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Les polices de Bogota et Bamako mobilisées pour retrouver sœur Gloria

La police anti-enlèvement de Colombie, Gaula, se rend au Mali pour enquêter sur la disparition de soeur Gloria, ressortissante colombienne enlevée le 7 février près de Sikasso. (photo d'illustration)
© GUILLERMO LEGARIA / AFP
 

Les polices colombienne et malienne ont été mobilisées pour retrouver Gloria Narvaez, religieuse colombienne enlevée le 7 février dernier dans la région de Sikasso au sud du Mali, par quatre hommes armés se présentant comme des jihadistes. Bogota a envoyé à Bamako une mission technique spécialisée dans la lutte contre les enlèvements.

Avec la correspondante à Bogota, Marie-Eve Detœuf

C’est une première pour le Gaula, [Grupos de Acción Unificada por la Libertad Personal, NDLR], l’unité d’élite anti-enlèvement de la police colombienne. Deux de ses agents les plus expérimentés sont partis pour l’Afrique à la recherche de sœur Gloria, leur compatriote.

A Bogota, le Gaula reste évidemment très discret sur les opérations menées par la police malienne. Le Gaula connaît son métier, la Colombie a longtemps été championne toutes catégories en matière d’enlèvements. Au début des années 2000 le pays enregistrait plus de 3 000 prises d’otages par an. Paramilitaires, guérillas, délinquants, tous les groupes armés pratiquaient alors les enlèvements contre rançon.

On se souvient d’Ingrid Betancourt, la Franco-Colombienne restée six ans aux mains de la guérilla des FARC, qui est aujourd’hui en voie de démobilisation. L’année dernière, il n’y a eu que 205 enlèvements dans tout le pays. La Colombie a donc de l’expérience et des experts disponibles. Les polices de toute l’Amérique latine viennent se former aux techniques de la lutte anti-enlèvement dans l’école du Gaula près de Bogota.

Reste à savoir si les agents colombiens vont pourvoir aider la police malienne à retrouver sœur Gloria, disparue depuis plus d’un mois.

La bataille de Mossoul se joue sur les deux rives du Tigre

Les forces de sécurité irakiennes se rapprochent de la vieille ville tandis que les quartiers Est accueillent une partie des déplacés venus de l’ouest.

À Mossoul-Ouest, vendredi 10 mars, des nuages de fumée s’élèvent après une attaque aérienne.
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À Mossoul-Ouest, vendredi 10 mars, des nuages de fumée s’élèvent après une attaque aérienne. / Aris Messinis/AFP

Mossoul

De notre envoyé spécial

Al-Dawassa, un quartier de Mossoul-Ouest, sur la rive droite du Tigre. Pas une âme qui vive au milieu des chaussées défoncées, des carcasses de voitures calcinées et des immeubles à moitié incendiés ou détruits. Très haut dans le ciel, un hélicoptère s’éloigne après avoir lâché son missile. Au fond de la rue, barrée par un remblai de terre, des volutes de fumée noire s’élèvent au-dessus d’un bâtiment. Un véhicule blindé décroche en roulant sur les jantes, ses quatre pneus crevés par des tirs de snipers. À quelques mètres, les palmiers du parc Al-Shuhadaa, le parc des Martyrs, cachent ce qui reste du quartier gouvernemental, le siège du gouvernorat et du conseil provincial, de la police et de la banque centrale ainsi que le musée archéologique mis à sac par les salafistes-djihadistes en 2015.

