Histoire

Égypte ancienne : Néfertiti et Akhenaton enfin photographiés !

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Mis à jour le 27 février 2021 à 16h39
Portraits de Néfertiti et Akhenaton par Bas Uterwijk

Portraits de Néfertiti et Akhenaton par Bas Uterwijk © © Bas Uterwijk

Le photographe Bas Uterwijk a tenté de reconstituer les visages d’Akhenaton et de Néfertiti, roi et reine de l’Égypte ancienne. Des portraits modernes bluffants, réalisés grâce à l’intelligence artificielle.

À la fin de la XVIIIème dynastie, Akhenaton et Néfertiti étaient roi et reine d’Égypte. D’eux, on ne sait pas grand chose. Une célèbre statuette représentant le couple, datant du XIVème siècle avant Jésus Christ, avait été découverte lors de fouilles à Tell el-Amarna en 1912. L’objet est magnifique, extraordinairement bien conservé, la peinture a résisté au temps et dévoile des parures multicolores.

D’ailleurs, la reine fut dès lors baptisée « reine colorée ». On la surnomme aussi « La belle est venue », traduction littérale de Néfertiti. Mais à quoi ressemblait-elle vraiment ? La question n’a cessé de hanter les scientifiques, les égyptologues, les amateurs d’art et les touristes visitant le Louvre, où le précieux buste de calcaire des époux est conservé. Jusqu’à ce qu’arrive une potentielle réponse, celle de l’artiste néerlandais Bas Uterwijk.

Intelligence artificielle

L’homme est photographe et s’illustre dans le portrait. Son compte Instagram regorge de visages qui nous sont familiers, sans forcément comprendre pourquoi au premier coup d’oeil. L’un fait étrangement penser à la Jeune fille à la perle de Vermeer, l’autre a la grâce de la Venus de Botticelli, un troisième a le regard et la rousseur de Vincent Van Gogh. Ils ont les traits communs de quelqu’un que l’on croise dans la rue, dont on sait qu’on l’a déjà vu quelque part.

En réalité, ils sont fraîchement extraits de célèbres œuvres d’art, grâce à un logiciel appelé « GAN » (generative adversarial network). Une forme d’intelligence artificielle qui permet d’analyser des portraits depuis divers supports (peinture, sculpture, gravure) et de transférer les données vers une interprétation photographique actuelle. « La méthode que j’utilise est souvent considérée comme scientifique, à cause de l’aspect très réaliste du rendu. Mais la plupart de mes portraits sont en réalité basés sur mes impressions et sont donc subjectives », avertit Bas Uterwijk.

Le 19 février dernier, l’artiste postait deux visages, crâne dénudé : celui d’Akhenaton et de Néfertiti. Comme sur la statuette, la reine a le teint plus clair que son époux, et elle est d’une beauté saisissante. Elle a les yeux bridés, le regard profond, l’arcade sourcilière parfaitement alignée, et une paire d’oreilles relativement grandes ! L’artiste a fait en sorte d’offrir un rendu plausible, tout en laissant transparaître sa vision.

« La plupart des travaux artistiques autour d’Akhenaton et de sa reine les font ressembler à des Nubiens ou du moins à des personnes de type subsaharien », estime-t-il. Les deux figures sont dépourvues de coiffes, pourtant présentes dans les représentations antiques. L’explication ? L’intelligence artificielle ne les reconnaît pas, explique le photographe, qui a donc choisi de les représenter sans cheveux. « J’ai lu qu’il s’agissait d’une pratique commune à cette époque. »

Photographier l’histoire

Mais pourquoi transformer une œuvre historique en photographie pseudo-réelle ? Bas Uterwijk n’est pas le seul à se lancer dans cette expérimentation, l’artiste Daniel Voshart a récemment proposé quelque chose de similaire avec le « Roman Emperor Project ». Dans cette série, il reproduit une sorte d’arbre généalogique d’empereurs romains dont les traits dessinés ont été mués en photographies d’identité.

Sur les réseaux sociaux, les travaux de Bas Uterwijk ont fait polémique. Ses détracteurs lui reprochent de s’attribuer une vérité qu’il ne possède pas. « Les gens se sentent parfois atteints lorsqu’on réinterprète leur héritage ou leur culture », rétorque-t-il.

