RFI : Vous étiez d’abord professeur et écrivain, avec un doctorat en sociolinguistique. Comment êtes-vous venu à l’art contemporain ?
Sanda Amadou : Au début, je n’ai pas vraiment choisi d’être artiste plasticien. Au départ, je voulais faire de la poésie et écrire des nouvelles. Mais, j’avais du mal à trouver une maison d’édition pour publier mes poèmes. Du coup, je me suis tourné vers ma culture nomade peule. J’ai commencé à collectionner des tatouages peuls que j’ai dessinés sur des papiers pour les expliquer et interpréter. Ensuite, j’ai basculé vers les arts plastiques.
► À lire aussi : AKAA: l’artiste malien Abdoulaye Konaté invite à la découverte de la création africaine
La culture peule existe dans de nombreux pays. Vous êtes né au Bénin, vous avez étudié au Ghana et au Nigeria avant de retourner en 2019 au Bénin. Ce parcours personnel entre plusieurs pays et entre plusieurs cultures, comment a-t-il influencé votre approche artistique ?
Je ne pense pas qu’il y ait plusieurs cultures qui se reflètent dans mon travail, c’est plutôt une seule culture, la culture peule, même si c’est compliqué de parler de "la culture peule". Les Peuls se trouvent dans presque tous les pays en Afrique, mais il y a des points communs qui caractérisent la culture peule.
Ceux qui connaissant la culture peule reconnaîtront des éléments de cette culture dans mes tableaux, par exemple le bâton peul, un élément clé de notre culture, parce qu’il permet de« Zone interdite »
(Détail), œuvre de 2022 de l’artiste béninois Sanda Amadou à AKAA. © Siegfried Forster / RFI guider le troupeau dans la brousse.
Qu'est-ce qui vous a poussé à quitter le Bénin ?
Le Bénin est un petit pays. Il n’y avait pas d’écoles d’art. Donc, je me suis retrouvé au Nigeria. Cela m’a permis d’aller à la rencontre de plusieurs autres artistes et d’améliorer ma technique de travail, avec des écoles d’art à Lagos. C’était une grande ouverture dans le domaine des arts plastiques. Mais au Nigeria, cela n’était pas facile non plus, parce que je suis Peul et il y a toujours des conflits entre paysans et bergers nomades. Cela a eu aussi des répercussions sur mon travail. Je travaille abondamment sur les nomades peuls. Du coup, quand je fais des expositions, très souvent, c’est un peu mal vu par certaines personnes. Pour eux, ce sont des criminels, des bandits, etc. Je suis même allé en prison pour cela à Lagos. Ce n’est vraiment pas facile, mais je continue à travailler…
Une de vos séries exposées à AKAA par la galerie néerlandaise OpenArtExchange s’intitule Forbidden Zone. De quelle sorte de « zone interdite» parlez-vous ?
Quand on prend le cas du Bénin, il y a souvent des forêts sacrées. Et il y a forcément un espace qui n’est pas occupé, c’est la « zone interdite », un espace rituel dédié à la divinité. C’est comme un monastère ou un couvent. Je n’aime pas trop utiliser le mot « vaudou ». J’appelle cet espace « zone interdite », mais elle est simplement réservée aux initiés, aux adeptes d’une culture. Forcément, il y a une divinité. Ceux qui s’y connaissant savent les sacrifices qu’il faut faire. Et seulement eux ont accès à cet espace. Bien sûr, cette divinité a des règles qu’il ne faut pas transgresser. C’est-à-dire tous ceux qui se rendent dans la forêt sont tenus de respecter les règles imposées par cette divinité. En même temps, cela permet de préserver les forêts et la nature. Ces œuvres ne parlent pas de cette divinité, mais montrent comment on peut passer par le sacré pour préserver l’environnement.