Safaa, un lieutenant de la police fédérale, a posté son véhicule « Humvee » dans une voie de traverse, en lisière du quartier gouvernemental, repris en quelques heures, le mardi 7 mars, par la Division de réaction d’urgence, la troupe d’élite du ministère de l’intérieur. La suite, le contrôle de la zone par la police fédérale, s’est avérée plus compliquée. « Les djihadistes ont contre-attaqué avec des voitures piégées, des tirs de mortier et des snipers embusqués dans les bâtiments » explique l’officier. « Certaines unités ont dû remonter dans leurs véhicules et reculer de plusieurs mètres. D’autres se sont fait encercler, et il a fallu envoyer des renforts pour les aider à se dégager. »

Pour raisons de sécurité, la visite du ministre de l’intérieur, prévue au milieu de la semaine dernière, a dû être annulée. L’épisode semble refléter une lutte d’influence entre la Division de réaction d’urgence du ministère de l’intérieur et les unités du service de contre-terrorisme, à la pointe des combats dans la reprise de Mossoul-Est, aujourd’hui chargées de prendre les quartiers les plus à l’ouest. Les premières chercheraient à démontrer leur efficacité dans cette deuxième phase de l’offensive, au risque de mettre en danger leurs troupes et la population civile.

En dépit de cette rivalité, l’étau se resserre inexorablement autour de la vieille ville. Cœur traditionnel de la cité, avec son entrelacs de ruelles, ses mosquées et ses églises, c’est l’ultime repaire des combattants de Daech, l’ennemi commun, fédérateur de toutes les forces engagées dans la bataille. La police fédérale a annoncé la reprise des quartiers de Ukaydat et Nabi-Sheet, à quelques centaines de mètres de la mosquée Al-Nour-Al-Kaber où Abou Bakr Al Baghdadi avait proclamé l’instauration du califat le 29 juin 2014. « Je m’en souviens comme si c’était hier » affirme Marwan, 55 ans, un habitant du quartier résidentiel voisin de Jawsaq. « Daech a ensuite exécuté 13 religieux qui refusaient de lui faire allégeance. Trente-deux mois sous cette férule, c’est une vie foutue en l’air. » Pendant dix jours, les habitants de ce quartier aisé sont restés enfermés dans les sous-sols. « Les derniers jours, les combattants de Daech frappaient à nos portes en criant : sortez, les apostats sont arrivés ! Ils voulaient créer une ligne de défense en piégeant nos maisons et en mettant le feu à nos voitures », raconte Ahmad, 27 ans, étudiant en comptabilité.

Au fur et à mesure de l’avancée des troupes, les quartiers de Mossoul-Ouest, plus densément peuplés et souvent plus pauvres, se vident de leurs habitants. La semaine dernière, des familles entières ont fui leurs quartiers de Wadi-Hajar, Al-Mansour, Al-Nafet et Al-Hayadat, pour rejoindre, après plusieurs heures de marche, le point de contrôle des forces de sécurité en bordure de l’aéroport. « Les combats autour de nous devenaient trop intenses, et nous avons décidé de partir malgré le danger », lâche Amir, 46 ans, barbe hirsute et visage émacié. « Depuis trois mois, les prix ont grimpé et les étals des marchés se sont vidés : plus de nourriture, plus de fioul ni de médicaments. Nous avons vécu sur nos réserves. À la fin, on ne mangeait plus qu’un repas par jour. » Depuis plusieurs mois, Daech interdit aux résidents de quitter la ville. Sous la menace, des habitants des villages de la périphérie ont dû déménager en ville pour s’installer dans des maisons vides et servir de bouclier humain.

Une fois parvenu au check-point, Layth, 55 ans, professeur de sport, a grimpé avec sa femme et leurs quatre enfants dans un camion de l’armée qui les a transportés en fin de journée jusqu’au centre de contrôle, installé à Hammam Al-Alil, une localité à 25 km au sud de Mossoul, libérée le 7 novembre 2016 par les forces de sécurité irakiennes. « Nous avons le choix entre les camps et Mossoul-Est » déclare ce passionné de foot, assis sur un sac avec son fils, après une nuit passée à la belle étoile. « Nous irons chez mon frère à Mossoul-Est. » Dans un chaos indescriptible, chacun attend que les cartes d’identité soient vérifiées par ordinateur, sur une base de données censée répertorier des milliers de noms suspects, avant de s’engouffrer dans un bus ou un taxi pour sa nouvelle destination. Chaque jour, des hommes sont arrêtés sans que les membres de la famille soient informés du lieu de détention.

