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À Abidjan, l'histoire des amazones du Dahomey revit sur scène

 

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L'artiste ivoirien Vincent de Paul Kouamé a mis en scène un spectacle basé sur les Agoodjie, les célèbres amazones du Dahomey, ici en représentation à Abidjan, le 25 février 2023. © Marine Jeannin/RFI

Les Agoodjie n’en finissent plus d’inspirer les artistes. Après le péplum hollywoodien The Woman King, c’est un jeune metteur en scène ivoirien, Vincent de Paul Kouamé, qui a mis en scène à Abidjan l’épopée des amazones du Dahomey. RFI a assisté à une représentation, samedi 25 février à la Fabrique culturelle.

Avec notre correspondante à Abidjan, Marine Jeannin

« Nous sommes des guerrières, non de simples femmes ! », scande-t-on sur scène. Il n’y a pas de décor et que peu d’accessoires. On compte juste cinq comédiennes, leur jeu et leur chant, pour faire revivre un pan de l’histoire des Dahomey. Une histoire inspirée de faits réels, promet son metteur en scène Vincent de Paul Kouamé :

« Il y a la leader, celle qui a formé des Agoodjie, celle qui était à la tête d’une légion, qui s’est enfuie. Et la reine-mère a lancé à ses trousses trois guerrières pour la retrouver. Les amazones du Dahomey ont existé véritablement. Donc c’est une part de l’histoire de l’Afrique que nous voulons raconter. »

Et le succès a été triomphal. Les Amazones ont même eu droit à une standing ovation. Installée au premier rang, la slammeuse Sabrina Tongban, a été conquise  

« Agoodjie a été une pièce qui a vraiment révolutionné quelque chose en moi. C’est comme si je ne faisais qu’un avec la pièce. C’est comme si je vivais ce qu’elles vivaient sur scène. J’arrivais à ressentir chaque émotion, j’arrivais vraiment à me plonger dans l’histoire qu’elles étaient en train de raconter. »

Après avoir remporté le deuxième prix aux Rencontres Théâtrales d'Abidjan l’an dernier, la compagnie espère maintenant pouvoir montrer ses Amazones au FITMO, le Festival international de théâtre de Ouagadougou.

► À lire aussi : Cinéma: «The Woman King» ressuscite la légende des Amazones du Bénin

Berlinale: «AI-African Intelligence», un documentaire de Manthia Diawara, «faire attention au vivant»

Publié le : 

AI-African Intelligence, c'est le titre d'un documentaire présenté dans le cadre de la Berlinale, le festival international du film de Berlin. Son auteur, le cinéaste d'origine malienne Manthia Diawara, mêle un rituel de possession pratiqué sur la côte atlantique d'Afrique de l'Ouest et l'intelligence artificielle. Explications.

 

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IA : Renseignement Africain par Manthia Diawara © Manthia Diawara / Lumiar Cité / Maumaus
 

RFI : Comment avez-vous eu l’idée de ce documentaire qui mêle deux faits qui semblent complètement étrangers l’un à l’autre, à savoir les rituels de possession d’un village de pêcheurs au Sénégal et la technologie de l’intelligence artificielle ?

Manthia Diawara : En 2017, j’ai été invité en Autriche pour présenter un point de vue artistique sur l’intelligence artificielle, inspiré des travaux d’Édouard Glissant qui disait : « Rien n’est vrai, tout est vivant, l’humain*. J’ai essayé de faire une présentation qui demandait un peu aux gens de faire attention au vivant, de ne pas remplacer l’Homme par les machines.

Trois mois plus tard, l’Union européenne m’a demandé : est-ce que vous voulez inviter des scientifiques, des spécialistes de l’intelligence artificielle ? Donc je les ai invités à Dakar et on m’a demandé de faire un film là-dessus. Et moi je voulais aller au-delà de cela, faire quelque chose que moi-même je ne comprenais pas, c’est-à-dire les rites de possession dans les villages Lébous sur la côte de l’océan Atlantique au Sénégal. Et c’est vraiment des rituels qui sont cachés en pleine lumière : c’est là, ça se pratique tous les jours, mais les gens de la ville, les citadins, ne font pas attention. 

