Histoire

Mauritanie : le chantier inachevé de l’unité

                          Défilé durant l'indépendance de la Mauritanie, en novembre 1960
                                       
                              Défilé durant l'indépendance de la Mauritanie, en novembre 1960
 Gamma-Keystone via Getty Images - Keystone-France

Ce 28 novembre 2020, la Mauritanie célèbre les 60 ans de son indépendance. L’anniversaire d’un projet ambitieux, tant il y avait à bâtir en 1960 pour faire exister le jeune État. Soixante ans plus tard, un long chemin a été parcouru mais certains chantiers restent inachevés, comme celui de l’unité et de la cohésion sociale. Un dossier qui s’est imposé lors de la dernière campagne présidentielle et pour lequel certaines voix appellent le chef de l’Etat, Mohamed Ould Ghazouani, à poser de nouveaux gestes.

C’est le dernier pays d’Afrique francophone à avoir pris son indépendance en 1960. En Mauritanie, la construction du jeune État a été particulièrement complexe. Quand on l’interroge sur ses souvenirs de l’indépendance, l’ancien diplomate et ancien ministre Taki Ould Sidi n’y va pas par quatre chemins… Il avait 18 ans ce jour-là. Il se souvient de la tenue sportive qui lui avait été remis pour défiler. Du « grand jour » qu’a représenté ce 28 novembre. Mais surtout des défis qui ont immédiatement suivis. 

« Moi, dit-il, j’ai l’habitude de dire que parmi tous les pays qui ont accédé en même temps à l’indépendance, le seul pays qui était totalement démuni, c’est ici. » « Nouakchott était pratiquement inexistante, raconte le diplomate, il n’y avait pas de construction, il n’y avait rien. Pour loger les invités, c’était vraiment la débrouille. Le premier Conseil des ministres s’est fait sous la tente ! »

Moktar Ould Daddah proclame l'indépendance - 28 novembre 1960
                         28 novembre 1960. Indépendance de la Mauritanie. Moktar ould Daddah.
                             
                                                                  28 novembre 1960. Indépendance de la Mauritanie. Moktar ould Daddah.
 (INA)

Dans ses mémoires [1]le père de l’indépendance Moktar Ould Daddah se souvient lui aussi de la précarité des premiers jours. « L’indépendance, explique-t-il, fut proclamée dans un hangar de fortune, spécialement aménagé et qui contenait à peine tous nos invités étrangers et les principaux responsables nationaux. L’installation électrique, plutôt artisanale, était l’une de nos hantises. Une panne de l’unique groupe électrogène qui éclairait le hangar eût considérablement gêné le déroulement de la cérémonie de proclamation de l’indépendance. »

Ecoutez notre édition spéciale 60 ans de l'indépendance de la Mauritanie

Hostilité marocaine à l’indépendance mauritanienne

Ce soir-là, heureusement, le groupe électrogène tient bon : « En proclamant l’indépendance de mon pays, poursuit Moktar Ould Daddah, avec la très vive et profonde émotion que chacun pouvait deviner, je déclarai : “Le rêve de chaque homme, de chaque femme de ce pays est devenu réalité… Dans cette capitale naissante, je vous convie à reconnaître le symbole de la volonté d’un peuple qui a foi dans son avenir.” » Maintenir le courant électrique pendant cette cérémonie d’indépendance est d’autant plus important qu’une rupture de l’éclairage risquerait de créer la panique chez les invités. La radio marocaine, dans les jours qui ont précédé l’indépendance, a évoqué les risques d’attentat qui pesaient sur cette cérémonie.

L’hostilité marocaine à l’indépendance mauritanienne est connue. À l’époque, les autorités de Rabat défendent l’idée d’un Grand Maroc qui engloberait, outre le Sahara occidental, la Mauritanie, une partie du territoire du tout jeune Mali et un morceau du Sahara algérien. L’ONU a été saisie de la question de l’indépendance mauritanienne. L’URSS s’est saisie du dossier et en use comme levier de pression. Il faudra attendre le 27 octobre 1961 pour que l’Assemblée Générale des Nations unies accepte la Mauritanie dans la communauté des nations. Le Maroc lui-même ne reconnaîtra la Mauritanie qu’en 1969.

                Signature de l'indépendance mauritanienne entre Moktar Ould Daddah, le père de l'indépendance mauritanienne, et le Premier ministre français, Michel Debré (à dr.).
                         
Signature de l'indépendance mauritanienne entre Moktar Ould Daddah, le père de l'indépendance mauritanienne, et le Premier ministre français, Michel Debré (à dr.).
 © Gamma-Keystone via Getty Images

Faire reconnaître la souveraineté mauritanienne, former également une nation. Ould Daddah a lancé dès 1957 un mot d’ordre depuis Atar : « Faisons ensemble la patrie mauritanienne ». L’indépendance est une nouvelle étape dans ce chantier. « Pour la plupart des Mauritaniens, surtout les notables traditionnels, raconte le diplomate Ahmedou Ould Abdallah, ce 28 novembre a été un moment où ils ont pu affirmer qu’ils étaient Mauritaniens. Ils savaient ce qu’ils étaient, mais comme Nation j’ai l’impression que c’était nouveau. » 

Selon le chercheur Jean-Louis Balans, « l’unité des Mauritaniens, la construction nationale, ont été les priorités absolues de Moktar Ould Daddah depuis le début de sa carrière politique. Les fluctuations de son pouvoir, comme l’ambiguïté de son régime, reflètent les tactiques successivement adoptées dans la poursuite de cet objectif : donner une réalité à l’État et à la Nation mauritanienne. »

Une nation qui s’interroge sur son identité

Soixante ans plus tard, certains visages du pays se sont transformés. « Les choses ont beaucoup avancé », estime Diarra Sylla, 39 ans, entrepreneure numérique. Formée au Maroc et au Sénégal, elle est rentrée au pays il y a cinq ans pour fonder le premier fablab mauritanien, le Sahel Fablab, et la structure Innov'Rim, qui organise des ateliers de formation au numérique. Enthousiaste, la jeune femme a mille projets en tête. « Ma priorité est de participer au développement de ce pays, explique-t-elle. Tout ce qui se passe ailleurs, cela peut se faire ici.  Il y a beaucoup d'initiatives positives de jeunes. Je regrette la mauvaise image du pays. »  

Diarra Sylla dit également tout son espoir pour le pays : « La Mauritanie a besoin de toutes les communautés pour avancer. Il y a beaucoup d'opportunités, il faut le dire à la diaspora qui s'est découragée. Il faut laisser le passé, les discours haineux, qui nous empêchent d'aller de l'avant. Cela change beaucoup pour les femmes. La nouvelle génération est très ambitieuse et très battanteOn a un grand pays, je me dis que tout est possible ».

                         Nouakchott, la capitale mauritanienne.
                        
Nouakchott, la capitale mauritanienne. Laminesall96 / Wikimedia Commons

Les chantiers restent nombreux. Chantiers politiques, économiques, sociaux… Nouakchott, par exemple, doit sans cesse se réinventer. Dans les années qui ont précédé l’indépendance, la ville a été construite dans l’urgence, sur le sable, dans un site relativement inhospitalier près de la mer. Elle n’était en 1960 qu’un petit village d’à peine quelques centaines, peut-être quelques milliers d’âmes. La capitale compte aujourd’hui 1,2 million d'habitants. Les infrastructures ont du mal à suivre. « Il y a seulement 3% de la population qui sont branchés au réseau d’assainissement, indique Saleck Moulaye Ahmed Chérif, le directeur des études, projets et coopération à la région de Nouakchott. S’ajoute à cela le problème de gestion des ordures, un problème de pauvreté urbaine… »

Les langues en débats

La campagne électorale de l’élection présidentielle de juin 2019 a montré à quel point les questions d’unité et de cohésion nationale continuaient par ailleurs à préoccuper opinion et classe politique. Le débat sur les langues utilisées dans le pays n’est toujours pas réglé : quelles places respectives pour l’arabe, la langue officielle ? Le français, langue de l’ancien colonisateur ? Et les langues nationales, poular, soninké et wolof ?