Ces tableaux sont rigoureusement structurés : sur les bords, une peinture très ordonnée, très plate ; à l’intérieur de la pièce apparaît une partie sculpturale, plasticienne, symbolisant une sorte de forêt ; et au cœur de l’œuvre domine un espace vide. Parlez-nous de cette structure et des matières et des couleurs qui vont avec.
Je n’aime pas trop les couleurs vives. J’aime les couleurs un peu ternes, par exemple le jaune ocre, le gris, le noir et aussi le « blanc sale ». La matière qui est là est composée de tresses, très populaire au Bénin et en Afrique. C’est fait à base de mèches synthétiques. Je prends ces mèches, je vais les colorer avec de l’acrylique, et ensuite, je les colle sur le tableau. Au milieu, je laisse un espace, réservé aux divinités. L’idée m’est venue au Bénin. J’ai vu des femmes tressées, et je me suis dit de prendre les tresses, mais pas pour parler des tresses, mais pour les détourner afin de représenter des forêts.
« Gardien des esprits III » (Détail), œuvre de 2022 de l’artiste béninois Sanda Amadou à AKAA. © Siegfried Forster / RFI
Toutes vos œuvres exposées à l’AKAA portent des titres lourds de sens (Zone interdite, Gardien des esprits, Retour à la source, L’épanouissement) et ont été créées en 2022. Y avait-il une urgence de réaliser et montrer ces œuvres ?
L’urgence est là : la planète. Nous le savons tous. Nous n’avons pas le choix. Nous devons, coûte que coûte, tout faire pour la préserver, lutter contre la pollution… L’urgence, elle est là. Au Bénin, comme dans beaucoup de pays en Afrique, on sent qu’il y a un dérèglement climatique. La saison de sèche dure plus longtemps. La saison pluvieuse se pointe plus tard, la chaleur monte.
► À lire aussi : Art contemporain: Paris+, le calme avant la tempête?
Même en Europe, on voit déjà qu’il n’y a plus de saisons. Nous sommes en octobre, normalement, il devrait faire froid ici à Paris, mais il fait chaud. Il est temps de prendre conscience, de changer nos habitudes. On a beau tout dire, mais la sensibilisation ne marche pas à 100%. S’il était possible de sacraliser toutes les forêts du monde, cela pourrait changer la donne. Cela pourrait permettre aux gens de respecter la nature. Pour cela, j’ai réalisé cette série Les lieux sacrés. Dès qu’on vous dit qu’il s’agit d’une forêt sacrée, automatiquement, vous changez votre attitude et vous respectez les règles qu’il ne faut pas transgresser. J’admets, dans la culture occidentale, c’est difficile de croire à des divinités, mais dans les pays africains, cela marche.
Vous soulignez que les ancêtres ont su vivre avec la nature. Comment communiquez-vous avec la nature ?
Quand je suis au Bénin, par exemple, quand je vais à la ferme de ma mère, que j’ai besoin d’une crosse ou d’une plante pour me soigner, je ne vais pas aller directement avec mon couteau pour couper. Il va falloir d’abord demander la permission. Quand vous avez besoin d’une feuille ou autre chose de cette plante, aussi petite qu’elle soit, vous devez d’abord formuler une demande, oralement, avant de recueillir les feuilles de cette plante ou l’écorce d’un arbre. Et vous prenez juste ce dont vous avez besoin. Si vous devez arracher toute la plante, il va falloir planter une autre plante ou voir ce qu’il faut faire pour qu’il n’y ait pas trop de dommages. C’est comme si vous vous adressez à un être humain. Par exemple : « Je ne me sens pas à l’aise, je suis un peu malade, j’aimerais avoir une partie de toi, j’en ai besoin pour me guérir. » Vous communiquez comme si vous demandiez service à quelqu’un. Si vous ne le faites pas, c’est comme un manque de considération.
► Les œuvres de Sanda Amadou sont exposées par la galerie OpenArtExchange à AKAA, du 21 au 23 octobre à Paris, Carreau du Temple.