Histoire

Sénégal: une statue de Cheikh Anta Diop dévoilée à Dakar

La statue de Cheikh Anta Diop, à Dakar.

La statue de Cheikh Anta Diop, à Dakar.
 RFI/Charlotte idrac
Texte par :RFISuivre
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Vidéo par :RFISuivre
2 mn

Au Sénégal, une nouvelle statue a été dévoilée au cœur de Dakar, mardi 3 novembre, celle de l’historien Cheikh Anta Diop, décédé en 1986. L’intellectuel a bouleversé la vision de l’Histoire africaine, en mettant l’accent sur l’apport de l’Afrique noire à la civilisation, notamment égyptienne. Sa statue est désormais érigée devant l’université et sur l’avenue qui portent son nom.

Avec notre correspondante à Dakar, Charlotte Idrac

C’est une statue en bronze, de deux mètres de haut. Cheikh Anta Diop, en costume cravate, lunettes, le bras droit levé, en face de la grande porte de l’université d’où sort tout juste Hapsa Thiam. Pour cette étudiante en histoire, c’est tout un symbole : « C’est une fierté d’avoir un leader, Cheikh Anta Diop, qui nous a permis vraiment de regarder plus loin, surtout sur la science. Je suis contente. »

Un emplacement choisi avec soin

L’initiative a été lancée par le directeur sortant du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud), qui vient d’entrer au gouvernement. Et le rond-point où est érigée la statue n’a pas été choisi au hasard. « Entre étudiants et forces de l’ordre, à chaque fois qu’il y avait des remous, c’était lié au rond-point où les jets de pierre se faisaient. Nous avons pensé mettre là-bas la statue de Cheikh Anta pour dissuader les uns et les autres de jeter des pierres », explique Mansour Ndoye, chef du département des services techniques du campus.

« C’est une bonne chose »

Alors que la question des statues à l’effigie de personnalités coloniales fait débat, Pape Abdoulaye Seye, étudiant en géographie, estime qu’il était temps : « C’est une bonne chose, cela permet d’avoir Cheikh Anta en face. Surtout que nous, la génération actuelle, on n’a pas vu Cheikh Anta ». Selon lui, la statue pourrait aussi donner envie aux étudiants de mieux connaître la vie et l’œuvre du parrain de l’université.

Algérie, sortir du silence

Audio 48:30
                        Bernard Le Mens et ses copains partent faire leur service militaire en Algérie en 1958.
                                           
                              Bernard Le Mens et ses copains partent faire leur service militaire en Algérie en 1958.
 Bernard Le Mens
50 mn

De 1954 à 1962, plus d’un million et demi de jeunes Français sont partis faire leur service militaire en Algérie.

À l’époque, la France annonce des opérations de maintien de l’ordre, puisqu’il faudra attendre 1999 et sa reconnaissance par l’État français pour que la guerre d’Algérie en porte enfin le nom. Comment ce dernier épisode de la colonisation a t-il été transmis dans les familles françaises, pourquoi les anciens soldats en parlent si peu ? C’est tout l’objet de l’enquête historique de Raphaëlle Branche, dans son dernier livre « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?».

Avec tous nos remerciements à Monsieur Bernard Le Mens et à son épouse Monique, ancien combattant en Algérie, pour son précieux témoignage.

À lire : «Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?», aux éditions La Découverte.

                   Bernard Le Mens combattant en Algérie.

                                                  Bernard Le Mens combattant en Algérie.
 Bernard Le Mens

Thomas Sankara : derniers instants, derniers témoins, derniers secrets…

| Par 
Mis à jour le 15 octobre 2020 à 10h12
Le capitaine Thomas Sankara et le journaliste Sennen Andriamirado, à Paris, en 1986.

Le capitaine Thomas Sankara et le journaliste Sennen Andriamirado, à Paris, en 1986. © Pascal Maitre/Archives JA

Le 15 octobre 1987, le leader de la révolution burkinabè était assassiné. Deux ans plus tard, Sennen Andriamirado, rédacteur en chef de Jeune Afrique et intime de l’ex-chef de l’État, publiait « Il s’appelait Sankara ». Voici ici reproduit le récit de la dernière journée du président du Faso sous la plume de notre confrère disparu en 1997.

