Herbert Wigwe © Kelechi Amadi-Obi/Acces Bank
« Paris est en train de devenir le nouveau point de chute de l’élite commerciale du Nigeria. » Si l’on en croit la fréquence des voyages en France d’hommes d’affaires nigérians comme Abdul Samad Rabiu de BUA Group ou Mike Adenuga de Globacom, sans oublier le chef de l’État en personne, Bola Tinubu, il y a peut-être du vrai dans l’affirmation de ce banquier français.
Ce n’est sûrement pas le directeur général d’Access Bank qui dira le contraire, lui qui inaugurait le 11 mai dernier la succursale parisienne de son établissement.
Au lendemain de la soirée de lancement, Herbert Wigwe confiait ses ambitions à Jeune Afrique : profiter de l’ère de croissance qui vient pour faire d’Access Bank la Citibank de l’Afrique. « Il s’agit d’être la porte d’entrée de l’Afrique vers le monde, l’équivalent de Citi. Une transaction sur trois qui aura lieu sur mon continent, dans les cinq prochaines années, se fera à nos guichets », envisage-t-il.
Toute petite banque
Access Bank a atteint une taille et une rentabilité considérables, ce que le directeur général attribue à son leadership et à l’efficacité de ses opérations. En 2022, ses revenus ont augmenté de plus de 40 %, pour atteindre un revenu brut de 1,38 trillion de nairas (1,78 milliard de dollars), tandis qu’une base d’actifs de 15 trillions de nairas en fait la plus grande banque du Nigeria. Malgré les fluctuations des taux de change et d’autres défis, Herbert Wigwe ne craint pas la concurrence des autres banques panafricaines.
En ce qui concerne la première banque d’Afrique, la Standard Bank d’Afrique du Sud, il affirme qu’elle n’est pas une concurrente immédiate. « Elle n’est pas présente dans toute la Cedeao », précise-t-il. « C’est une toute petite banque d’où nous venons, elle n’est qu’un point au Nigeria. »
Au Maroc, où la franchise panafricaine Attijariwafa Bank est en tête des classements, Wigwe affirme qu’Access Bank serait sur ses talons si le Nigeria n’avait pas souffert d’une si mauvaise gestion économique.
LE SEUL AVANTAGE D’ATTIJARIWAFA EST QU’ELLE VIENT D’UN PAYS OÙ LA MONNAIE EST PLUS STABLE
« J’ai 60 millions de clients, soit la même taille que Citibank au niveau mondial », déclare Herbert Wigwe qui déplore l’échec de la gestion politique au Nigeria, qui a permis l’effondrement de la valeur du naira. « Lorsque j’étais banquier, j’ai vu le taux de change passer de quatre nairas pour un dollar à 800. Cela s’est passé pendant […] ma courte vie. »
« Avec une bonne politique, notre taux de change ne se serait pas détérioré de la sorte et nous aurions des milliards de dollars de plus dans nos comptes. Pour une banque comme Attijariwafa, le seul avantage est qu’elle vient d’un pays où la monnaie est plus stable même si elle est loin d’avoir la sophistication ou la taille que nous avons. »
Vision globale
Herbert Wigwe ne cache pas ses ambitions sur le marché américain, renforçant ainsi l’engagement de la banque à étendre son empreinte mondiale. « Nous serons aux États-Unis, il n’est pas juste de vous dire quand, mais soit vous vous levez, soit vous restez dans votre petit coin », dit-il.
Avec des plans pour revisiter des marchés comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal dans les 12 à 18 prochains mois, et l’ambition d’offrir des services bancaires à un plus grand nombre de sociétés panafricaines, Access Bank a pour objectif de devenir la première institution bancaire du continent.
Pour se prémunir contre les difficultés liées à la monnaie nationale, Access Bank a adopté une vision globale, ouvrant récemment un bureau en France, ce qui peut paraître surprenant pour un observateur non averti. « Dans les années 1980 et 1990, la plupart des activités au Nigeria étaient contrôlées par les Français. Au fil du temps, elles ont diminué, mais il y a encore des investissements raisonnables », explique Herbert Wigwe.
LA SUCCURSALE FRANÇAISE PERMETTRA À ACCESS BANK DE SE LANCER DANS LA GESTION DES RÉSERVES DES PAYS FRANCOPHONES
Access Bank France est en fait la succursale parisienne d’Access Bank UK – une filiale à 100 % basée à Londres. Elle se concentrera sur le financement du commerce, en ciblant les clients impliqués dans divers flux transfrontaliers sur le continent. Access Bank pourra ainsi combler le vide laissé par les banques françaises, telles que la Société Générale, qui ont laissé en plan les clients d’Afrique francophone à la recherche d’un correspondant bancaire. « Quelqu’un va assumer ce rôle », a-t-il déclaré.
Wigwe pense également que la succursale française permettra à Access Bank de se lancer dans la gestion des réserves des pays francophones d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, qui conservent actuellement une partie de leurs réserves à la Banque de France.
Le déménagement d’Access Bank en France a été influencé par l’impact du Brexit sur le paysage financier, obligeant la banque à trouver un nouveau domicile dans la zone euro. Il témoigne de l’ambition de la banque d’être considérée comme un acteur universel pour les entreprises africaines et celles qui investissent sur le continent.
Choses stupides
La nouvelle administration nigériane doit travailler autour de trois conditions pour convaincre les investisseurs internationaux de revenir au Nigeria, estime Wigwe. « La première serait l’harmonisation des taux de change, c’est-à-dire la facilité avec laquelle les capitaux peuvent entrer et sortir du pays. Cette harmonisation semble déjà en cours, avec les réformes annoncées concernant le naira. »
VOUS APPORTEZ VOTRE CAPITAL, VOUS AVEZ UN DIFFÉREND, ET LE SYSTÈME JURIDIQUE NE FONCTIONNE PAS CORRECTEMENT
« La deuxième consiste à évaluer la perturbation et l’intrusion que constituent certaines agences par rapport aux investisseurs ; et la troisième est de s’assurer que le système judiciaire fonctionne – que les litiges commerciaux sont correctement résolus », a-t-il déclaré.
Tout en reconnaissant les difficultés rencontrées par les investisseurs dans le passé, le directeur de l’Access Bank est catégorique quant aux mesures prises pour y remédier. « Nous avons vu beaucoup de choses stupides se produire au cours des deux dernières années. Vous apportez votre capital, vous avez un différend, et le système juridique ne fonctionne pas correctement. Cela va changer. »