Le chef de l’État togolais Faure Essozimna Gnassingbé accueille son homologue et voisin, le Ghanéen Nana Akufo-Ado, venu à Lomé pour une visite de travail, le 28 juillet 2022. © EMMANUEL PITA
Aéroport de Lomé, le 3 septembre 2022. Un avion affrété par l’État togolais débarque discrètement un petit groupe au sein duquel on reconnaît Robert Dussey, le ministre togolais des Affaires étrangères, ainsi que trois femmes en uniforme militaire ivoirien. Dussey rejoint aussitôt Abdoulaye Diop, le chef de la diplomatie malienne, et Fidèle Sarassoro, le directeur de cabinet du président ivoirien Alassane Ouattara. Tous se rendent au palais présidentiel de Lomé 2 pour un bref entretien avec le chef de l’État togolais, Faure Essozimna Gnassingbé.
S’ensuivit l’annonce de la libération de trois des quarante-neuf soldats ivoiriens interpellés le 10 juillet 2022 à l’aéroport de Bamako, au motif que leur arrivée sur le sol malien n’avait pas fait l’objet de notification ni d’autorisation préalables. Après les discours, militaires et officiels ivoiriens ont repris l’avion pour Abidjan. Ainsi s’est déroulée la partie « publique » de cette opération. Le détail des négociations, menées exclusivement par la diplomatie togolaise, est resté quant à lui soigneusement tenu secret. Même si l’on sait que le président Gnassingbé travaillait déjà à réduire les points de frictions entre Alassane Ouattara et le chef de la transition malienne, Assimi Goïta, avec, pour effet, d’inciter le président ivoirien à soutenir l’allègement des sanctions de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à l’encontre du Mali.
Une force diplomatique
C’est un fait, Lomé veut s’imposer en pivot diplomatique de l’Afrique de l’Ouest. Non pas seulement pour son rôle de médiateur dans la libération des militaires ivoiriens mais, aussi, dans son activisme d’intercesseur pour la réintégration du Mali sous transition au sein de la communauté économique régionale. Le 6 septembre dernier, comme en mars 2021, la capitale togolaise a ainsi accueilli la réunion du groupe de soutien à la transition.
Pour accroître sa visibilité et son attractivité, le Togo a également décidé d’adhérer au Commonwealth. Le 22 avril, le Parlement a en effet autorisé l’exécutif à finaliser le processus d’adhésion au « Club des gentlemen », regroupant majoritairement d’anciennes colonies de l’Empire britannique. Le Togo espère y gagner une amélioration de son image autant que des opportunités commerciales, eu égard aux perspectives que lui garantissent ce vaste marché extérieur pour l’exportation de ses produits nationaux. Cette présence constante sur la scène diplomatique régionale et celle continentale donne de la visibilité à ce pays de taille moyenne – 8,2 millions d’habitants –, tout en valorisant sa stabilité. Une vertu notable à l’heure des coups d’État et des transitions dans la région – au Mali, en Guinée et au Burkina Faso –, et alors que d’autres vacillent sous les attaques du terrorisme islamiste.
Des recrutements en masse face au péril jihadiste
Ces derniers mois, la nébuleuse jihadiste a pourtant tenté de déstabiliser le Togo en planifiant à cinq reprises des attaques dans la région des Savanes, partie septentrionale du pays, frontalière avec le Burkina Faso. La toute première attaque, dans la nuit du 10 au 11 mai dernier, a visé le poste militaire de Kpékpakandi, faisant 8 morts parmi les soldats togolais et 13 blessés. Au mois de juillet, des incursions jihadistes ont frappé des villages de Gnoaga et Gouloungoussi, où l’état-major général des Forces armées togolaises (FAT) a déploré « plusieurs morts ».