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JE VOULAIS ESSAYER DE CAPTER LE CHARISME NÉFERTITI ET AKHENATON, QUE L’ON DEVINE DANS LES OEUVRES ANTIQUES »

Il faut dire que cette expérience contraste avec les us et coutumes artistiques… Depuis la nuit des temps, c’est le réel que l’on transforme en peinture, en sculpture, en gravure. Parfois même, « on utilise un cliché pour en faire une peinture », souligne le photographe.

Bas Uterwijk a voulu faire le chemin inverse, et tenter de capturer l’expression de personnalités nées bien avant l’invention de l’appareil photo, son outil de travail quotidien. « Pour moi, c’est une façon de photographier l’histoire, confie-t-il. Néfertiti et Akhenaton étaient un couple fascinant. Je voulais essayer de capter le charisme qu’on leur devine dans les oeuvres antiques. »

 
 

Bilguissa Diallo (Opération Mar Verde): «L’idée c’était de masquer le coup de force contre Sékou Touré»

Audio 04:45
Ahmed Sekou Touré (centre), nouveau président de Guinée, et Keïta Fodéba (2ème gauche), en réunion, le 11 février 1959.
Ahmed Sekou Touré (centre), nouveau président de Guinée, et Keïta Fodéba (2ème gauche), en réunion, le 11 février 1959. AFP

C'est l'un des épisodes méconnus de l'histoire contemporaine de l'Afrique de l'Ouest. Le 22 novembre 1970, il y a 50 ans, la capitale guinéenne Conakry était attaquée par des combattants portugais et des opposants guinéens. L'opération a été appelée Mar Verde par Lisbonne, tandis qu'à Conakry elle est connue sous le nom « d'agression portugaise ». Elle avait été décrite par l'ancienne journaliste Bilguissa Diallo dans un ouvrage publié en 2014 aux éditions L'Harmattan. Le texte vient d'être réédité, enrichi de documents supplémentaires qui ouvrent de nouvelles pistes sur les origines de l'opération. Bilguissa Diallo est notre invitée, elle répond aux questions de Laurent Correau.

Rfi : Pour ceux qui ne connaitraient pas cette histoire, que s’est-il passé le 22novembre 1970 à Conakry ?

Bilguissa Diallo : Cette nuit-là - c’était une nuit du samedi au dimanche - six bateaux ont accosté à proximité du port de Conakry. Dans ces six bateaux, il y avait quelques centaines d’hommes - à peu près 250 à 300 - qui ont attaqué des points stratégiques de la capitale guinéenne. Ces hommes, qui étaient-ils ? Une partie étaient des dissidents guinéens, l’autre partie c’était des militaires portugais et afro-portugais. À l’époque, le Portugal était en guerre contre la rébellion du PAIGC et la tête du PAIGC était abritée à Conakry.

Et donc les Portugais encadrent cette opération, qui s’appelle « Mar Verde », qui consiste à la fois à essayer de libérer des prisonniers, essayer de faire tomber Sékou Touré et essayer de décapiter le PAIGC…

Exactement. En fait, c’est la conjugaison de deux intérêts. L’idée était de masquer ce coup de force avec l’appui de dissidents guinéens qui, eux, venaient pour renverser la dictature de Sékou Touré.

Ces Guinéens qui participaient à l’attaque sont en fait les membres d’un groupe d’opposition qui est basé dans la diaspora guinéenne, le FLNG. Et c’est là que vous entrez en scène, puisque vous avez des liens familiaux avec ce FLNG…

Parmi ces dissidents, il y a un personnage qui est mon père, le commandant Thierno Ibrahima Diallo. Il fait partie des cadres dirigeants du FLNG, au niveau militaire de son côté. Le FLNG est un parti qui est composé de cadres de la diaspora guinéenne abrités majoritairement à Dakar, également à Abidjan, certains d’entre eux à Paris... Ils s’organisent à partir des pays limitrophes.

Vous avez donc exploité des archives, notamment celles qui ont été laissées par votre père. Et ces archives montrent bien que, contrairement à ce qu’a dit la propagande à l’époque et contrairement à ce que continuent à prétendre certains, les Guinéens qui ont attaqué Conakry en novembre 1970, n’étaient, ni des mercenaires, ni des traîtres, mais bien des opposants ?

