Ce proche collaborateur de Patrice Talon, qui s’affirme « apolitique », peut compter sur de solides connexions, tant dans les instances financières que sur la scène politique.
Ministre suractif, salué par ses pairs africains pour les opérations financières qu’il mène sabre au clair sur les marchés internationaux pour le compte de son pays, Romuald Wadagni, 45 ans, est devenu l’un des éléments centraux du dispositif de Patrice Talon. Il est de tous les déplacements du chef de l’État béninois et, quand il ne l’accompagne pas, il voyage de New York à Londres, pour mener, avec ses équipes, les négociations avec les banquiers, institutions et régulateurs des marchés internationaux et concevoir les montages financiers. Cette semaine encore, il était à Tashkent, en Ouzbékistan, pour assister aux réunions annuelles de la Banque islamique de développement.
En première ligne, il retrouve sur ces terrains de nombreux anciens collègues, croisés lorsqu’il n’était pas encore aux commandes du ministère de l’Économie et des Finances. Avant d’intégrer le gouvernement de Patrice Talon, dans la foulée de son élection en 2016, Romuald Wadagni a en effet fait carrière au sein du cabinet Deloitte, où il était notamment chargé de l’activité d’audit du cabinet pour l’Afrique francophone. Il y a également été directeur de la branche Qualité et Risques pour l’ensemble des filiales de la société en Afrique. Une expérience qui l’a amené à se constituer un solide réseau sur les places financières internationales. Il a également tissé des liens solides avec certaines personnalités politiques de la sous-région, en particulier en Côte d’Ivoire. Voici le carnet d’adresses du ministre béninois des Finances.
• Les financiers
Romuald Wadagni entretient des relations privilégiées avec l’Éthiopien Abebe Aemro Sélassié, qui a succédé à la Libérienne Antoinette Sayeh à la direction du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI) en 2016, année où le ministre béninois des Finances a lui-même pris ses fonctions au gouvernement.
Les deux hommes, qui se croisent régulièrement dans les évènements internationaux, échangent par ailleurs régulièrement en privé. Sélassié considère Wadagni comme un précieux relais auprès des autres ministres des Finances africains, auprès desquels le Béninois bénéficie d’une bonne image.
Nommé secrétaire général de la présidence par Alassane Ouattara en mars dernier, Abdourahmane Cissé compte parmi les proches de Romuald Wadagni. L’ancien ministre du Pétrole a également été conseiller spécial auprès du chef de l’État ivoirien, responsable des Affaires économiques et financières.
Ancien banquier, Cissé bénéficie toujours d’un siège au conseil des ministres des Finances et du Budget de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (Uemoa). C’est dans ce cadre que les deux hommes ont notamment travaillé main dans la main sur l’épineux dossier de la réforme du franc CFA. Abdourahmane Cissé, pour le compte d’Alassane Ouattara, et Romuald Wadagni, pour celui de Patrice Talon, ont été centraux dans les complexes négociations, tant au sein de l’instance sous-régionale qu’avec Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie.
Reconduit pour un mandat de six ans à la tête de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en mars 2020, à l’issue du conseil des ministres de l’Uemoa que Romuald Wadagni présidait alors, Tiémoko Meyliet Koné entretient de bonnes relations avec ce dernier.
Comme avec Abdourahmane Cissé, Romuald Wadagni et Tiémoko Meyliet Koné ont beaucoup travaillé sur le dossier de la réforme du franc CFA, dont le calendrier a été sensiblement retardé par la pandémie de Covid-19. Le gouverneur de la BCEAO, qui manque rarement une occasion de saluer le bilan financier du Bénin, a notamment félicité le ministre Béninois – publiquement – lors de la première émission d’un Eurobond ODD, en juin dernier.
Romuald Wadagni a conservé de nombreux liens au sein de Deloitte, aux premiers rangs desquels, Ambroise Depouilly. De la même génération que le ministre béninois, avec lequel il s’est lié d’amitié, l’expert-comptable, associé Opérations Financières de Deloitte France, mène une activité de conseil pour les introductions en bourse en France, mais aussi aux États-Unis. Les deux hommes échangent très régulièrement sur des sujets économiques, en particulier la finance internationale. Wadagni le consulte notamment sur les questions relatives aux attentes des régulateurs des marchés internationaux. Mais leur relation dépasse le seul cadre professionnel : Depouilly vient en effet régulièrement à Cotonou pour y passer ses vacances, où il retrouve son ancien collègue.
