C’étaient Elizabeth et Nelson. La reine d’Angleterre et le président sud-africain s’appelaient simplement par leurs prénoms. « On lui disait en rigolant : “qu’est-ce que c’est bien d’être toi, tu peux appeler la reine par son prénom”, se rappelle Ndileka Mandela, première petite-fille de Madiba. Je me souviens d’une fois où la reine avait téléphoné et l’appel avait été transféré dans la pièce où grand-père était assis avec nous. Ils se parlaient comme deux amis. »
La reine avait un lien particulier avec l’Afrique du Sud. Depuis le jardin de sa résidence du Cap, où elle séjourne pour une tournée africaine, la jeune Elizabeth prononce un discours resté célèbre à l’occasion de ses 21 ans. « Toute ma vie, qu’elle soit courte ou longue, je la consacrerai à vous servir et à servir notre grande famille impériale, assure-t-elle à la radio. Je suis peut-être à 6 000 miles du pays où je suis née, mais je ne suis certainement pas à 6 000 miles de chez moi. »
Pretoria tourne le dos à la couronne
Une déclaration d’amour à l’Afrique du Sud et au Commonwealth qu’elle jure de protéger. Le régime ségrégationniste de l’apartheid ne l’entend pas de cette oreille et tourne le dos à la couronne en se retirant de l’organisation en 1961. Une manière de se prémunir contre les critiques formulées par la Grande-Bretagne et les pays du Commonwealth à l’égard du système politique raciste de Pretoria, qui monte alors en puissance.
Elizabeth II, dit-on, prônait des sanctions économiques plus dures contre le régime de l’apartheid. L’affaire fait grand bruit en 1986 quand le Sunday Times rapporte que la reine tient tête à la première ministre Margaret Thatcher sur ce sujet. Cette passe d’armes fait l’objet d’une reconstitution dans un épisode de la saison 4 de la série The Crown. Il se termine par des images de Mandela lors d’une manifestation pour demander des sanctions.
Dès l’année de son élection, en 1994, Nelson Mandela fait réintégrer l’Afrique du Sud dans le Commonwealth. L’année suivante, Elizabeth II se rend au Cap. Une première depuis son discours de 1947. Elle s’adresse au Parlement, visite des townships, assiste à une messe animée par Desmond Tutu, archevêque du Cap et figure de la lutte contre l’apartheid. La reine se rend également à Durban où des journalistes sont invités à partager un thé avec elle. « Elle était absolument charmante, se souvient l’ancien journaliste parlementaire Wyndham Hartley. C’était très important, symboliquement, pour l’Afrique du Sud et la Grande-Bretagne d’être ainsi associées. »
MONSIEUR LE PRÉSIDENT, L’AFRIQUE DU SUD A UNE PLACE SPÉCIALE DANS MON CŒUR ET DANS CELUI DES BRITANNIQUES, LANCE-T-ELLE À MANDELA
La jeune démocratie sud-africaine peut compter sur la famille royale. Nelson Mandela est invité à Buckingham Palace en 1996. L’ancien prisonnier et militant anti-apartheid parade en carrosse au côté de la souveraine. « Monsieur le président, l’Afrique du Sud a une place spéciale dans mon cœur et dans celui des Britanniques », déclare-t-elle lors d’un banquet organisé en l’honneur de Mandela. « La reine lui demande : “Nelson, où dormez-vous ?” “Elizabeth, je dors à l’hôtel”, répond-il. “Non, vous ne pouvez pas dormir à l’hôtel, vous avez une chambre ici, à Buckingham Palace” », rétorque-t-elle, selon Ndileka Mandela, qui cite le dialogue pour illustrer la bienveillance qui entourait les relations entre son grand-père et Elizabeth II.
Après avoir planté un arbre lors de sa visite, Mandela dit en plaisantant qu’il aimerait avoir les moyens de pouvoir revenir toutes les semaines pour l’arroser.
Même sans se voir, les deux personnalités communiquent. Nelson Mandela correspond avec Elizabeth II. Lors de sa rencontre à Londres avec cette dernière, en 2018, le président Cyril Ramaphosa et la souveraine « ont passé du temps à regarder les lettres que l’ancien président Mandela envoyait à la reine et à évoquer le grand homme que Sa Majesté respectait énormément », indique un communiqué de la présidence sud-africaine.
À CHAQUE FOIS QUE JE VOUS VOIS, VOUS AVEZ L’AIR PLUS JEUNE, LA FLATTE MADIBA
Elizabeth a vu Nelson vieillir. « À chaque fois que je vous vois, vous avez l’air plus jeune », la flatte Madiba, reçu à Buckingham Palace pour ses 90 ans, en 2008. Lui marche difficilement, en s’appuyant sur une canne. Son corps flotte dans une grande chemise bariolée. Il mourra cinq ans plus tard, en 2013. Lors de ses funérailles, le prince Charles représente la reine. « Il était l’une des rares personnes acceptées près de la tombe. Cela montre leur proximité. » Nelson Mandela est mort à l’âge de 95 ans, la reine d’Angleterre à 96 ans. Ndileka veut voir un signe dans la longévité de ces deux monuments.