À peine libérée, fin janvier, du joug djihadiste, Mossoul-Est va devoir absorber ces nouveaux arrivants. Dans son bureau du quartier Al-Noor, placé sous haute protection, le général Wathiq Al Hamadani, commandant adjoint de la police de Ninive, une force d’environ 10 000 policiers locaux, se plaint du manque de moyens pour assurer la sécurité. Les soldats de la 6e division de l’armée sont déployés dans les quartiers le long de la rive gauche du Tigre. Au mois de février, une série d’attentats-suicides avait fait craindre la présence de cellules dormantes. « Nous avons procédé à plus de 1 000 arrestations » assure l’officier, sans plus de précision. Dans le quartier de Mohandessin, bouclé par l’armée, au moins la moitié des habitants ayant fui les combats ne sont pas revenus. « Le gouvernement central ne fait rien pour assurer les services » peste Adnan, 43 ans, vendeur de matériel médical. « Une grande partie des écoles et des dispensaires ne fonctionnent pas. Dans les quartiers pauvres de la périphérie, les gens n’ont même pas l’électricité et l’eau potable. » De l’autre côté de l’avenue Majmoua-Thakafia, le quartier de Nirgal comptait une minorité importante de chrétiens. « Regardez cette villa, son propriétaire s’appelle Elias Abd Al-Ahad, un chrétien parti depuis longtemps. Daech s’est servi de sa maison pour stocker le butin pillé dans les environs. Quand j’étais enfant, on ne connaissait pas les différences entre les communautés. Moi, le sunnite, je portais des bougies à l’Église. Tout cela s’est terminé en 2003 avec l’invasion américaine. »

Mossoul-Est, la ville moderne, construite dans les années 1970-1980, sur le site de l’ancienne Ninive pour abriter l’université et loger les nouvelles élites, se voulait plus cosmopolite et plus éduquée. Repris aux djihadistes le 14 janvier par les forces spéciales, le campus de l’université ouvert en 1967 avec ses 22 facultés, ses centres de recherche et ses hôpitaux, n’est plus qu’un champ de ruines, dernier legs d’un califat mortifère avec sa bibliothèque incendiée et ses bâtiments brûlés ou truffés d’explosifs. Depuis que le « Diwan Al-Hisba », la police de moralité chargée de sanctionner les violations du code religieux, ne sévit plus dans le quartier, le libraire Ayad Fathi a remis en vente son best-seller : des copies d’un manuel d’apprentissage de la langue anglaise, niveau intermédiaire. « J’espère que l’université revivra avec l’aide internationale », insiste ce fin lettré. « C’est seulement par la science et l’éducation que l’on pourra construire une civilisation et élever une génération loin du fanatisme. »

François d’Alançon

Burkina Faso : le président de l’Assemblée Salif Diallo élu
à la tête du parti au pouvoir

Par Jeune Afrique avec AFP
 

Le président de l'Assemblée nationale du Burkina, Salif Diallo, 60 ans, a été élu dimanche à la tête du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti du chef de l'État Roch Marc Christian Kaboré.

« Vous m’avez fait l’honneur de me porter à la tête de notre parti et c’est avec beaucoup de détermination mais aussi avec beaucoup d’humilité que j’accepte cette responsabilité », a-t-il réagi, devant des milliers de militants rassemblés au Palais de sports de Ouaga 2000, dimanche 12 mars.

Le président de l’Assemblée nationale était l’unique candidat à la présidence du parti au pouvoir, poste dont il assurait l’intérim depuis l’élection en décembre 2015 du président Roch Marc Christian Kaboré.

Le parti doit « avoir un contrôle sur les maillons stratégiques de l’appareil de l’État, afin de garantir une mise en oeuvre réussie des engagements auprès du peuple », a par ailleurs souligné Salif Diallo alors qu’il n’avait pas hésité à critiquer régulièrement le gouvernement et appeler à des mesures plus fortes.

