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Alassane Ouattara, Aziz Akhannouch, Makhtar Diop… L’ouverture de l’Africa CEO Forum 2023 en direct

Plus de 1 800 décideurs économiques et politiques se rassemblent à l’occasion de l’Africa CEO Forum 2023, lundi 5 et mardi 6 juin, à Abidjan. Au centre des débats, la question de l’émergence de la prochaine génération de champions africains.

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 5 juin 2023 à 10:37
 
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Assurer au continent les moyens de sa souveraineté économique et permettre l’émergence de nouveaux champions africains. Cet impératif va être au centre des débats qui s’ouvrent ce lundi 5 juin à l’Africa CEO Forum 2023*, à Abidjan.

 

Chefs d’État ou de gouvernement, dirigeants et hauts cadres des plus grandes entreprises africaines, représentants des investisseurs et des bailleurs de fonds internationaux : ils seront près de 2 000 décideurs de haut niveau à participer aux échanges. Des travaux que vont ouvrir Alassane Ouattara, le président ivoirienMakhtar Diop, le  directeur général de la Société financière internationale (IFC), filiale de la Banque mondiale dévolue au secteur privé, et Amir Ben Yahmed, CEO de Jeune Afrique Media Group.

Une Afrique « souveraine et compétitive »

Patrick Achi, Premier ministre de Côte d’Ivoire, et son homologue Aziz Akhannouch, chef du gouvernement du Maroc, viendront livrer leur vision de la situation économique et débattre ensemble des mesures à mettre en œuvre pour favoriser les investissements sur le continent. Les Premiers ministres du Cameroun, Joseph Dion Ngute, du Gabon, Alain-Claude Bilie-By-Nze, et de Sao Tomé-et-Principe, Patrice Trovoada, seront également présents.

À LIRE[Vidéo] Cinq leviers pour faire émerger de nouveaux champions africains

Suivra ensuite ce qui formera le cœur de l’édition 2023 du plus grand rendez-vous international du secteur privé africain : les sessions de discussions et les ateliers au cours desquels les décideurs économiques livreront leur analyse des enjeux d’une Afrique « souveraine et compétitive », qui doit surmonter les crises géopolitiques et climatiques qui secouent la planète. Dans la très longue liste des participants venus de 70 pays dont 41 du continent, on peut notamment citer Abdul Samad Rabiu, président exécutif de BUA GroupDelphine Traoré, directrice générale d’Allianz AfricaKarim Beguir, CEO d’InstaDeep ou encore Hardy Pemhiwa, CEO de Cassava Technologies.

 *L’Africa CEO Forum a été créé en 2012 par Jeune Afrique Media Group et est coorganisé avec l’IFC – groupe de la Banque mondiale.

Au Sénégal, Ousmane Sonko en fait-il trop ?

Passé sans transition d’une opposition certes radicale mais classique à l’apologie de la désobéissance civile, Ousmane Sonko pourrait bien avoir franchi la ligne jaune. Le verdict dans son procès pour viols doit être connu ce jeudi 1er juin.

Mis à jour le 1 juin 2023 à 10:07
 
 
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Le chef de l’opposition, Ousmane Sonko, lance-pierre à la main, lors d’un meeting à Ziguinchor, le 24 mai 2023. © MUHAMADOU BITTAYE/AFP

 

« Le combat final se passera à Dakar. Soit Macky Sall recule, soit on le déloge du Palais. J’appelle toute la jeunesse qui croit en notre projet à tout laisser pour faire face à Macky Sall et en finir avec lui et son régime. »

À LIREOusmane Sonko a-t-il orchestré sa propre « disparition » ?

« En finir »… À quelques jours de l’échéance judiciaire qui pourrait bien, ce 1er juin, contrarier son ascension politique fulgurante en l’envoyant derrière les barreaux pour plusieurs années s’il est reconnu coupable des viols dont l’accuse la jeune Adji Sarr, Ousmane Sonko adoptait à nouveau, le 29 mai, dans une de ses rituelles allocutions diffusées en live sur Facebook, un champ lexical à la fois menaçant et funèbre.

Combat sans merci

Dans le combat de lutte avec frappe engagé par cet opposant emblématique contre le pouvoir et les institutions qui l’incarnent, une chose est sûre : l’un des deux athlètes finira bien par se retrouver à terre. Ousmane Sonko en est conscient, semble-t-il, tout comme il pressent que dans cet affrontement sans merci, le rapport de force inégal entre un président de la République et un chef de parti, fût-il maire de Ziguinchor, pourrait bien tourner en sa défaveur. « Je suis prêt au sacrifice ultime », prophétise-t-il.

D’un côté de l’arène, l’État, un président élu à deux reprises au suffrage universel, mais aussi les forces de défense et de sécurité chargées d’assurer le maintien de l’ordre ou encore les magistrats censés rendre la justice… De l’autre, un contestataire tous azimuts, adepte des provocations verbales – souvent ad hominem – et la puissance anarchique de la rue lorsqu’y déferlent des centaines, voire des milliers, de partisans chauffés à blanc. « L’État utilise des moyens qu’Ousmane Sonko perçoit comme non conventionnels. Aussi lui apporte-t-il une réponse politique elle aussi non conventionnelle depuis 2021 », résume Alioune Tine, figure de la société civile sénégalaise et fondateur du think tank Afrikajom Center.

