Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Le baiser du ramadan (Compte-rendu)

 

couverture Blal

 

Myriam Blal

Le baiser du ramadan

« Le jour où je me suis mariée à un chrétien. »

Bayard 2017 – 159 pages – 16,90€

ISBN 978-2-227—49227-1

L’auteure Myriam Blal est tunisienne d’origine et vit maintenant à Nantes avec son mari, Maxime, un chrétien. Dans son livre, elle revient sur tous les épisodes qui ont ponctué son combat pour faire accepter leur amour jusqu’à leur mariage et la fondation d’une famille islamo chrétienne.

La première partie nous donne quelques flashes sur son enfance. Cela nous permet de découvrir ses racines. Mais dès la page 32, elle en vient à son temps de jeunesse et sa première rencontre avec Maxime. Elle s’engage alors sur un terrain dangereux mais elle ne va pas pour cela renoncer à son idéal. Un des moments clés de son histoire sera, grâce à Google, sa découverte de l’existence du GFIC ou Groupe de Foyers Islamo Chrétiens (p.76). Cela sera pour eux deux un renouveau d’espérance : quelque chose est possible. C’est grâce à ces contacts avec d’autres couples (déjà mariés) islamo chrétiens qu’ils vont pouvoir approfondir leurs convictions et s’acheminer en toute sérénité vers la célébration de leur union. Tout au long de son récit, on trouvera ici ou là, quelques réflexions stimulantes dont voici un exemple :

« Nous maîtrisons mal notre tradition religieuse. Au contact de Maxime, j’ai envie de fouiller, de creuser ma compréhension de l’Islam. C’est précisément dans ma relation avec cet autre différent de moi que surgit un besoin de connaissance. » (p.49)

Ils ont pu célébrer leur mariage 3 ans après leur première rencontre et en 2015, ce fut la naissance d’Abel leur premier enfant. Que va devenir cet enfant ? Avant même la naissance, ils se sont penchés sur les difficultés inhérentes à l’éducation en foyer interreligieux. C’est encore grâce aux contacts avec les autres couples qu’ils ont pu étudier toutes les possibilités pour l’éducation religieuse de l’enfant. Et Myriam de conclure qu’il faut mettre l’accent sur les valeurs :

« Lorsque je laisse de côté mon héritage religieux et culturel, alors je peux réfléchir librement. »(p.52) – «Au-delà de l’héritage culturel et religieux, les valeurs importent. (p.139) »

Alors, contemplant Abel, son bébé, elle peut lui confier dans son cœur : « Tu sais Abel, on ne choisit pas ses parents. Mais on a le devoir de décider de sa vie. Comment fera-t-on, Abel ? Une chose est sûre : nous ferons de notre mieux. » (p.141). L’avenir est devant eux, à construire.

En annexe, le livre nous présente les différentes associations existantes au service des couples islamo chrétiens parmi lesquelles on peut noter le Service National des Relations avec les Musulmans ou SNRM de la Conférence Épiscopale de France. On y trouve également le déroulé de deux cérémonies interreligieuses : d’une part « la présentation à Dieu de l’enfant dans la foi chrétienne » (p.147) ; d’autre part, « le livret de cérémonie de mariage »(p.152)

Un livre très intéressant par son témoignage qu’il sera bon de communiquer à tous ceux et celles qui sont en cheminement vers une union islamo chrétienne. Un des enseignements qu’on peut tirer de ce livre : c’est en s’ouvrant aux autres qu’on peut trouver des solutions ; l’isolement ne mène à rien.

Gilles Mathorel

La fin de la tutelle saoudienne sur la Grande Mosquée
de Bruxelles actée (Saphir News)

logo Saphir News

 

Cela faisait des mois que la question d’une rupture de convention liant la Belgique à l’Arabie Saoudite concernant la gestion du Centre islamique et culturel de Belgique (CICB), aussi connue sous le nom de la Grande Mosquée de Bruxelles, est sur la table ; cela est désormais acté.