Et vous vous connaissiez ce village de pêcheurs ?

Tous les villages sur la côte de Ouakam de Dakar, en passant par Sendou, Yenne, Toubab Dialao jusqu’à Saly, tous les villages pratiquent ce rituel tous les jours. Ce rituel est pratiqué au Mali sous d’autres noms, au Bénin, au Burkina, au Brésil, en Haïti, c’est pratiqué partout, mais aussi par les musulmans, bien que ce soit interdit. Moi, je suis maintenant à Abu Dhabi, ils pratiquent ça mais en cachette. Et moi-même en grandissant on me conseillait toujours de ne pas m’approcher de ces gens, parce que c’est la danse du diable.

Alors justement, est-ce qu’on peut décrire ces rituels ? Parce que ça ressemble à une transe…

Donc il y a une prêtresse ou un prêtre - ce ne sont pas que des femmes - il y a une prêtresse qui a été consultée parce que quelqu’un ne peut pas dormir, quelqu’un a des problèmes pour tomber en grossesse, quelqu’un a des problèmes psychologiques… Et donc elle, elle analyse. Elle se demande s’il faut simplement donner des soins et la personne part à la maison, ou s’il faut faire ce rituel de possession.

Dans mon cas particulier, on a fait cinq jours de danse, trois fois par jour, où les gens sont possédés par les esprits, et une fois qu’on chante la chanson de votre clan vous tombez en syncope et puis vous voyez les esprits. Après, vous vous réveillez, vous êtes normal, tout va très bien. Ils appellent ça le Ndeup. Au Mali on appelle ça, la danse des Djinns.

C’est parce que vous avez passé de longs mois, peut-être années, à observer que vous avez du coup été autorisé à filmer ?

J’ai quand même acheté une maison sur la côte au Sénégal, à Yenne. Et depuis 2010, quand je ne suis pas en train d’enseigner à New York, je vais là-bas, je travaille avec les femmes qui ramassent les cailloux sur la plage, les pêcheurs qui reviennent, donc on se connait, c’est devenu ma famille quoi. Et donc quand ils font ces rituels, je fais partie de ces rituels. Et quand on m’a demandé de faire un film sur l’intelligence artificielle, j’ai voulu tout de suite mettre en relation - pas opposer mais mettre en relation - l’intelligence artificielle et ce rite de possession.

Là, en revanche, ce que vous opposez c’est l’esprit rationnel, occidental, qui a été aussi imposé en Afrique pendant la colonisation, et ces rituels de possession où c’est l’invisible, où il est affaire de croire aux esprits et de croire en tout cas en leur pouvoir…

Oui, c’est vraiment la proposition qu’on peut faire. Déjà avec l’islam, quand j’ai grandi, mes parents me disaient : ces gens c’est le diable, c’est des incroyants, des païens. Avec l’école occidentale, je suis sorti du Mali depuis 1971, je suis d’abord allé en France, ensuite aux États-Unis, donc je reviens régulièrement, mais que je l’accepte ou pas, je suis un Occidental, mais dans le sens d’Édouard Glissant qui dit que l’Occident, c’est un projet qui regarde les droits de l’Homme, qui regarde la rationalité. Donc cette transparence, cette logique, fait tout pour éliminer tout ce qu’on ne comprend pas. Ensuite, je reviens en Afrique, au Sénégal, et je vois ces gens qui pratiquent le Ndeup tous les jours, où on commence à voir des esprits invisibles, donc ça m’a intéressé tout de suite. Le Ndeup me donne l’occasion de regarder dans cette opacité et de voir jusqu’où ça pouvait me mener. Cette spiritualité peut apprendre d’une autre spiritualité, c’est un peu ça mon objectif.