À LIREOusmane Sonko contre Adji Sarr : de l’effervescence populaire à l’inertie judiciaire

Le 28 mai, après avoir passé une quinzaine de jours reclus dans son bastion casamançais de Ziguinchor, une ville dont il est devenu le maire en janvier 2022, le « PROS » (« Président Ousmane Sonko », son surnom parmi ses militants) a fini par larguer les amarres pour revenir dans la capitale, où il réside principalement.

Un retour express dans un avion d’Air Sénégal ou à bord du ferry Aline Sitoé Diatta eût été sans éclat, semble-t-il. C’est pourquoi le président des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) a opté pour un come-back plus démonstratif, sous la forme d’un bain de foule qui devait s’étaler sur au moins deux jours.

« La Caravane de la liberté » : c’est ainsi qu’Ousmane Sonko avait baptisé ce périple entre Ziguinchor et Dakar à bord d’une voiture au toit ouvrant, comptant bien multiplier sur son chemin les étapes dans plusieurs villes de la Casamance, du Sénégal oriental, du bassin arachidier, du pays mouride et de la banlieue de la capitale.

Dans le contexte particulièrement tendu qui entoure le sort judiciaire – et, par voie de conséquence, l’avenir politique – de l’opposant, les autorités avaient préféré lancer un avertissement préventif. « Quoi qu’il en coûte, l’ordre public sera maintenu, avait indiqué, le 25 mai, le porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana. Nous ne laisserons personne – personne ! – troubler l’ordre public et la quiétude des Sénégalais. »

À LIREÀ la veille du retour à Dakar de Sonko, le gouvernement affiche sa fermeté

Le dimanche de Pentecôte, alors qu’Ousmane Sonko venait tout juste de présenter ses vœux à la communauté catholique, par vidéo interposée, la caravane de la liberté s’est toutefois interrompue sans préavis à Vélingara, aux confins orientaux de la Casamance. Alors qu’un mort par arme à feu venait d’être déploré la veille à Kolda, les autorités entendaient bien mettre un terme à la procession des Patriotes, dont les organisateurs s’étaient abstenus de déclarer préalablement la tenue aux autorités préfectorales des départements traversés. Elles n’imaginaient pas forcément qu’Ousmane Sonko les prendrait de vitesse en sifflant lui-même, discrètement, la fin de la partie dès le 28 mai aux premières heures du jour, alors qu’il n’avait accompli qu’une modeste partie du trajet initialement prévu.

SI LE PEUPLE SORT POUR DIRE « BASTA ! », JE VOUS ASSURE QUE MACKY SALL RECULERA OU QUITTERA LE POUVOIR AVANT LA FIN DE SON MANDAT

On ne reviendra pas ici sur son retour clandestin à Dakar, ce jour-là, à bord d’un fourgon puis d’un 4×4 de la gendarmerie, dont le récit a déjà été détaillé par JA. Interpellé par les gendarmes à quelques kilomètres au nord de la Gambie, qu’il venait de traverser au mépris de son contrôle judiciaire, le « PROS » est aussitôt conduit à Dakar, sans escale ni bain de foule.

À peine rentré à son domicile, persistant dans l’art de la provocation, Ousmane Sonko appelle ses partisans à la résistance et prophétise, menaçant : « Personne ne peut faire face à un peuple. Et si le peuple sort pour dire “Basta !”, je vous assure que Macky Sall reculera ou quittera le pouvoir avant la fin de son mandat. »

Tribun

Avec sa voix posée, sa gestuelle sans à-coup et ses interventions sans notes, Sonko-le-tribun a des allures de bon élève lorsqu’il s’adresse à ses compatriotes. Mais qu’on ne s’y trompe pas : derrière ce style policé, ses mots sont autant de poignards effilés plantés sans relâche entre les omoplates de Macky Sall, de son entourage et de différents boucs émissaires issus des sphères politique, judiciaire ou policière.

En novembre 2022, le président de Pastef avait cru bon de jeter l’opprobre sur Mame Mbaye Niang, l’actuel ministre du Tourisme, fidèle lieutenant du chef de l’État. Dans une intervention publique, l’opposant avait ressorti de ses tiroirs un rapport attribué à l’Inspection générale des finances faisant état de détournements financiers massifs commis il y a plusieurs années par un organisme placé sous la tutelle de Mame Mbaye Niang. Entre les lignes, Ousmane Sonko l’accusait d’avoir personnellement tiré profit de ces prévarications supposées n’ayant jamais donné lieu à des poursuites judiciaires.

À LIREPoursuivi pour diffamation, Ousmane Sonko peut-il être déclaré inéligible ?