Ex-baron du régime de Blaise Compaoré

Le congrès du MPP s’était ouvert samedi 11 mars sur fond de luttes intestines à la tête du parti entre ses trois fondateurs Salif Diallo, Roch Marc Christian Kaboré et l’actuel ministre de la Sécurité intérieure, Simon Compaoré.

Tous trois ex-barons du régime de Blaise Compaoré, ils avaient rejoint l’opposition avant la chute de ce dernier, chassé par la rue en octobre 2014 après 27 ans passés à la tête du Burkina. Ils avaient ensuite accédé au pouvoir lors de la présidentielle de 2016.

Simon Compaoré, jusque-là 2e vice-président du parti, est devenu vice-président, laissant son ancien poste à Clément Sawadogo, actuel ministre de la Fonction publique. Le Premier ministre Paul Kaba Thiéba, a été élu membre du bureau politique national du MPP.

Le palmarès du Fespaco en état de «Félicité» et touché par «L’Orage africain»

Sylvestre Amoussou, le réalisateur béninois de «L’Orage africain, un continent sous influence» lors de la réception de son Étalon de bronze de Yennenga au Fespaco 2017.
© RFI/Siegfried Forster
 

Deux films ont pimenté le palmarès de la 25e édition du Fespaco au Burkina Faso : L’Orage africain, un continent sous influence et A Mile In My Shoes. Sans surprise, le Festival du cinéma panafricain a récompensé ce samedi 4 mars à Ouagadougou Félicité, l’histoire d’une mère courage africaine à Kinshasa, réalisée par le Franco-Sénégalais Alain Gomis. Celui entre ainsi au panthéon du cinéma africain en remportant pour la deuxième fois la plus haute distinction, l’Étalon d’or de Yennenga.

L’Orage africain caresse le Fespaco

Était-ce la force de L’Orage africain du réalisateur béninois Sylvestre Amoussou qui a fait sauter l’électricité lors de la clôture du Fespaco ? Exactement au moment où le film anticolonialiste, « mais pas antioccidental », a été primé avec le deuxième prix, l’Étalon d’argent, le Palais des Sports à Ouaga 2000 a été plongé dans un noir total. Ainsi, la tribune d’honneur avec les présidents burkinabè et ivoirien est restée quelques instants dans l’obscurité. Illuminé par la lumière du secours, surgit alors sur scène le réalisateur béninois comme le sauveur du cinéma africain.

Déjà dans les salles, son manifeste cinématographique contre l’exploitation du continent africain par des gouvernements et entreprises occidentaux a été de loin le film le plus acclamé de la 25e édition du Fespaco. L’Orage africain, un continent sous influence avait déclenché une explosion de joie indescriptible qui a plus que conforté le cinéaste dans ses propos.

Une haie d’honneur pour l’Étalon d’or de Yennenga

Après le passage acclamé du réalisateur béninois, le spectacle prévu a repris ses droits : 40 jeunes filles burkinabè habillées dans des robes Fespaco ont formé une haie d’honneur pour faire défiler le prestigieux trophée de l’Étalon d’or de Yennenga en direction podium. Puis, sous la protection de la garde d’honneur avec leurs sabres et costumes rouges, le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré et le président ivoirien Alassane Ouattara se sont mis en marche ensemble pour remettre le prix au lauréat.

« C’est un grand honneur de recevoir ce grand prix pour la deuxième fois », déclare un Alain Gomis modeste dans ses propos, mais visiblement conscient du moment historique qu’il est en train de vivre, quelques semaines après avoir remporté le Grand Prix du jury à la Berlinale. Avec Félicité, il a réussi l’exploit de créer à la fois une femme-courage africaine et l’esquisse d’un homme moderne dans le cinéma africain. À l’âge de 44 ans, et quatre ans après son triomphe avec Tey, le réalisateur franco-sénégalais entre aujourd’hui dans l’histoire du festival panafricain. Avant lui, seulement Souleymane Cissé (avec Baara en 1979 et Finyè en 1983) avait réussi à remporter deux fois l’Étalon d’or de Yennenga.

