Choguel Maïga, le Premier ministre malien, ici à New York, le 26 septembre 2021. © Kena Betancur/AFP
« C’est le couac qui fait l’événement », s’est irrité Choguel Kokalla Maïga à son retour à Bamako. Visiblement agacé, le Premier ministre malien espérait que l’on retiendrait autre chose de sa première visite officielle dans sa région natale de Gao. Le « couac » en question ? L’annulation, à la dernière minute, de son déplacement à Ansongo, à moins de 10 km de chez lui, puis à Bourem, deux localités du Nord où le chef du gouvernement était attendu les 18 et 19 février, après avoir atterri dans la matinée du 17 dans la cité des Askia.
« Mais, le vendredi 17, aux environs de 20 heures, on nous a fait savoir que le Premier ministre ne viendrait pas, sans explication. On nous a juste dit que nous devions plutôt envoyer une délégation à Gao à sa rencontre », confie un membre de la société civile d’Ansongo.
« Biden à Kiev, Choguel à Bamako »
Ce revirement a vivement fait réagir au Mali. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont raillé le Premier ministre. « [N’est-ce pas] ce même Choguel qui disait que le Mali [avait] retrouvé sa souveraineté sur toute l’étendue du territoire ? », s’interroge un internaute. « Biden à Kiev, Choguel à Bamako », répond ironiquement un autre, faisant allusion à la visite surprise du président américain dans la capitale ukrainienne, le 20 février.
Sans fournir d’explications, Choguel Maïga a assuré que ces annulations relevaient d’une décision du gouverneur de Gao. Mais beaucoup les attribuent à la situation sécuritaire locale : alors que le village d’Ansongo a été à plusieurs reprises le théâtre d’attaques sanglantes, la zone est disputée entre les jihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et ceux de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), les branches locales d’Al-Qaïda et de Daesh.
« Ce n’est pas une question de peur »
Un argument sécuritaire que Choguel Maïga réfute. « C’est faux et archi-faux. Dans toute sa sagesse, le gouverneur nous a abordés pour nous dire [que nous n’irions pas à Ansongo et à Bourem] pour diverses raisons, qu’on ne va pas toutes citer ici », a-t-il assuré, sans toutefois en mentionner une seule.
« C’est le gouverneur qui a décidé. Ce n’est pas une question de peur, sinon nous [y serions] allés [quand même] », a ajouté le chef du gouvernement pour faire taire les accusations de lâcheté dont il fait l’objet. Par ailleurs, à l’en croire, les hélicoptères chargés d’assurer ses déplacements n’étaient pas suffisamment grands pour transporter son importante délégation.
Des explications qui peinent à convaincre. « Le Premier ministre tient absolument à faire savoir que l’annulation n’est pas liée à des raisons de sécurité. Dans le contexte actuel, où l’on voit la situation se dégrader chaque jour, cela peut sembler surprenant. Mais on ne nous a pas donné l’occasion d’en débattre, et nous nous en tenons donc à la version officielle. Un jour, les langues se délieront », réagit une personnalité qui a participé à la rencontre de Gao.
De la Minusma au groupe Wagner
La suppression des deux étapes de sa tournée est d’autant plus critiquée que le Premier ministre est natif de Tabango, localité voisine d’Ansongo. Elle fait également suite à ses déclarations sur la « montée en puissance » de l’armée malienne et sur « la souveraineté retrouvée du Mali ». « Aujourd’hui, il n’y a pas de portion du territoire où [notre] armée ne peut aller. Ce n’était pas le cas avant la transition. On a retrouvé l’entièreté de notre territoire national », assurait l’intéressé devant la presse, en janvier. De quoi rendre encore un peu plus incompréhensible l’annulation de ses visites.
Plusieurs forces militaires évoluent pourtant dans cette zone. L’armée malienne dispose d’un camp et tient plusieurs checkpoints à Ansongo et dans la région, où la soutiennent les mercenaires du groupe russe Wagner. La zone est également fréquentée par des Casques bleus de la Minusma, la mission de l’ONU dans le pays, qui, selon des sources locales, patrouillent chaque jour dans le village. Un dispositif qui n’empêche pas les populations de déplorer « de nouveaux incidents tous les jours », concluent nos interlocuteurs sur place.