*« Rien n'est vrai, tout est vivant » est le titre de l'ultime conférence publique qu'Édouard Glissant prononça le 8 avril 2010 à la Maison de l'Amérique Latine, en clôture du séminaire 2009-2010 de l'Institut de Tout-monde: « Les Transformations du vivant dans un monde en relation »

Au Burkina Faso, ouverture d’un Fespaco « pas comme d’habitude »

La 28e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou débute ce samedi 25 février dans un contexte particulier, marqué par l’arrivée au pouvoir du capitaine Traoré et la multiplication des attaques jihadistes dans le pays.

Par  - envoyée spéciale à Ouagadougou
Mis à jour le 25 février 2023 à 10:24
 
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Préparatifs avant l’ouverture du Fespaco à Ouagadougou le 25 février 2023. © Eva Sauphie

 

« Cette année, ce ne sera pas la même ambiance que d’habitude », lance la gérante d’un restaurant du centre-ville. « Cette édition suscite moins d’engouement », ajoute un acteur culturel. Si des illuminations rouges vertes et jaunes éclairent Ouagadougou et lui donne des allures de fête, l’ambiance générale oscille entre morosité et résilience.

LA CULTURE PEUT AIDER À RECOUDRE LE TISSU SOCIAL

Alors que s’ouvre la 28e édition de la grand-messe du cinéma panafricain, le cœur n’est pas totalement à la fête au Burkina Faso. Le 17 février, au moins 51 militaires burkinabè ont été tués dans une embuscade sanglante entre Déou et Oursi, dans le nord du pays. Trois jours plus tard, le 20 février, une autre attaque, à Tin-Akoff, coûtait la vie à au moins 19 autres soldats. Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, le 2 octobre dernier, après un deuxième putsch en neuf mois, jamais l’armée n’avait subi une telle saignée.

« Le contexte actuel a de quoi dépiter les populations, glisse Abdoulaye Diallo, historien de l’art et président du festival Jazz à Ouaga. Mais le Fespaco n’est pas qu’une fête, il est aussi un moment de réflexion. La crise sécuritaire s’est récemment aggravée en raison des attaques jihadistes, mais elle est plus profonde que cela. Il y a une crise communautaire et de cohésion sociale. La culture peut aider à recoudre ce tissu social. »

Le Mali invité d’honneur

Au début de février, la biennale du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (Siao) s’était achevée en ayant mobilisé plus de 300 000 visiteurs du monde entier, selon le ministre en charge de l’artisanat. Le festival Jazz à Ouaga, lui, est toujours maintenu en avril. Malgré le contexte sécuritaire alarmant, les promoteurs culturels sont unanimes : ces temps forts mêlant création et partage sont essentiels et « donnent du courage aux populations ».

À Ouagadougou, les organisateurs du Fespaco ont renforcé leurs dispositifs de sécurité pour accueillir les quelque 10 000 festivaliers et professionnels du cinéma attendus pour cette 28e édition, placée sous le thème de la paix. Le long de l’avenue du siège du festival et sur quelques axes névralgiques flottent aussi des drapeaux aux couleurs du Burkina Faso et du Mali, le pays invité d’honneur de cette édition.

À LIREPour le Fespaco, le Burkina préfère le Mali au Togo

Une décision des autorités de transition burkinabè, qui ont fait du rapprochement avec Bamako un des principaux axes de leur politique étrangère. Cinq mois après son arrivée au pouvoir, le capitaine Ibrahim Traoré semble adopter la même posture souverainiste que son homologue putschiste malien, le colonel Assimi Goïta – en prenant notamment ses distances avec la France pour se rapprocher de la Russie. Selon les organisateurs, ce choix du Mali est également cohérent sur le plan artistique, plusieurs films maliens ayant été primés par le passé.

15 films en lice pour l’Étalon d’or du Yennenga

« Alex Moussa Sawadogo [le directeur général du Fespaco] est un homme de culture. C’est grâce à lui qu’un comité de sélection a été constitué et que le festival est monté en qualité depuis sa nomination il y a deux ans », assure une productrice indépendante, venue spécialement de Belgique. Et qui s’étonne cette année de ne pas voir le Balai citoyen – le mouvement de la société civile en pointe de l’insurrection populaire contre Blaise Compaoré, en 2014 – défiler dans les rues, comme c’est le cas depuis les trois saisons qu’elle assiste à la manifestation. En lieu et place, des banderoles au message clair : « Force de l’ordre au pouvoir », brandies par des jeunes pro-Traoré.

