Le miracle pascal des chrétiens orthodoxes s’est déroulé sous haute surveillance policière samedi 15 avril, à Jérusalem. L’encadrement de la fête, qui attire des milliers de personnes dans la Ville sainte, s’est politisé ces deux dernières années.
Tariq a dû jouer des coudes pour se faufiler dans le Saint-Sépulcre, tôt ce samedi 15 avril au matin. Venu de Nazareth pour vivre la fête du Feu sacré à Jérusalem, ce chrétien grec-orthodoxe s’est débrouillé pour franchir les différents points de contrôle israéliens installés dans le quartier chrétien de Jérusalem alors qu’il n’avait pas de laissez-passer, précieux sésame distribué par la police israélienne pour limiter le nombre de personnes à l’intérieur de l’église.
Une tradition millénaire
Plus tôt dans la semaine, celle-ci avait fait savoir qu’elle autoriserait, comme l’année précédente, seulement 1 800 personnes à entrer dans la basilique du Saint-Sépulcre pour cette fête, la plus importante du monde orthodoxe, qui annonce la résurrection de Jésus par l’apparition miraculeuse d’une flamme dans le tombeau du Christ. Cette tradition millénaire attire chaque année des dizaines de milliers de chrétiens à Jérusalem et le Saint-Sépulcre a parfois débordé de plus de 10 000 personnes.
Une décision unilatérale qui réduit de près de 80 % le nombre de fidèles admis. La police la justifie par un renforcement des normes de sécurité et d’évacuation en cas d’incident. Ces précautions font suite à un mouvement de foule qui a provoqué la mort de 45 personnes au sanctuaire juif du mont Méron en 2021. Le quota des 1 800 personnes est, d’après la police, le fruit du calcul « d’un ingénieur de sécurité missionné par les Églises » (un mandat que réfute le Patriarcat grec-orthodoxe), qui a pris en compte « la superficie, la densité, les issues de secours et l’occupation maximale » de la basilique. Or celle-ci ne dispose que d’une seule issue de secours, qui est aussi son entrée principale
« Des restrictions sévères et sans précédent »
Dans une rare unité, les patriarcats grec-orthodoxe et arménien de Jérusalem, ainsi que la Custodie de Terre sainte – les trois communautés gardiennes du Saint-Sépulcre – ont condamné des « restrictions sévères et sans précédent », avant d’appeler tous les chrétiens à se rendre à la cérémonie malgré les limitations.
Tariq fait partie de ceux qui ont répondu à l’appel. Dans un contexte où les gestes de violence et d’intimidation à l’encontre des chrétiens gagnent en intensité et où la minorité chrétienne se sent de plus en plus isolée, dans un pays où les suprémacistes juifs siègent désormais au gouvernement, il n’a pas voulu baisser la tête : « C’est notre fête, ils ne peuvent pas nous empêcher de venir, lance-t-il. C’est facile d’imposer des restrictions aux chrétiens. On est une minorité pacifique. Ils n’ont pas mis de tels quotas sur l’esplanade des Mosquées pendant le Ramadan, ni au Mur occidental pendant la Pâque juive », souligne cet infirmier de 31 ans.
Après cinq heures d’attente des fidèles, le patriarche grec-orthodoxe entre enfin dans le tombeau. Soudain, le Feu sort. Cris. Applaudissements. La foule vibre. Ondule. S’illuminent soudain des milliers de bougies. “Christ est ressuscité” est scandé avec ferveur en russe, grec, arabe. Le Feu sacré se répandra parmi une foule bien plus nombreuse que 1 800 personnes autorisées par les autorités israéliennes.
Jour de fête pour les chrétiens locaux, le « Samedi de la Lumière » s’est progressivement politisé, la gestion des foules et de l’espace par la police israélienne se faisant plus stricte ces deux dernières années. À l’extérieur, le quartier chrétien est bouclé. Plusieurs centaines de policiers ont été déployés. Ils filtrent les entrées à la porte Neuve et à la porte de Jaffa et tiennent près de neuf checkpoints à l’intérieur de la vieille ville, bloquant l’accès à de nombreuses personnes.
Pas de permis pour les chrétiens de Gaza
La frustration s’accumule. Bousculades et tensions font progressivement sauter les barrières. La police riposte avec violence. « La police gère les fidèles comme s’ils étaient des ennemis, dénonce Asaad Mazawi, avocat du Patriarcat grec-orthodoxe qui coordonne la journée avec les autorités israéliennes depuis des années. Beaucoup sont arabes, mais ils viennent pour célébrer, pas pour manifester contre l’État. » Les permis de 700 chrétiens de la bande de Gaza ont également été annulés par Israël quelques jours avant le début des festivités pascales orthodoxes.
Certains pèlerins sont à Jérusalem pour la première fois de leur vie, et spécifiquement pour ce moment. Les chrétiens locaux, de leur côté, vivent mal ce qu’ils perçoivent comme un énième grignotage de leur liberté de mouvement et de culte. « Certaines personnes veulent Jérusalem pour elles seules, au détriment du statu quo religieux qui prévalait jusqu’alors », dénonçait Theophilos III, le patriarche grec-orthodoxe, lors d’un entretien avec des journalistes la semaine avant Pâques. Pour Mgr Pierbattista Pizzaballa, le patriarche latin de Jérusalem, cet équilibre entre les trois religions n’existe désormais plus : « Celui qui a le pouvoir décide. Nous sommes en permanence mis devant le fait accompli. Israël considère les chrétiens comme des invités, alors que nous faisons partie intégrante de l’histoire de Jérusalem, de son identité. »
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Le plus vieux miracle du monde chrétien
La plus ancienne description du Feu sacré remonte à 328. C’est cette date qu’a retenue Patriarcat grec-orthodoxe, bien que le témoignage du pèlerin Bernard le Sage, au IXe siècle, reste la référence bibliographique la plus communément admise.
Célébrée la veille du dimanche de Pâques orthodoxe (décalé de sept jours par rapport au calendrier grégorien), la cérémonie du Feu sacré symbolise la lumière miraculeuse de la résurrection du Christ.
Selon la tradition, ce Saint Feu apparaît sans instrument, ni main humaine au même endroit et à la même heure en remontant de la dalle de marbre qui, toujours selon la tradition chrétienne, protège le lit funéraire du Christ.
Le Feu se transmet de cierge en cierge avant d’être envoyé vers les pays orthodoxes (Grèce, Russie, Roumanie…) grâce à des vols spéciaux.