Ils n’étaient pas des mercenaires. C’était vraiment des gens qui avaient des idées politiques ou des idées sociales pour la Guinée, tout simplement. Je suis né en 1975, donc cinq ans après cette opération et j’ai vu beaucoup de ces gens au salon, à la maison. Je les ai entendus parler toute mon enfance, c’était des gens qui aimaient leur pays. Ce n’était pas du tout des gens qui étaient à la solde du néocolonialisme, de l’impérialisme… Ce sont des thèses complètement fallacieuses.

Dans cette nouvelle version de votre ouvrage, on voit apparaître des documents inédits, des documents qui ont été retrouvés par un chercheur portugais, José Matos… Et dans ces documents, tirés notamment des archives de la PIDE - les services secrets portugais- on trouve un aide-mémoire qui est daté de septembre 1967, c’est-à-dire trois ans avant l’attaque sur Conakry. Cet aide-mémoire, rédigé en français, donne des conseils aux autorités portugaises. Que dit-il ?

Cet aide-mémoire dresse la situation politique de la Guinée par rapport aux pays limitrophes. Il établit dans quelle mesure la Guinée de Sékou Touré est un foyer de subversion pour tout l’équilibre politique des pays limitrophes. Cela souligne dans quelle mesure le PAIGC est une force déstabilisatrice également pour le Sénégal et la Côte d’Ivoire, parce que cela occasionne des troubles à la frontière. Et du coup, l’idée de ce document c’est de souligner l’intérêt de renverser le gouvernement de Sékou Touré pour les puissances limitrophes... et l’intérêt d’allier les forces du FLNG avec les Portugais pour aboutir à ce résultat.

Est-ce que l’on sait qui a pu écrire cet aide-mémoire ?

Non, pour le moment cela reste obscur. On ne sait pas si c’est un document qui émane du FLNG lui-même qui défendrait ces thèses ou si c’est un document qui émane des services secrets français. Mais c’est un document qui est très intéressant: il intervient au cours des discussions qui ont lieu depuis l’automne 1966, entre le FLNG et les autorités portugaises.

L’autre document qui apporte des éléments neufs, c’est le compte-rendu d’une réunion entre le président sénégalais Léopold Sédar Senghor et les opposants du FLNG. Que dit ce document ?

Senghor explique qu’il verrait d’un bon œil la chute de Sékou Touré, qu’il soutient l’action du FLNG, tant que cela ne pose pas de souci diplomatique officiel. On savait qu’il y avait un soutien tacite, mais il n’y avait pas de preuve. Là c’est une preuve patente.

C’est le deuxième livre que vous publiez sur le sujet - sur cette « Opération Mar Verde » - et vous interpelez les historiens guinéens pour leur demander de prendre la suite…

Oui, parce qu’on s’est servi de cette opération pour faire de toute personne qui n’était pas d’accord avec Sékou Touré un traitre. On s’est servi de cette opération pour légitimer tous les complots fictifs qui ont précédé. En gros, pour faire dire que Sékou Touré avait raison et que, quelque part, s’il s’est transformé en dictateur, c’est parce qu’il a été attaqué de toutes parts. 

Si l’on n’analyse pas correctement son histoire récente, on est condamnés à reproduire les mêmes erreurs et à tomber dans les mêmes travers. On ne peut pas s’offrir le luxe de ne pas revisiter son histoire, quand on est un pays comme la Guinée.

► À (re) lire l'enquête historique de RFI sur cette opération Mar Verde

«Ex Africa», «réécrire l’histoire» entre l’art actuel et les arts anciens de l’Afrique

« Ex Africa » au musée du Quai Branly. L’œuvre « Sans titre » (2020) de Théo Mercier montre un tas de masques brisés durant leur voyage entre l’Afrique et la France.
« Ex Africa » au musée du Quai Branly. L’œuvre « Sans titre » (2020) de Théo Mercier montre un tas de masques brisés durant leur voyage entre l’Afrique et la France. © Siegfried Forster / RFI
11 mn

Les 150 œuvres de la nouvelle exposition du musée du quai Branly à Paris promettent « un dialogue visuel inédit » entre les 34 artistes contemporains et les arts anciens de l’Afrique. Le vernissage numérique pour tous d’« Ex Africa - présences africaines dans l’art aujourd’hui » est prévu pour le 21 février, en attendant la réouverture des musées en France. Entretien avec Philippe Dagen, critique d’art, professeur d’histoire de l’art et commissaire de l’exposition.