CETTE ANNÉE, LES PROJECTIONS S’ÉTENDRONT À D’AUTRES VILLES DU PAYS AFIN DE PERMETTRE AUX DÉPLACÉS DE VOIR LES FILMS

Autour du rond-point des Cinéastes, à quelques mètres du siège du Fespaco, les drapeaux de tous les pays programmés flottent dans un ballet panafricain. Cette année, la Tunisie et le Cameroun sont les pays les plus représentés, avec deux longs-métrages de fiction chacun en compétition. Au total, 170 œuvres ont été sélectionnées en compétition officielle, dont 15 films en lice pour briguer l’Étalon d’or du Yennenga – un prix d’une valeur de 20 millions de francs CFA (environ 300 000 euros). Les films seront projetés dans différents espaces de Ouagadougou. Cette année, les projections s’étendront à d’autres villes du pays, comme Kaya (centre-nord) et Dédougou (centre-est), dans des régions récemment frappées par des attaques jihadistes, afin de permettre aux déplacés de voir les films.

Pas de projection à l’Institut français

Autre particularité de cette édition, l’absence de l’Institut Français comme lieu de projection. Si les partenaires français historiques du Fespaco comme le CNC, TV5 Monde ou encore Canal+ sont toujours présents, l’organe de coopération culturelle n’accueillera pas de projection cette année, le bâtiment ayant été saccagé par des manifestants favorables à Traoré lors de son putsch, le 1er octobre dernier. « Ce sont des idiots comme il y en a partout qui ont fait ça, glisse Abdoulaye Diallo. Les acteurs culturels sont bien conscients de l’importance de cette structure dans la promotion du savoir. Et de celle de la diplomatie culturelle entre la France et le Burkina Faso. »

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Bien qu’il se montre discret, le directeur de l’Institut français, Pierre Muller, reste actif. Une exposition « Ombres et lumière », mettant à l’honneur les artistes Christophe Sawadogo et Abou Traoré, a ainsi été inaugurée le 24 février au soir avec le soutien de sa structure. Sous sa houlette également, une série de projections de grands classiques d’Idrissa Ouédraogo et de documentaires de Mamadou Cissé ou Jean Rouch sera lancée dès dimanche en partenariat avec les associations Wakat et Les petits Baobabs. Intitulé « On/off », ce parcours organisé dans le cadre du Fespaco à l’espace Boul-Yam, fraîchement inauguré en janvier, s’adresse aux plus jeunes. Un moyen de sensibiliser la nouvelle génération au patrimoine cinématographique burkinabè et de renouer le dialogue sous le prisme de la création.

En mal d’espoir, le Nigeria retient son souffle avant la présidentielle

Les Nigérians élisent leur futur président ce samedi 25 février. Ce scrutin, qui s’annonce serré entre les trois favoris Atiku Abubakar, Bola Tinubu et Peter Obi, sera crucial pour l’unité nationale et l’avenir de la démocratie.

Mis à jour le 24 février 2023 à 17:02
 
 
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Chargement des boîtes de bulletins de vote à Kano, au Nigeria, avant l’élection présidentielle du 25 février 2023. © Kola Sulaimon / AFP

 

 

Samedi 25 février, plus de 87 millions de Nigérians sont attendus aux urnes. Pour succéder au président sortant Muhammadu Buhari, deux principaux candidats sur les dix-huit en lice : Atiku Abubakar, le représentant du principal parti d’opposition (People Democratic Party, PDP) et Bola Tinubu, celui du parti présidentiel (All Progressive Congress, APC). Entre ces deux partis traditionnels, un outsider fait office de trouble-fête : Peter Obi, qui pourrait bien créer la surprise et qui incarne déjà le symbole d’une insurrection politique.