À un peu plus d’un an de la présidentielle, le ministre ainsi pris à partie y a sans doute vu une aubaine. Potentiellement constitutive d’une diffamation publique contre un membre du gouvernement, la flèche empoisonnée décochée par Ousmane Sonko était en effet de nature à se retourner contre lui en cas de poursuite judiciaire. Car en vertu d’une combinaison complexe entre certaines dispositions respectives du code électoral et du code pénal, une condamnation pour diffamation pouvait rendre Ousmane Sonko inéligible. Une plainte a donc été déposée par Mame Mbaye Niang contre l’opposant pour diffamation, injures et usage de faux.

Il en eût fallu davantage pour refroidir les ardeurs du Patriote en chef. Quelques semaines plus tard, malgré cette première épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa candidature présidentielle, Ousmane Sonko jetait cette fois en pâture le nom d’un policier issu des services de renseignement intérieur, Frédéric Napel. Sans prendre la précaution élémentaire de préserver son anonymat, il lui reprochait ouvertement d’avoir pris part au complot qu’il accuse Macky Sall de fomenter contre lui. Peu après, Frédéric Napel adressait une plainte au procureur du tribunal de Dakar. Celle-ci n’a pas encore débouché sur l’ouverture d’une procédure judiciaire, mais elle n’a pas non plus été classée sans suite.

Anathèmes

Ces anathèmes à répétition, qui flirtent selon les jours avec l’invective, la diffamation ou l’appel à l’insurrection, ne sont pas la seule arme d’Ousmane Sonko dans sa croisade contre un pouvoir qu’il se plaît à dépeindre en tyrannie finissante face à laquelle la « résistance » serait la seule issue laissée au peuple sénégalais.

« La résistance à l’oppression est un droit inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Or la Constitution sénégalaise affirme clairement, dans son préambule, son adhésion à ce texte », justifie le député de la diaspora Alioune Sall, coordinateur de Pastef en France.

À LIREOusmane Sonko est-il devenu inéligible ?

Le 1er mai, en plein tumulte judiciaire autour des procédures le visant, Ousmane Sonko avait appelé à la fronde collective des citoyens face aux institutions. « La justice nous a fait trop de mal. Nous avons décidé d’engager une campagne de désobéissance civique face à cette justice, avertissait-il lors d’une conférence de presse. Parce que quand une justice est injuste, nous n’avons plus l’obligation de la respecter, a fortiori d’accepter de jouer son jeu. »

Six jours plus tard, là encore à la veille d’une échéance judiciaire importante, il dénonçait cette fois « l’entreprise de liquidation politique du candidat Ousmane Sonko par le biais – une fois de plus, malheureusement – de l’instrument judiciaire ». Et stigmatisait en passant le « dialogue politique » initié par le président Macky Sall, ainsi que tous ceux, hors de la mouvance présidentielle, qui répondraient favorablement à cette main tendue vue par le président de Pastef comme « une opération de tri des candidats de l’opposition » à l’approche de la présidentielle.

Net durcissement

Entre son entrée à l’Assemblée nationale, en 2017, et ce mois de mai 2023, la rhétorique du fondateur du parti Pastef s’est clairement durcie. En mars 2019, au lendemain de la présidentielle, puis en novembre 2020, alors qu’un énième report des élections locales avait été décidé, JA avait interviewé longuement Ousmane Sonko, cet ovni politique au pedigree atypique – ancien inspecteur des Impôts – et à la parole déjà tranchante.

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À la relecture, on réalise combien son discours s’est radicalisé en quelques mois pour culminer aujourd’hui, à la veille du verdict de la chambre criminelle qui l’a jugé par contumace tandis qu’il se trouvait à Ziguinchor, sur les cimes de la guérilla verbale.

« Ousmane Sonko s’est comporté comme un opposant normal jusqu’à l’affaire Sweet Beauté, au début de 2021, analyse une source à la présidence. Pour éviter la mort sociale que risquait d’entraîner cette affaire de mœurs, il a alors voulu politiser le dossier et utiliser les foules pour se soustraire à la justice. Toute.sa stratégie, depuis lors, a consisté à tenter d’éviter ce procès face à Adji Sarr. »

Depuis sa mise en cause devant la justice, en mars 2021, par cette jeune femme devenue masseuse au sein d’un salon dakarois où Ousmane Sonko avait ses habitudes, l’opposant a en effet musclé progressivement son discours au point de risquer d’en payer le prix.

Face à un président de la République élu puis réélu à une large majorité en 2012 et en 2019, et aujourd’hui soupçonné de vouloir briguer un troisième mandat en 2024, Ousmane Sonko entend désormais faire prévaloir la démocratie de la rue sur l’onction du suffrage universel. À l’entendre, on pourrait même le croire déjà élu, au prétexte que sa popularité dans les régions de Dakar et de Ziguinchor est incontestable. Député déchu avant le terme de son premier mandat électif et maire depuis peu, Ousmane Sonko est pourtant encore loin de pouvoir gravir les marches du Palais de la République en tant que locataire attitré.

