Dans un faux documentaire trash et jubilatoire, l’humoriste français Jean-Pascal Zadi s’interroge sur l’identité des afrodescendants de l’Hexagone. Et donne un grand coup de pied dans la fourmilière communautaire.
«JP » est en colère : « La situation des Noirs en France est catastrophique. On n’est nulle part. On n’est pas au cinéma, on n’est pas dans les médias, on n’est pas en politique, et j’ai l’impression que ça ne gêne personne ! » La parade ? « Organiser une grosse marche de protestation noire place de la République. »
Mais JP, comédien raté approchant de la quarantaine, a besoin de rallier à lui des personnalités noires pour médiatiser sa manifestation… Le scénario de Tout simplement noir (clin d’œil à un groupe de rap né à la fin des années 1980) pourrait laisser penser que ce long-métrage a été réalisé par un Noir – et pour les Noirs –… alors qu’il s’agit d’une comédie décapante contre le communautarisme. Entretien avec Jean-Pascal Zadi, coréalisateur du film avec John Wax, et acteur principal de ce faux documentaire.
Jeune Afrique : Comment l’idée de ce long-métrage vous est-elle venue ?
Jean-Pascal Zadi : Je la porte depuis au moins cinq ans. Je me suis rendu compte que pour voir des films avec des acteurs qui nous ressemblent, nous, les Noirs français, n’avions que des films américains sur les discriminations ou sud-africains sur l’apartheid. Français né à Bondy [banlieue parisienne] en 1980, je me sentais invisible dans ce paysage cinématographique. Surtout, aucun film ne me parlait de l’identité noire française. Je m’y suis donc collé… mais avec la volonté de traiter de l’universel à travers la situation des Noirs.
On vous reproche un film communautariste fait par un Noir, avec des Noirs…
… alors que je critique le communautarisme et que je développe des thèmes très français. Je ne suis pas sûr que le film serait compris à l’étranger. C’est un film français, voire franchouillard, avec des acteurs noirs.
La forme du faux documentaire et votre personnage, maladroit et provocateur, rappellent le film Borat. Vous en êtes-vous inspiré ?
Pas vraiment. John Wax et moi voulions trouver une façon de raconter l’histoire qui implique le spectateur. Là, avec ce cameraman qui suit le personnage, on a l’impression de vivre en même temps que lui ce qui lui arrive. J’interprète un héros proche du Candide de Voltaire, un naïf qui révèle les failles de la société. À travers lui, on soulève les questions qui nous intéressent : qu’est-ce qu’une communauté, qu’est-ce qu’être noir ? Et puis, avec John, on aime les losers, les éternels seconds… Avec eux, il est plus facile d’aller vers la comédie.
Dans une scène, Fadily Camara reproche aux Noirs qui réussissent de sortir avec des Blanches… avant de repartir elle-même avec un compagnon blanc.
La rage des afroféministes n’empêche pas qu’elles aient parfois des compagnons blancs… Ce qui ne retire rien à la sincérité de leur engagement. Tout n’est pas blanc ou noir, tout est dans la nuance.
Quand un Noir meurt entre les mains de la police, on préfère s’intéresser à son casier judiciaire. »
Fabrice Eboué, Claudia Tagbo, Fary, Stéfi Celma, JoeyStarr, Lilian Thuram, Soprano apparaissent aussi dans le film. Comment les avez-vous convaincus de vous rejoindre ?
Il n’y a pas énormément d’acteurs afrodescendants en France, mais les personnalités à qui on a proposé le scénario l’ont aimé et ont voulu participer. Cela prouve au moins que les Noirs sont solidaires !
Ces personnalités ont accepté de jouer leur propre rôle et d’affronter les piques de votre personnage. Vous faites remarquer à Claudia Tagbo, par exemple, qu’elle exploite les clichés de la femme noire (accent, grosses fesses…) avant de vous faire rosser !
Le film lui a permis de répondre aux critiques dégueulasses auxquelles elle est confrontée. Elle n’a pas à payer les frustrations des uns et des autres, elle assume sa culture. Avoir ce regard et ce recul sur elle-même est une grande preuve d’intelligence.
Votre personnage semble parfois davantage intéressé par le rayonnement que lui confère sa démarche que mû par un militantisme authentique. Doutez-vous de la sincérité de certains afromilitants ?
Non. Et quand bien même certains luttent juste pour se mettre en avant, ce n’est pas grave car ils servent la cause. L’important est qu’on mette les problèmes sur la table. En France, on a beaucoup de retard. Sur les plateaux de télévision, quand un Noir meurt entre les mains de la police, on préfère s’intéresser à son casier judiciaire.
Le film est très politiquement incorrect. Vous êtes-vous censuré sur certaines scènes ?
Non, j’ai dit tout ce que j’avais à dire. Je remercie d’ailleurs Gaumont, le producteur, qui ne m’a jamais demandé d’enlever des scènes, même lorsque je parle de violence policière.
Quand j’étais jeune, ma mère me disait déjà de faire attention à la police. »
Justement, on ne peut pas s’empêcher de penser à la mort de George Floyd, que certains rapprochent de celle d’Adama Traoré, en France.
Rapprochement normal : dans les deux cas, de jeunes Noirs sont arrêtés par la police et meurent entre ses mains. Il y a un vrai sentiment d’insécurité. Quand j’étais jeune et que je sortais le soir, ma mère me disait déjà de faire attention à la police.
Le film pose la question de ce que qu’est être un Noir. Il y a le Noir fantasmé par Mathieu Kassovitz dans une scène trash, le Noir fantasmé par les afrodescendants, le noir qui n’est pas un Noir, comme Vikash Dhorasoo, à qui vous refusez ce statut…
On essaie de montrer qu’être noir ou blanc ça ne veut rien dire. Tout est question de perception. On devient un Noir dans le regard de certains policiers ou hommes politiques, alors que nous devrions simplement être considérés comme des êtres humains !
Dans une scène hallucinante, où Lucien Jean-Baptiste vous menace avec une machette, vous rappelez les divisions qui existent entre Noirs africains et antillais.
Des haines et divisions ont été cultivées et subsistent. Par exemple, de la part d’Antillais chez qui on a encouragé un ressentiment à l’égard des Africains qui les ont « vendus ». Entretenir ces divisions permet de faire taire les rébellions. Aux Antilles, les békés blancs contrôlent encore l’économie.
Fabrice Eboué, Lucien Jean-Baptiste, vous-même… Les réalisateurs noirs sont-ils condamnés à faire des films qui ont trait à leur couleur de peau ?
Quoi que l’on fasse, on est toujours ramenés à ça. Si on ne parle pas assez de notre identité, on nous le reproche, si on en parle trop, on nous le reproche aussi. Et puis, on évoque ce qu’on a vécu dans notre vie personnelle et professionnelle, où l’on a souvent été réduits à notre couleur de peau. La question de l’identité cristallise des crispations et des frustrations très contemporaines. Ce film parle de notre époque.