Le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, se fait expliquer les différentes capacités de déploiement des troupes au camp de campagne de la Bundeswehr, Camp Castor à Gao, le 13 avril 2023. © MICHAEL KAPPELER/dpa Picture-Alliance via AFP
Le bruit assourdissant des vuvuzelas couvre presque le discours des membres du collectif pro-russe Yerewolo-Debout sur les remparts, réuni pour demander le départ de la Minusma. Ce 28 avril, l’amphithéâtre du Palais de la culture de Bamako s’est rempli pour se joindre au mouvement mené par Adama Ben Diarra, dit Ben le cerveau. Au milieu de drapeaux russes et de banderoles « À bas la Minusma », un casque bleu brûle.
Lancée en avril 2013 et prolongée tous les ans, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) doit renouveler son mandat sur approbation du Conseil de sécurité le 30 juin. Mais depuis plusieurs semaines, la question de sa prolongation est sur toutes les lèvres, de Bamako à Kidal en passant par Mopti.
Divergences
Pour ou contre le départ de la Minusma ? Chacun a son avis, souvent tranché. « Elle continue d’entretenir la guerre au Mali et soutient les terroristes », tonne Sidiki Kouyaté, membre du mouvement Yerewolo. « Nous attendons des autorités qu’elles prennent leurs responsabilités et ne renouvellent pas son mandat », clame un autre membre.
À plus de 1 000 kilomètres de là, à Gao, le discours est plus nuancé. Si certains y réclament aussi le départ de la mission de l’ONU, voyant en elle « une ONG et non une mission de stabilisation », la majorité souhaite son renouvellement, affirme un représentant de la société civile de la cité des Askia. « La Minusma finance des projets, réhabilite les services sociaux, assure les transports et l’emploi des jeunes. La population veut qu’elle reste », indique-t-il.
Composée de 13 289 soldats et 1 920 policiers, la Minusma a pour tâches prioritaires « l’appui à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali (l’Accord d’Alger, signé en 2015) et la pleine réalisation de la transition politique » mais aussi, « l’appui à la stabilisation et au rétablissement de l’autorité de l’État dans le centre du pays ».
Dans le nord du pays gangrené par l’insécurité, où les différents groupes armés – jihadistes ou non – font leur loi, la présence des Nations unies assure une certaine stabilité. « Depuis son arrivée, la Minusma a beaucoup accompagné les populations et les autorités pour un retour des services sociaux de base, et soutenu la vulgarisation de l’accord d’Alger. Un départ prématuré pourrait avoir des conséquences énormes », a déclaré la société civile de Kidal le 1er mai appelant les villes de Gao, Tombouctou, Ménaka et Taoudéni à « rester mobilisées ».
Pourvoyeur d’emplois
Autre conséquence redoutée d’un éventuel départ de la Minusma, la fragilisation de l’économie locale dans le septentrion malien. « Qu’allons-nous devenir en tant que parents si la Minusma s’en va ? » s’interroge une femme à la télévision locale. « Si le gouvernement souhaite faire partir la Minusma, qu’il nous donne des raisons et qu’il prenne nos enfants en charge en leur fournissant du travail », réclame-t-elle affirmant que le départ des militaires français de l’opération Barkhane, en août 2022, a déjà laissé entre 400 et 450 personnes sans emploi.
Présence longue, inefficace, manque de résultats … Les reproches faits à la Minusma ressemblent aux accusations qui ont poussé les forces françaises à quitter le Mali. Un argument de plus pour ses détracteurs. « La Minusma est une fabrication française », peut-on lire dans les déclarations du mouvement Yerewolo. « Avec le départ de Barkhane et les récentes attaques terroristes, on entend de plus en plus de théories du complot », estime le représentant de la société civile de Gao qui regrette cependant le manque de résultats sécuritaires des Casques bleus.
Déficit offensif
Dans une déclaration signée le 29 avril, la société civile de Gao rappelle le contexte de lutte antiterroriste dans lequel évolue la mission de l’ONU et demande que cette dimension soit incluse dans son mandat. « Il nous paraît opportun et réaliste de revoir le mandat de la Minusma pour le rendre plus robuste et adapté au contexte sécuritaire actuel du pays », peut-on lire.
Sur ce point, tous semblent s’accorder. Dans l’examen interne de la mission publié en janvier, le gouvernement malien demande que la Minusma « change de posture statique, sorte des camps et opte pour des actions et des patrouilles offensives ». Mais comme l’a rappelé Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, « une opération de maintien de la paix n’est ni une armée, ni une force antiterroriste […] mais un outil qui vise à créer un espace pour une solution politique nationale. »
Chargée notamment du transport et du redéploiement des forces de sécurité, de leur approvisionnement en carburant et des évacuations sanitaires, la Minusma propose des vols là où les routes, truffées d’engins explosifs improvisés, sont devenues impraticables. « Si le Mali reste un pays uni, c’est grâce aux avions de la Minusma qui font le trajet Bamako-Gao-Kidal-Tombouctou. Ils servent d’interface entre le Nord et le Sud », rappelle un habitant de Gao.
Retrait de contingents
Depuis son rapprochement avec la Russie, le Mali restreint son espace aérien, limitant drastiquement la marge de manœuvre de la mission de l’ONU. Sources de tensions avec les États membres, notamment avec l’Allemagne, les refus d’autorisation de survol de drones avaient déjà poussé Berlin à suspendre l’engagement de 1 200 de ses soldats en août 2022. Le 4 mai dernier, visiblement lassé, le gouvernement d’Olaf Scholz confirmait le départ de ses troupes d’ici mai 2024. Un retrait de plus après celui des Britanniques, des Suédois, des Égyptiens, des Béninois ou encore des Ivoiriens.
« Les annonces de retrait de nombreux contingents, qui représentent 20 % de la force, doivent nous alerter sur la gravité de la situation », déclarait Nicolas de Rivière, représentant permanent de la France auprès des Nations unies devant le Conseil de sécurité, le 12 avril. Tout en rappelant l’importance du rôle de la Minusma, il ajoute qu’elle reste « un outil imparfait » pour lequel il faut être plus « exigeant » afin qu’elle puisse « exécuter ses tâches sans entrave ».
Une Minusma sans Casques bleus ?
La Minusma survivra-t-elle sans la pleine coopération des autorités maliennes ? Trois propositions d’évolution sont sur la table à New York : augmenter les effectifs de 2 000 ou 3 680 membres supplémentaires, reconfigurer la mission vers moins d’activités logistiques contre plus de soutien et de protection des civils, ou la transformer en mission politique spéciale chargée de soutenir Bamako dans son processus de dialogue et de réconciliation nationale – le tout sans Casques bleus.
Si dans ces dernières déclarations sur le sujet, le Premier ministre malien Choguel Kokalla Maïga assurait qu’un départ de la Minusma « n’était pas à l’ordre du jour », tout porte à croire qu’elle sera forcée de se réinventer. Soumise au vote du Conseil de sécurité en juin, la question de son renouvellement avait été l’an dernier votée à 13 voix pour et 2 abstentions, celles de la Chine et de la Russie.