Pour Idoumou Ould Mohamed Lemine, professeur à l’université de Nouakchott, il est temps de mettre fin à la « guerre des langues », qui a débuté en 1966 avec le vote de la loi sur l’arabisation de l’enseignement : « L’arabisation aurait dû être progressive pour ne pas bouleverser certains équilibres, certaines situations… La Mauritanie est un pays multiethnique, multiculturel, multilingue également… et donc cet aménagement linguistique a cristallisé les divisions autour de l’identité du pays, est-ce que c’est un pays arabe, est-ce que c’est un pays africain… »

Le système éducatif, explique le chercheur, est tiraillé par ces questions linguistiques qui, selon lui, ont même bloqué tout débat sur l’évolution de l’école mauritanienne « Je crois, lance-t-il, qu’il est temps que les Mauritaniens essaient de dépasser les tensions autour de cette question de langue et qu’ils acceptent d’adopter un bilinguisme arabe-français à l’école de base, c’est-à-dire jusqu’au collège, suivi d’un plurilinguisme à partir du lycée… Dans ce plurilinguisme les langues nationales, le poular, le soninké, le wolof auront leur place. J’espère que nos autorités, qui sont en train de préparer une nouvelle réforme de l’école mauritanienne, prendront le temps de résoudre cette question. » 

La mémoire meurtrie d'Inal

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Ce 28 novembre, d’autres questionnements identitaires de la Mauritanie remonteront également à la surface des eaux de la mémoire. Par le biais d’un autre anniversaire : celui du massacre de 28 militaires noirs, pendus sur la base d’Inal, dans la région de Nouadhibou, le 28 novembre 1990. Le drame s’est inscrit dans une période de sanglante de répression contre les Négro-mauritaniens, entre 1989 et 1991 que l’on appelle le « passif humanitaire ».

►À lire aussi : Mauritanie: la mort de militaires négro-africains en 1990 reste impunie

Houlèye Sall est installée sur des nattes, dans la cour de sa maison où elle accueille les membres du collectif des veuves. La présidente du collectif a aujourd’hui 80 ans. Son fils, Abdoulaye, a été tué en novembre 1990. « Ma vie a été gâchée, dit-elle. L’État n’a jamais rien dit, jamais rien fait. Je me sens un peu vieille, mais depuis 30 ans je marche le 28 novembre pour protester. » Une loi d’amnistie a été votée en 1993 pour les auteurs des crimes commis entre 1989 et 1992. Inadmissible pour Maïmouna Alpha Sy : son mari, lieutenant des douanes, a été tué à Nouadhibou la veille de la fête de l’indépendance. « La fête de l’Indépendance devrait être marquée par la joie, les rires et nous c’est le contraire : c’est les pleurs, c’est le deuil. On les a tués, pourquoi ? Les responsables sont là. On veut que ces gens-là soient traduits devant la justice. On ne va jamais abandonner. Si ce n’est pas nous, ce sera nos enfants, si ce n’est pas nos enfants, ce sera nos petits enfants ! »

Mamadou Lamtoro Camara, justement, avait à peine 2 ans quand son père a été tué à Inal. Le trentenaire parle d’un devoir de mémoire : « Je n’ai pas eu la chance de le voir. Je vois, parfois, les gens qui sont de mon âge, ils ne savent même pas ce qui s’est passé en Mauritanie, ça c’est grave ! Il faut que tous les enfants du pays sachent, comme ça nous pourrons construire la Mauritanie dans une bonne dynamique et vivre ensemble. » Comme chaque année, le collectif des veuves a prévu sa propre marche ce samedi, pour réclamer une nouvelle fois justice. Avant la marche, une journée de prières était organisée ce vendredi.

1. OULD DADDAH Moktar, La Mauritanie contre vents et marées, Paris, Karthala 2003

Un visionnaire à l’écoute du monde Africain 

Charles Lavigerie (1825-1892)

Il fut l'un des grands hommes de son temps, connu de Malte à la Pologne, en passant par Rome, l'Angleterre, la Belgique, la Suisse, l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie..., sans oublier le Brésil, les États-Unis et le Canada où il avait des correspondants et bienfaiteurs pour les questions qui touchaient à la lutte contre l'esclavage des Africains et aux missions vers l'Afrique centrale (Sahara, Soudan et Grands Lacs).

Né en France, d'une grande intelligence et d'une foi solide, il suivit une brillante carrière ecclésiastique. Il fut professeur d'histoire de l'Église à la Sorbonne, Paris, directeur d'une œuvre pour aider les chrétiens orientaux (voyage en Syrie où il rencontre le sultan algérien Abd El Kader), diplomate français à Rome, évêque de Nancy...

En 1867, avec l'accord du pape, Lavigerie accepte l'offre que lui fait le gouvernement français de devenir archevêque d'Alger. Sitôt arrivé dans cette grande ville de l'Afrique du Nord, l'intérêt de Lavigerie dépasse vite le soin pastoral des chrétiens qui vivaient dans cette colonie française (depuis 1835).

Lavigerie utilise toutes ses capacités d'organisateur (et elles sont énormes) au service des orphelins d'une famine qui avait décimé le peuple algérien. Pour cela, il a fait appel à des hommes et à des femmes qui apprennent l'arabe, sont vêtus comme des Arabes ou des Kabyles, mangeant et vivant à la manière des Algériens de cette époque.

Archevêque d'Alger, Lavigerie avec un orphelin rescapé de la grande famine. Les vêtements de ce jeune montrent bien comment les premiers "Pères Blancs" portaient en fait le costume habituel des Algériens du 19e siècle, la gandourah (tunique), le burnous (cape) et la chéchia (bonnet de laine rouge). Lavigerie avait alors environ 45 ans (photo vers 1870).

Ainsi furent fondés deux instituts vite surnommées "les Pères Blancs" et "les Sœurs Blanches" (à cause de la tunique algérienne blanche dont ils étaient vêtus). Avec le développement des missions en Afrique subsaharienne (Afrique noire), les deux instituts prendront plus tard le nom de Société des Missionnaires d'Afrique (MAfr) et de Congrégation des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique (SMNDA).

Lavigerie était un visionnaire et un très grand organisateur. Il était un homme de foi et de décision. Il avait confiance en Dieu et en ces centaines de jeunes hommes et femmes qui répondirent à son appel de partir d'Alger vers les contrées du centre de l'Afrique. Il avait confiance en l'avenir des Africains et des Africaines.

Créé cardinal par Léon XIII et nommé "Primat d'Afrique", Lavigerie fit faire son portrait par Léon Bonnat, le peintre des personnalités (V.I.P.!) de l'époque. Le tableau, propriété de l'État français, est accroché au Musée national du Château de Versailles, France. Lavigerie avait alors 63 ans (le tableau a été peint en 1888).