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RFI : De nombreuses expositions ont déjà abordé la relation entre l'art contemporain et l’Afrique, des Magiciens de la Terre en 1989 jusqu’à la nouvelle vision du monde et de l’art d’Afriques Capitales en 2017. De quelle façon, votre exposition propose-t-elle un dialogue visuel inédit sur les présences africaines dans l’art d’aujourd’hui ? 

Philippe Dagen Je pense qu’il est nouveau dans la mesure qu’il ne s’agit absolument pas de faire un panorama de la création artistique actuelle en Afrique. Il s’agit de réécrire l’histoire de la relation entre les arts anciens d’Afrique jusqu’à la période coloniale, et l’art actuel. L’exposition commence dans les années 1980 et compte un certain nombre d’œuvres qui datent de 2020 et pour certaines même de 2021.  

Le titre Ex Africa et la sélection des œuvres d'artistes si différents comme Léonce Raphael Agbodjelou, Jean-Michel Alberola, Jean-Michel Basquiat, Orlan ou A.R. Penck, obéissent-ils à une démarche esthétique, artistique, géographique, politique, historique ?

L'exposition répond à tout cela. Elle répond clairement à une démarche historique dans la mesure où je veux défaire la relation d’assujettissement qui a longtemps lié les arts anciens d’Afrique aux arts d’avant-gardes occidentaux. Dans ces derniers, les arts d’Afrique - comme d’ailleurs d’Océanie ou les arts amérindiens - étaient exclusivement considérés comme des espèces de réservoirs d’idées formelles, sans aucune considération ni pour leur sens propre, ni pour les usages politiques ou religieux ou moraux qui étaient les leurs, ni pour les conditions dans lesquelles ces objets se retrouvaient dans les collections publiques et privées en Europe, dans un premier temps, et aux États-Unis dans un deuxième temps. De ce point de vue, c’est une exposition qui a un caractère historique et aussi un caractère politique, puisque toutes les œuvres sont considérées exactement de ce seul point de vue : leur proximité, leur complicité, quelquefois leur métamorphose par rapport à ce que l’Afrique a donné à l’humanité en matière de sculpture, de représentation de la figure humaine, etc.  

Vue sur les installations de Romuald Hazoumé (« No Return », 2019) et de Pascale Marthine Tayou (« Eséka », 2020) dans l’exposition « Ex Africa ».
Vue sur les installations de Romuald Hazoumé (« No Return », 2019) et de Pascale Marthine Tayou (« Eséka », 2020) dans l’exposition « Ex Africa ». © Siegfried Forster / RFI

Quel est le point commun entre des artistes comme Myriam Mihindou, née à Libreville, au Gabon, et Gloria Friedmann, née à Kronach, en Allemagne, ou entre Romuald Hazoumé, né à Porto Novo, au Bénin, et Annette Messager, née à Berck, en France ? 

Le fait que – de manière très différente - ils et elles ont regardé ces cultures [africaines], se sont penchés sur elles avec la volonté de les comprendre. Ensuite, elles ou ils ont dérivé(e)s à partir de ces exemples dans des directions complètement différentes. L’œuvre de Myriam Mihindou est sans doute l’une des celles qui est la plus explicitement portée par une réflexion sur la traite négrière, l’esclavage, la manière dont les populations ont été entrainées de force aux Amériques. L’œuvre de Romuald Hazoumé est tout autant politique, parce qu’il parle des migrants et de la mort des migrants en mer. Chaque fois, le rapport est tenu avec des formes et souvent aussi des références artistiques très précises.  

Dans le cas de Romuald Hazoumé qui est lui-même d’origine yoruba, la forme de spirale ou celle du serpent qu’il emploie [dans son installation No return, ndlr], a une signification très fortement ancrée dans des mythologies. Quand Annette Messager rassemble une grande figure féminine inspirée de la statuaire [ivoirienne] Attié et une poupée Barbie qu’elle semble allaiter, l’Africaine allaitant l’Occidentale, je crois que, allégoriquement, le rapport en jeu dans cette œuvre d’art est assez facile à décrypter.  