La démocratie à la croisée des chemins

Depuis 1999, c’est la première fois que le Nigeria connaît une élection présidentielle avec trois favoris. Face au PDP et à l’APC, Peter Obi et son parti travailliste se sont frayé un chemin. Derrière eux : toute une tranche de la société nigériane lassée d’un vieux système partisan au service des élites et désireuse de changements profonds.

Pour certains, attachés au système démocratique nigérian, cette élection présidentielle pourrait bien être celle de la dernière chance. « La démocratie elle-même est en jeu sur ces élections », explique Idayat Hassan, directrice du Centre pour la démocratie et le développement, à Abuja. Désabusés par des années de gouvernance entachées de corruption, qui laissent un pays dans une situation économique et sécuritaire sans précédent, les Nigérians peinent à garder confiance en leurs dirigeants. « Si certains ne voient pas les résultats qu’ils attendent, ils pourront tourner le dos à la démocratie et migrer en dehors du pays », poursuit la chercheuse.

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Dans un sondage Afrobarometer Nigeria mené en 2022, 41 % des Nigérians affirmaient ne pas être satisfaits de la démocratie. Ce sentiment a eu une incidence directe sur le taux de participation aux dernières élections de 2019 : seulement 35 % des Nigérians concernés ont voté, malgré la mise en place de technologies censées faciliter le scrutin et le rendre plus transparent.

Insécurité et crise économique

Un désenchantement qui s’explique par l’incapacité de Muhammadu Buhari à redresser le pays. Premier candidat à battre un président en exercice, le chef de l’État sortant, 80 ans, avait pourtant soulevé une vague d’espoir lors de son arrivée au pouvoir en 2015. Au niveau sécuritaire d’abord, Buhari s’est révélé impuissant face à la montée de la violence et du crime organisé sur l’ensemble du territoire. Au terrorisme islamiste de Boko Haram, dans le Nord-Est, s’ajoutent des actes de banditisme qui se multiplient dans le Nord et des mouvements indépendantistes qui agitent le Sud.

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En parallèle de ces conflits ouverts, la conjoncture économique défavorable est au cœur des préoccupations des Nigérians. Malgré les investissements de Buhari, au moins 133 millions de ses compatriotes vivent dans une pauvreté extrême, avec un taux de chômage atteignant près de 50 % chez les jeunes. Une situation empirée par la réforme monétaire menée depuis la fin de l’année dernière, qui a entraîné une pénurie de billets, s’ajoutant à la pénurie d’essence qui paralyse le pays depuis plus d’un an.

L’UNITÉ NATIONALE DÉPEND DES RÉSULTATS DE CETTE ÉLECTION

Autant de problématiques traitées en priorité dans les programmes des principaux candidats. Tinubu, qui joue aux équilibristes avec l’héritage de son prédécesseur, promet notamment un recrutement massif dans les forces de sécurité et plus de partenariats avec le secteur privé. Une proposition également portée par son rival Atiku Abubacar, qui met aussi l’accent sur la hausse des investissements internationaux. Face à eux, Peter Obi tente de se présenter comme un meilleur gestionnaire et promet de « passer d’une économie de consommation à une économie de production ».

Fragmentations ethniques et religieuses

Au-delà de leurs programmes économiques, c’est bien l’appartenance ethnique et religieuse des candidats qui semble guider le choix des électeurs. « Le pays n’a jamais été aussi fragmenté », indique Hassan. Cette polarisation de la population, intensifiée par la rhétorique politique identitaire déployée par les candidats, est marquée par la rupture du consensus autour du principe de « zonage ».

Le zonage, accord tacite au Nigeria selon lequel la présidence doit alterner tous les deux mandats entre un candidat du Nord, majoritairement musulman, et un du Sud, majoritairement chrétien, n’a pas été respecté lors de ce scrutin. Atiku Abubakar est un musulman du Nord, comme Muhammadu Buhari. Quant à Bola Tinubu, il est lui aussi musulman.