Le pape Léon XIII, qui le traitait comme un frère, l'a nommé cardinal de l'Église romaine et primat d'Afrique sur le siège de saint Cyprien, à Carthage, Tunisie. Il est notre fondateur, le Cardinal Lavigerie ! Par son exemples et ses paroles, il nous a appris à aller à la rencontre des croyants de l'islam, des pratiquants des religions traditionnelles, des Africains et des Africaines, "à la manière de Jésus", selon ce qu'on peut en connaître en s'inspirant de la Bible et des Évangiles.Monument funéraire (cénotaphe) du Cardinal Lavigerie. D'abord à Carthage, Tunisie. Maintenant à Rome, Italie. Après sa mort (26 novembre1892), la renommée de Lavigerie s'emplifia au fur et à mesure que les historiens étudiaient sa participation active aux grands évênements de son époque. Dans le monde, la lutte antiesclavagiste. En France, le ralliement des catholiques à la République Française. Dans l'Église où, entre autres entreprises, il fut l'un des inspirateurs et l'organisateur hors paire des grandes missions catholiques vers l'Afrique centrale en même temps qu'il voulait ressusciter l'Église nord-africaine des saints Cyprien, Perpétue et Félicité, Monique et Augustin.  


 

Mort du Cardinal (Michel Carbonneau)

Il y a 128 ans, le Cardinal Lavigerie

26 novembre, anniversaire du décès du Cardinal Charles Lavigerie (1825-1892), archevêque d'Alger et de Carthage, Primat d'Afrique, fondateur de la Société des Missionnaires d'Afrique qui comprend des prêtres et des frères («Pères Blancs»), et de la Congrégation des Sœurs Missionnaires de Notre-Dame d'Afrique («Sœurs Blanches»). Il est traditionnel de rappeler le fondateur ce jour-là, dans toutes nos communautés de missionnaires. À Rome, c'est le P. Michel Carbonneau, originaire de Lévis, qui a fait mémoire du Cardinal à l'occasion de la messe du 26 novembre. Le P. Carbonneau est secrétaire général de notre Société et travaille à Rome, près du Supérieur général, le P. Richard Baawobr. Le portrait du Cardinal, en habit et bonnet de prince de l'Église, est l'œuvre du peintre Léon Bonnat, en 1888. Lavigerie qui vivait simplement mais qui soignait son image publique et l'idée qu'il donnait de la "grandeur de l'Église et de la foi chrétienne", a voulu être représenté la plume à la main et ses œuvres à ses côtés. Il est assis près d'une table où s'ouvre une carte géographique. Il s'intéressait aux découvertes récentes de l'intérieur du continent africain où déjà les premiers Pères Blancs travaillaient depuis 1878, dix ans après leur fondation à Alger en 1868. 

Michel Carbonneau MAfr,

Le 26 novembre 1892, le cardinal Lavigerie meurt dans sa résidence épiscopale de Saint-Eugène, à Alger. Il avait 67 ans. Il faut admettre que toutes les nombreuses luttes que le cardinal avait livrées, au cours des dernières années, avaient ruiné sa santé, en particulier la campagne antiesclavagiste et le Ralliement pour la République en France. La paralysie l’avait gagné de plus en plus. Et à la suite d’une grippe et d’une bronchite, il reçut le Sacrement des Malades. D’ailleurs ses derniers mois furent une agonie prolongée où se révélaient sa résignation et son courage. Il passait la plus grande partie de son temps à prier et à s’abandonner à la volonté de Dieu.

Il est remarquable que la question de la traite des esclaves préoccupe le cardinal jusqu’à ses derniers jours. Les temps ont changé depuis son grand appel de 1888 en faveur de l’abolition de l’esclavage. Lavigerie s’en rend bien compte. Il prévoit maintenant une action des missionnaires pour venir en aide aux esclaves libérés : c’est l’objet de sa dernière lettre écrite le 23 novembre, soit 3 jours avant sa mort.

Au cours de ces derniers jours avant sa mort, une autre question préoccupe l’archevêque d’Alger. C’est la question des Églises orientales. On prépare alors, à Jérusalem, un congrès eucharistique pour l’année suivante. Pour Lavigerie, cet événement ne doit pas se réduire à une célébration liturgique éphémère. Ce congrès doit constituer un stimulant pour avancer plus loin vers le grand but à atteindre : l’union des Églises. Le 23 novembre, il remet au P. Michel, l’un de ses missionnaires Pères Blancs à Jérusalem, une enveloppe contenant 1,000 francs pour le comité organisateur du congrès eucharistique. Il a encore la force d’expliquer son geste : « J’ai consacré, dit-il, les débuts de ma carrière apostolique à l’Orient et je veux y consacrer la fin, au service de la communion entre les Églises d’Orient et d’Occident ».

Autour de son lit de mort étaient réunis les représentants de toutes ses œuvres d’Afrique : entre autres, Mgr Livinhac et le Père Michel de Jérusalem, le P. Delattre et l’abbé Bombard représentant Carthage et Tunis, Mère Salomé, Supérieure des Sœurs missionnaires d’Afrique, le P. Buffet, supérieur des Jésuites d’Alger, en plus de son secrétaire et de son médecin. Dans la nuit du 26 novembre, le cardinal Lavigerie rendait son âme à Dieu.

Cette mort, immédiatement connue en France, puis dans le monde entier, prit les proportions d’un deuil national et universel. Le Pape Léon XIII, apprenant la triste nouvelle, leva les mains au ciel, et rappela tout ce que l’Église perdait dans ce grand homme. Et moi, dit le Pape, je sens ce que je perds. Ce cardinal Lavigerie, je l’aimais comme un frère, comme l’apôtre Pierre aimait son frère André.

Dans son testament spirituel, après avoir rappelé son obéissance et dévouement pour le Pape, Lavigerie redit son amour pour l’Afrique. Il écrit ceci : « C’est à toi que je viens maintenant, ô ma chère Afrique ! Je t’ai tout sacrifié, il y a 17 ans, lorsque j’ai tout quitté pour me donner à ton service… J’exprime, encore une fois, mon espérance de voir la portion de ce grand continent revenir à la religion chrétienne… C’est à cette œuvre que j’ai consacré ma vie ». 

Que peut-on dire de notre fondateur, cet homme singulier que fut Charles Lavigerie ?

On peut dire d’abord, que dès les débuts, il s’impose par sa dimension exceptionnelle. Il possède un tempérament passionné : passionné de l’homme et passionné de Dieu. Il est doué d’une capacité de travail remarquable et est capable de mener de front plusieurs entreprises de grande envergure.

C’est aussi un tempérament autoritaire, parfois excessif dans ses réactions. Il faut le dire, Lavigerie a souvent dérouté et parfois heurté ses interlocuteurs par sa manière de faire pression sur les personnes pour arriver à ses fins. Ou encore, il lui arrivait d’exprimer son désaccord avec une vivacité presque blessante. Mais lui-même le reconnaissait après-coup, et s’en excusait.

Le cardinal était un grand ‘manieur’ d’hommes. Il les embauchait partout où il les trouvait capables de le servir, puis une fois à lui, il les entraînait irrésistiblement. Il usait d’eux comme d’outils, tant qu’ils pouvaient servir, quitte ensuite à les changer dès qu’ils n’allaient plus à sa main. C’est ainsi qu’il eut, tour à tout, un grand nombre de secrétaires. Ceux-ci étaient d’ailleurs loyalement prévenus par lui-même à qui ils auraient à faire. Quand le cardinal me prit comme secrétaire particulier, raconte l’un d’eux, il me dit : « Mon enfant, aimez-moi comme un fils, je vous aimerai comme un père ; mais prenez garde ! Comme dit l’évangile : tu sais que je suis un homme austère, je moissonne où je n’ai pas semé ; et je ramasse où je n’ai pas répandu ! ».

Il a paru parfois difficile à certains de découvrir derrière cette personnalité imposante l’homme de cœur et plus encore l’homme de foi. Ce sont pourtant les dimensions majeures et fondamentales de Charles Lavigerie. Il porte en lui une capacité d’aimer sans limite, comme en témoignent sa devise « Caritas » et son attitude vis-à-vis des orphelins et le ton affectueux de certaines de ses lettres à ses missionnaires ou à ses amis.