Le ministre béninois entretient également des liens étroits avec le Britannique Nick J. Darrant. Depuis mai 2020, cet ancien de JP Morgan codirige le bureau «Debt Capital Market » (DCM), qui intervient sur les marchés des capitaux de la dette en Europe, au Moyen-orient et en Afrique. Il échange également très régulièrement avec Anne-Laure Kiechel, fondatrice et PDG de Global Sovereign Advisory (GSA), un cabinet indépendant créé en 2019 qui conseille une vingtaine d’États sur les questions financières. Après être passée par Lehman Brothers, Anne-Laure Kiechel a notamment dirigé le secteur du conseil aux États – le Sovereign Advisory Group – au sein de Rothschild & Co. Autre financier proche de Romuald Wadagni : le Britannique John Lentaigne, qui dirige la branche « Crédit et politiques des risques » au sein de Tysers, l’un des principaux courtiers en assurances de la place financière londonienne.
• Les politiques
Seul et unique conseiller spécial de Patrice Talon, Johannes Dagnon, cousin du président béninois dont il est très proche, dirige le Bureau d’analyse et d’investigation (BAI), élément central de la politique économique de Cotonou. Il échange quasi quotidiennement avec Romuald Wadagni, tant sur les questions financières et budgétaires qu’au sujet des grands axes de la politique économique. Les deux hommes sont les piliers du dispositif de Patrice Talon sur le front économique et budgétaire.
Expert-comptable, comme Wadagni, Dagnon est également associé majoritaire de la Fiduciaire d’Afrique, une société du réseau Exco, qui couvre 26 pays africains.
Si avec Abdourahmane Cissé, Romuald Wadagni bénéficie d’un allié précieux au sein de l’entourage du chef de l’État ivoirien, le ministre béninois entretient aussi de très bonnes relations avec le Premier ministre d’Alassane Ouattara, Patrick Achi.
Les deux hommes échangent sur les questions macro-économiques et financières. Romuald Wadagni a notamment été consulté par les autorités ivoiriennes lorsqu’elles ont décidé de repousser l’émission d’un eurobond initialement prévue en juillet dernier.
Toujours en délicatesse avec la justice de son pays, l’ancien Premier ministre de Thomas Boni Yayi n’en est pas moins en contact régulier avec Romuald Wadagni. Lionel Zinsou, qui codirige avec le Rwandais Donald Kaberuka la banque d’investissement Southbridge, s’entretient régulièrement avec lui sur les questions financières.
Bien qu’ils soient politiquement aux antipodes, les deux hommes assurent chacun de leur côté adopter une posture «apolitique » quand il s’agit des questions de développement. En janvier dernier, le Franco-Béninois n’avait d’ailleurs pas hésité à s’attirer les foudres de ses (anciens ?) alliés politiques en saluant les succès engrangés par Wadagni sur les marchés internationaux, lors de la double émission d’eurobonds réalisés par le Bénin début 2021.
C’était l’atout politique de Romuald Wadagni. Le père du ministre des Finances, décédé le vendredi 3 septembre, bénéficiait d’un réseau très riche au sein de la classe politique béninoise. Nestor Wadagni fut, entre autres, le directeur de cabinet de Bruno Amoussou, lorsque celui-ci était à l’Union fait la nation (UN). Ce dernier, cacique de la scène politique béninoise, est un très proche de Patrice Talon. Amoussou fut l’un des principaux concepteurs des réformes politiques menées par le président au cours de son premier mandat. Il dirige aujourd’hui l’Union progressiste (UP), l’un des deux partis de la mouvance présidentielle.
Nombreux sont ceux, à Cotonou, à prêter à Romuald Wadagni des ambitions politiques. Lui affiche au contraire une posture « non partisane». Au sein du gouvernement, il entretient d’ailleurs de bonnes relations tant avec Abdoulaye Bio Tchané, le très central ministre d’État chargé du développement et de la coordination gouvernementale, qui dirige le Bloc républicain (au pouvoir), qu’avec Pascal Irénée Koupaki, ministre d’État et secrétaire général de la présidence qui, lui, est secrétaire national de l’Union progressiste (UP). Mais, si les ambitions prêtées au ministre béninois venaient à se concrétiser, l’aura dont bénéficiait son père devrait être un atout essentiel dans la conquête d’une «base » politique et dans la constitution d’un réseau d’élus de terrains.