Qu’est-ce qui vous a surpris le plus en préparant cette exposition  

Ce qui m’a profondément réjoui est d’abord le fait que les artistes ont tous immédiatement accepté, sans réticences, de s’engager dans cette aventure et pour certaines et certains de créer des œuvres absolument nouvelles. Quelquefois même assez loin de ce qu’on attend de leur œuvre. Par exemple, avec des œuvres sculpturales, Gloria Friedmann est très loin des œuvres vidéo qu’on connaît d’elle. Quand ils sont venus installer leurs œuvres, par exemple Sarkis, ils ont immédiatement eu un sentiment de familiarité entre eux et entre leurs œuvres. Les dialogues fonctionnent dans tous les sens et au fond tous parlent chacun dans sa langue, mais s’entendent pour parler d’Afrique. 

« Attye avec Barbie » (2020), œuvre d’Annette Messager dans l’exposition « Ex Africa - présences africaines dans l'art aujourd'hui ».
« Attye avec Barbie » (2020), œuvre d’Annette Messager dans l’exposition « Ex Africa -
présences africaines dans l'art aujourd'hui ».
 © Siegfried Forster / RFI

En 2017, l’exposition Art/Afrique, le nouvel atelierà la Fondation Louis Vuitton, a été structurée en deux parties, une partie consacrée à la collection du milliardaire Bernard Arnault, l’autre réservée à la collection du riche héritier Jean Pigozzi. Le tout donnait l’impression de voir apparaître aujourd’hui de nouvelles lignes de démarcation créées par les plus grands collectionneurs.

Ici, il s’agit simplement de créer un espace commun dans lequel les artistes – quel que soit leur origine familiale, leur âge, leur sexe - puissent se rencontrer. De ce point de vue, on a choisi une muséographie plein d’échappements, encloisonnant au minimum l’espace pour qu’il y ait cette circulation.  

Quant à la question que l’art africain actuel est devenu quelque chose de plus désirable pour un certain nombre de collectionneurs, on peut toujours s’interroger sur les raisons qui rendent désirables pour un collectionneur. Y a-t-il chez certains de l’opportunisme, peut-être même d’autres raisons spéculatives ? Pour l’instant, étant donné l’ignorance et le mépris par lesquels l’art africain a été longtemps tenu, depuis l’époque coloniale jusqu’aux années 1980, à de très rares exceptions près vous ne voyiez pas des artistes africains dans le champ de l’art contemporain. Donc, le premier acquis, c’est que désormais on les connaît, reconnaît et les collectionne. Et en les collectionnant, on permet une exposition comme celle-ci d’avoir lieu.  

Ensuite se posera une autre question qui est moins celle des collections publiques ou privées européennes ou américaines que celles des collections publiques ou privées africaines. Là, il y aura effectivement un effort à faire pour que les artistes africains d’aujourd’hui aient des lieux plus nombreux qu’ils n’en ont à l’heure actuelle pour montrer leurs œuvres sur le continent lui-même. Pour l’instant, il y a la Fondation Zinsou et quelques exceptions heureuses, mais il faut espérer qu’elles soient beaucoup plus nombreuses dans les temps à venir.  

Vue sur l’exposition « Ex Africa » au travers de l’œuvre « Trophée » (2020) de l’artiste Myriam Mihindou.
Vue sur l’exposition « Ex Africa » au travers de l’œuvre « Trophée » (2020) de l’artiste Myriam Mihindou
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 © Siegfried Forster / RFI

Votre exposition a lieu au musée du quai Branly, très concerné par la question de la restitution du patrimoine culturel africain. Dans leur rapport, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr ont appelé à une nouvelle éthique relationnelle, une nouvelle relation avec l’Afrique. Cette exposition, s’inscrit-elle dans cette démarche  

Cette exposition ne s’inscrit dans aucune démarche politique au sens où elle aurait été inspirée ou en corrélation avec aucune démarche d’un gouvernement quelconque, ni africain, ni français. À l’origine, c’était un projet personnel, qui a ensuite trouvé un écho très favorable auprès du musée du quai Branly. S’il y a une dimension politique, c’est une dimension presque plus d’éthique politique que d’administration ou de politique étrangère.  