C’est vrai qu’il est autoritaire, parfois jusqu’à l’excès, mais il se reprend, demande pardon et renouvelle sa confiance avec franchise et humilité. Un de ses serviteurs, nouvellement employé, raconte qu’une fois le Cardinal Lavigerie le gronda très fort et le renvoya. Mais ce serviteur apprit qu’en secret Mgr Lavigerie demandait autour de lui comment je prenais la chose. Puis quand l’épreuve a été assez longue, le Cardinal lui-même vint me trouver et me mit sur la tête sa calotte cardinalice en me disant : Mon cher ami, si la pourpre était donnée à l’humilité, ce serait à vous de la porter.

L’homme de foi, on le découvre dans les raisons de son acceptation du poste d’Alger et dans l’esprit missionnaire qui l’anime déjà. Mais on le retrouve plus encore dans ses enseignements et ses consignes à ses missionnaires. Pour lui, la mission est fondamentalement une œuvre spirituelle, qui requiert un engagement également spirituel sans demi-mesure. Ainsi il parle de la prière, du don de soi, de l’amour des gens, du respect qu’on leur doit, de la tendresse de Dieu.

Mgr Lavigerie était un homme bon, un homme de cœur. Ses emportements étaient habituellement suivis de confusions, de repentirs et d’excuses. Les préférences du cardinal étaient pour les gens du peuple. À la Marsa, il occupait un certain nombre d’ouvriers musulmans. Souvent il se rendait au milieu d’eux. Il s’asseyait simplement sur les racines d’un gros olivier, faisant approcher les travailleurs qui accouraient joyeusement. Il les saluait en arabe, les questionnait sur leurs petites affaires, leur parlait de Dieu. De temps à autre, il les régalait d’un mouton. Jamais un Arabe ne vint lui exposer ses misères sans repartir avec un secours proportionné à ses besoins.

Enfin, un autre trait de caractère que ses proches collaborateurs connaissaient bien, même s’il se manifestait peu en public, c’est la gaieté et l’humour qui marquent parfois le comportement de Mgr Lavigerie. Par exemple, dans une lettre qu’il envoie à son vieil ami, le chanoine Gatheron d’Alger, qui est atteint comme lui de la goutte, il écrit ceci :

« Chers et vieux débris, vous m’excuserez si je dicte cette lettre, car je ne suis pas moins débris que vous : la seule différence est que je suis pris de la goutte à la main et vous, vous êtes pris de la goutte au pied. Alors nous ne valons guère mieux l’un que l’autre. Et le Bon Dieu nous avertit chaque jour, en nous démolissant pièce par pièce, que le moment n’est pas loin où toute notre pauvre baraque s’effondrera… Tâchons de bien finir, mon cher ami, et ne nous faisons pas d’illusions sur ce que nous avons pu faire dans le passé, presque toujours cela a été de travers… ! »

On raconte aussi cette anecdote : Mgr Lavigerie, alors depuis longtemps archevêque d’Alger, se promenait un jour sur le quai d’une gare en France, sans aucun signe apparent de sa dignité. Un prêtre qui, comme lui attendait le départ du train, l’aborda et lui demanda : « Pardon, mon père, vous êtes missionnaire, n’est-ce pas ? Cela se voit à votre barbe. Hé oui, Monsieur l’abbé, je suis missionnaire, dit le cardinal. – Le prêtre reprit : « où donc êtes-vous missionnaire, si ce n’est pas indiscret ? Non, ce n’est pas indiscret, dit le cardinal, je suis en Algérie. – Le prêtre lui dit : Ah, vous êtes en Algérie ! Alors vous devez connaître notre ancien évêque, Mgr Lavigerie, car moi je suis de Nancy ? Mgr Lavigerie dit : Si je le connais, bien sûr que je le connais : je le vois de temps en temps ! Et le prêtre continue : « Est-il toujours aussi peu commode ? » « Ah, Monsieur l’abbé, dit le cardinal, il est pire que jamais, maintenant que le soleil d’Afrique lui a donné sur la tête ! »

Un jour, le cardinal était de passage à Naples. Très vite une foule l’entoure et demande : qui est ce cardinal ? Quelqu’un dit : « c’est le cardinal d’Afrique ! Et Mgr Lavigerie répond : « Eh bien oui, mes amis, je suis le cardinal de Carthage. » Puis quelqu’un demande : « qu’est-ce donc qu’il peut faire là-bas ? ». Et, avec la bonhomie souriante et spirituelle, le cardinal répond : « Écoutez un peu. Il y a plusieurs catégories de cardinaux dans l’Église. Il y a d’abord les plus parfaits, ceux de la première classe, ceux qui valent mieux que les autres, et ceux-là, le Pape en fait des archevêques de Naples. Et puis, continue Mgr Lavigerie, après les excellents, il y a encore les bons et il y en a beaucoup. Ceux-là, le Pape les garde à Rome, pour prendre leurs conseils et gouverner l’Église. … Et enfin, il y a ceux qui valent moins, et savez-vous ce qu’en fait le Pape ? Eh bien, ceux-là, le Pape les jette par-dessus la mer et les envoie en Afrique pour les corriger ». Alors la foule le regarde et on le plaint. Il povero. Il poveretto ! On lui demande combien de temps il sera là en pénitence et quand il en sortira ?

En conclusion, je voudrais dire ceci :

Le cardinal Lavigerie ne subsiste pas seulement par son œuvre. Ses grandes intuitions sont encore d’une singulière actualité.

À l’heure où les Églises africaines jouent un rôle de plus en plus important dans l’Église universelle, le cardinal nous rappelle que l’évangélisation en profondeur de l’Afrique doit être l’œuvre des Africains eux-mêmes.


N.B. : Ce texte a été prononcé au cours de l’Eucharistie du 26 novembre 2011, à l’occasion de l’anniversaire de la mort du cardinal Lavigerie. Il est très largement inspiré par les livres suivants : (1) Xavier de Montclos, Le cardinal Lavigerie, Le Cerf 1991 ; (2) Jean-Claude Ceillier, Histoire des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs). De la fondation par Mgr Lavigerie à la mort du fondateur (1868-1892), Karthala, 2008 ; (3) François Renault, Le cardinal Lavigerie, 1825-1892, L’Église, l’Afrique et la France, Fayard 1992 ; (4) Mgr Baunard, Le cardinal Lavigerie, Paris 1922, tome II ; (5) Abbé Félix Klein, Le cardinal Lavigerie et ses œuvres d’Afrique, A. Mame et Fils, éditeurs, 1897.

Michel Carbonneau

Guinée: il y a cinquante ans, «Mar Verde», l’attaque portugaise sur Conakry

                                       Moussa Soumah tient dans ses mains le Livre blanc de l'opération Mar Verde, du 22 novembre 1970, à Conakry.

                               Moussa Soumah tient dans ses mains le Livre blanc de l'opération Mar Verde, du 22 novembre 1970, à Conakry.
 © Carole Valade/RFI

7 mn

Le 22 novembre 1970, le destin de la Guinée a failli basculer. L’Empire portugais sur le déclin est mis en difficulté sur son territoire de l’actuelle Guinée-Bissau. Lisbonne va tenter le tout pour le tout en organisant, pour la première fois de son histoire et dans le plus grand secret, une attaque éclair hors de ses frontières. Objectif : renverser le régime de Sékou Touré, principal soutien des rebelles indépendantistes du PAIGC. Le coup de force échoue partiellement, mais va déclencher en 1971 la plus grande vague de répression de l’histoire de la Guinée.

De notre correspondant à Conakry

Ses mains tremblent lorsqu’il tourne les pages tachées d’humidité. Le « Livre blanc » a désormais la couleur ocre du temps qui passe. La couverture a disparu laissant place à un portrait d’Ahmed Sékou Touré. Le lecteur s’apprête à plonger dans les eaux troubles de la mémoire guinéenne. 