ON A EFFECTIVEMENT ASSISTÉ À UNE RADICALISATION PROGRESSIVE D’OUSMANE SONKO DEPUIS MARS 2021

« On a effectivement assisté à une radicalisation progressive d’Ousmane Sonko depuis mars 2021, début de l’affaire Adji Sarr, confirme Alioune Tine. Idrissa Seck ayant laissé un vide après être arrivé en deuxième position au premier tour de l’élection présidentielle de 2019, Ousmane Sonko est devenu la véritable locomotive de l’opposition. C’est à partir de là que ses ennuis judiciaires se sont multipliés. Et Ousmane Sonko s’est alors radicalisé dans l’épreuve. »

Selon Alioune Tine, l’opposant aurait éveillé, dans l’inconscient collectif, une double évocation. « La première renvoie à la sainteté et à une forme de messianisme politique », explique-t-il. C’est ainsi que de nombreux partisans du PROS utilisent pour le désigner, sur les réseaux sociaux, l’expression wolof « Seydina Ousmane mou sell mi », qui peut se traduire par « Ousmane le pur », « l’immaculé », voire « le saint »… « L’autre écho subliminal que renvoie Ousmane Sonko a trait aux grandes figures africaines post-indépendance, qu’elles soient sénégalaises ou originaires d’autres pays du continent, de Nelson Mandela à Thomas Sankara », ajoute le fondateur d’Afrikajom Center.

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Face à ce trublion qui multiplie les excès, Macky Sall a toutefois su gérer habilement, au cours des derniers mois, cette situation hautement sensible. Nombre d’occasions se sont en effet présentées qui auraient pu le conduire à appuyer sur le bouton incitant le parquet, via la chancellerie, à se saisir des paroles ou des actes de l’opposant, pour divers motifs. Dans les années 2013 à 2018, plusieurs responsables politiques, en particulier d’anciens « frères » du Parti démocratique sénégalais (PDS) puis quelques fortes têtes au sein de l’état-major du Parti socialiste (PS), pourtant partie prenante à la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY, majorité présidentielle), n’ont-ils pas payé au prix fort leur défiance envers le chef de l’État ?

Avec Ousmane Sonko, Macky Sall semble avoir gardé le pied sur le frein de manière calculée, le laissant multiplier jusque-là, face à la caméra, les provocations et autres appels à l’insurrection pourtant passibles de poursuites judiciaires (offense au chef de l’État, atteinte à la sûreté de l’État, etc.). Même si, par ailleurs, la justice s’est montrée sans concession avec nombre de cadres et de militants de Pastef, dont des dizaines sont actuellement incarcérés pour divers troubles à l’ordre public.

« Le président de la République n’a rien fait pour judiciariser le cas Sonko. Jusqu’ici, aucune procédure n’a été initiée contre lui par l’État du Sénégal mais uniquement par des citoyens en leur nom personnel, en l’occurrence Adji.Sarr et Mame Mbaye Niang », résume un collaborateur de Macky Sall.

Narcissisme et manipulation

Le verdict de l’affaire Adji Sarr marquera-t-il la fin de cette relative impunité ? Le journaliste Madiambal Diagne, administrateur général du groupe de presse Avenir Communication, qui édite Le Quotidien, a régulièrement signé des éditos incendiaires contre Ousmane Sonko au cours des dernières années. « Depuis son entrée en politique, je ne pense pas qu’il ait véritablement changé. Il est animé par un sentiment narcissique très prononcé, est adepte des techniques de manipulation de l’opinion et de dénigrement de ses adversaires et tient des propos incitant à la violence. Ces travers ont seulement été mis en lumière par la stature qu’il a acquise depuis la présidentielle de 2019 », cingle-t-il.

Aline Sitoé Diatta, une féticheuse casamançaise qui figure au Panthéon des héros nationaux entrés en dissidence face aux colonisateurs français et à leurs supplétifs sénégalais, avait, elle aussi, bien avant Ousmane Sonko, appelé à la désobéissance civile. En pleine Seconde Guerre mondiale, elle s’était notamment opposée à la conscription des tirailleurs et avait refusé la culture imposée de l’arachide, produit d’exportation, au détriment du riz et d’autres cultures plus utiles aux populations.

Si Ousmane Sonko ne se revendique pas ouvertement de celle qu’on surnommait « la Dame de Kabrousse », il semble marcher dans ses traces, inconsciemment ou non. Condamnée au Sénégal puis déportée au Mali, Aline Sitoé Diatta y trouvera la mort dans une geôle, en 1944, du fait des privations. Si nul ne souhaite à Ousmane Sonko pareil destin, le verdict rendu ce 1er juin pourrait bien faire basculer le sien dans une tragédie politique susceptible d’embraser le Sénégal.

Dialogue politique au Sénégal : y aller ou pas ?

Plusieurs partis de l’opposition prendront part au « dialogue national » qui doit débuter le 31 mai. En espérant voir entérinées leurs propositions en vue de la présidentielle de 2024.

Par  - à Dakar
Mis à jour le 29 mai 2023 à 15:59
 

 

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La modification des lois qui encadrent les manifestations fait partie des propositions dont veut discuter l’opposition lors du dialogue national. © John Wessels/AFP

II arrive que les actualités politiques s’entrechoquent de manière étrange. Alors que l’opposant Ousmane Sonko, président des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), a quitté Ziguinchor vendredi pour revenir à Dakar préparer le « combat final » engagé par son parti contre le président Macky Sall, au lendemain d’un procès pour viols auquel il n’a pas consenti à participer et dont le verdict sera rendu le 1er juin, c’est une tout autre partition que doivent interpréter, à partir de ce mercredi, plusieurs des principaux mouvements de l’opposition sénégalaise.