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Vous êtes critique d’art, mais aussi professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Aujourd’hui, qu’est-ce que les étudiants apprennent dans leur cursus universitaire sur les présences africaines dans l’art aujourd’hui  

Je ne suis pas le seul à l’université Paris 1 à parler des arts actuels d’Afrique. Nous sommes plusieurs enseignants. On a mis en place un socle d’études relativement solide. Ceci étant, c’est récent et il a fallu se battre pour obtenir un premier poste d’enseignement, il y a dix ans. On peut espérer que dans un avenir pas trop lointain, il y en aura d’autres. Mais, si vous voulez me faire dire que et les arts anciens et les arts actuels d’Afrique sont très insuffisamment représentés dans l’enseignement supérieur en France, je vous le dis immédiatement et de surcroît avec le plus grand plaisir. 

Il y a un effort de recrutement et de formation considérable à réaliser. À l’heure actuelle, c’est quand même un très bon signe, nous avons chaque année entre une demi-douzaine et une dizaine d’étudiants et d’étudiantes qui choisissent de se spécialiser sur des questions d’histoire d’art contemporain africain. On peut espérer que certains et certaines deviendront conservateurs-enseignants. On est au tout début de ce processus. Et je crois pouvoir dire que Paris 1 est la seule université en France, en dehors d’une collègue à l’université de Rennes, qui, de manière très volontariste, a vraiment mis l’accent sur la création d’un département. 

« Sans titre (série des Demoiselles de Porto-Novo (2012) », œuvre de Léonce Raphael Agbodjelou, dans l’exposition « Ex Africa » au musée du quai Branly.
« Sans titre (série des Demoiselles de Porto-Novo (2012) », œuvre de Léonce Raphael Agbodjelou,
dans l’exposition « Ex Africa » au musée du quai Branly.
 © Siegfried Forster / RFI

► Ex Africa - présences africaines dans l’art aujourd’hui, exposition au musée du quai Branly, à Paris. Le vernissage numérique (gratuit et accessible pour tous) de l’exposition est prévu le 21 février à 20h30 sur Culturebox, Canal 19 de la TNT, et la plateforme france.tv. Il sera ensuite disponible en replay et sur les réseaux sociaux. Dès la réouverture des musées en France, l’exposition sera ouverte jusqu’au 27 juin 2021.

Pour l’Algérie, «la France doit reconnaître les crimes coloniaux»

Les troupes françaises à Alger en 1956.

Les troupes françaises à Alger en 1956.
 © AP
Texte par :RFISuivre
2 mn

À Alger, le porte-parole du gouvernement, Ammar Belhimmer, a fait cette déclaration dans le journal arabophone El-Massa. C'est la première fois qu'un membre du gouvernement algérien s'exprime sur la période coloniale depuis fin janvier et la remise au président français, Emmanuel Macron, du rapport de l'historien français Benjamin Stora pour la réconciliation des mémoires. 

Ammar Belhimmer ne cite pas nommément le rapport Stora, mais sa réaction indirecte est critique envers l'ancienne puissance coloniale. Si la France ne reconnaît pas ses crimes, c'est parce que, selon lui, certains « ont la nostalgie du passé colonial et l'illusion de l'Algérie française », « mais cette politique de fuite en avant ne peut pas durer », poursuit-il.

Certes le porte-parole du gouvernement algérien salue la remise par Paris, en juillet dernier, des restes de 24 résistants tués au début de la colonisation. Mais pour lui, « l'accomplissement moral le plus important, reste la reconnaissance des crimes coloniaux de la France ».

En 2017, Emmanuel Macron, alors encore candidat à la présidence, avait qualifié la colonisation de crimes contre l'humanité et avait même estimé qu'il fallait présenter des excuses pour cela. Depuis, devenu chef de l'État, il a changé de discours.

Après la remise du rapport Stora, le 20 janvier dernier, qui préconise la mise en place d'une commission Mémoire et Vérité et propose des pistes pour apaiser les mémoires entre les deux pays, Emmanuel Macron s'est engagé à prendre des « actes symboliques », mais a exclu de présenter les « excuses » demandées par Alger.