« Ce livre contient les dépositions des accusés après l’agression du 22 novembre », explique Moussa Soumah, désignant les visages. La voix se met, elle aussi, à trembler : « aucun n’est sorti de prison. »

Connue par les Guinéens comme « l’agression portugaise », l’opération porte, côté lusophone, le nom de code « Mar Verde », préparée dans le plus grand secret par une poignée d’officiers qui vont tenter de faire basculer le cours de la guerre coloniale, et le destin de la Guinée. 

Le plan de Calvão

En 1970, Lisbonne est sous pression internationale. La dictature militaire refuse de concéder l’indépendance à ses colonies et mène une guerre meurtrière sur de nombreux fronts. Le PAIGC, la rébellion indépendantiste de Bissau soutenue par le bloc de l’Est, Cuba et la Guinée, lui donne du fil à retordre. Les attaques sont quotidiennes jusque dans la capitale.

Pour renverser le rapport de force, une idée germe dans l’esprit du commandant Alpoim Calvão : une attaque éclair à Conakry afin de neutraliser la flotte du PAIGC, détruire sa base arrière et renverser son allié, le président Ahmed Sékou Touré et, enfin, libérer les prisonniers de guerre portugais détenus dans la capitale. 

Calvão se procure des mines ventouse étanches en Afrique du Sud, des uniformes soviétiques pour plus de discrétion, 250 AK47, 12 RPG7, 20 mortiers de 82 millimètres ainsi que des munitions qui transitent par Lisbonne. 

« Nous savions qu’il y avait un groupe d’exilés guinéens, nommé Front de libération national de Guinée qui était en contact avec le gouvernement portugais. Ils réclamaient notre soutien pour une action militaire contre Sékou Touré », se souvient Calvão qui entreprend de réconcilier l’aile politique du mouvement, dirigée par David Soumah et l’aile militaire de Thierno Diallo, brièvement arrêté à Dakar. 

D’autres interceptions mettent en péril le secret. Fin septembre 1970, Ahmed Sékou Touré dénonce sur Radio Conakry « l’existence en Guinée-Bissau de camps d’entraînement de mercenaires guinéens ».

Lisbonne donne néanmoins son feu vert, à condition que rien ne permette d’identifier les auteurs. Les bateaux sont repeints jusqu’aux bouées de sauvetage, les Portugais se teignent le visage en noir, les plaques de groupe sanguin, les revues, les boîtes d’allumettes jetées à la mer.

Les six navires approchent en silence et en ordre dispersé. « Conakry à vue » dit le télégramme. 430 soldats prennent part à l’opération : 200 membres du FLNG, 150 commandos africains et 80 fuzilleiros especiais, l’unité d’élite de l’armée coloniale.

« Comme dans le film, mais là c’était la réalité ! »

Ce 22 novembre 1970, la lune est nouvelle, la marée pleine et aucun vent n’agite les haubans. Alpoim Calvão n’a pas seulement choisi la date en fonction de critères météorologiques : le samedi, les dancings et cinémas de Conakry font salle comble. 

Moussa Soumah ne se doute de rien, il applaudit les exploits de Gregory Peck dans Les Canons de Navarone projeté ce soir-là au cinéma 8-Novembre. De retour chez lui, les premières détonations retentissent « comme dans le film, mais là c’était la réalité ! » 

Dans le port de Conakry, une boule de feu s’élève vers le ciel. L’offensive commence. La flotte du PAIGC est rapidement détruite et la ville plongée dans le noir. Calvão compte sur la coupure d’électricité pour déstabiliser l’ennemi. 

Les canots pneumatiques glissent vers la terre, les fuzileiros prennent d’assaut le camp Boiro, puis le camp des miliciens avant de sauter le mur qui le sépare de la Villa Silly, la résidence du chef de l’État. Ils grimpent les escaliers quatre à quatre mais à l’étage le lit est encore fait : Sékou Touré est en lieu sûr. 

Aucune trace non plus d’Amilcar Cabral, fondateur du PAIGC. Les assaillants détruisent néanmoins les installations du parti et libèrent les prisonniers portugais. « J’ai été réveillé au milieu de la nuit par des coups de feu qui se rapprochaient rapidement, se souvient le plus célèbre d’entre eux, le sergent pilote Antonio Lobato. Puis, un tir de bazooka a fait exploser la fenêtre. À entendre tout cela, j’avais la certitude que ces hommes étaient des nôtres. »

La retraite

Le jour commence à poindre et la contre-offensive débute. Dans le quartier Sans-fi, les chars guinéens reprennent le contrôle du camp Samory. Alpha Oumar Bah met le nez dehors : « j’ai pensé : "mais il ne va pas tirer quand même !" Mais le coup est parti et là… je vous avoue que, j’ai été plus rapide que le son pour déguerpir ! » 

Ces renforts inattendus déstabilisent les assaillants qui, arrivés à l’aéroport, ne trouvent aucune de trace de l’aviation militaire qu’ils sont censés détruire. Pire encore : l’un des officiers portugais vient de déserter : « Ce fils de p… de lieutenant a pris la fuite avec vingt de mes hommes, il m’a trahi lamentablement », peut-on lire sur un télégramme du capitaine Morais. Faute de contrôler le ciel, l’attaque aérienne est annulée. Ne pouvant prendre le risque d’être identifié par la perte d’un navire, Calvão sonne la retraite.

« Peuple de Guinée, tu es victime dans ta capitale Conakry d’une agression de la part des forces impérialistes », les mots de Sékou Touré résonnent sur les ondes de la Voix de la Révolution. Les assaillants ont échoué à faire taire la radio nationale. Tandis que le FLNG poursuit le combat sur terre, les prisonniers libérés gagnent les navires qui déjà lèvent l’ancre.

« L’arbitraire et l’injustice »

 

Le peuple a-t-il répondu à l’appel aux armes lancé par le Guide suprême de la Révolution ? Les versions divergent. Pour le régime, c’est la preuve qu’un « complot international » existe et l’occasion de déclencher l’une des répressions les plus féroces de son histoire : la « grande purge » de 71. Dans les préfectures du pays, les tribunaux populaires révolutionnaires condamnent à tour de bras. Le 25 janvier, les écoliers de Conakry sont convoqués sous le pont du 8-Novembre pour voir se balancer au bout d’une corde les corps de quatre hauts cadres du régime, accusés de complicité.

« Ça nous a bouleversés, témoigne Moussa Soumah. J’ai compris qu’il s’agissait de faire disparaître ceux qui constituaient un obstacle pour le président, comme les pions sur le damier », dit-il en baissant la voix. Le sujet reste sensible : en Guinée l'histoire est un enjeu politique. 

Le même jour, du haut de ses 6 ans, Mohammed Barry voit pour la première fois son père pleurer : « J’ai découvert l’arbitraire et l’injustice. » Dans le quartier de Sans-Fil, il ramasse les étuis des balles sans trop savoir pourquoi. Cinquante ans plus tard, il est l’un des militants des droits de l’homme les plus actifs du pays. 

►À écouter aussi : Opération Mar Verde, les eaux troubles de la mémoire guinéenne

À consulter: RFI SAVOIRS - Guinée : une histoire des violences politiques

Décès de Jerry Rawlings : « Comment j’ai sauvé le Ghana », l’entretien accordé à JA en 1997

| Par Jeune Afrique - Propos recueillis par Adama Gaye
Mis à jour le 12 novembre 2020 à 18h19
Jerry Rawlings, lors d'un meeting de campagne pour la présidentielle de 1996 à Accra, à l'issue de laquelle il a été réélu à un second mandat.

