Le Parlement israélien a accordé des fonds supplémentaires à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros pour des juifs ultra-orthodoxes qui poursuivent des études religieuses, aux frais de l’État, sans travailler. Ce soutien aux ultra-orthodoxes, accusés de vivre en marge du reste de la société, passe mal auprès de l’opposition laïque.
Les rues étaient noires de monde, mardi 30 mai, à Bnei Brak, banlieue exclusivement ultra-orthodoxe de Tel-Aviv. Des dizaines de milliers d’hommes ont rendu un dernier hommage au rabbin Gershon Edelstein. À 100 ans, il était le dernier d’une génération de guides religieux du courant litvak, ou lituanien, à avoir participé à un véritable miracle : la reconstruction spectaculaire d’une communauté décimée par la Shoah.
Les haredim (« ceux qui craignent Dieu ») – 1,3 million d’hommes, de femmes et beaucoup d’enfants – représentent aujourd’hui un cinquième de la population juive d’Israël et 13 % de la population totale. Un poids démographique qui en a fait un incontournable de la politique israélienne, et la source aujourd’hui de tensions aiguës.
Des aides financières de l’État
Il y a deux semaines, des manifestants contre le gouvernement israélien ont marché de Tel-Aviv à Bnei Brak pour dénoncer bruyamment « le pillage des coffres du pays ». Les ultra-orthodoxes ont en effet obtenu plus d’un milliard d’euros pour subvenir aux besoins des étudiants adultes en yeshivas (les écoles talmudiques), qui sont dispensés de service militaire. Fin mai, environ 250 millions d’euros supplémentaires ont été attribués aux écoles élémentaires ultra-orthodoxes. Une rallonge votée par le Parlement qui fait l’objet de vives critiques. D’autant que ces établissements scolaires ne sont pas obligés d’enseigner les savoirs dits « essentiels », comme les mathématiques ou l’anglais.
Pour une partie de l’Israël laïc, l’ultra-orthodoxie est souvent synonyme d’obscurantisme. Les familles haredim sont souvent pauvres et déconnectées, fermement attachées à leur communauté par des règles strictes. L’image est devenue un symbole : un homme qui lit la Torah pendant que sa femme travaille et prend soin des enfants, tout cela grâce aux aides de l’État et sans participer activement à la société.
Le commandement d’étudier la religion « jour et nuit »
À l’origine, il y a un commandement, celui d’étudier la religion « jour et nuit ». Selon la tradition juive, en approfondissant leurs connaissances et les interprétations possibles de la Torah, les fidèles dévoilent des pensées nouvelles contenues dans le texte, ajoutant ainsi au monde des bénédictions. Dans cette optique, l’étude est une contribution à la marche du monde, à son progrès. La yeshiva n’est donc pas un monde de contemplation : à l’image du judaïsme, c’est le théâtre de débats intellectuels et théologiques houleux. Mais ce n’est pas non plus un centre d’apprentissage des savoirs pratiques.
« L’idée d’origine des yeshivas d’Europe de l’Est était de trouver le petit pourcentage de jeunes doués qui allaient devenir les leaders de demain, explique Kimmy Caplan, professeur d’histoire juive à l’université Bar-Ilan. À ce moment-là, comme aux États-Unis aujourd’hui, on ne restait pas en yeshiva plus de quelques années, on n’avait pas d’autre choix que de rejoindre la vie active ».
Israël : qui sont les partis d’extrême droite et ultraorthodoxes partenaires de Netanyahou
La poursuite des études religieuses à travers l’âge adulte, particulièrement populaire chez les hommes du courant litvak, est une spécificité israélienne, grâce au travail des femmes (la loi juive prévoit qu’elles soient dispensées d’enseignement) et au soutien du gouvernement. « C’est en partie dû à la nécessité politique de composer avec les partis ultra-orthodoxes, explique Kimmy Caplan. Mais il y a une autre dynamique ; les responsables israéliens d’hier et d’aujourd’hui épousent la perspective – sans fondement historique – que les ultra-orthodoxes sont à l’image du judaïsme originel. Cela crée un besoin de protéger ces “vrais juifs”. »
Un certain ressentiment des laïcs
Pour ceux qui grandissent à l’intérieur de la communauté, le système se reproduit. Aller en yeshiva, c’est un peu « comme décider de telle ou telle université », raconte Chaïm Guttman, qui a grandi dans le monde haredi avant d’en sortir à la vingtaine. Le classement académique peut conduire à un meilleur mariage, à une place d’importance dans une communauté qui se sacrifie à l’étude.
La situation de ces haredim crée de plus en plus de ressentiment, surtout quand les politiques ultra-orthodoxes tendent à peser sur les prises de décision du gouvernement et du Parlement, comme l’encourage le premier ministre Benyamin Netanyahou depuis plusieurs années. « Avant, ils venaient à la Knesset, prenaient leurs subventions, et cela leur suffisait, tonne Yanki Farber, journaliste au site d’information ultra-orthodoxe Behadrei Haredim. Benyamin Netanyahou a mis les politiques ultra-orthodoxes sur le devant de la scène, et ils prennent des décisions d’État, comme celle d’envoyer des soldats au combat. Évidemment que cela ne plaît pas au reste du pays. »
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Une communauté plurielle
Les haredim (« ceux qui craignent Dieu »), qui représentent aujourd’hui environ 13 % de la population d’Israël, sont divisés de manière à peu près égale entre trois grands courants : litvak (lituanien), hassid et séfarade.
Selon les données du Bureau central des statistiques d’Israël, avec son taux de croissance actuel, la population ultra-orthodoxe pourrait représenter 16 % de la population d’ici à la fin de la décennie. Le taux de pauvreté des ultra-orthodoxes est deux fois plus élevé que celui de la population.