Lorsque Mariam se réveille, Thomas Sankara, qui a fini par la rejoindre au lit, s’est assoupi à son tour. Vraisemblablement, sa copie est désormais prête. Sur la pointe des pieds, l’épouse du président quitte la chambre et se prépare à aller au travail. Elle doit y être à 15 heures. Sankara, lui, va dormir pendant une bonne heure encore. La sieste quotidienne reste, pour cet oiseau de nuit, le seul moment de la journée où il récupère. Une pause d’autant plus importante, ce jeudi 15 octobre 1987, que l’après-midi et la nuit s’annoncent longues.

À 16 heures, il préside l’une des trois réunions hebdomadaires de son cabinet spécial. À l’ordre du jour : le compte rendu de l’un de ses conseillers qui rentre de Cotonou, où il a eu des entretiens avec les responsables du Parti révolutionnaire du peuple du Bénin et rassemblé des documents sur le « Code béninois de conduite révolutionnaire » ; le projet de création d’un journal du CNR [Conseil national de la révolution]. Et à 20 heures, il y aura la réunion, très délicate, de l’OMR [Organisation militaire révolutionnaire].

Premier anniversaire de la prise du pouvoir par Thomas Sankara, le 4 août 1984.

Premier anniversaire de la prise du pouvoir par Thomas Sankara, le 4 août 1984. © Photo Marc Van Muysen / Archives JA

Vers 15 h 30, Mariam Sankara l’appelle au téléphone. « Papa est sous la douche », lui répond son fils aîné, Philippe, 7 ans à l’époque. Elle rappelle dix minutes plus tard. Le président, en tenue de sport depuis le matin – tee-shirt blanc et pantalon de jogging rouge –, est prêt à partir.

« Je vais d’abord à ma réunion de 16 heures, au Conseil de l’entente, lui dit-il. Puis, je vais au sport de masse à 17 heures. Après, je reviendrai sans doute prendre une douche à la maison, mais tu ne seras pas encore rentrée. Je ne te verrai pas avant la fin de la réunion de 20 heures. On parlera ce soir. »

Entre-temps, les membres du cabinet spécial ont commencé à arriver dans l’une des villas du Conseil de l’entente, qui sert de siège au CNR. Alouna Traoré et Paulin Babou Bamouni ont fait un crochet par les bureaux de la présidence juste en face ; les autres, Bonaventure Compaoré, Frédéric Kiemdé et Patrice Zagré, sont venus directement au Conseil. Christophe Saba, en tant que secrétaire permanent du CNR, y est depuis le matin.

Thomas Sankara à Ouagadougou au Burkina Faso, le 26 février 1987.
Thomas Sankara à Ouagadougou au Burkina Faso, le 26 février 1987. © Archives Jeune Afrique-REA
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NOUS SOMMES TOUS LÀ, CAMARADE PRÉSIDENT. IL EST TARD ET NOUS N’ATTENDONS PLUS QUE VOUS

À 16 h 20, il se décide à rappeler à l’ordre le président, qui n’a pas encore quitté sa résidence où il discute avec un autre de ses conseillers, le directeur adjoint de la presse présidentielle, Serge Théophile Balima : « Nous sommes tous là, camarade président. Il est tard et nous n’attendons plus que vous. » « J’arrive tout de suite », répond Sankara. Il renvoie Balima et monte dans une Peugeot 205 noire.

Le président, comme d’habitude, a pris place à côté du chauffeur : « J’aime bien voir la route, se croit-il souvent obligé d’expliquer, et de derrière on ne voit rien. »

Sur le siège arrière, deux gardes du corps. Une voiture les suit, occupée par trois autres gardes du corps plus le chauffeur, un militaire lui aussi. Tous sont en tenue de sport, ce jeudi après-midi : deux fois par semaine, en effet, le lundi et le jeudi à partir de 17 heures, les Burkinabè sont censés pratiquer le sport de masse. Le PF [président du Faso] et ses gardes ne se sont donc armés que de leur pistolet automatique (PA).

Arrivée au Conseil de l’Entente

Au Conseil de l’entente, les membres du cabinet spécial sont également en tenue de sport, à l’exception de Patrice Zagré, venu en « pékin ». À 16 h 30, le président arrive. Il débarque de la 205, suivi par quatre de ses gardes, qui s’installent dans le couloir attenant à la salle de réunion. Les chauffeurs rangent les deux voitures sous un préau voisin et vont s’abriter du soleil à l’ombre des grands arbres, notamment des nims, qui bordent les jardins.