À LIRELe dialogue politique au Sénégal, pomme de discorde pour l’opposition

Le 31 mai doit en effet s’ouvrir à Dakar, à l’invitation du chef de l’État, une nouvelle session du dialogue politique – officiellement désigné par le terme, plus large, « dialogue national ». Selon le compte rendu du dernier conseil des ministres, y sont conviés les « représentants des acteurs politiques, économiques, sociaux, culturels, des chefs religieux et coutumiers, des jeunes et des femmes, afin d’échanger et de bâtir des consensus durables sur des questions majeures relatives à la vie nationale et à l’avenir du pays ».

Alors que s’approche à grands pas le premier tour de la prochaine présidentielle, prévu le 25 février 2024, l’enjeu est donc d’importance. Et en guise de dialogue national, c’est avant tout son volet politique qui sera scruté.

Si le Pastef d’Ousmane Sonko ne compte pas prendre part à l’exercice, pas plus que le mouvement récemment créé par Aminata Touré (Mimi 2024), ni l’Alternative pour une Assemblée de rupture (AAR Sénégal) de Thierno Alassane Sall et Thierno Bocoum, plusieurs partis importants ont néanmoins fait connaître leur accord de principe – nonobstant une certaine méfiance. C’est le cas de Taxawu Sénégal, du Parti démocratique sénégalais (PDS), de Rewmi ou encore d’And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ/PADS).

« Les exigences que l’opposition a toujours posées sur la table et qui ne sont pas encore satisfaites seront les nôtres », indique ainsi Mamadou Diop Decroix, d’AJ/PADS. De son côté, le PDS avait exprimé son accord dès le 28 avril, faisant savoir qu’il approuvait « d’ores et déjà les principaux points de discussion évoqués par le président de la République, notamment le parrainage, l’amnistie de Khalifa Sall et la révision du procès de Karim Wade ».

« Lors du précédent dialogue, les préoccupations de l’opposition avaient été clairement exprimées, mais Macky Sall a préféré les ignorer et imposer ses vues, explique quant à lui Thierno Bocoum, d’AAR Sénégal. En de pareilles circonstances, il joue un rôle ambivalent, car il est à la fois juge, se devant d’être l’arbitre en cas de désaccord puisque c’est lui le président de la République, et partie, en tant que leader de l’Alliance pour la République [APR] et de la coalition Benno Bokk Yakaar [BBY]. Cette initiative est donc devenue un prétexte pour faire prévaloir ses volontés politiques au détriment d’un dialogue sincère, destiné à faire avancer la démocratie. »

« Nous sommes débordés par les demandes de participation venant non seulement des partis politiques mais aussi, dans une large mesure, des organisations de la société civile, du secteur privé ou encore des milieux religieux », indique de son côté le ministre Yoro Dia, porte-parole de la présidence.

Cacophonie

À quelques jours de l’échéance, une certaine cacophonie est toutefois apparue au sein de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW), laquelle s’est exprimée à travers deux communiqués antagonistes. Tandis que Khalifa Sall et l’état-major de Taxawu Sénégal prônent la participation (sous réserve d’une validation par la base qui se fait attendre et ne devait être connue qu’à la veille de l’événement), la quinzaine d’autres partis représentés au sein de la Conférence des leaders de YAW a rejeté l’offre de Macky Sall à une quasi-unanimité.

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En mai 2019, peu après la présidentielle cette fois-là, le même exercice avait débouché sur un rapport final de 16 pages consignant points d’accord et de désaccord. Mais selon Saliou Sarr, le coordinateur national de Taxawu Sénégal, qui avait fait partie des 20 plénipotentiaires de l’opposition à ce précédent dialogue politique qui s’était étalé de de 2019 à 2021, « plusieurs mesures qui faisaient pourtant consensus n’ont jamais été suivies d’effets ».

Saliou Sarr ne se décourage pas pour autant, comptant bien mettre à nouveau sur la table, avec les autres partis de l’opposition prêts à participer, une dizaine de propositions laissées en suspens, qui pourraient impacter de manière notable la présidentielle à venir.

La question du troisième mandat n’est pas la moindre. En 2019, Macky Sall venait tout juste d’être réélu pour un second mandat et la perspective d’une troisième candidature en 2024 n’avait pas encore pris l’importance qu’elle a acquise par la suite dans l’opinion. Aujourd’hui, alors que le chef de l’État tarde à clarifier ses intentions en la matière et qu’aucun dauphin potentiel n’a été désigné au sein de son parti, nul doute que cette pomme de discorde sera au menu des discussions.

