réunit les martyrs, sans distinctions de confession. « Dans le Ciel, brillent ensemble de nombreux martyrs, sans distinction de confession : ils nous indiquent, à nous sur terre, une voie précise, celle de l’unité ! », a-t-il ainsi martelé.

Prolongement logique de l’engagement spirituel, la réelle recherche de l’unité doit aussi passer pour François par le service rendu aux plus pauvres. « Servons les nécessiteux, servons ensemble Jésus qui souffre ! », a-t-il exhorté. Un « œcuménisme de la charité » qu’il avait déjà développé en Grèce, début décembre, dans ce pays où la petite minorité catholique cohabite, parfois avec difficulté, avec la puissante Église orthodoxe.

 

Mali : les précieux manuscrits de Tombouctou

Mis à jour le 21 janvier 2022 à 09:45
 

 

Un ancien manuscrit pris avec précaution afin de le nettoyer de sa poussière, à l’Institut Ahmed Baba, le 28 octobre 2021, à Tombouctou. © © Nicolas Réméné pour JA

 

La « cité mystérieuse » accueille la deuxième promotion d’étudiants formés aux métiers du livre ancien. De la conservation à la numérisation de ces ouvrages, un travail colossal les attend pour préserver ce patrimoine menacé et les secrets qu’ils renferment.

Dans la salle de travail de l’Institut des hautes études et de la recherche islamique Ahmed-Baba de Tombouctou, le temps semble avoir ralenti. Alors que flottent les grains de poussières et le bruit des brosses sur le papier, six étudiants ont entre les mains l’un des patrimoines les plus précieux de la région.

Cérémonieusement, ils répètent les mêmes gestes : soulever les feuilles, une à une, de la pointe d’une lichette de bois, puis, du plat du pinceau, débarrasser les encres et les papiers centenaires de la poussière.

Ils sont ainsi une trentaine, venus de tout le pays, à prendre part à la deuxième promotion des métiers du livre et manuscrits anciens au sein de cet établissement emblématique de la cité du nord du Mali. « On trouve à Tombouctou des manuscrits issus de toute la région, témoins de la richesse des échanges qui avaient lieu ici à une époque. Au-delà de sauver ces manuscrits, il s’agit de mettre en valeur l’histoire qu’ils racontent. Ce sont des puits de sciences et de savoir, qui traitent aussi bien d’astronomie, de médecine, d’arithmétique, de théologie ou de droit », s’enorgueillit Mohamed Diagayete, directeur général de l’Institut Ahmed-Baba.

Grandeur passée

Sous sa direction, et depuis 2019, sont formés les codicologues, conservateurs, bibliothécaires et opérateurs de numérisation de demain, qui se chargeront de faire vivre ce patrimoine tombouctien. La cité millénaire, qui fut un carrefour de commerce et de savoir à l’époque médiévale, a vu affluer des chercheurs et apprentis du monde entier venus pour des formations. Les manuscrits, que l’on trouve du Niger à la Mauritanie en passant par l’Algérie, sont les témoins de la grandeur passée de la région.

LES OUVRAGES APPORTENT UNE RECTIFICATION HISTORIQUE AU RÉCIT REDONDANT QUI A TOUJOURS RÉDUIT L’AFRIQUE À SON ORALITÉ

« Tombouctou a beaucoup brillé dans l’histoire, et la crise qu’elle traverse depuis plusieurs années lui a fait prendre beaucoup de retard. Il est extrêmement important que ces manuscrits, témoins de cette histoire glorieuse, soient revalorisés et adaptés au contexte actuel », revendique Boubacar Ould Hamadi, président de l’autorité intérimaire de la région de Tombouctou.

Les précieux ouvrages, dont la datation remonterait jusqu’au IXe siècle, apportent une rectification historique au récit redondant qui a toujours réduit l’Afrique à son oralité, déniant au continent son histoire écrite. Une version ethnocentrée que viennent contredire des centaines de milliers de pages noircies de récits de voyage, de poèmes ou de traités scientifiques.

Longtemps laissés à la merci du temps et de l’usure, ces vestiges font l’objet d’un plan de sauvegarde depuis 2015, sous l’impulsion de plusieurs partenaires internationaux tels que l’Unesco. À l’époque, les précieux codex s’entassent entre Tombouctou et Bamako. Marqués par le passage de la poussière, des insectes et des intempéries, les manuscrits doivent de nouveau être sauvés.