Jerry Rawlings, lors d'un meeting de campagne pour la présidentielle de 1996 à Accra, à l'issue de laquelle il a été réélu à un second mandat. © ISSOUF SANOGO / AFP

 

L’ancien président ghanéen Jerry John Rawlings est décédé ce 12 novembre à Accra. En janvier 1997, à peine réélu pour un second mandat, il avait accordé un long entretien à Jeune Afrique, que nous republions aujourd’hui.

Il n’est jamais à court de mimiques, d’éclats de rire, de silences expressifs et, surtout, de formules chocs. Jerry John Rawlings, » J.J. » pour ses compatriotes, est un régal pour tout journaliste que rebute la langue de bois si souvent pratiquée par les dirigeants africains. C’est l’un des rares que les faiseurs d’images qui parcourent le continent ne sont pas parvenus à dompter.

Le temps non plus n’a pas eu prise sur lui. Physiquement, il est resté presque le même, malgré un collier de barbe légèrement blanchi et quelques kilos superflus : il était plus mince lorsque, le 15 mai 1979, il fit irruption sur la scène politique ghanéenne, à la tête d’une mutinerie. Quelques jours plus tard, le 4 juin, ce métis de père écossais et de mère ghanéenne se retrouvait, presque malgré lui, à la tête de l’État. Dès le mois de septembre, il cédait le pouvoir au conservateur Hilla Limann, mais, devant la persistance des « magouilles », tentait, et réussissait, en décembre 1981, un nouveau putsch.

À l’époque, il se présentait volontiers comme un « révolutionnaire ». Pourtant, dès 1982, il n’a pas hésité à nouer une idylle, que certains ont jugé contre nature, avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international : son pays a été le premier à jouer la carte de l’ajustement structurel.

J.J. s’est-il embourgeoisé, comme l’affirment ses détracteurs ? Depuis l’instauration, en 1992, de la IVe République, qui a permis la création de plusieurs partis politiques et la libéralisation de la presse, le chef de l’État ghanéen est la cible d’attaques convergentes. On lui reproche, entre autres, sa gestion, le rôle politique joué par son épouse. Nana Agyeman Rawlings, ou encore le train de vie de ses collaborateurs…

Un président loin du faste

Pour ce qui le concerne, Jerry Rawlings est loin de vivre dans un décor fastueux. Ses appartements privés, à la présidence, sont fort modestes. Situés au dernier étage d’une vieille bâtisse récemment repeinte en blanc, on y accède par un étroit escalier. Cet ancien fort, construit au XVIe siècle et agrandi au fil des ans, est un condensé du passé colonial du pays. Des Danois, des Hollandais, des Portugais et des Britanniques, tous attirés par le commerce de l’or, de l’ivoire, de l’huile de palme et des esclaves, ont en effet contribué à sa construction.

Les Ghanéens l’appellent le Castle, le Château. Situé dans le quartier résidentiel d’Osu, à Accra, en bordure de l’océan Atlantique , il est désormais le siège des services présidentiels. Cinq soldats montent la garde à l’entrée des appartements du chef de l’État. Quelques objets trahissent les goût s du maître de s lieux : des vélos de course, un punching-ball… Le salon est simple. Pas de lambris dorés. Deux fauteuils noirs en cuir sont disposés autour d’une petite table où trônent trois téléphones et, en désordre, des livres ainsi que de nombreux journaux. Un poste de télévision pour les nouvelles. Sur les murs, outre un tableau, des photos de l’épouse du président et de leurs quatre enfants – trois filles et  un garçon. « Sa fille aînée entre à l’université cette année, et, bien qu’elle ait reçu quatre offres de bourse étrangère, les opposants exigent qu’elle fasse ses études au pays, confie un membre de son entourage. Pourtant, la plupart des dirigeants de l’opposition ont, eux, inscrit leurs enfants dans de prestigieuses universités étrangères. »

En survêtement, le Jerry Rawlings qui nous reçoit ce jeudi 16 janvier 1997 est au mieux de sa forme. Même s’il lui faut, de temps à autre, appliquer un glaçon sur ses yeux pour combattre la fatigue. C’est un homme heureux. Le 7 décembre 1996, les électeurs lui ont confié, avec 57,6% des suffrage s exprimés, un second mandat présidentiel de quatre ans. Son parti, le Congrès national démocratique (NDC), a raflé 133 des 200 sièges à pourvoir à ‘Assemblée nationale.

Redressement économique

En ce début de 1997, le Ghana a de nombreuses raisons d’être à la fête. À partir du 6 mars, il célèbre le quarantième anniversaire de son indépendance, obtenue de haute lutte, en 1957, par Kwame Nkrumah. L’ancienne Gold Coast ouvrai t ainsi la voie à la décolonisation de l’Afrique noire. Ce rôle de pionnier, l’équipe au pouvoir entend le marquer avec d’autant plus d’éclat cette année que le contexte politico-économique s’y prête. L’économie nationale s’est progressivement redressée : le taux de croissance est aujourd’hui de 5%. Finies les pénuries alimentaires et les files d’attente devant les stations d’essence. Grâce au cacao et à l’or, les deux principales richesses du pays, les rentrées de devises sont en augmentation, et la monnaie nationale, le cedi, s’est à peu près stabilisée.

Les investissements extérieurs affluent. Pourtant, les dirigeants de l’opposition contestent la réalité du redressement économique. John Kufuor, le rival malheureux de Rawlings à la présidentielle, souligne ainsi qu’après quinze ans d’ajustement structurel le salaire moyen mensuel reste inférieur à 500 dollars. Le taux de chômage est élevé, l’inflation avoisine les 50% et la dette extérieure représente près de 80% du produit national brut (PNB). Les électeurs ne l’ont pas suivi. Les populations rurales ont voté en majorité pour Rawlings, sans doute parce qu’il a placé le développement des campagnes au premier rang de ses priorités. Dans les villes, où l’opposition recrute le gros de ses troupes, seules quelques voix s’élèvent encore pour remettre en question les progrès enregistrés par la démocratie constitutionnelle.

État de grâce

En même temps que le président de la République, les dernières élections ont permis de mettre en place un Parlement pluraliste, ce qui devrait permettre d’engager un vrai débat politique. Il y a quatre ans, l’opposition, mécontente du déroulement du scrutin présidentiel du 3 novembre 1992, avait boudé les législatives… La justice et la presse ont gagné en vitalité. Les juges assument davantage leurs responsabilités : ils n’ont pas hésité à ouvrir des enquêtes contre plusieurs collaborateurs du président, soupçonnés de fraude. Le monopole du secteur public dans l’audiovisuel a pris fin et de nombreux journaux ont été créés. Dynamiques et bien informés – dans la tradition de la presse anglophone -, ils ne répugnent hélas pas toujours aux attaques personnelles.

Autre symbole de la montée en puissance du Ghana : l’état de grâce que connaît actuellement sa diplomatie. L’élection, à la fin de décembre, de Kofi Annan, un fils du pays, au poste de secrétaire général de l’ONU, en est l’illustration. Si chacun reconnaît les mérites du successeur de Boutros Boutros Ghali, rares sont ceux qui savent l’action efficace menée, pendant la campagne électorale onusienne, par le calme Dr Obed Assamoah, ministre des Affaires étrangères, et par son adjoint, le très compétent Dr Mohamed Ibn Chambas, que ses compatriotes ont d’ailleurs désigné, dans un sondage, « meilleur ministre de l’année 1996 ». Le président Rawlings n’a pas non plus ménagé ses efforts pour mobiliser ses pairs africains, notamment l’Ivoirien Henri Konan Bédié et le Sénégalais Abdou Diouf, derrière la candidature d’Annan.