Réformer le code électoral

Autre préoccupation de l’opposition, deux délits qui sont régulièrement brandis par la justice face à des responsables politiques, militants ou journalistes versant dans la contestation. D’un côté, l’offense au président de la République, passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller de six mois à deux ans d’emprisonnement. De l’autre, l’article 80 du code pénal, qui réprime les « manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique, à occasionner des troubles politiques graves, à jeter le discrédit sur les institutions politiques ou leur fonctionnement, ou à inciter les citoyens à enfreindre les lois du pays ». Dans le contexte actuel, où Ousmane Sonko multiplie les provocations et menaces à l’égard du régime, des forces de l’ordre ou des magistrats, cet article pourrait bien redevenir d’actualité.

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Figureront aussi au menu du dialogue les mesures entremêlées du code électoral aboutissant à priver certains responsables politiques condamnés par la justice (même après avoir purgé leur peine ou avoir été graciés) du droit de s’inscrire sur les listes électorales, donc d’être candidats.

À quelques mois de la prochaine présidentielle, Karim Wade (PDS) et Khalifa Sall (Taxawu Sénégal) sont les principaux concernés par cette entrave. Car en l’absence d’une réforme rapide du code électoral, leur sort en 2024 pourrait bien ressembler à celui de 2019, où leur candidature avait été rejetée par le Conseil constitutionnel à quelques semaines de l’échéance.

Le ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, indiquait, il y a déjà plusieurs mois, avoir soumis à Macky Sall des options réalistes qui permettraient à certaines personnalités politiques frappées d’inéligibilité à la suite d’une condamnation judiciaire de concourir. Mais pour l’heure, le gouvernement n’a soumis à l’Assemblée nationale aucun texte allant dans ce sens. « Il suffirait d’un consensus lors du dialogue national pour accoucher d’un tel projet de loi dans les 48 heures », veut croire Saliou Sarr.

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« Depuis 2010, tous les audits indépendants ont conclu que différents articles du code électoral sénégalais, notamment les articles L-29 et L-30, n’étaient pas conformes à la Constitution ni aux normes internationales », affirme-t-il. Et de rappeler que lors du précédent dialogue national, « toute l’opposition était d’accord sur la nécessité d’une réforme. Mais le camp au pouvoir était hostile à cette proposition. Aussi l’absence d’un consensus n’a pas permis de régler cette question ». Selon le coordinateur de Taxawu Sénégal, ce point de négociation est l’une des raisons qui justifient la présence de son parti au dialogue national.

Au sein de l’opposition, on revendique par ailleurs un accès permanent et direct au fichier électoral pour les partis politiques légalement constitués, les organisations de la société civile et la Commission électorale nationale autonome (CENA). « Les modalités d’accès au fichier, ainsi que le fonctionnement de ce dernier, devaient être définies par un décret, indique Saliou Sarr. Mais ça n’est toujours pas le cas et nous continuons à le réclamer. »

Réduire les parrainages

La démarche pouvait sembler souhaitable dans un pays où la profusion de partis politiques donne le tournis à l’approche chaque élection. Mais en 2019, la loi, récemment adoptée, instaurant le parrainage avait abouti à une véritable hécatombe parmi les candidats, ne laissant que quatre « rescapés » face au président sortant.

« Les points problématiques reposent sur le fait qu’une personne inscrite sur les listes électorale ne puisse parrainer qu’un seul candidat, mais aussi sur le nombre de parrainages requis », résume Saliou Sarr. Actuellement, ce chiffre est en effet déterminé par un pourcentage calculé à partir du fichier électoral – en constante augmentation. Chaque candidat à la présidentielle doit ainsi recueillir un nombre de parrains correspondant à une fourchette allant de 0,8 % à 1 % du corps électoral, avec des parrainages provenant d’électeurs domiciliés dans au moins sept des quatorze régions du pays.

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En 2019, le chiffre était compris entre 53 456 et 66 820 parrains pour chaque candidat. Or, dans l’opposition, on estime que celui-ci est trop élevé. « Nous avions donc proposé de le ramener à un minimum de 20 000 parrainages et nous souhaitions également avoir une connaissance approfondie du logiciel utilisé pour assurer leur contrôle », souligne Saliou Sarr.

Autre solution évoquée à l’époque, la perspective d’un panachage entre parrainages accordés par des électeurs et parrainages émanant d’élus locaux. Face aux difficultés posées par ce filtre, les autorités ont tout de même décidé d’en dispenser les partis en lice lors des élections locales de janvier 2022. Il reste toutefois en vigueur pour les législatives et pour la présidentielle.

Créer un ministère en charge des élections

Le coordinateur de Taxawu Sénégal évoque aussi, au nombre des conditions problématiques posées aux candidats, le montant de la caution. En 2019, celle-ci s’élevait à 30 millions de F CFA (45 730 euros). L’opposition avait proposé de l’abaisser à 10 millions (15 240 euros). Cette question sera à nouveau débattue lors du dialogue national qui doit s’ouvrir le 31 mai.

