Préparatifs avant l’ouverture du Fespaco à Ouagadougou le 25 février 2023. © Eva Sauphie
« Cette année, ce ne sera pas la même ambiance que d’habitude », lance la gérante d’un restaurant du centre-ville. « Cette édition suscite moins d’engouement », ajoute un acteur culturel. Si des illuminations rouges vertes et jaunes éclairent Ouagadougou et lui donne des allures de fête, l’ambiance générale oscille entre morosité et résilience.
LA CULTURE PEUT AIDER À RECOUDRE LE TISSU SOCIAL
Alors que s’ouvre la 28e édition de la grand-messe du cinéma panafricain, le cœur n’est pas totalement à la fête au Burkina Faso. Le 17 février, au moins 51 militaires burkinabè ont été tués dans une embuscade sanglante entre Déou et Oursi, dans le nord du pays. Trois jours plus tard, le 20 février, une autre attaque, à Tin-Akoff, coûtait la vie à au moins 19 autres soldats. Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, le 2 octobre dernier, après un deuxième putsch en neuf mois, jamais l’armée n’avait subi une telle saignée.
« Le contexte actuel a de quoi dépiter les populations, glisse Abdoulaye Diallo, historien de l’art et président du festival Jazz à Ouaga. Mais le Fespaco n’est pas qu’une fête, il est aussi un moment de réflexion. La crise sécuritaire s’est récemment aggravée en raison des attaques jihadistes, mais elle est plus profonde que cela. Il y a une crise communautaire et de cohésion sociale. La culture peut aider à recoudre ce tissu social. »
Le Mali invité d’honneur
Au début de février, la biennale du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (Siao) s’était achevée en ayant mobilisé plus de 300 000 visiteurs du monde entier, selon le ministre en charge de l’artisanat. Le festival Jazz à Ouaga, lui, est toujours maintenu en avril. Malgré le contexte sécuritaire alarmant, les promoteurs culturels sont unanimes : ces temps forts mêlant création et partage sont essentiels et « donnent du courage aux populations ».
À Ouagadougou, les organisateurs du Fespaco ont renforcé leurs dispositifs de sécurité pour accueillir les quelque 10 000 festivaliers et professionnels du cinéma attendus pour cette 28e édition, placée sous le thème de la paix. Le long de l’avenue du siège du festival et sur quelques axes névralgiques flottent aussi des drapeaux aux couleurs du Burkina Faso et du Mali, le pays invité d’honneur de cette édition.
Une décision des autorités de transition burkinabè, qui ont fait du rapprochement avec Bamako un des principaux axes de leur politique étrangère. Cinq mois après son arrivée au pouvoir, le capitaine Ibrahim Traoré semble adopter la même posture souverainiste que son homologue putschiste malien, le colonel Assimi Goïta – en prenant notamment ses distances avec la France pour se rapprocher de la Russie. Selon les organisateurs, ce choix du Mali est également cohérent sur le plan artistique, plusieurs films maliens ayant été primés par le passé.
15 films en lice pour l’Étalon d’or du Yennenga
« Alex Moussa Sawadogo [le directeur général du Fespaco] est un homme de culture. C’est grâce à lui qu’un comité de sélection a été constitué et que le festival est monté en qualité depuis sa nomination il y a deux ans », assure une productrice indépendante, venue spécialement de Belgique. Et qui s’étonne cette année de ne pas voir le Balai citoyen – le mouvement de la société civile en pointe de l’insurrection populaire contre Blaise Compaoré, en 2014 – défiler dans les rues, comme c’est le cas depuis les trois saisons qu’elle assiste à la manifestation. En lieu et place, des banderoles au message clair : « Force de l’ordre au pouvoir », brandies par des jeunes pro-Traoré.
CETTE ANNÉE, LES PROJECTIONS S’ÉTENDRONT À D’AUTRES VILLES DU PAYS AFIN DE PERMETTRE AUX DÉPLACÉS DE VOIR LES FILMS
Autour du rond-point des Cinéastes, à quelques mètres du siège du Fespaco, les drapeaux de tous les pays programmés flottent dans un ballet panafricain. Cette année, la Tunisie et le Cameroun sont les pays les plus représentés, avec deux longs-métrages de fiction chacun en compétition. Au total, 170 œuvres ont été sélectionnées en compétition officielle, dont 15 films en lice pour briguer l’Étalon d’or du Yennenga – un prix d’une valeur de 20 millions de francs CFA (environ 300 000 euros). Les films seront projetés dans différents espaces de Ouagadougou. Cette année, les projections s’étendront à d’autres villes du pays, comme Kaya (centre-nord) et Dédougou (centre-est), dans des régions récemment frappées par des attaques jihadistes, afin de permettre aux déplacés de voir les films.
Pas de projection à l’Institut français
Autre particularité de cette édition, l’absence de l’Institut Français comme lieu de projection. Si les partenaires français historiques du Fespaco comme le CNC, TV5 Monde ou encore Canal+ sont toujours présents, l’organe de coopération culturelle n’accueillera pas de projection cette année, le bâtiment ayant été saccagé par des manifestants favorables à Traoré lors de son putsch, le 1er octobre dernier. « Ce sont des idiots comme il y en a partout qui ont fait ça, glisse Abdoulaye Diallo. Les acteurs culturels sont bien conscients de l’importance de cette structure dans la promotion du savoir. Et de celle de la diplomatie culturelle entre la France et le Burkina Faso. »
Bien qu’il se montre discret, le directeur de l’Institut français, Pierre Muller, reste actif. Une exposition « Ombres et lumière », mettant à l’honneur les artistes Christophe Sawadogo et Abou Traoré, a ainsi été inaugurée le 24 février au soir avec le soutien de sa structure. Sous sa houlette également, une série de projections de grands classiques d’Idrissa Ouédraogo et de documentaires de Mamadou Cissé ou Jean Rouch sera lancée dès dimanche en partenariat avec les associations Wakat et Les petits Baobabs. Intitulé « On/off », ce parcours organisé dans le cadre du Fespaco à l’espace Boul-Yam, fraîchement inauguré en janvier, s’adresse aux plus jeunes. Un moyen de sensibiliser la nouvelle génération au patrimoine cinématographique burkinabè et de renouer le dialogue sous le prisme de la création.