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Dans un pays qui compte plus de 250 ethnies et où les tensions intercommunautaires sont fréquentes, l’équilibre se voit donc rompu. Les origines de Peter Obi, un chrétien du Sud-Est (Igbo), lui assurent une partie des votes chrétiens. Mais sans les voix du Nord où il reste inconnu, il a peu de chance de gagner l’élection. « L’unité nationale dépend des résultats de cette élection », estime Hassan.

Vote générationnel

Autre clivage de la société nigériane mise en lumière par la candidature d’Obi : la rupture générationnelle. Les 65 millions de jeunes nigérians n’ont pas vu, avec l’augmentation de leur population, leur représentativité politique accroître ou le nombre d’emplois augmenter. Frustrés par des institutions d’État perçues comme dominées par une élite vieillissante, ils avaient porté, en 2018, le projet de loi Not too young to run (Pas trop jeune pour se présenter) qui a réduit les limites d’âge pour se présenter à différentes élections.

Permettant un vote générationnel distinct, Peter Obi est vu comme une opportunité pour les jeunes nés sous l’ère démocratique, qui avaient violemment été réprimés lors du mouvement #EndSARS, en 2020. Regroupés sous le drapeau du parti travailliste dans un mouvement appelé les OBIdients, ils pensent avoir l’opportunité de casser l’hégémonie de l’APC et du PDP.

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Ce regain d’intérêt des jeunes pour la politique, sur lequel a surfé Peter Obi en soutenant notamment l’entrepreneuriat durant sa campagne, illustre une dynamique contraire au malaise démocratique. Les 18-34 ans, qui représentent près de 40 % des électeurs enregistrés, pourront-ils faire basculer le vote ?

L’hypothèse d’un second tour

Selon certains spécialistes, c’est un autre scénario, inédit, qui pourrait bien se concrétiser. Pour la première fois dans l’histoire du pays, il pourrait y avoir un second tour, dans l’hypothèse où aucun des candidats ne réussirait à obtenir la majorité des voix et plus de 25 % des voix dans au moins 24 des 36 États. Quel qu’il soit, le nouveau président du Nigéria devra prendre acte du changement de mentalité politique observé pendant la campagne et probablement faire face à des violences post-électorales.

En tout, un million de personnes sont mobilisées pour tenir les 170 000 bureaux de vote répartis à travers tout le territoire. Dans un contexte sécuritaire et économique tendu, les déplacements des Nigérians s’annoncent compliqués. Une fois encore, le taux d’abstention, subi plus que choisi, promet d’être élevé.

Covid-19 en Chine : « Comme si rien ne s’était passé »

Analyse 

Trois mois après la levée de la politique du « zéro Covid », les Chinois respirent une « liberté » retrouvée. Le régime de Xi Jinping s’efforce de faire disparaître les stigmates de sa très contraignante stratégie dans la gestion de l’épidémie. La propagande se félicite une nouvelle fois d’avoir vaincu le virus, minimisant le nombre de morts.

  • Dorian Malovic, de notre correspondant régional à Tokyo (Japon), 
Covid-19 en Chine : « Comme si rien ne s’était passé »
 
Les restrictions de la politique « zéro Covid » ont été levées en Chine depuis trois mois. Photo d’illustration : Des touristes visitent le marché d’Haikou, le 20 févier dans le Sud de la Chine.GUO CHENG/XINHUA VIA AFP

« Avec mes deux enfants nous sommes partis en vacances du Nouvel An en Thaïlande », raconte Chen Lu, 35 ans, originaire de Chengdu, de retour il y a une semaine en Chine. « Après trois ans de confinement et de contrôle, nous avons pu oublier toutes les tensions et pressions passées », raconte-t-elle au téléphone sur une messagerie cryptée. Même si le traumatisme n’a pas complètement disparu dans son esprit, Chen Lu reconnaît que « retrouver la liberté de voyager a fait du bien ».