Accès aux archives sensibles: un accroissement des entraves
qui suscite la polémique 


Les critères d’acceptation ou de refus des demandes d'accès aux archives n’ont pas été énumérés.

Les critères d’acceptation ou de refus des demandes d'accès aux archives n’ont pas été énumérés.
 © AFP/Montage RFI
Texte par :Laurent CorreauSuivre|Amélie Tulet
11 mn

Alors que l'historien français Benjamin Stora vient de remettre au président Emmanuel Macron son rapport sur les questions mémorielles concernant la colonisation et la guerre d’Algérie, la communauté des historiens et archivistes dénonce les entraves croissantes dans l’accès aux archives sensibles. Un texte sur la protection du secret de la défense nationale cristallise la polémique. Un recours vient d’être déposé devant le Conseil d’État 

L’accès aux archives est « une condition indispensable pour répondre à l’appel du président de la République, répété à plusieurs reprises, d’un débat sur le passé colonial de notre pays ». En pleine réflexion sur la réconciliation des mémoires algérienne et française, la communauté des historiens et archivistes rappelle un principe simple : la reconnaissance de la vérité, axe affiché de la politique mémorielle macronienne, nécessite un accès aux sources.

C’est pour garantir cet accès que plusieurs collectifs regroupant chercheurs, archivistes, citoyens ont déposé devant le Conseil d’État français un recours, vendredi 15 janvier 2021. Ils dénoncent l’illégalité de l’IGI 1300, un texte dont l’application entrave actuellement les travaux de recherche sur la période 1934-1970.

L’IGI 1300 est une « Instruction générale interministérielle », un texte établi par les services du Premier ministre qui définit les règles concernant la « protection du secret de la Défense nationale ». La dernière version de cette IGI, publiée au Journal officiel en novembre dernierindique dès son introduction l’objectif : « Mieux classifier pour mieux protéger », « La présente instruction vise à renforcer la rigueur avec laquelle il est fait recours au secret de la défense nationale, selon un principe de stricte nécessité », précise le document.

Cette IGI ne concerne pas que la question des archives, mais elle a des implications directes sur le travail des historiens. Elle crée même de nouvelles entraves alors que la loi prévoit la communicabilité des archives touchant au secret de la défense nationale au bout de cinquante ans. Concrètement, explique l’historienne Raphaëlle Branche, spécialiste des violences en période coloniale, quand un citoyen veut accéder à un document considéré secret défense, « il doit d’abord faire une demande de "déclassification". Cela veut dire que l’administration regarde une nouvelle fois les documents pour vérifier si elle est d’accord pour les communiquer. »  

Raphaëlle Branche, historienne et spécialiste des violences en période coloniale

Cette procédure peut durer des mois, voire plus, paralysant ainsi de nombreux travaux de recherche. « Plus grave encore, ajoute Raphaëlle Branche, les services de l’administration peuvent refuser l’accès au document demandé »Les critères d’acceptation ou de refus des demandes n’ont pas été énumérés. « Cela conduit à des situations absurdes, commente Pierre Mansat, président de l’association Josette et Maurice Audin*. Des documents qui ont été vus par des historiens ne sont aujourd’hui plus accessibles. » « Ces restrictions de l’accès aux archives représentent une atteinte très grave à la démocratie », poursuit Pierre Mansat. « Ce qui est en jeu, c’est quelque chose de fondamental, c’est la possibilité d’accéder aux archives pour écrire l’histoire, pour que les citoyens soient informés des actes pris en leur nom par l’État. »

Pierre Mansat, président de l’association Josette et Maurice Audin

Le recours qui vient d’être déposé est soutenu par des historiens de renom comme Annette Wieviorka, Robert Paxton et Antoine Prost. Il a aussi l’appui d’organisations comme le collectif Secret défense, un enjeu démocratique, qui essaie de faire la lumière sur 16 affaires (dont l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon de RFI) pour lesquelles l’accès aux archives est important. « Le 15 novembre 2020, explique le collectif dans un communiqué, un nouvel arrêté concernant l’accès aux archives était publié. Loin d’ouvrir cet accès, il a au contraire confirmé, voire amplifié, le verrouillage des archives classifiées instauré par une instruction interministérielle de 2011 (appelée IGI 1300) en opposition avec l’esprit de la loi de 2008 qui voulait les ouvrir. »

Une instruction interministérielle au-dessus de la loi ?