D’autres dossiers sensibles seront évoqués par l’opposition. Tout d’abord, le souhait de voir confiée à une personnalité neutre l’organisation de la prochaine présidentielle. Actuellement, celle-ci relève tout à la fois de la Direction de l’autonomisation du fichier et de la Direction générale des élections, deux instances placées sous la tutelle du ministre de l’Intérieur. « Nous proposons la création d’un ministère spécifiquement en charge des élections, qui serait confié à une personnalité reconnue comme neutre. Abdou Diouf, puis Abdoulaye Wade, l’avaient fait en leur temps et cela permettrait de rétablir la confiance », rappelle Saliou Sarr.

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Les restrictions au droit de manifestation font également partie des critiques régulièrement formulées par les détracteurs du régime, lesquels pointent la loi 78-02 du 29 janvier 1978. Manifestations, marches et meetings sont ainsi soumis à une autorisation préfectorale, souvent délivrée à la dernière minute, ce qui ne permet pas de saisir la chambre administrative de la Cour suprême en cas de refus.

Enfin, la perspective d’un texte encadrant le financement des partis politiques avait été entérinée lors de la précédente session du dialogue politique. Un texte consensuel avait même été rédigé en guise de préalable, mais les choses en étaient restées là. L’édition 2023 du dialogue national accoure-t-elle de véritables réformes sur ces sujets politiquement sensibles ?

« Il n’y a qu’en matière de religion que sont apportées aux questionnements des réponses définitives. En démocratie, toutes les réponses sont relatives, conclut Yoro Dia. C’est pourquoi le débat et le dialogue sont au cœur de la démocratie. »

À Cannes, l’Afrique est reine

Des pionniers du genre, honorés sur la Croisette, à la nouvelle génération… Pour sa 76e édition, le festival de Cannes a mis ses pendules à l’heure africaine.

Mis à jour le 27 mai 2023 à 10:22


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Une partie de l’équipe du film « Banel E Adama », dont la réalisatrice Ramata-Toulaye Sy, assiste au tapis rouge, au Palais des festivals de Cannes, le 20 mai 2023. © Mike Coppola/Getty Images/AFP

 

Un corps de brindille dans une tenue coquette rose bonbon, une frimousse juvénile tirant la langue en photocall devant une armada de photographes, index et majeur levés formant le « v » de victoire… Cette silhouette gracile et mutine est celle de Ramata-Toulaye Sy. Elle est le visage de la nouvelle génération du cinéma sénégalais. Et elle le sait, n’hésitant pas à faire des pieds de nez à l’industrie.

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Mais n’allez pas lui parler de nouveau visage, la benjamine de la compétition risquerait de vous clouer le bec aussi sec. « Cela fait longtemps que je travaille, j’ai coécrit des scénarios, je suis allée à l’université, j’ai fait la Fémis. Peut-être que vous ne me connaissiez pas jusqu’à présent, mais mon travail ne date pas d’hier. Maintenant vous me connaissez. » Tels sont les mots qu’a prononcés, triomphante, la cinéaste de 36 ans devant le parterre de journalistes du Palais des festivals et des congrès de Cannes, au lendemain de la projection de Banel & Adama.

La relève du cinéma africain

Un aplomb qui frôle l’arrogance. Mais la scénariste de formation a de quoi être fière puisque qu’elle voit son premier film, une histoire d’amour sur fond de réalisme magique, directement sélectionné en compétition officielle. « Je suis originaire du Sénégal. Mes parents viennent de là-bas et j’ai grandi dans la tradition peul. Je ne voulais pas que l’on me cloisonne dans un univers de banlieue. Il était évident pour moi de camper mon histoire dans le village de Fouta où j’ai passé la plupart de mes vacances scolaires », défend celle qui ne se reconnaît pas dans le travail de ses aînés.

À l’évocation des grands noms du cinéma africain, comme le cinéaste malien Souleymane Cissé et l’écrivain et réalisateur sénégalais Ousmane Sembène, elle préfère mentionner la littérature et le théâtre classique français, bien qu’admirative de leur travail qu’elle a connu sur le tard.

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Pourtant, c’est bien en digne héritière d’Ousmane Sembène que le ministre de la Culture et du Patrimoine sénégalais, Aliou Sow, l’a présentée lors d’un passage éclair, mais remarqué, au chapiteau des cinémas du monde longeant la baie de Cannes. Devant une foule de professionnels du secteur majoritairement sénégalais – aussitôt repartis après l’intervention de l’homme politique –, le professeur titulaire des universités d’études africaines du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames) s’est dit heureux de voir l’Afrique dignement représentée sur la Croisette, avec six films nord-africains (Les Filles d’Olfa de la Tunisienne Kaouther Ben Hania, Les Meutes du Marocain Kamal Lazraq, etc.), et quasi autant de long-métrages subsahariens, lors d’un hommage au centenaire d’Ousmane Sembène.

« J’ai été bercé par les écrits de Sembène, et nous pouvons être fiers de voir cette année un premier film sénégalais directement en lice pour briguer la Palme. Avec Banel & Adama, une coproduction franco-sénégalaise, nous voyons qu’une relecture des rapports diplomatique et culturel est possible », a-t-il lancé dans un discours évoquant les récentes ruptures entre les pays d’Afrique de l’Ouest et la France.