À 16 h 35, le président prend place au bout de la table de réunion en forme de U. L’adjudant Christophe Saba, Paulin Bamouni et Frédéric Kiemdé se sont installés à sa droite. À sa gauche se trouvent Patrice Zagré, Bonaventure Compaoré et Alouna Traoré. Thomas Sankara, toujours en retard mais toujours pressé, ouvre la séance de travail : « Faisons vite, commençons ! »

De gauche à droite : Blaise Compaoré, Thomas Sankara et Jean-Baptiste Lingani, le 4 août 1983, jour où Sankara prend le pouvoir
De gauche à droite : Blaise Compaoré, Thomas Sankara et Jean-Baptiste Lingani, le 4 août 1983, jour où Sankara prend le pouvoir © Archives Jeune Afrique

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RESTEZ ! RESTEZ ! C’EST MOI QU’ILS VEULENT !

Alouna Traoré, celui qui, la veille, était parti en mission d’information à Cotonou, commence son rapport : « J’ai quitté Ouaga avant-hier à 18 heures… » Et il s’interrompt, la voix soudain couverte par le bruit du tuyau d’échappement, sans doute percé, d’une voiture qui s’approche.

Étonné et agacé, Sankara demande : « Quel est ce bruit-là ? » bientôt imité par Saba, qui fronce les sourcils : « C’est quoi ça même ? » Le bruit s’amplifie. Une voiture – « une Peugeot 504 ou une Toyota bâchée », hésitera à préciser le seul témoin direct rescapé – s’est arrêtée devant le petit portail de la villa. Et immédiatement, le bruit du moteur a été couvert par le vacarme de rafales de Kalachnikov.

Les sept hommes réunis dans la salle s’aplatissent au sol, se protégeant derrière les fauteuils. Parmi eux, seul à être armé puisque ses gardes sont restés soit dans le couloir, soit dans le jardin, Sankara se saisit de son PA, qu’il avait déposé sur la table, à portée de main. Du dehors, quelqu’un crie : « Sortez ! Sortez ! » Sankara se relève, pousse un grand soupir et ordonne à ses conseillers : « Restez ! Restez ! C’est moi qu’ils veulent ! » Puis il quitte la salle de réunion, les bras en l’air.

Thomas Sankara, président du Conseil national de la révolution (CNR), en mars 1986 à Bobo-Dioulasso.
Thomas Sankara, président du Conseil national de la révolution (CNR), en mars 1986 à Bobo-Dioulasso. © Fabrice GUYOT / Archives JA

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LES ASSAILLANTS ÉTAIENT VENUS POUR TUER !

« Il a à peine franchi la porte de la villa, témoigne Alouna Traoré, qu’il est littéralement canardé. Les assaillants étaient venus pour tuer ! » Les gardes qui veillaient dans le couloir, ceux qui, comme les deux chauffeurs, étaient restés dehors, ainsi qu’un motard de la gendarmerie, Soré Patenema, venu par hasard apporter du courrier au siège du CNR, ont déjà été abattus par les premières rafales.

Un ancien membre de la garde du président du Faso, surnommé Otis – et, depuis, réintégré dans les rangs des para-commandos de Pô (commandés par le capitaine Blaise Compaoré, qui en a fait un de ses chauffeurs) – déboule dans la salle de réunion, pousse les collaborateurs du président vers la sortie : « Dehors ! Dehors ! Sortez ! » Tous ceux qui obtempèrent sont abattus à leur tour. Au dernier moment, Patrice Zagré essaie de retourner se réfugier dans la salle de réunion ; une rafale dans le dos l’achève.

Deux impacts mortels sur le front

Alouna Traoré, par un réflexe de peur ou de survie, les deux peut-être, s’est retrouvé couché sur le gravier mais vivant, baignant dans le sang de ses camarades dont il entend, comme dans un cauchemar, les râles et les soupirs d’agonie : quatre membres civils du cabinet spécial (Paulin Bamouni, Patrice Zagré, Frédéric Kiemdé et Bonaventure Compaoré) et huit militaires parmi lesquels l’adjudant Christophe Saba, un pauvre gendarme qui passait par là, les chauffeurs du convoi présidentiel et quatre gardes du corps. Alouna a enjambé le corps du PF sans s’en rendre compte.

Regardant par-dessus son épaule, il voit Thomas Sankara par terre. Deux impacts sur le front l’ont immédiatement tué. Mais ce coup d’œil instinctif manque de coûter la vie au rescapé, qui entend quelqu’un crier : « Il y en a un qui n’est pas mort ! Celui qui est tout en bleu ! Qu’il se relève ! » Alouna Traoré, l’homme au jogging bleu, se met debout.

