Adama Diallo, à Dakar, le 14 septembre 2022. © Carmen Abd Ali/Hans Lucas pour JA
Adama Diallo a exercé durant cinq ans les fonctions de secrétaire général au ministère sénégalais du Pétrole et des Énergies. À ce poste, il a contribué à l’élaboration du code pétrolier et de la loi sur le contenu local dans le secteur des hydrocarbures. De quoi lui donner une vision très claire du secteur. En mai 2022, le président, Macky Sall, l’a nommé à la tête de Petrosen Holding.
Adama Diallo supervise désormais les deux filiales de la société : Petrosen E&P, chargée de l’exploration et de la production, et Petrosen T&S, spécialisée dans les activités de distribution, mais aussi le Réseau gazier du Sénégal (RGS), détenu à 51% par Petrosen, et la Société africaine de raffinage (SAR), dont l’entreprise pétrolière possède plus de 98% des parts depuis quelques mois.
Alors que les champs Grand Tortue Ahmeyim (GTA) et Sangomar devraient entrer en production l’an prochain – suivis du projet Yakaar-Teranga en 2025 –, le dirigeant de Petrosen Holding nous explique quelles sont les ambitions de sa société : le développement d’une industrie liée à l’exploitation du pétrole et du gaz.
Jeune Afrique : À la fin de mai 2022, le chancelier Olaf Scholz, qui s’est entretenu avec le président Macky Sall, a manifesté l’intérêt de l’Allemagne pour le gaz sénégalais. Un accord a-t-il été signé ? D’autres pays ont-ils entrepris des démarches en ce sens ?
Adama Diallo : Les discussions sont en cours avec nos interlocuteurs allemands. Nous avons également fait des visites en Italie. Mais rien n’a été signé à ce jour. Il n’empêche : le projet Grand Tortue Ahmeyim (qui devrait fournir 2,5 millions de tonnes de gaz par an) offre au Sénégal une occasion en or pour capter des marchés extérieurs.
La volonté de transition vers les énergies propres et, surtout, la pandémie de Covid-19 avaient déjà eu un impact fort sur le secteur pétrolier et gazier. La crise entre l’Ukraine et la Russie arrive à un moment critique. Cette situation pousse les pays importateurs de gaz naturel à diversifier l’origine de leurs approvisionnements. Or, pour rappel, les réserves du Sénégal sont estimées à plus de 900 milliards de mètres cubes.
La major britannique BP et la société pétrolière américaine Kosmos Energy n’ont pas encore donné leur accord pour les investissements des phases 2 et 3 du champ gazier GTA (prévus respectivement en 2027 et en 2030), en raison de l’augmentation du coût du projet. Où en sont les discussions ?
Pour la phase 2, les études d’ingénierie sont en cours. On a fait appel à deux cabinets internationaux pour nous accompagner. La décision finale d’investissement devrait être adoptée au cours de l’année 2023. L’objectif global est d’atteindre 10 millions de tonnes par an de GNL à l’horizon 2030-2032.
EN 2025, LES CHAMPS GTA, YAKAAR-TERANGA ET SANGOMAR DEVRAIENT SATISFAIRE LES BESOINS EN GAZ DU PAYS
Une date est-elle prévue pour l’entrée en exploitation de la première phase du champ gazier offshore de Yakaar-Teranga ?
Les études d’évaluation sont presque terminées. Nous comptons prendre la décision finale d’investissement d’ici au début de l’année prochaine et lancer la production vers 2025. Pour la phase 1, on attend 150 millions de pieds cubes standards par jour. Ils seront destinés en priorité à la consommation locale, notamment à la production d’électricité. D’autres phases sont attendues en vue du développement d’industries de valorisation et de création de chaînes de valeur, telles que la pétrochimie, l’urée, l’ammoniac, le méthanol et d’autres produits dérivés. Des exportations de GNL ne sont pas exclues.
Importez-vous actuellement du gaz pour subvenir à une partie de vos besoins ?
Une unité flottante de stockage et de regazéification du GNL est amarrée au large de Dakar, mais, compte tenu des prix actuels, l’option d’importer a été exclue. Aux alentours de 2024-2025, les projets Yakaar-Teranga (150 millions de pieds cubes standards par jour), GTA (35 millions) et Sangomar (60 à 90 millions) devraient satisfaire les besoins en gaz du pays. En attendant, on continue à produire de l’électricité en utilisant nos centrales éoliennes et nucléaires. À ce jour, aucune centrale de la Senelec ne fonctionne au gaz.