De retour chez elle, elle a été marquée par l’absence de traces visibles de ces « trois ans de contrôles extrêmes, comme si rien ne s’était passé ». Trois mois après la fin de la politique « zéro Covid » qui a imposé à plus d’un milliard de Chinois des contrôles PCR quotidiens, des restrictions de voyage, des fermetures de magasins et des confinements réguliers, les barrières en fer bloquant les rues ont disparu, les cabines de test PCR également.

« Comme si le gouvernement voulait faire disparaître toute trace du drame »

« Le paysage urbain a totalement changé, confirme Lu Yi, serveur dans un restaurant de Shanghaï, comme si le gouvernement voulait faire disparaître toute trace du drame que nous avons vécu pendant des années. » La mise en place des tests PCR dans le pays (hors centres de quarantaine) aura coûté environ 200 milliards de yuans (27 milliards d’euros), selon le cabinet américain Goldman Sachs, cité par l’agence Bloomberg – soit l’équivalent du PIB de Chypre.

Le régime se targue d’avoir remporté la victoire contre le virus

La semaine dernière, les principaux dirigeants chinois ont salué le « miracle » de la sortie du pays de leur politique très stricte de zéro Covid, la qualifiant de « grande victoire décisive », selon les médias d’État. Après avoir levé les très strictes mesures sanitaires début décembre, la Chine a connu une explosion d’infections faisant craindre que le pays le plus peuplé du monde ne devienne un terreau fertile pour de nouvelles souches plus transmissibles ou plus graves. Selon le rapport d’une réunion du Comité permanent du Politburo, plus de 200 millions de personnes ont été soignées pour le Covid, dont 800 000 patients gravement malades, mais la situation est désormais « en bonne voie ».

L’ampleur réelle de l’épidémie est difficile à quantifier car les données officielles ne représentent qu’une infime fraction du nombre réel de cas. Pour autant, les hôpitaux et les crématoriums de grandes villes, y compris à Pékin, ont été débordés. Dans la capitale, on parle de 83 000 décès du Covid, un chiffre que de nombreux chercheurs estiment très largement sous-évalué car il n’inclut que les morts à l’hôpital et non ceux qui sont décédés à la maison.

Il y aurait eu entre un million et un million et demi de morts

De surcroît, les critères utilisés par la Chine n’intègrent que les morts provoquées directement par le virus du Covid. Ainsi, selon plusieurs études menées par différents instituts de recherches épidémiologiques citées par le quotidien américain The New York Times, il y aurait eu entre un million et un million et demi de morts. Mais tous les chercheurs s’accordent à dire que « ce ne sont que des spéculations, et que sans une totale transparence de la part des autorités chinoises, nous ne connaîtrons jamais le bilan exact des décès ».

Des signes indiquent que la vague du Covid-19 est en train de s’essouffler. Ainsi, les autorités françaises ont décidé de ne plus exiger depuis le 16 février de test PCR négatif pour les voyageurs venant de Chine. Cette mesure avait été prise début janvier face à la flambée des cas. Le Royaume-Uni, l’Italie et les États-Unis ont également levé les restrictions sanitaires.

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Où en est l’enquête de l’OMS ?

Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclare que l’épidémie de Covid-19 apparue quelques semaines avant en Chine est passée à l’état de pandémie mondiale. Le coronavirus nommé Sras-CoV-2 a été identifié en Chine, à Wuhan, fin 2019. Mais l’origine première n’a toujours pas été établie.

Début 2021, une équipe de spécialistes, sous la direction de l’OMS, a enquêté à Wuhan. Son rapport a conclu à la transmission à l’homme du virus par un animal intermédiaire. Mais les conditions restrictives qui ont entouré la mission sur place ont été sévèrement critiquées.

Le 15 février 2023, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, a affirmé tout faire pour obtenir une « réponse » de la Chine. Il réagissait à un article du journal scientifique Nature affirmant que l’OMS avait suspendu la deuxième phase de l’enquête sur les origines de la pandémie à cause du manque de collaboration de Pékin.

Selon l’OMS, 312 millions de cas de Covid-19 ont été recensés à travers le monde (au 12 janvier 2022) et 5,5 millions de personnes en sont décédées.