En se tournant vers la Chine et en s’endettant davantage, plusieurs pays d’Afrique subsaharienne deviennent vulnérables financièrement, analyse l’agence de notation Moody’s.
L’Afrique subsaharienne est la seule région du monde où la politique de gestion de la dette s’est dégradée de 2016 à 2018 aux yeux de la Banque mondiale. Les pays qui ont le plus contribué à ce déclin sont l’Éthiopie, le Kenya, le Nigeria, le Congo-Brazzaville, le Mozambique et la Zambie, souligne Moody’s dans un rapport publié mardi 18 février.
Outre le niveau de l’endettement, l’agence de notation analyse également la structure de cette dette et sa gestion. Selon elle, la vulnérabilité à un choc financier a progressé en Afrique subsaharienne en raison de la dette publique.
Entre autres parce que depuis 2012, l’Afrique subsaharienne est la région où la charge de la dette publique a le plus progressé, passant en moyenne de quelque 27 % du PIB à 52 %.
Des conditions de crédit qui se dégradent
L’explosion des eurobonds en particulier apparaît clairement dans les chiffres des quinze États subsahariens qui y ont recouru de 2010 à 2019, avec une collecte qui s’accélère fortement depuis 2016, passant de près de 6 milliards de dollars à plus de 16 milliards en 2019.
Cette augmentation majeure a été « permise par des conditions de marché globalement favorables et un appétit prononcé des investisseurs internationaux pour le secteur du haut rendement », décrypte Daniela Re Fraschini, vice présidente adjointe et analyste chez Moody’s.
La dette publique des pays subsahariens doit rester stable en 2020 et 2021 du fait des recettes fiscales et de la croissance, sauf pour l’Afrique du Sud et la Zambie, annonce Moody’s. En cas de fragilité, les grosses entreprises d’État accroissent la vulnérabilité de leur pays : c’est le cas en Afrique du Sud, en Namibie, au Ghana et au Cameroun.
Moody’s relève également une détérioration quasi généralisée des conditions de crédit depuis 2012. Seules la RDC, Maurice et le Botswana y échappent, mais les 21 autres pays subsahariens étudiés voient les intérêts de leur dette s’envoler, particulièrement le Ghana et l’Angola.
Au-delà de ces données purement quantitatives, le rapport de l’agence de notation analyse la composition de la dette. Depuis 2012, un mouvement de privatisation du marché de la dette s’est produit. Ainsi, la dette multilatérale (accordée par les banques de développement et les autres agences multilatérales) a nettement reculé, passant de 51 % à 44 % de l’endettement public des pays, quand les créances privées sont passés de 9 % à 16 %.
Une diversification à double tranchant
La dette concessionnelle (bilatérale et multilatérale) représentait ainsi 97 % de la dette publique de long terme en 2008, mais « seulement » 81 % en 2018. Soit un déclin qui reste relatif, puisque l’Afrique subsaharienne est encore plus dépendante de la dette concessionnelle que n’importe quelle autre région du monde.
Toujours est-il que ce recours accru aux marchés internationaux de capitaux contribue pour beaucoup à cette exposition accrue au risque, versatilité et exigence des créanciers oblige, explique Moody’s. Les prêts sont de maturité plus courte et avec un taux d’intérêt supérieur pour le marché de la dette que les prêteurs institutionnels.
soutenir le développement des marchés obligataires à l’attention des entreprises non financières
« Les États subsahariens se sont tournés vers les marchés obligataires internationaux principalement pour financer l’augmentation de leurs dépenses d’investissement public, mais aussi pour soutenir le développement des marchés obligataires à l’attention des entreprises non financières (comme en Afrique du Sud et au Nigeria) », analyse Daniela Re Fraschini.
D’autant plus qu’en parallèle, les créanciers extérieurs au Club de Paris (groupe de créanciers publics issus des pays les plus riches) comme la Chine, l’Inde et l’Arabie saoudite deviennent incontournables, « notamment pour les pays exportateurs de matières premières », précise Moody’s.
Les pays les plus endettés auprès de la Chine sont ainsi, selon l’agence de notation, l’Angola, l’Éthiopie, le Congo-Brazzaville, le Cameroun et la Zambie. Connue pour sa « propension à renégocier les prêts existants » (comme en Zambie), la Chine est en effet un créditeur qui exige souvent la renégociation des dettes existantes, ce qui a un impact sur le niveau de liquidité et de solvabilité des États.
Une situation qui peut s’avérer délicate, puisqu’en 2019 le Congo-Brazzaville a ainsi vu sa participation à un programme du FMI repoussée en raison de sa dette chinoise, là où ses voisins de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) y ont eu accès plus rapidement.
Mais il y a aussi le risque plus « traditionnel » de liquidité, qui pèse sur les États exposés à une dette à faible maturité. L’Angola, le Ghana, le Kenya et la Zambie sont particulièrement vulnérables de ce point de vue-là dans la région, relève Moody’s. Depuis peu, le Togo également s’expose davantage, « en ayant recours à des prêts en monnaie locale à faible maturité et à des taux d’intérêt élevés », payant là son « manque d’accès aux marchés financiers ».
Moody’s termine en relayant le constat fait par la Banque mondiale que si « de nombreux États à faible revenu ont créé un département de gestion de la dette pour faciliter la cohérence entre la politique d’endettement et la politique fiscale, peu modulent effectivement la stratégie de gestion de la dette à moyen terme avec leurs objectifs en politique fiscale », pointant du doigt de faibles capacités et des lacunes en matière de transparence. Avec au rang des mauvais élèves, le Congo-Brazzaville, le Mozambique, et dans une moindre mesure, le Togo et la Zambie, selon Moody’s, qui salue en revanche les efforts accomplis par la Côte d’Ivoire, le Sénégal et la Namibie.