Pour les élections du 23 janvier, l’ancien leader du mouvement citoyen Y en a marre fait ses premiers pas en politique en se portant candidat dans la ville du centre du Sénégal qui l’a vu grandir. Après un parcours brillant de militant, il prône une politique de rupture.
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À Kaolack, la campagne de Fadel Barro pour ces élections locales qui doivent se tenir dimanche 23 janvier est bien atypique. Ni caravane à grand renfort de musique ni grand meeting. Seules quelques petites affiches imprimées à la maison et visibles dans les rues prouvent que l’ancien activiste est bel et bien engagé dans la course à la mairie de cette ville située à 192 km de Dakar. « Nous ne donnons même pas de t-shirts à l’effigie des candidats. Le faire c’est ne pas respecter la dignité humaine de ceux qui vont les porter, tonne au téléphone Fadel Barro. Les imaginaires politiques que nous avons eus jusque-là n’ont fait que traiter les citoyens comme des moutons de Panurge. »
Au show à l’américaine et aux harangues, il préfère une campagne de proximité, le porte-à-porte et des actions solidaires qui mobilisent une jeunesse qui dit ne plus rien attendre des hommes politiques. En novembre sur sa page Facebook, il a alerté sur « l’état piteux » de la Case de santé de Thioffac, une structure de quartier sans équipements médicaux qui accueille chaque mois des centaines de patients contraints de recevoir leur perfusion allongés sur des nattes. Et il a été entendu : la diaspora sénégalaise s’est mobilisée pour la réfectionner pendant ces deux semaines de campagne électorale. « Nous montrons aux politiciens que les millions qu’ils dépensent pour faire de grands meetings où ils ne vont rien dire, ils peuvent plutôt les mettre au service de leur communauté. C’est là tout le sens de mon engagement politique. »
Kaolack est une ville-carrefour sur l’axe Bamako-Dakar au potentiel économique énorme. C’est la capitale de l’arachide, principale culture de rente du Sénégal dont l’exportation a rapporté 329,3 millions d’euros en 2021. Le marché est dominé par les Chinois et les Indiens. « La loi les oblige à transformer le produit avant de l’exporter. Mais ils le font entre eux et ne recrutent pas assez sur le plan local », explique Fadel Barro. Conséquence, le taux de chômage est de 22 % à Kaolack. Bien au-dessus de la moyenne nationale (15%).
Démocratie participative
Tête de liste de la coalition Jammi Gox Yi, qu’il a montée essentiellement avec des personnalités issues de la société civile, Fadel Barro prône une politique de rupture avec celle des responsables actuels. Dans son viseur, Mariama Sarr, maire de Kaolack et actuelle ministre de la Fonction publique. Cette dernière n’est d’ailleurs pas candidate à sa propre succession, le choix de la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yakaar, s’étant porté sur Mohamed Ndiaye Rahma, son époux.
LES JEUNES SANS TRAVAIL SONT OBLIGÉS DE CONDUIRE DES VÉLOS-TAXIS POUR GAGNER LEUR VIE
« Aujourd’hui à Kaolack, les populations ne peuvent pas interpeller les élus sur quoi que ce soit. La ligne téléphonique pour joindre la mairie ne répond jamais. Les jeunes sans travail sont obligés de conduire des vélos-taxis pour gagner leur vie. Tout ce qu’il y a, c’est un regroupement de gens qui pillent, exploitent et ne rendent aucun service aux citoyens », tance l’activiste longiligne de 44 ans. Il promet de digitaliser les services de la mairie pour rationaliser les dépenses mais aussi impliquer davantage les populations dans la gestion de la commune, une sorte de démocratie participative. Il voudrait aussi mettre en place des ateliers municipaux pour former les jeunes et incuber des projets économiques à forte valeur ajoutée. L’accès à l’eau potable est également une priorité.
Après avoir longtemps combattu les hommes politiques et les avoir mis en face de leur propre turpitude, l’ancien journaliste d’investigation de l’hebdomadaire La Gazette veut maintenant jouer sur le même terrain qu’eux. Le costume d’activiste était-il devenu trop petit ? « Même si on a été précurseur des mouvements citoyens en Afrique et qu’on a eu un réel impact, il nous manque le pouvoir décisionnaire pour faire changer les choses. On peut dire ce qu’on veut, mais en Afrique, nous avons un problème de personnel politique qu’il faut renouveler. »
SI ON LAISSE LE PAYS À CES POLITICIENS, ILS FINIRONT PAR LE BRÛLER. LA VRAIE VIOLENCE, C’EST L’EXTRÊME PAUVRETÉ, L’ABANDON DE L’ÉCOLE, L’ABSENCE TOTALE DE DÉBOUCHÉS POUR LES JEUNES
Fadel Barro s’est fait connaître en prenant la tête du mouvement citoyen Y en a marre créé en 2011 un soir de délestage, dans son appartement des Parcelles assainies, à Dakar. Après un succès fulgurant, il s’était retiré de l’organisation en 2019. Déjà cette année-là, on lui prêtait des ambitions présidentielles qu’il avait toujours niées : « Y en a marre est devenu presque une institution au Sénégal et en Afrique. Continuer pour moi, c’était rester dans une zone de confort. Je voulais d’autres challenges. Mais je ne savais pas quoi. »
En 2020, il rejoint en tant que coordonnateur régional la plateforme de protection des lanceurs d’alerte créée trois ans plus tôt par les avocats français William Bourdon et Henri Thulliez. Mais ce sont les évènements de mars 2021 qui finissent par le décider de se lancer en politique. « Si on laisse le pays à ces politiciens, ils finiront par le brûler. Or la vraie violence en réalité, c’est l’extrême pauvreté, l’abandon de l’école, l’absence totale de débouchés pour les jeunes. À Kaolack, je veux proposer autre chose, tracer un nouveau récit politique », explique Fadel Barro. Y réussira-t-il ? « Si personne ne me suit, j’aurais au moins fait ce qui est en mon pouvoir pour que les choses bougent et changent. »