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L’heure n’est pourtant pas à la politique, mais plutôt à la célébration du patrimoine cinématographique africain, pourtant menacé. Si l’œuvre de celui qui préférait qu’on le nomme par son patronyme, rappelle Cheick Oumar Sissoko – cinéaste malien et secrétaire général de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci) –, est reconnue par ses pairs et la profession, elle souffre d’un manque de conservation. Un vaste plan de préservation et de restauration a ainsi été lancé par la cinémathèque africaine, un élément important de la politique culturelle africaine du président Macron, pour permettre au patrimoine cinématographique africain de circuler. Et inspirer, si ce n’est Ramata-Toulaye Sy, la nouvelle génération de cinéastes du continent.

Hommage aux pionniers

Car, qu’elle le veuille ou non, que serait-elle sans ses aînés, sans ceux qui ont marqué de leur empreinte le tapis rouge du Grand Théâtre Lumière, bien avant elle. Au milieu d’un cortège de costumes tirés à quatre épingles et de robes de sirène à traîne, le réalisateur malien de 82 ans, Souleymane Cissé – Prix spécial du jury au festival de Cannes pour Yeelen en 1987 – foule les marches en boubou aux tonalités ocres. C’est entouré de sa famille qu’il rejoint la cérémonie d’ouverture de la Quinzaine des cinéastes en ce deuxième soir de festival pour recevoir des mains des coprésidents de la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF) l’une des plus prestigieuses récompenses, le Carrosse d’or.

TIMBUKTU, PRÉSENTÉ EN COMPÉTITION OFFICIELLE EN 2014 À CANNES, MÉRITAIT AMPLEMENT LA PALME D’OR

Ce prix, qui vient saluer l’ensemble de son œuvre, intervient près de 20 ans après la distinction d’Ousmane Sembène. Sur la scène du théâtre, le réalisateur de Den Muso – projeté un peu plus tôt ce même jour sur la Croisette – saisit sa couronne dorée avant de la tendre au-dessus de son couvre-chef, auréolant ainsi sa tenue déjà flavescente. « Seuls deux cinéastes africains ont reçu le Carrosse d’or, c’est dire combien ce cinéma a été jusqu’ici sous-exposé, combien il manque à la cinéphilie mondiale. Ainsi nous remercions infiniment Souleymane Cissé d’avoir accepté de recevoir cet hommage », a-t-on pu entendre lors de la remise.

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Deux cinéastes, c’est en effet bien peu. « On se souvient du chef-d’œuvre du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako et de son long-métrage Timbuktu présenté en compétition officielle en 2014 à Cannes, qui méritait amplement la Palme d’or », glisse Xavier Leherpeur, journaliste français spécialiste du cinéma rencontré quelques jours avant le début des festivités. Mais Jane Campion, alors présidente du jury, avait estimé l’œuvre peu pertinente, se souvient-il. « Une appréciation que je ne comprends toujours pas. »

Si l’œuvre contemporaine africaine a su se distinguer cette année, avec notamment deux premiers long-métrages dont Augure (Un Certain Regard), du Belgo-Congolais Baloji, 45 ans – un film sur le retour au pays sur fond de sorcellerie acclamé lors de sa projection –, c’est aussi parce que cette nouvelle génération se réclame d’une africanité et d’un imaginaire (parfois fantasmé) propre au continent. Leurs aînés, eux, ont grandi sans supports et sans références.

« Un imaginaire propre au cinéma africain »

« J’ai passé toute mon enfance à voir des films qui ne parlent pas ma langue, mais je comprenais l’histoire. Ça me touchait », a rappelé Souleymane Cissé lors de sa remise de prix. « Le cinéma est pour moi un moyen très efficace de rapprocher les hommes. C’est pour cette raison que je ne me suis jamais senti comme étant un réalisateur noir, mais tout simplement comme un être humain. Et j’en suis fier. » Aujourd’hui, la tendance s’inverse. La fierté semble passer par la revendication et l’appartenance aux territoires africains pour mieux en raconter les histoires spécifiques.

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« Ces pionniers nous ont ouvert la voie, alors qu’ils ont été confrontés à la censure », glisse la réalisatrice camerounaise Rosine Mbakam, 43 ans, à l’abri des objectifs, sur la plage privée de la Quinzaine des cinéastes, catégorie ayant sélectionné son film remarquable, Mambar Pierrette, dont l’histoire est celle d’une couturière et mère de famille isolée qui vit et travaille dans un quartier difficile de Yaoundé.

« Tous ces parcours et ces références me donnent envie de poursuivre mon travail, car on ne s’est pas suffisamment racontés. Toutes ces histoires, passées et actuelles, vont permettre de construire un imaginaire propre au cinéma africain », observe la créatrice de Caravane cinéma. Avec cette structure de projections implantée au Cameroun, la cinéaste compte continuer à « montrer les films africains là-bas, et pas seulement à Cannes et à quelques privilégiés ». Mais elle est consciente, tout comme la majorité des cinéastes de sa génération présents sur la Croisette, de « l’importance de pouvoir présenter d’autres narrations ici, au public cannois, pour que celles-ci contaminent le reste du cinéma mondial ».