Face au péril jihadiste, les autorités ont apporté une réponse d’abord sécuritaire. Depuis le 13 juin, la région des Savanes est placée sous état d’urgence sécuritaire. Le haut commandement des FAT a obtenu un renforcement de ses moyens humains, avec le recrutement de plus de 2 000 hommes et femmes. Son budget a été augmenté : il est passé à 43,4 milliards de F CFA (plus de 66 millions d’euros), mobilisés pour l’achat d’équipements militaires, auxquels s’ajoutent 21,9 milliards pour la formation et le déploiement des forces. Quant à la loi de programmation militaire 2021-2025 – adoptée fin 2020 –, elle a été dotée d’une enveloppe de 722 milliards de F CFA, avec objectif de renforcer les équipements des FAT.
En plus de la riposte militaire, le plan de lutte contre l’islamisme radical comporte un volet économique et social visant à réduire la pauvreté, terreau sur lequel se développe l’islam politique. L’État a alloué une enveloppe de 16 milliards de F CFA pour le développement de la région des Savanes, la plus déshéritée du pays. Ce plan comporte un volet de construction d’infrastructures, notamment routières et hospitalières, un programme d’accès à l’eau potable, etc.
Une opposition léthargique
Ces préoccupations géopolitiques et sécuritaires semblent avoir relégué au second plan les questions de politique intérieure. Il faut reconnaître que l’exécutif n’a pas beaucoup de souci à se faire en la matière depuis la fin de la dernière séquence électorale, la présidentielle de 2020, qui a vu Faure Essozimna Gnassingbé être réélu sans surprise dès le premier tour, avec 70 % des suffrages exprimés.
En fait, la dernière sérieuse montée en pression de l’opposition contre la stabilité du pouvoir remonte aux appels à l’insurrection de l’opposant radical Tikpi Atchadam, le leader du Parti national panafricain (PNP), en 2017. Menace qui a été circonscrite et a signé l’entrée en léthargie de l’opposition. Celle-ci a perdu sa capacité à mobiliser, alors que, par le passé, ses leaders contrôlaient la rue togolaise. À 86 ans, l’opposant historique Gilchrist Olympio, le président de l’Union des forces de changement (UFC), vit la plupart du temps à Paris. Quant à Jean-Pierre Fabre, le patron de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), il n’a pas repris son rôle de leader de l’opposition depuis qu’il a été doublé, lors de la dernière présidentielle, par l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo dans la course à la candidature unique de l’opposition.
Riposte, résilience, relance
De son côté, l’exécutif tente de faire avancer ses programmes, malgré les conséquences de la pandémie de Covid-19 et, désormais, de celles de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Après son élection en février 2020 à un quatrième mandat, Faure Essozimna Gnassingbé a nommé à la primature, au mois de septembre suivant, une spécialiste du développement : Victoire Tomégah-Dogbé.
Depuis, la cheffe du gouvernement se concentre sur la mise en œuvre du plan national de développement (PND), tout en adaptant les priorités aux urgences imposées par les aléas géopolitiques et conjoncturels : programme de solidarité Novissi (dispositif de transfert d’argent en urgence pour les plus démunis, mis en place moins de trois semaines après le début de la pandémie en 2020) ; plan d’urgence agricole pour soutenir la production et garantir l’autosuffisance alimentaire ; mesures pour lutter contre la vie chère (subventions aux produits pétroliers et denrées de première nécessité, plafonnement des prix, etc.).
La crise sanitaire désormais circonscrite, la feuille de route 2020-2025 du gouvernement s’articule autour de la stratégie dite des « trois R » : riposte, résilience, relance. Et force est de constater que le pays s’est remis en marche : sa croissance, qui s’est maintenue à 1,8 % en 2020, devrait rebondir à 5,6 % selon le FMI. « L’objectif est d’opérer une transformation économique de notre agriculture et du secteur industriel, en valorisant davantage les filières, à travers une approche de chaînes de valeur plus productives », explique Victoire Tomegah-Dogbé. La recette permet jusqu’à présent au pays de se donner les moyens de résister aux chocs extérieurs et de préserver sa stabilité, qui est finalement son atout majeur.