On lui dit d’avancer puis de se recoucher par terre, entre deux autres cadavres, ceux des deux chauffeurs du convoi présidentiel. Il se tâte. Couvert de sang, il n’a pourtant aucune égratignure. Autour de lui, les commandos tirent toujours, mais, cette fois, en l’air, comme s’ils voulaient faire croire à l’extérieur que des combats acharnés se déroulent dans l’enceinte du Conseil de l’entente ; et avec hargne, comme si eux-mêmes voulaient croire qu’ils se battent et se défendent réellement. Pendant longtemps, trente minutes peut-être, ils usent ainsi leurs munitions.

Le Conseil de l’Entente transformé en terrain d’exécution

Alouna est toujours au sol. Du coin de l’œil, il voit s’avancer, en combinaison bleue de mécanicien, le chauffeur-garde du corps du capitaine Blaise Compaoré : Hamidou Maïga, virtuose du volant et de la Kalachnikov, qui le fixe du regard et dit à l’intention des autres assaillants : « Laissez ! Je vais l’achever ! »

Un gradé – « Je ne le connais pas, dira Alouna Traoré, il avait le visage balafré » – s’y oppose et crie : « Amenez-moi le rescapé ! » On lui amène Alouna Traoré, à qui il ordonne de se coucher à nouveau. Le survivant essaie de ramper et de se rapprocher d’un mur. Mal lui en prend. « Reste tranquille ! s’entend-il apostropher. Sinon tu vas rejoindre les autres ! » Alouna se le tient pour dit.

Combien de temps est-il resté ainsi par terre ? « Deux ou trois heures », avance-t-il sans autre précision. Jusqu’à ce qu’un soldat l’interpelle à nouveau et le menace : « Toi, tu as tout vu. On ne peut pas te laisser partir comme ça. Tu vas rejoindre les autres ! » Alouna ne réalise sans doute pas encore très bien sa situation. Il a dépassé le stade de la peur et s’est réfugié dans le monde de l’absurde.

Depuis qu’il gît entre les cadavres, une image le hante : une photo de Mère Teresa, Prix Nobel de la paix, au milieu de jeunes Indiens miséreux, qu’il avait longuement regardée le matin même. Et, pour l’heure, il n’a qu’une envie, uriner, et le dit. On l’y autorise et il va longuement se soulager entre les fleurs des jardins du Conseil de l’entente, transformés cet après-midi-là en terrain d’exécution.

Treize cadavres disparus

On le fait ensuite monter à l’étage d’une villa où ont été regroupés des agents du CNR qui ont tout entendu sans avoir rien vu du drame : le médecin-adjudant Youssouf Ouedraogo, adjoint de l’adjudant Christophe Saba, tout le secrétariat de ce dernier, Laurent Kaboré, qui travaillait aussi au CNR. Au milieu d’eux, il a la surprise de découvrir, blessé, un garde du président, Bossobé, dont on perdra la trace par la suite. La tenue de sport bleue d’Alouna Traoré est imbibée de sang. Ses mains, son visage, ses cheveux sont ensanglantés. On lui dit de se laver. Puis de s’asseoir.

Alors que le soleil s’est couché depuis longtemps, Alouna entend des voitures manœuvrer dans les allées du Conseil de l’entente. Il risque un regard par la fenêtre : les treize cadavres ont disparu ; des camions-citernes sont en train de nettoyer, à grands jets d’eau, la scène du drame. Il passera la nuit dans les coulisses. Il ne dormira pas. Tournant et retournant dans sa tête la même question : « Mais qu’est-ce que le président a bien pu faire pour mériter ça ? »


Où sont les assassins présumés ?

Relancée début 2015 par le régime de transition après la chute de Blaise Compaoré, l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara est menée par le juge d’instruction militaire François Yaméogo. Parmi les dix-sept personnes qu’il a inculpées, six sont en détention préventive, dont Gilbert Diendéré, ex-chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré. Deux autres inculpés, accusés d’avoir joué un rôle majeur dans cette affaire, échappent toujours à la justice burkinabè et font l’objet d’un mandat d’arrêt international : Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando.

Exilé à Abidjan, le premier ne devrait pas faire face au juge Yaméogo de sitôt, les autorités ivoiriennes semblant peu enclines à l’extrader. Le second, ex-chef de la sécurité rapprochée de Compaoré et meneur du commando qui a assassiné Sankara, a été convoqué par le juge le 22 juin 2015… Mais l’ancien député ne s’est jamais présenté au tribunal militaire : il aurait fui le pays sans laisser de trace et serait lui aussi, selon nos sources, réfugié en Côte d’Ivoire.