Le réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis avec son deuxième Étalon d’or de Yennenga, reçu pour «Félicité». © RFI/Siegfried Forster

Le stade de la Félicité

« Avec ce film, nous avons atteint le stade de la Félicité », s’est enthousiasmé un président du jury visiblement touché, le scénariste marocain Nour-Eddine Saïl. Son prix, Alain Gomis l’a dédié « à la jeunesse et aux jeunes réalisateurs et aux jeunes réalisatrices ». Né en 1972, à Paris, d’un père sénégalais et d’une mère française, la première réaction après avoir reçu son deuxième Étalon d’or, apparaît quand même étonnant pour un réalisateur qui fêtera lundi son 45e anniversaire : « Je pense aux jeunes surtout. Mon rôle est maintenant de tendre la main et de créer des ponts et de travailler avec la nouvelle génération. »

Son message est clair : « Aujourd’hui, le cinéma est de plus en plus en danger… On parle de moins en moins de culture et de plus en plus de commerce », fustigeant ainsi l’arrivée de « grands opérateurs qui à la fois nous aident, mais, en même temps, c’est aussi un danger, et il faut lutter pour nos indépendances. »

L’Étalon de bronze et le prix d’interprétation féminine pour le Maroc

Le prix d’interprétation masculine pour le jeu d’acteur lumineux d’Ibrahim Koma pour son rôle dans le thriller malien Wulu du Malien Daouda Coulibaly et le prix d’interprétation féminine pour l’actrice Noufissa Benchehida dans A la recherche du pouvoir perdu du réalisateur marocain Mohammed Ahed Bensouda, confirment la diversité du cinéma africain actuel.

L’Étalon de bronze de Yennenga a récompensé la très originale mise en scène et le jeu d’acteur du rôle principal dans A Mile In My Shoes. Le réalisateur marocain Saïd Khallaf alterne entre polar, thriller psychologique et des scènes théâtrales sobres dignes d’une tragédie grecque. L’histoire raconte le destin tragique d’un psychopathe aussi tendre que criminel à Casablanca. Maltraité et abusé dès son enfance, Saïd se fraye violemment son chemin pour exister dans ce monde de violence et perversion. La force et la folie du récit font penser à un Woyzeck de Büchner et à Taxi Driver de Martin Scorsese. En effet, le côté maniaque de Saïd fait penser à la naissance d’un Robert De Niro africain.

RFI au Fespaco 2017 : consulter nos éditions, émissions, vidéos et articles

Fespaco: à la recherche de l’homme moderne dans le cinéma africain

Véro Tshanda Beya et Papi Mpaka alias Félicité et Tabu dans le film « Félicité » d’Alain Gomis.
© © Andolfi
 

Dans les films africains du Fespaco, l’image de l’homme est souvent dévastatrice. Son royaume est la violence et le viol est partout. Presque la moitié des films en lice pour l’Étalon d’or qui sera décerné ce samedi 4 mars au plus grand festival de cinéma africain, place la violence sexuelle plus ou moins au centre du récit. Sans parler de la cruauté qui peuple deux tiers des longs métrages dans la catégorie phare. Des actes de barbarie commis exclusivement par le genre masculin. À la recherche de l’homme moderne, du monstre psychopathe de « A Mile In My Shoes » de Saïd Khallaf, jusqu’à Tabu, l’amant de « Félicité » d’Alain Gomis.

de notre envoyé spécial,

Dans les films du Fespaco, définir un homme semble souvent simple. Au choix : il drague des filles, conduit une grosse cylindrée, se drogue, fait du commerce illicite, abuse des prostituées, torture les hommes, viole les femmes, bref : il a du mal à contrôler ses pulsions et son penchant pour la barbarie… Et il croit surtout à la justice par balle, incapable de trouver un mode d'action plus moderne ou civilisé.