Cet argument légal est au cœur de l’argumentaire contre l’IGI 1300 dans sa version actuelle : un texte réglementaire ne peut être en contradiction avec la loi, puisqu’il est censé lui être inférieur. Selon la loi de 2008, les documents publics « dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l'État, à la sécurité publique » sont communicables passés un délai de 50 ans, tant qu’ils ne portent pas atteinte à la sécurité de personnes désignées ou identifiables (les délais pouvant alors s’allonger à 75 ou 100 ans). Or, en imposant cette procédure de « déclassification », l’IGI crée de nouvelles conditions d’accès.

L’autre problème est politique. Le durcissement de l’accès aux archives entre en contradiction avec les déclarations de plusieurs présidents français. Notamment celles de l’actuel chef de l’État, qui a fait de la réconciliation des mémoires, notamment avec l’Algérie, l’un des chantiers de sa présidence. Lors de la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la mort de Maurice Audin, Emmanuel Macron avait annoncé, en septembre 2018, l’ouverture de toutes les archives d’État relatives aux disparus de la guerre d’Algérie.

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Dans le rapport sur les questions mémorielles qu’il vient de présenter à Emmanuel Macron, l’historien Benjamin Stora avance une recommandation sur cette question. Le comité de pilotage du groupe de travail franco-algérien sur les archives pourrait « demander l’application stricte de la loi sur le patrimoine de 2008 en France. Concrètement, il s’agit de revenir dans les plus brefs délais à la pratique consistant en une déclassification des documents "Secrets" déjà archivés antérieurs à 1970. »

 

L’Élysée cherche pour l’instant à justifier le bien-fondé des dispositions de l’IGI 1300 tout en affirmant la nécessité d’une solution plus satisfaisante pour les historiens. « Ce n’est pas l’instruction générale qui interdit l’accès aux archives, c’est le Code pénal, soutient une source proche du dossier à la présidence de la République. Le document est un texte d’application qui doit faire la synthèse du Code du Patrimoine et du Code pénal. C’est cette synthèse qui n’est pas satisfaisante et qui doit être mieux travaillée. Ce travail est fait aujourd’hui par les services du Premier ministre. »

« Sur les archives, poursuit cette source, il y a eu jusqu’ici une pratique qui n’était pas conforme au droit de la protection du secret et qui n’était pas homogène en fonction des services et dans le temps. Il est vrai que le SGDSN, le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale a fait un rappel au droit assez vigoureux… Ce rappel a trouvé une traduction dans les administrations. C’est-à-dire qu’on est revenu à une pratique stricte du droit de la protection du secret. Et ça, c’est perçu comme un recul, ce que nous comprenons très bien. »

Reste que le débat sur la contradiction entre l’IGI 1300 et la loi n’est pas neuf. Et que le durcissement de l’année 2020 s’est donc fait en dépit des mises en garde des experts. Lors d’un séminaire de décembre 2018, le spécialiste du droit de la sécurité et de la défense Bertrand Warusfel pointait déjà une « dérive de l’interprétation des textes » dans la mise en place du système de « double verrou » prévu par l’IGI 1300. « Il me semble, expliquait alors l’universitaire, que ce système de double verrou n’est pas conforme à la logique de la loi puisque le Code du Patrimoine dit bien que les archives publiques sont communicables de plein droit après un délai de 50, 75 ou 100 ans. Pour moi, de plein droit, cela veut dire sans aucune autre condition. »

Les adversaires de l’IGI 1300 s’inquiètent de l’existence de freins puissants. « Ça n’est qu’une hypothèse, note Pierre Mansat, mais l’hypothèse est que des cercles politiques, militaires et du renseignement ne souhaitent pas qu’un certain nombre d’éléments concernant notre histoire soient connus, analysés et compris par les historiens ».


* L’association Josette et Maurice Audin, créée en 2004, lutte pour la vérité sur l’assassinat du jeune mathématicien communiste en Algérie en 1957 par des militaires français et plus généralement pour que la clarté soit faite sur tous les disparus de la guerre d’Algérie et les crimes de l’armée coloniale, notamment l’utilisation de la torture.

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