J.J. s’est assagi. Il n’hésite pas à corriger les textes dans lesquels ses collaborateurs tentent de le mettre en vedette. « Il faut, leur dit-il, reconnaître les mérites des autres. » Bon élève de l’ajustement structurel et promoteur d’une démocratie à qui l’on peut reprocher sa coloration kaki mais dont les progrès sont réels, le Ghana revient de loin. Il n’est pourtant pas définitivement sorti du tunnel, Rawlings en est le premier conscient. Les défis qu’il va devoir affronter : la réduction du chômage dans les villes, la poursuite du développement rural, la lutte contre l’inflation et, surtout, contre la pauvreté, que les bons résultats macro-économiques n’ont pas fait disparaître.

Jeune Afrique : Vous avez pris le pouvoir par les armes à deux reprises, en 1979 et 1981. Depuis 1992, vous le détenez par la grâce des urnes. Seriez-vous devenu un pilier de l’establishment ?

Jerry John Rawlings : Je ne sais quoi vous dire ! [Rires] Le fusil et le bulletin de vote se complètent.

Qu’entendez-vous par là ?

Nous ne sommes pas intervenus militairement, en 1979 et en 1981, par goût du pouvoir. C’est la détérioration du climat socio-économique qui a conduit les militaires, au Ghana et ailleurs, à s’impliquer dans le jeu politique. Et ces interventions, je le regrette, continueront tant que les gouvernements ne parviendront pas à moraliser la gestion des affaires publiques. Il doivent être les premiers à respecter les lois. Comme on le dit en Afrique : le poisson pourrit d’abord par la tête !

L’intégrité est donc un critère déterminant de la bonne gestion d’un pays.

Absolument. Si nous avons pu rester au pouvoir si longtemps, ce n’est pas parce que nous avions, au départ, instauré un régime militaire et que nous avions la force pour nous. Tout autre gouvernement peut en faire autant, à condition qu’il ne détruise pas le tissu social et qu’il garantisse un climat propice au développement de l’économie. Les critères de mérite et de compétence sont également très importants.

Qu’en est-il des soupçons de corruption qui pèsent sur plusieurs de vos proches collaborateurs, notamment votre conseiller pour les affaires gouvernementales, Paul-Victor Obeng ?

Il y a trop de spéculations concernant RV. Obeng. Il a été très blessé par les attaques qui ont été portées contre lui. Je pense que l’enquête l’a réhabilité, et je tiens à saluer ses mérites. C’est un homme très brillant, capable de faire à lui seul le travail de trois ou quatre personnes. Qu’on ne compte pas sur moi pour gaspiller un talent pareil.

Le combat contre la corruption va-t-il continuer ?

C’est une nécessité. La révolte de 1979 n’avait aucune base idéologique. Elle était une réaction contre la corruption qui sévissait dans le pays. Il est indispensable de consolider les structures qui ont été mises en place pour la combattre. Faute de quoi, le pays pourrait connaître une nouvelle dérive.

Selon certains, vos succès économiques auraient été obtenus par la contrainte…

C’est faux. Rien n’a été imposé au peuple ghanéen.

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de pérenniser le pouvoir militaire ?

Je rejette ces accusations. Avant la restauration de la démocratie constitutionnelle, en 1992, le Ghana était gouverné démocratiquement. Le régime militaire était le produit d’une révolte de notre peuple. Or, comme l’a dit un jour le président John Kennedy, si vous tentez de vous opposer à une révolution pacifique, vous vous retrouverez bientôt avec une révolution violente sur les bras. C’est ce qui s’est passé au Ghana. Et n’oubliez pas qu’au départ notre révolte n’était pas un coup d’État !

Vous parlez de cette période comme de vos « années terribles ». Pourquoi ?

Ce fut une période d’extrême tension. Il était difficile de contenir la colère du peuple. C’est pourquoi il m’arrive souvent de dire qu’on peut tout faire à un individu sauf l’humilier ou le priver de sa dignité. Les gens n’aiment pas être dirigés par la terreur. Tôt ou tard, cela dégénère en haine. On déclenche forcément une réaction quand on opprime le peuple, qu’on le prive de ses droits. L’intervention de l’armée, le 4 juin 1979, puis le 31 décembre 1981, n’était rien d’autre qu’une réaction à des actes antérieurs qui avaient créé un climat de révolte dans le pays.

Jerry Rawlings, aux côtés de Thomas Sankara et de Blaise Compaoré (à gauche), en septembre 1983 lors d'une visite officielle du président ghanéen en Haute Volta.

Jerry Rawlings, aux côtés de Thomas Sankara et de Blaise Compaoré (à gauche), en septembre 1983
lors d'une visite officielle du président ghanéen en Haute Volta. © Archives Jeune Afrique

 

Etes-vous toujours un révolutionnaire ?

[Sourire] Pourquoi pas ? Même l’Amérique est constamment en état de révolution, mais de manière pacifique. Pendant la guerre froide, les deux puissances qui s’affrontaient – les États-Unis et l’ex-Union soviétique – avaient, certes, des philosophies économiques diamétralement opposées, mais elles sont, l’une et l’autre, parvenues à envoyer des hommes dans l’espace. Ces deux pays avaient en commun leur nationalisme et un idéal très fort. J’aurais aimé voir les choses avancer plus vite au Ghana, avec plus de créativité et d’innovation.

En quoi les élections présidentielle et législatives du 7 décembre 1996 constituent-elles une avancée de la démocratie ?

Elles ont consolidé nos acquis démocratiques. C’est la première fois depuis l’indépendance qu’un gouvernement ghanéen démocratiquement élu est allé au terme de son mandat. C’est aussi la première fois que le peuple renouvelle le mandat d’un gouvernement dans des élections pluralistes. Enfin, les élections se sont déroulées pacifiquement, avec une forte participation. Elles ont été qualifiées de libres et de loyales par des observateurs indépendants. Contrairement à ce qui s’est passé lors des élections législatives de 1992, l’opposition n’a pas boudé le scrutin. Nous avons un parlement pluraliste. En clair, le Ghana progresse sur la voie de la « gouvernance » démocratique.

La présence de votre principal adversaire, John Kufuor, à votre cérémonie d’investiture, le 7 janvier, démontre-t-elle la maturité de la démocratie ghanéenne ?

On peut, je présume, voir les choses ainsi. La reconnaissance de sa défaite par l’opposition et la participation de son chef à la cérémonie d’investiture sont de bons signaux adres sés au peuple. Ils vont, je l’espère, contribuer à réduire l’hostilité systématique de ses militants à notre égard, hostilité que nous n’étions d’ailleurs pas disposés à tolérer. Reste à espérer que ces signaux ne soient pas seulement destinés à amuser la galerie. Les diverses forces politiques doivent avoir un minimum d’objectifs communs. En d’autres termes, nous ne pouvons plus tolérer les divisions qui ont retardé le développement national. C’est un luxe à bannir. Car nous ne disposons pas, comme les pays développés, d’amortisseurs pour absorber les chocs provoqués par de telles divisions.

Est-ce à dire que l’heure de la réconciliation nationale a sonné ?

Il faut utiliser cette notion avec prudence : elle est devenue un fourre-tout. On ne peut pas oublier ce qui a déjà été accompli : nous avons résolument mis en œuvre une politique de réconciliation, mais il n’est pas possible d’effacer d’un seul coup ce qui s’est passé dans ce pays avant 1979. Le peuple avait été trahi. Or nous avons choisi de régler la question dans les casernes, en faisant surtout payer les généraux. De nombreux autres responsables de cette trahison ont été amnistiés. Ils auraient connu un sort différent si nous avions laissé faire le peuple. Ce sont les mêmes qui. dans l’opposition, parlent aujourd’hui de réconciliation et tentent de présenter cette période de révolte comme un cauchemar. J’espère que ces champions de la réconciliation apporteront leur contribution franche et objective au développement du pays.

