Session extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à Abuja, le 10 août 2023. © KOLA SULAIMON/AFP
« Nous sommes un État souverain, et nous pensons que s’ils ont un peu de conscience ils vont se retenir d’attaquer le Niger. » Pour Maïkoul Zodi, figure de la société civile nigérienne, l’intervention armée de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), décidée le 10 août au cours d’un sommet de l’organisation ouest-africaine, est un péril pour le pays. « Que ce soit les forces de défense et de sécurité, ou le peuple nigérien, tous sont prêts effectivement à faire face à l’agresseur. »
« Nous n’allons pas croiser les bras alors qu’ils vont venir nous massacrer et ramener l’ancien président pour gérer une ville en ruine », ajoute le militant, en s’adressant à Jeune Afrique, connu pour ses virulentes critiques de la présence militaire française au Sahel.
Le coordinateur de la coalition Tournons la page (TLP) et cadre du mouvement M62, qui a organisé le 3 août une manifestation devant l’ambassade de France à Niamey, est vent debout contre l’option retenue par la Cedeao : après l’échec de plusieurs tentatives de médiation, les dirigeants présents au sommet ont réitéré leur condamnation de « la tentative de coup d’État » et de la « détention illégale » de Mohamed Bazoum depuis le 26 juillet. La Cedeao a ainsi ordonné le déploiement et l’intervention de sa force armée, en attente, en dernier recours.
Bloc africain
« La Côte d’Ivoire est prête, et je viens de donner instruction au chef d’État major général des armées de commencer la mobilisation des troupes », a annoncé le président ivoirien lors de son retour à Abidjan. Alassane Ouattara avait prononcé devant la presse un premier discours en anglais, avant même de quitter Abuja, confirmant l’importance de ce second sommet consacré à la situation nigérienne. Soulignant les « relations fortes et spéciales » entre la Côte d’Ivoire et le Niger, le chef d’État a confirmé que son pays fournirait un bataillon, tout comme le Nigeria et le Bénin, dans le cadre de l’intervention.
« Ces décisions sont collectives, ce sont celles de la Cedeao, il ne faut pas les attribuer à un État, qu’il s’agisse du Nigeria, de la Côte d’Ivoire ou du Bénin, trois pays qui ont annoncé leur capacité à participer à cette opération », a tenu à souligner Alassana Ouattara. « D’autres pays le feront bientôt. »
Les pays d’Afrique de l’Ouest font donc bloc derrière Mohamed Bazoum, et s’opposent fermement aux putschistes du Conseil national de sauvegarde pour la patrie (CNSP), créé le 26 juillet. Le Mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani et le Burundais Évariste Ndayishimiye ont tous deux assisté au sommet.
LA FRANCE AFFIRME SON PLEIN SOUTIEN À L’ENSEMBLE DES CONCLUSIONS ADOPTÉES À L’OCCASION DE CE SOMMET EXTRAORDINAIRE DES CHEFS D’ÉTAT ET DE GOUVERNEMENT DE LA CEDEAO DU 10 AOÛT 2023
« Au sortir du sommet extraordinaire de la Cedeao qui s’est tenu aujourd’hui à Abuja, je lance un appel aux autorités militaires nigériennes pour qu’elles créent un environnement favorable au dialogue en libérant sans conditions le président Bazoum, sa famille, ainsi que les membres de son gouvernement », a tweeté Évariste Ndayishimiye le 10 août. Le chef d’État privilégie un règlement pacifique de la crise.
L’Union africaine a également annoncé se rallier à la Cedeao, dans un communiqué publié le 10 août. Moussa Faki Mahamat y exprime « son ferme soutien aux décisions de la Cedeao sur le changement anti-constitutionnel au Niger », évoque la « dégradation inquiétante » des conditions de vie de Mohamed Bazoum et « appelle l’ensemble de la communauté internationale à rassembler concrètement tous ses efforts pour sauver la vie et l’intégrité morale et physique » de ce dernier.
Paris et Washington derrière la Cedeao
L’exécutif américain a immédiatement exprimé son soutien aux chefs d’État de l’organisation ouest-africaine, dans un communiqué publié le 10 août. Le secrétaire d’État Antony Blinken, a déclaré que les États-Unis se joignaient à la Cedeao « pour appeler au rétablissement de l’ordre constitutionnel au Niger ». « Les États-Unis apprécient la détermination de la Cedeao à explorer toutes les options pour une résolution pacifique de la crise. »
Comme Washington, Paris suit de très près la situation au Niger depuis le début du coup d’État. La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a suivi la position de l’Union européenne, appelant à « la libération immédiate du président Bazoum et de sa famille ».
« La France réitère sa ferme condamnation de la tentative de putsch en cours au Niger, ainsi que de la séquestration du président Bazoum et de sa famille », a déclaré dans un communiqué le gouvernement français. « La France affirme son plein soutien à l’ensemble des conclusions adoptées à l’occasion de ce sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement de la Cedeao du 10 août 2023. » Reste à savoir quelle forme prendra le soutien de la communauté internationale, et si un appui logistique pourrait être apporté à la Cedeao par Paris ou Washington.
Les Nations unies, dont le feu vert pourrait être un élément décisif pour le déploiement au Niger d’une intervention militaire ouest-africaine, n’a pas réagi pour l’heure.
Silence des putschistes
Ce n’est pas non plus le cas des juntes militaires de la région, qui sont toutes trois suspendues de le Cedeao. Toute sortie du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée sera pourtant très scrutée à l’international. Assimi Goïta et Ibrahim Traoré avaient annoncé dans un communiqué conjoint se dissocier d’une éventuelle opération militaire de la Cedeao, et ont réitéré le 8 août leur opposition : ils y dénoncent un choix « en rupture totale avec la légalité internationale et la légitimité », et pointent du doigt une « agression déguisée en intervention militaire sous prétexte du rétablissement de la démocratie », qui « cache mal les agendas de puissances étrangères prêtes à aggraver une situation sécuritaire déjà précaire ».
Le Comité national du rassemblement pour le développement au pouvoir en Guinée avait également condamné le 31 juillet toute intervention militaire de la Cedeao, annonçant s’abstenir « d’appliquer ces sanctions illégitimes et inhumaines contre le peuple frère et les autorités nigériennes », et exhorté l’organisation sous-régionale à « revenir à de meilleurs sentiments ».
La position des trois États ouest-africains est un sujet sensible pour leurs dirigeants. En témoigne la suspension jusqu’à nouvel ordre du média Radio Oméga par le gouvernement d’Ibrahim Traoré. La radio avait invité le 10 août Ousmane Abdoul Moumouni, porte-parole d’un mouvement burkinabè pro-Bazoum, pour parler de la situation nigérienne.
Un « entretien émaillé de propos injurieux à l’encontre des nouvelles autorités nigériennes », selon l’exécutif burkinabè : reprenant les mêmes éléments de soutien à la junte dirigée par Abdourahamane Tiani, la primature accuse dans un communiqué ce discours de « légitimer et servir de cheval de Troie pour une attaque lâche et barbare contre le peuple frère du Niger au prétexte de défendre l’État de droit et la démocratie ».