Les hommes et la violence

Ainsi la logique des jeunes réalisateurs ivoiriens d’Innocent malgré tout devient presque naturelle. Pour eux, il était nécessaire d’abasourdir les spectateurs avec des scènes de tortures ininterrompues où l’on regarde avec effroi pendant une demi-heure comment des sbires se déchaînent au commissariat contre un innocent. « Tout le monde sait que ces choses existent dans le monde et personne n’ose en parler. Le monde d’aujourd’hui est devenu trop violent. Et les hommes sont en majorité à la base de ce genre de choses. C’est important pour nous de montrer ce point-là », explique Jean De Dieu Kouamé Konan. Et son coréalisateur Samuel Codjovi rajoute : « C’est la mentalité actuelle. C’est l’éducation. On nous a éduqués beaucoup dans cette violence. Moi, je crois qu’il y a quand même des solutions. Il y a des hommes qui sont contre la violence. On peut changer le monde, par exemple à travers des films. C’est pour cela qu’on montre la violence. »

Des hommes en régression

La violence à l’écran comme antidote de la violence dans la vie ? Dans les films en lice, on rencontre surtout des hommes en régression, mous ou violents. Dans le fascinant portrait du monstre psychopathe d’A Mile In My Shoes, le Marocain Saïd Khallaf esquisse un homme abusé qui n’a jamais pu terminer son enfance. Dans Thom du réalisateur burkinabè Tahirou Tasséré Ouedraogo, l’« émancipation » du père millionnaire et du fils à papa se limite à se disputer la même femme, Jones, une prostituée de luxe endettée qui n’arrive pas à sortir du milieu. Dans Aicha du Tanzanien Chande Omar, une femme mariée partie en ville est victime d’un viol collectif lors d’une visite dans son village natal. Un crime organisé par un ami d’enfance sanguin et narcissique pour se « venger » d’avoir pris un râteau. Du coup, le mari, pharmacien et normalement urbain éclairé, retombe aussi dans un réflexe ancestral. Sa première réaction face à sa femme défigurée ? Renvoyer la faute sur son épouse et la quitter.

Le père et la pierre

Kinfe Banbu met en scène le père d’une fille violée qui tombe aveuglement dans la violence contre les trois violeurs présumés de sa fille Fré : un stylo dans l’œil, des os et l’appareil génital cassés par une barre de fer, une tête éclatée par une pierre. Est-ce vraiment nécessaire de traduire cette violence au premier degré à l’écran ? Le réalisateur éthiopien se sent en phase avec son public et réconforté par les réactions des spectateurs au Fespaco. Ces derniers ont applaudi chaque explosion de violence, comme l’expression d’une justice véritable : « En Éthiopie, on entend tout le temps parler de viols collectifs dans les médias. C’est la raison pour laquelle je voulais faire ce film. Il y a une situation très difficile dans notre pays et il n’existe pas de lois justes. »

Dans L’Interprète, la femme agit, les hommes réagissent. La gent masculine s’apparente à des êtres manipulables tournant autour des femmes. Comment voit le réalisateur ivoirien Olivier Meliche Kone le rôle de l’homme dans notre époque actuelle ? « En général, les hommes sont forts et la femme dominée, mais dans ce film, on a voulu montrer une autre facette de l’homme. Dans le couple, c’est le mari David qui a tous les soucis. Malgré tout, il fait profil bas pour donner une sensation de couple. On a vraiment essayé que les clichés tombent. »

« Nous, les hommes, on n’est rien »

Le réalisateur tunisien Mohamed Zran pousse la réflexion encore plus loin. Dans Lilia, une fille tunisienne, il dessine le portrait du corps, des gestes et des mouvements d’une femme moderne en Tunisie, entre Madame Bovary et Camille Claudel. Reste à savoir comment définir le rôle de l’homme pour que toute cette société tunisienne puisse être libre. « Pour être un homme libre et moderne, il faut tout d’abord être une femme libre, sourit Mohamed Zran. Il faut la femme. La femme est fondatrice de tout. Nous, les hommes, on n’est rien. Nous sommes des enfants d’une femme. Donc, la femme est la clé d’une société moderne. »

Comment trouver sa place dans la société ?