La réconciliation ne doit pas être un simple mot d’ordre et ne peut faire oublier les erreurs du passé. La réconciliation peut-elle se traduire par l’entrée de l’opposition au gouvernement ?

Je n’y suis pas disposé, pour le moment. Il ne faut pas oublier que les membres du Conseil de défense nationale provisoire (PNDC), qui a dirigé le pays de 1981 à 1992, étaient déjà issus de plusieurs formations, et que certains, c’était mon cas, n’appartenaient à aucun parti. Mais nous partagions un sens élevé de l’intégrité et du dévouement à la nation.

Votre tiédeur envers l’opposition s’explique-t-ellepaila désertion de votre ancien vice-président, Kow Arkaah, qui a rejoint le camp adverse à la veille des élections ?

[Silence] J’ai été très déçu par lui. Mais je ne veux pas perdre de temps sur ce sujet. Cela n’en vaut pas la peine [rires ].

Tous les sondages indiquent que le pays souhaite voir de nouveaux visages au gouvernement.

C’est exact, le pays souhaite une injection de sang neuf, qui nous permette d’atteindre plus vite les objectifs que nous nous sommes fixés. Je suis moi-même sensible à ce besoin de changement. Les élections législatives ont partiellement réglé la question du renouvellement des hommes. De nouveaux députés ont été élus. Nous en avons, hélas, perdu quelques-uns de très bons, qui ont été battus parce qu’ils étaient trop occupés à assumer leurs activités parlementaires ou, tout simplement, à se défendre contre les accusations absurdes portées par certains journaux. Il est vrai que la Constitution réserve un quota de postes gouvernementaux à des personnalités non élues.

Votre pays est considéré par les institutions financières internationales comme un bon élève de l’ajustement structurel…

Quiconque a visité le Ghana il y a treize ans et y revient aujourd’hui peut facilement se rendre compte des progrès accomplis. La création de routes et de diverses infrastructures, le boom de l’immobilier, la multiplication des marchés et des boutiques, mais aussi l’allure des hommes et des femmes dans la rue, tous décemment habillés : tout cela est la preuve tangible du chemin parcouru. Cela n’a pu se faire du jour au lendemain.

Des mesures douloureuses ont parfois dû être prises. Il reste beaucoup à faire, notamment pour que les pauvres tirent un plus grand bénéfice de la croissance économique. Les grèves ouvrières de 1994 et 1995, qui n’étaient pas dénuées d’arrière-pensées politiques, ont provoqué une dangereuse reprise de l’inflation. Par ailleurs, nous évoluons dans une économie globale. Certains de nos produits sont plus chers que les produits importés. Nous n’avons presque aucun contrôle sur les leviers de commande de l’économie internationale.

C’est pourquoi nous estimons nécessaire d’encourager la consommation locale, mais aussi de nous tourner vers le marché de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Je précise quand même que, depuis la fin de 1995, l’inflation a été réduite de moitié. Nous espérons la ramener en dessous de 10% d’ici à la fin de cette année. Notre monnaie, le cédi, qui s’échange librement, était aussi en chute libre, mais sa dépréciation s’est ralentie. Nous misons également sur la stabilisation des exportations. Je pense que nous sommes à la veille d’une rapide accélération de la croissance économique, soutenue par le secteur privé national et étranger et par les investissements privés directs.

Quelles sont les priorités de votre second mandat ?

Nous voulons d’abord renforcer la discipline économique et améliorer le climat social de manière à attirer les investissements. Cela nous permettra aussi de lancer un projet baptisé Porte d’accès sur l’Afrique de l’Ouest, qui prévoit la création de zones de libre-échange et de ports francs, ainsi que la libéralisation de l’espace aérien. Nous poursuivrons ensuite l’action entreprise pour fournir à l’ensemble du pays de bonnes routes, de l’électricité, de l’eau potable, des télécommunications et des services éducatifs et sanitaires accessibles. Enfin, nous nous efforcerons d’accélérer le taux de a croissance agricole pour 1 garantir la sécurité alimentaire, développer les industries locales, diversifier et accroître les exportations. En campagne électorale, en décembre 1996 : « Le Ghana progresse sur la voie de la « gouvernance » démocratique. »

Avez-vous atteint les objectifs que vous vous étiez fixés lorsque vous occupiez le poste de président en exercice de la Cedeao, de 1994 à 1995 ?

Il faut du temps pour gagner le pari de l’intégration régionale. J’ai tenté, pendant cette présidence, de recentrer l’institution sur ses principales missions. Des progrès considérables ont été accomplis pour faciliter la liberté de circulation des biens et des personnes, la rationalisation des tarifs et des monnaies et la création d’un solide bloc économique régional. Mais nous avons aussi consacré beaucoup de temps à la crise du Liberia, au point parfois de donner l’impression que le maintien de la paix était l’objectif unique de la Cedeao. D’autres pays africains et certains bailleurs de fonds étrangers ont aussi apporté une contribution de poids. Mais bien que la situation au Liberia et dans d’autres États membres de la Communauté reste préoccupante, l’Organisation a pu revenir à sa mission originelle : intégration régionale. Je comprends, par ailleurs, les raisons, largement conditionnées par l’Histoire, qui ont incité les pays francophones de la Cedeao à créer d’autres institutions, même s’il est évident qu’elles risquent de faire doublon. Mais je suis persuadé qu’au bout du compte nous parviendrons à nous entendre pour que tous les projets en cours soient, à terme, placés sous l’égide de la Cedeao.

Une importante délégation togolaise a pris part à la cérémonie de votre investiture. Est-ce le signe d’une normalisation des relations entre la Ghana et le Togo ?

C’est dommage qu’une simple incompréhension ait failli créer des tensions entre nos deux pays. Mais nous avons mis en place, ensemble, des mécanismes sécuritaires pour contrôler ce qui se passe des deux côtés de la frontière. Nous sommes de bonne foi, et je suis persuadé qu’il en est de même des dirigeants togolais. Il arrive que des troubles éclatent dans un pays dès lors que ceux qui veulent s’exprimer n’ont pas la possibilité de le faire. Certains opposants peuvent être tentés de mener leurs activités à partir des pays voisins. Cependant, nos deux pays collaborent, depuis quelque temps, pour faire face à ce genre de situation.

Comment avez-vous accueilli l’élection de Kofi Annan à l’ONU ?

Nous sommes fiers, bien sûr, qu’un Ghanéen dirige l’Organisation des Nations unies. C’est bon pour l’image de notre pays. Kofi Annan a une responsabilité internationale que ses qualités et son expérience personnelles lui permettront d’assumer pleinement. Il lui faudra gérer avec impartialité les nombreuses priorités de l’ONU. Celles qui concernent l’Afrique et les autres régions en développement en proie à des crises et des conflits retiendront, je pense, toute son attention.

JJ Rawlings : « Comment… by jeuneafrique

Moktar Ould Daddah, la naissance de l'Etat mauritanien (1&2)

28 novembre 1960. Indépendance de la Mauritanie. Moktar ould Daddah

28 novembre 1960. Indépendance de la Mauritanie. Moktar ould Daddah
 (INA)
1 mn

Tout comme le sénégalais Léopold Sédar Senghor, le camerounais Ahmadou Ahidjo ou encore Félix Houphouët-Boigny pour la Côte d'Ivoire, Moktar Ould Daddah (1924-2003) appartient à la génération des leaders politiques issus de la décolonisation en Afrique. Il a eu un rôle déterminant dans la naissance de la République de Mauritanie qu'il va diriger pendant 17 ans, de 1961 à 1978.