Qu’elle semble loin, l’époque où, faisant taire leurs divergences idéologiques et politiques, les leaders du M5-RFP marchaient ensemble afin de réclamer le départ d’Ibrahim Boubacar Keïta. Konimba Sidibé, Modibo Sidibé, Sy Kadiatou Sow ou encore Cheikh Oumar Sissoko s’étaient alors unis à Choguel Kokalla Maïga et soulevaient la rue contre « l’incurie et la corruption » des années IBK.
Deux ans plus tard, et après l’accession à la primature de Choguel Maïga, l’unité du M5-RFP a volé en éclats. Ce mercredi 3 juillet, une large frange du mouvement a annoncé ne plus reconnaître « l’autorité du comité stratégique du M5-RFP dirigé par Choguel Kokalla Maïga ».
« Il ne siégera plus dans nos rangs », a martelé l’ancien ministre de la Justice Mohamed Aly Bathily, chargé de lire la déclaration du nouveau directoire auto-proclamé.
Deux camps
À l’occasion d’une allocution véhémente à l’égard du Premier ministre, lue au nom, notamment, de l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, du cinéaste et figure de la gauche Cheikh Oumar Sissoko et des anciens ministres Sy Kadiatou Sow et Konimba Sidibé, Bathily a officialisé la naissance du comité stratégique du M5-RFP « Mali Kura » (comprendre « Mali nouveau » en bamanankan).
Celui-ci « sera le creuset de tous les espoirs attendus par notre peuple […] et il faudra apprendre à compter avec », a promis l’ancien garde des Sceaux. Derrière la création de cette branche dissidente, qui fera face au comité stratégique initial du mouvement toujours présidé par le Premier ministre, se cache une crise larvée entre les principales figures du mouvement et Choguel Kokalla Maïga.
« On pouvait penser que [sa nomination] fournirait l’occasion d’amorcer les bases structurelles et fonctionnelles du nouveau Mali. Il n’en fut rien, car très vite, le président du comité stratégique du M5 devenu Premier ministre est apparu clairement et nettement plus soucieux de son pouvoir personnel que du changement », a fustigé Mohamed Aly Bathily, dénonçant le « culte de la personnalité » du chef du gouvernement.
« Ogres du pouvoir »
« Le comité stratégique doit être un organe de veille et de critique de l’action du gouvernement. Quand son président est aussi le Premier ministre, cela n’est pas possible. On ne peut pas être juge et partie », ajoute Konimba Sibibé, contacté par Jeune Afrique.
Pour ce membre fondateur du mouvement, qui a pris la présidence du nouveau comité stratégique, la démission des instances dirigeantes du mouvement de Choguel Maïga mais encore d’Ibrahim Ikassa Maïga, ministre de la Refondation, d’Oumarou Diarra, imam devenu ministre délégué chargé de l’Action humanitaire, de la Solidarité, des Réfugiés et des Déplacés et de Bakary Doumbia, ministre de l’Entrepreneuriat, est « indispensable pour conserver l’essence du M5-RFP ».
Une demande de longue date. Dès le 7 janvier, une partie des ténors du M5 adressait un courrier aux membres du mouvement entrés au gouvernement, leur intimant de céder leur place. « [Ce sont] des ogres du pouvoir […] en rupture de ban avec les entités qu’ils étaient censés représenter », a tancé Mohamed Aly Bathily en conférence de presse, sous les vivats de l’assistance.
« On nous a opposé une fin de non recevoir, se souvient Konimba Sidibé. Une partie du comité stratégique a été achetée par Choguel Maïga par le biais de nominations au gouvernement. Il y a les ministres, mais aussi de nombreux chargés de mission. Choguel voulait un M5 dépourvu de son rôle critique qui applaudirait tout ce qu’il ferait. »
Forte contestation
La contestation de son propre mouvement peut-elle porter le coup de grâce à Choguel Kokalla Maïga ? De plus en plus contesté au sein de la classe politique, le Premier ministre fait en tout cas face à plusieurs fronts. Le 21 juillet, le cadre d’échange des partis politiques, coalition qui regroupe plusieurs formations, précédait le M5 et exigeait « la démission immédiate de ce Premier ministre clanique, agissant contre l’esprit de la transition », suite à une déclaration de Choguel Maïga, appelant les « forces du changement à se donner la main [pour gagner] les prochaines élections ».
Des propos qui ont également « stupéfait » et « outré » l’Adema-PASJ, plus vieille formation politique du pays. « Suite à une telle déclaration malencontreuse, terreau de la division et de conflits pré ou post-électoraux, [le Premier ministre] n’est plus crédible [et] ne saurait être considéré comme l’interlocuteur idéal pour la suite du processus de transition », écrivait le chef du parti Marimantia Diarra le 22 juillet, appelant lui aussi à la démission du locataire de la primature.
Bilan critiqué
Au sein même des instances de la transition, l’action du Premier ministre divise. En avril dernier, le chef du gouvernement était exhorté à rendre des compte et à présenter son bilan devant le Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif.
Présidée par le colonel Malick Diaw, la représentation nationale s’était alors montrée très critique envers le Premier ministre. « Sans surprise, vous n’avez réalisé que trente pour cent des actions promises. Soit trois sur dix. Une note de renvoi si nous sommes à l’école », avait par exemple lancé Nouhoum Sarr, membre du CNT, issu lui aussi des rangs du M5-RFP.
Depuis, le nom du locataire de la primature est au centre de toutes les supputations et la rumeur de son possible limogeage enfle. « Je ne donne pas un mois à Choguel Maïga pour être débarqué », confiait, fin juillet, à Jeune Afrique, une figure politique bien introduite.