Le gouvernement espère que l’accès à l’électricité, qui est de 65% aujourd’hui, sera universel en 2025. Pour atteindre cet objectif, le Sénégal prévoit-il de convertir toutes ses centrales au gaz ?
C’est le souhait du président de la République : que tous les Sénégalais aient accès à l’électricité d’ici à 2025. Ce projet est estimé à 700 milliards de FCFA. On a reçu beaucoup d’offres spontanées, du secteur privé comme du public. Un comité les évalue. Ensuite, le président Macky Sall tranchera. Les nouvelles centrales devraient fonctionner au gaz, à l’image de West African Energy (300 MW), au Cap des Biches, développée par des producteurs locaux. Une centrale alimentée par GTA au niveau de la ville de Saint-Louis (250 MW) devrait également entrer en service en 2023.
LA SAR EST PASSÉE D’UNE PERTE DE 59 MILLIARDS DE FRANCS CFA À UN BÉNÉFICE DE 8 MILLIARDS
En mars dernier, Petrosen a discrètement repris le contrôle de la majorité du capital de la Société africaine de raffinage (SAR) afin d’apurer sa dette et d’investir. Pourquoi ?
Depuis sa création, en 1961, la SAR est l’une des rares raffineries de la sous-région. Elle assure plus de 50% de la consommation du Sénégal. L’État la soutient lorsqu’elle se trouve en difficulté. Cela a été récemment le cas, grâce à une opération de recapitalisation – via Petrosen – de près de 64 milliards de FCFA. Petrosen détient maintenant près de 98,58% du capital de la SAR. Depuis, la gestion de la société s’est nettement améliorée.
D’une perte de 59 milliards de francs CFA en 2020, elle est passé à un bénéfice de plus de 8 milliards au cours de l’exercice 2021. Sa capacité de production de pétrole atteint 1,5 million de tonnes par an (contre 1,2 précédemment), avec comme perspective le traitement du pétrole brut extrait du champ de Sangomar d’ici à 2023. Une réflexion est menée pour porter cette capacité de production à 3,5 millions de tonnes par an, de manière à couvrir entièrement les besoins du Sénégal et d’une partie de la sous-région.
En octobre 2021, Petrosen Trading & Services (Petrosen T&S) a inauguré une première station-service sénégalaise à Diamniadio. Où en est le projet de développement d’un réseau de distribution de pompes à essence sur le territoire national ?
Après Diamniadio, d’autres stations ont été mises en service (à Fatick) ou sont en cours de construction (comme à Ouadiour, dans le département de Gossas). L’objectif est de mailler le territoire et d’amener du carburant dans les coins les plus reculés afin d’assurer une équité territoriale. Mais ce n’est pas notre seul projet. Nous avons l’ambition de devenir un géant pétrolier.
L’exploitation future du pétrole et du gaz constituera-t-elle une source d’emplois ?
Au-delà des postes de juristes, de communicants ou de techniciens, un certain nombre de métiers (soudeurs off-shore, électriciens, etc.) doivent être renforcés pour permettre aux jeunes de travailler dans ce secteur. Des centres de formation professionnelle ont été répartis sur le territoire. L’enjeu, c’est de préparer des jeunes et des femmes aux métiers de demain. C’est notamment le rôle de l’Institut national du pétrole et du gaz (INPG), qui propose plusieurs formations certifiantes.
À la suite d’un récent décret, les entreprises évoluant dans le secteur de l’énergie, telles que Petrosen et ses filiales, peuvent désormais s’affranchir des procédures prévues dans le code des marchés. Dans quel objectif ?
L’idée, c’est de gagner du temps. Nous travaillons à la conception d’un manuel de procédure qui permettra de respecter les mêmes principes de transparence et de bonne gouvernance que ceux prévus dans le code des marchés, mais en réduisant les délais. Ce manuel doit être validé par le conseil d’administration de Petrosen avec des représentants de différents ministères. Le cabinet Mazars, choisi à l’issue d’un appel d’offres, le mettra en œuvre. Il sera très contraignant, mais reconnaîtra la spécificité et la technicité du secteur.