L’Algérien Sidali Fattar nous raconte dans Les Tourments l’histoire d’un père en retraite qui a trois fils et une fille : un repenti revenu du maquis, un immigré clandestin en Norvège, le troisième, licencié, se trouve au chômage. Et la fille est liée avec un homme corrompu et cynique. Une panoplie de problèmes pour interpeller la société algérienne après les années noires et poser la question clé : comment trouver sa place dans l’Algérie d’aujourd’hui ? Parmi les fils, aucun n’est porteur d’émancipation ou de modernité. Que serait un homme moderne dans l’Algérie d’aujourd’hui ? « L’homme moderne est d’abord un homme libre, affirme Sidali Fattar. Un homme qui a des principes de liberté, bref de démocratie. C’est ça un homme moderne. Mais, évidemment, cette liberté n’est pas seule. Ce n’est pas la liberté uniquement de l’individu. L’homme moderne est la liberté institutionnalisée. Et cela, c’est un travail très long. »

Tabu, le frigoriste de Félicité

Ce qui nous ramène à Félicité du Franco-Sénégalais Alain Gomis ou plus précisément à Tabu, le frigoriste, interprété par Papi Mpaka. Paradoxalement, même si tout le monde parle depuis le Grand prix du jury à la Berlinale de la performance éblouissante de Félicité, alias Véronique Beya Mputu, derrière cette mère courage africaine à Kinshasa se cache peut-être le seul rôle d’homme parmi les 20 films de la compétition capable de s’inscrire dans un projet d’un homme moderne vivant dans ce monde violent et chaotique décrit par le Fespaco.

Car Tabu, le frigoriste souvent bourré, ce lourdaud-poétique et amoureux de Félicité ne lâche rien de ses rêves. Et ce n’est peut-être pas un hasard : le seul moment où le public du ciné Burkina a applaudi lors de la projection de Félicité, c’était quand Tabu a enfin réussi à réparer le frigo maudit de Félicité. Après avoir conquis avec ses mots et ses actes le cœur de sa bien-aimée. Dans un univers sans pitié, il réussit à survivre sans avoir recours à la violence. Pour lui, l’argent n’est pas une fin en soi. Jamais il ne vit aux dépens des autres. Bien au contraire, quand l’accident de moto arrive, c’est lui qui porte le fils avec sa jambe amputée à la maison et le remet sur les rails. Tabu assume parfaitement ses contradictions, garde jalousement sa liberté, et avance malgré tout.

Fiable, généreux, amoureux de sa liberté

« Je parle d’un personnage que je connais et que j’aime beaucoup, explique Alain Gomis au micro de RFI.FR. D’abord, c’est quelqu’un de fiable, généreux et quelqu’un qui est à la fois amoureux de sa liberté et qui essaye de se débrouiller et voir comment garder sa liberté. C’est quelqu’un qui essaie de fuir ses responsabilités, mais qui est rattrapé par ses responsabilités. C’est quelqu’un qui se demande s’il a envie de fonder une famille ou pas. J’ai l’impression que je rencontre [avec lui, ndlr] des tabous : est-ce qu’on a encore envie de s’engager ? Arrive-t-on encore à supporter sur ses épaules le poids d’une famille, d’une société, etc. ? J’ai l’impression d’avoir beaucoup cette espèce de flottement, un pas en avant, un pas en arrière, on s’engage, on ne s’engage pas. Donc oui, j’ai l’impression de vieillir et de grandir avec ce genre d’hommes-là. »

Apparaît alors en filigrane un homme capable de soulever un frigo et de souffler en même temps un poème à l’oreille de sa femme. Un homme avançant vers une humanité moderne.

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