Plusieurs pistes non élucidées

Hormis Compaoré et Kafando, la plupart des suspects ont été entendus. Convoqué à deux reprises en 2016 par le juge Yaméogo, Salif Diallo, l’ancienne tête pensante de Compaoré décédé en août dernier, a nié toute responsabilité dans l’assassinat de Sankara et ajouté que Blaise Compaoré ne pouvait ignorer ce qui se tramait. Quant à Gilbert Diendéré, il soutient ne pas avoir été mis au courant d’une quelconque opération contre Sankara et affirme que c’est Hyacinthe Kafando qui en aurait pris l’initiative.

Le juge Yaméogo, quant à lui, s’intéresse également à d’éventuelles implications étrangères – en particulier française, ivoirienne ou togolaise. Il a adressé une commission rogatoire à Paris pour demander la levée du secret-défense sur certaines archives et l’audition de différentes personnalités. Les autorités françaises ont répondu, en mai, qu’elles « n’y voyaient pas d’objection », mais qu’elles avaient d’abord besoin d’obtenir un « certain nombre de précisions ».


Cet article, initialement publié deux ans après l’assassinat de Thomas Sankara, a été republié en 2017, dans le cadre de notre dossier « Qui a tué Sankara ? Retour sur une affaire d’État, 30 ans après… »  consacré à l’ancien président du Burkina Faso à l’occasion des trente ans de sa mort. 

Ce que le gothique doit aux Arabes |Books

Au lendemain de l’incendie de Notre-Dame en avril 2019, l’arabiste et spécialiste du Proche-Orient Diana Darke faisait remarquer sur Twitter que les éléments de la cathédrale considérés comme les plus emblématiques de l’art chrétien européen venaient en fait d’Orient.

Ses propos furent rapidement repris dans la presse, qui flairait là matière à polémique. Avec son nouveau livre, Stealing from the Saracens, « Ce que l’on a volé aux Sarrasins », Darke enfonce le clou. Et les critiques sont partagées. « Après la surprise initiale, sa démonstration, si elle ne va pas toujours de soi, apparaît soudain limpide », note Peter Gordon dans l’Asian Review of Books.

L’arc brisé, la voûte sur croisée d’ogives, la flèche, le campanile, la rosace… de nombreux éléments de l’architecture religieuse européenne préexistaient dans des bâtiments construits au Proche-Orient ou dans le sud de l’Espagne.

Cette influence, qui a emprunté de multiples routes (interactions entre l’Espagne musulmane et ses voisins chrétiens, croisades, pèlerinages, commerce entre l’Italie et le Proche-Orient…), ne se limiterait pas au Moyen Âge. « Le dôme de la cathédrale de Florence par Brunelleschi, un des premiers chefs d’œuvre de la Renaissance, semble reposer sur la connaissance des techniques de construction islamiques et sur les écrits d’Ibn al-Haytham (ou Alhazen), un grand savant du XIe siècle. Antoni Gaudí, le très dévôt architecte de la Sagrada Familia de Barcelone, s’est inspiré des chefs d’œuvre islamiques d’Espagne », pointe Rowan Moore dans l’hebdomadaire britannique The Observer.

Rappelant que l’architecture n’est que rarement invention, mais le plus souvent un assemblage et une réinterprétation d’éléments préexistants, et que les bâtisseurs occidentaux ont pioché des éléments romains, grecs mais aussi arabes ou néolithiques, l’architecte Aaron Betsky regrette, dans Architect Magazine, que l’ouvrage de Darke soit si « brouillon ».

« Le livre reflète l’obsession de Darke : prouver que la Syrie est le berceau de la civilisation, une thèse qu’elle développe à l’aide de fragments d’arguments et d’anecdotes bien connues de l’histoire de l’architecture, le tout agrémenté de notes citant des émissions de télévision, des auteurs excentriques, et de proclamations soulignant que des bâtiments sont importants seulement parce qu’ils ont été inscrits au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. » Amandine Meunier

Stealing from the Saracens: How Islamic Architecture Shaped Europe, de Diana Darke, Hurst, 2020.