Ouvrages détruits

Ce fut le cas trois ans plus tôt. En 2012, de nombreux ouvrages, encore conservés à Tombouctou, quittent le nord du pays dans des conditions rocambolesques. « Certains ont été cachés dans les quartiers, d’autres sont partis vers Bamako sur des charrettes, à dos d’âne, sur des pirogues, dans des camions, égrène M. Alkhamiss, responsable du laboratoire de conservation. Les manuscrits n’appartiennent pas à Tombouctou, ils appartiennent au monde entier, c’est pourquoi il y a eu tant d’efforts pour les sauver.

À l’époque, la menace est d’une autre nature. Sous les bannières d’Ansar Dine et d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), les pick-up charrient leur lot de combattants, d’armes à feu et de destruction. Les impudents sont châtiés, et de nombreux biens culturels et patrimoniaux perdus. « Il y a tout de même eu quelques miracles, relativise le Dr Mohamed Diagayete. Ceux qui ont sauvé les manuscrits ont pris tous les risques. »

Si on estime que 4 203 ouvrages ont été détruits sous l’occupation, 300 000 d’entre eux sont toujours conservés à Bamako, dans l’attente que la situation sécuritaire se stabilise dans le Nord. L’institut tombouctien, lui, en compte environ 10 000.

« Tant qu’on les manipule, les manuscrits sont sujets à la dégradation. S’ils se gâtent, c’est un patrimoine et un savoir perdus à jamais », met en garde M. Alkhamiss devant ses apprentis dont il inspecte les gestes d’un oeil vigilant. « Ce que l’on a ici, c’est l’histoire de l’Afrique, l’histoire du grand monde. On ne peut pas laisser ce patrimoine se perdre. S’il disparaît, l’histoire n’existe plus », s’anime-t-il.

À coups de pinceau et de patience

Pour former les futurs gardiens des manuscrits, l’établissement bénéficie d’un financement de 357 000 euros environ offert par le fonds de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), et d’un appui de l’université de Hambourg.

« On commence par le dépoussiérage et le stockage des manuscrits. Une fois ce patrimoine à l’abri, il faudra en ouvrir le contenu au public, notamment en les numérisant et en faisant un important travail d’inventaire », explique Maria-Luisa Russo, spécialiste des livres anciens et coordinatrice au Mali pour les projets de l’université de Hambourg, qui pilote le programme depuis 2015.

LES ÉCRITS DOIVENT ÊTRE NUMÉRISÉS AFIN D’OUVRIR LES SECRETS IMMÉMORIAUX DE « LA VILLE AUX 333 SAINTS » AU MONDE ENTIER

À l’abri de la lumière et des intempéries derrière les hautes cloisons de terre de l’Institut Ahmed-Baba, les ouvrages tombouctiens sont désormais entre les mains des étudiants. Une fois les potentiels nuisibles écartés, à coups de pinceau et de patience, reste le plus gros du travail. Leurs écrits, pour la plupart en arabe, doivent être numérisés afin d’ouvrir les secrets immémoriaux de « la ville aux 333 saints » au monde entier.

Offrir l’accès aux chercheurs

« Les manuscrits sont partie intégrante de la culture de Tombouctou. On y retrouve l’histoire de la ville, l’histoire des savants venus ici, l’histoire de ses saints. On appelle Tombouctou “la ville mystérieuse”, les manuscrits renferment une partie de ces mystères », défend le professeur Maïga, chargé des modules informatiques à l’institut.

Viendra ensuite l’étape du catalogage thématique afin d’en offrir l’accès aux chercheurs nationaux et internationaux. « Ils représentent un apport considérable pour l’étude historique des nombreuses disciplines qu’ils abordent », assure Maria-Luisa Russo.

Mais « la route est encore longue », prévient la chercheuse italienne. À ce jour, il est impossible de quantifier le nombre de manuscrits que possède le Mali. « À Tombouctou, Bamako, Djenné ou Gao, nombre d’entre eux reposent toujours au sein de bibliothèques familiales de particuliers. Beaucoup encore, ont fait l’objet de trafic et ont quitté le pays ou le continent », précise-t-elle.

Des biens privés, souvent conservés dans des conditions inadéquates, et pour lesquels un important travail de sensibilisation reste à faire. Toujours menacés, les manuscrits centenaires, une fois ouverts au public, contribueront au rayonnement de la « Perle du désert », ville éternelle de savoir et de traditions.

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