Des personnes font la queue pour retirer de nouveaux billets en naira à un distributeur de billets à Maiduguri, le 29 janvier 2023. © AUDU MARTE/AFP
Pénurie d’essence et système bancaire au bord de l’implosion : à deux semaines de l’élection présidentielle prévue le 25 février, le Nigeria est secoué par une vague de contestations qui a provoqué la fermeture de plusieurs banques, ce 9 février, incapables de faire face à la demande de nouveaux billets.
Ajoutée à l’impossibilité de fournir les services bancaires de base, à la lenteur des serveurs informatiques, l’indisponibilité des nouvelles coupures récemment introduites par la Banque centrale du Nigeria (CBN) est un casse-tête supplémentaire qui a nourri la colère des clients. « C’est terrible, il faut faire la queue pour acheter du carburant, faire la queue pour obtenir sa carte d’électeur et enfin, faire la queue pour obtenir son propre argent », explique Godson Ahuchaogu, un expert-comptable.
Refonte du naira
La politique de refonte du naira menée par la CBN depuis la fin de l’année dernière vise à remplacer les grosses coupures de 200 (0,43 $), 500 (1,09 $) et 1000 (2,17 $) nairas par de nouveaux billets. Le gouverneur de la CBN, Godwin Emefiele, a fait valoir que cette mesure était nécessaire pour lutter contre l’inflation et le financement du terrorisme, entre autres problèmes.
Mais la pénurie des nouveaux billets, qui devaient être mis en circulation au plus tard au 31 janvier, provoque de violentes manifestations de la part de Nigérians qui doivent aussi faire la queue dans les stations-service depuis des mois.
Les réseaux sociaux ne font rien pour apaiser l’atmosphère : des dizaines de clients de la Zenith Bank, une des principales banques commerciales du Nigeria, ont raconté leur frustration de ne pouvoir accéder à la plateforme bancaire en ligne, et les heures interminables passées dans les halls de banque parce que le « serveur est en panne ». Une vidéo circulant sur Twitter montre des clients en colère détruisant les installations d’une agence bancaire. Une autre montre le personnel d’une banque escaladant une clôture pour rentrer chez lui après le travail.
Vidéos virales
Alors que le Nigeria s’apprête à élire un nouveau président le 25 février, les difficultés rencontrées par les citoyens semblent s’être intensifiées. Les longues files d’attente aux stations-service durent depuis des mois et la politique de refonte du naira n’a fait qu’aggraver les difficultés. Les gens ne peuvent pas se procurer de l’essence aux prix approuvés par le gouvernement, les banques ne peuvent pas distribuer d’argent liquide aux clients et les réseaux de banque électronique ne sont pas fiables, ce qui oblige les petites entreprises à s’arrêter.
BIEN QUE NOUS COMPRENIONS LA DÉTRESSE DES CLIENTS DES BANQUES, NOUS LANÇONS UN APPEL AU CALME ET À LA COMPRÉHENSION
Les esprits se sont échauffés cette semaine dans la région du sud-ouest du pays, où des manifestants ont vandalisé des distributeurs automatiques de billets et allumé des feux de joie sur les routes principales. Au moins une personne a été tuée par balle, selon les médias locaux.
Le 7 février, le Chartered Institute of Bankers in Nigeria (CIBN) a appelé au calme. « Bien que nous comprenions la détresse des clients des banques, nous lançons un appel au calme et à la compréhension, car la Banque centrale du Nigeria et les banques travaillent assidûment pour maîtriser la situation », a déclaré Akin Morakiyo, le directeur général de la CIBN. « Les parties prenantes concernées au sein de l’écosystème sont engagées en vue de remédier aux conséquences involontaires de la louable politique de refonte du naira. »
LES PARTISANS DE LA POLITIQUE DE LA CBN PENSENT QU’ELLE PERMETTRA DE FREINER L’ACHAT DE VOTES LE JOUR DES ÉLECTIONS
À Lagos et dans d’autres villes du sud-ouest, la plupart des agences bancaires sont restées fermées ce 9 février. Des vidéos virales montrent des banques accumulant les nouveaux billets tandis que les clients attendaient, impuissants, aux guichets automatiques.
Tony Emeh, secrétaire général adjoint de l’Association des banques, assurances et institutions financières (ASSBIFI), explique qu’une directive a été transmise aux banques pour qu’elles ferment les agences qui ne peuvent pas servir le public. « Pour une agence qui n’a pas d’argent liquide pour charger son distributeur automatique ou pour payer ses clients, il est trop risqué d’ouvrir. Pourquoi ouvrir ? Pour voir l’agence brûler ? »
Faillite du système
Les partisans de la politique de la CBN affirment qu’elle permettra de freiner l’achat de votes par les politiciens le jour des élections, et que l’opposition à cette politique provient principalement du parti au pouvoir, le All Progressives Congress (APC) dont les gouverneurs ont intenté un procès à la banque centrale. Le candidat du parti, Bola Tinubu, a déclaré lors d’un meeting de campagne que la politique monétaire le visait.
À l’issue d’une réunion avec les gouverneurs de l’APC, le président Muhammadu Buhari a déclaré que la CBN lui avait assuré que l’échange de naira se ferait sans heurts, et qu’il « irait voir ce qui se passe réellement ».
Le 8 février, la Cour suprême du Nigeria a ordonné la suspension de la date limite pour l’échange des billets en naira (31 janvier) et a fixé au 15 février la date du prochain examen de cette question. Tinubu a depuis salué la décision et a exhorté la CBN à prendre « toutes les mesures nécessaires pour assurer une disponibilité suffisante de billets [qu’ils soient anciens ou nouveaux] ».
« Les Nigérians ordinaires ne peuvent pas accéder à leur propre argent durement gagné. Est-ce ainsi qu’on dirige un pays ? Peut-être devrions-nous fermer l’ensemble du système et recommencer depuis le début », constate, amer, Godson Ahuchaogu.