Source: Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., Amandine Meunier, 17.09.20

Décolonisations : la télévision française pose enfin des images sur l’horreur

| Par 
Des tirailleurs sénégalais dans le documentaire « Décolonisations, du sang et des larmes », de Pascal Blanchard et David Korn-Brzoza

Des tirailleurs sénégalais dans le documentaire « Décolonisations, du sang et des larmes », de Pascal Blanchard et David Korn-Brzoza © Gaumont Pathé Archives

Diffusé sur France 2 et disponible en streaming, le documentaire « Décolonisations, du sang et des larmes », de Pascal Blanchard et David Korn-Brzoza, met fin, avec d’autres travaux récents, au silence entourant cette période sanglante de l’histoire de France.

Massacres de Sétif de 1945, répression de l’insurrection malgache de 1947… Pendant longtemps, l’extrême brutalité de la France face aux velléités d’indépendance de ses colonies s’est limitée à une ou deux phrases dans les livres d’histoire. Quelques mots, quelques chiffres, qui masquaient difficilement le grand silence entourant l’indicible.

Mais la violence extrême de l’ancienne puissance impériale, cachée péniblement sous le tapis, a fini par rejaillir d’autant plus vigoureusement dans les débats politiques récents. Et l’audiovisuel français, qui n’est certes plus la voix de son maître, mais qui ne peut plus non plus se contenter d’une indifférence coupable, a engagé en 2020 un tournant radical grâce à deux travaux d’exception.

Violence de l’occupant

Il y a d’abord eu Décolonisations, série documentaire en trois volets des réalisateurs Marc Ball et Karim Miské et de l’historien Pierre Singaravélou diffusée en janvier sur la chaîne franco-allemande Arte. Pour la première fois, la parole était donnée aux anciens colonisés ou leurs descendants pour composer une histoire globale sur près d’un siècle et demi de combats contre l’occupant.

Voici à présent Décolonisations, du sang et des larmes, diffusée en prime time sur France 2. La grande chaîne du service public n’a pas lésiné sur les moyens pour rendre cette pilule amère un peu moins dure à avaler. Les deux documentaires de 80 minutes, disponibles en replay sur le site de la chaîne, s’appuient d’abord sur d’incroyables archives, parfois inédites, mises à disposition notamment par l’armée française et colorisées pour l’occasion.

Ces documents sont parfois stupéfiants, comme ceux montrant l’exposition coloniale parisienne de 1931, qui ouvrent le documentaire… Ou simplement effroyables, à l’image de l’exécution sommaire de supposés rebelles, tués froidement par des soldats français au début de la guerre d’Algérie.

Enfin des images sont posées sur l’horreur. Et si elles disent parfois la violence des indépendantistes, elles raconte surtout celle, disproportionnée, de l’occupant.

 

Dibango, Thuram et Vergès

Ponctuellement, des invités souvent prestigieux parlent de ce qu’ils, ou de ce que leurs parents, ont vécu. Les agitateurs du groupe Zebda, Hakim et Mustapha Amokrane, le regretté Manu Dibango, la journaliste Mélanie Wanga, l’animateur Soro Solo, l’ex-footballeur Lilian Thuram, la politologue et militante Françoise Vergès… Quels que soient leurs racines et leurs parcours, tous disent au fond la même chose. Leur histoire intime, celle racontée dans leur famille, celle qui les a marqués parfois dans leur chair, est bien loin de l’histoire officielle française.

Ces interventions (un peu courtes à notre goût) permettent d’incarner au présent les blessures de l’histoire qui n’ont toujours pas cicatrisé et de mieux comprendre les débats d’actualité sur les réparations coloniales.

En voix off, le réalisateur et acteur Lucien Jean-Baptiste avance progressivement la thèse des auteurs : les décolonisations ne sont pas quelques conflits juxtaposés, dont on a surtout retenu l’Indochine et l’Algérie, mais une suite de troubles liés entre eux, entraînant la France dans une guerre de près d’un quart de siècle.

Pédagogique, didactique, et pEncore beaucoup de travailas manichéen, le documentaire s’appuie surtout sur de précédents travaux de Pascal Blanchard réalisés en collaboration avec d’autres historiens, notamment l’ouvrage Décolonisations françaises, la chute d’un empire (éd. La Martinière) et l’exposition « Les indépendances, 35 ans de décolonisations françaises ».

Ce documentaire et celui diffusé en janvier sur Arte ouvrent une brèche. Mais il faudra certainement encore beaucoup de travaux grand public comme celui-ci pour combler tous les trous de mémoire de l’histoire de France… Et développer l’histoire récente sur les relations de la métropole avec ses anciennes colonies, qui n’ont pas beaucoup perdu de leur violence.