Le gouvernement fédéral a décidé, vendredi 16 mars, de résilier la convention, mettant ainsi en œuvre une recommandation d’octobre 2017 de la commission d’enquête sur les attentats de mars 2016 à Bruxelles visant à mettre fin à l’ingérence d’Etats étrangers dans l’islam en Belgique.

Un délai d’un an s’ouvre avec la décision, précise l’agence Belga. Ce temps sera mis à profit pour constituer une nouvelle structure associant l’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB) et une association locale qui doit encore se constituer. Ensemble, ils s’occuperont principalement de la gestion de la mosquée, dont la vision rigoriste de l’islam prôné jusque-là par ses dirigeants issus de la Ligue islamique mondiale est très critiquée. [… Lire la suite de : « La fin de la tutelle saoudienne sur la Grande Mosquée de Bruxelles actée« , rédigé par Benjamin Andria, Saphir News, 16/03/18.

Musulmans & Chrétiens. Pistes pour un dialogue
sans angélisme ni pessimisme (Compte-rendu)

 

Couverture Musulmans & Chrétiens

 

Hicham ABDEL GAWAD: Musulmans & Chrétiens. Pistes pour un dialogue sans angélisme ni pessimisme. Édit. La Boîte à Pandore, Paris 2017, 132 p.

Dans cet ouvrage l’auteur explore les pistes possibles d’un vrai dialogue entre chrétiens et musulmans. Il pose les questions suivantes : « Que doit-on entendre par ‘dialogue’ entre deux religions universelles, prétendant chacune à la vérité et qui divergent fondamentalement au niveau des dogmes ? » et « Quelles seraient alors les conditions d’existence d’ un tel échange ?« .
Il aborde le sujet par une approche multidisciplinaire à dominante philosophique. Ainsi la première partie sera de type historique. La deuxième se concentrera sur un type d’ échange islamo-chrétien contemporain à consonance polémique. Enfin, en troisième partie, il entre dans la réflexion proprement philosophique, en passant par « l’éthique de discussion » de Jürgen Habermas, qui permettra de sortir des attitudes de controverse et de polémique dans les échanges entre chrétiens et musulmans, et de nous proposer finalement une éthique valable du dialogue islamo-chrétien.

On peut constater que l’islam, dès ses débuts, a été en contact avec le christianisme. Mais, se demande l’auteur, qui étaient ces chrétiens? Les déclarations coraniques ne permettent pas d’identifier clairement qui sont les chrétiens que le Prophète a côtoyés, critiqués, mais parfois aussi loués. Ses contacts sont extrêmement contrastés « allant de la cordialité à la malédiction pure et simple, à tel point qu’il n’est pas sûr qu’il s’agisse des mêmes groupes d’un verset à l’autre, bien qu’il n’existe qu’un seul terme qui désigne les chrétiens ( al-Nasârâ) » (p. 16).

Le Coran est critique, voire virulent vis-à-vis de l’affirmation de la divinité de Jésus, de sa filiation divine et de la Trinité, mais ces affirmations reflètent une incompréhension fondamentale, par ex. faisant Marie participer à la Trinité.
Les critiques coraniques ne coïncident donc pas avec l’orthodoxie chrétienne tant passée que présente et semblent avoir été dirigées contre des groupes chrétiens très divers et marginaux dans l’Arabie et l’Orient de cette époque. S’agit-il de judéo-chrétiens, de monophysites, de nestoriens, de syncrétistes ou de formes populaires hétérodoxes dues aux incompréhensions des chrétiens eux-mêmes vu la complexité théologique ?

Ce que l’on peut pourtant affirmer avec très peu de doute, c’est que le Coran ne se prononce pas directement sur la théologie chrétienne orthodoxe nicéenne et que l’argumentation coranique s’est donc révélée rapidement inadaptée pour répondre aux chrétiens de cette tradition avec lesquels les musulmans sont entrés en contact dès la période des conquêtes et surtout sous les Omeyyades et les Abassides.

Du côté chrétien également nous constatons, continue l’auteur, que la perception des musulmans a connu des évolutions. D’abord perçus comme un peuple de conquérants sanguinaires sans dieu, les Arabes ont été considérés par les chrétiens comme des juifs au culte étrange, puis comme des hérétiques ou de lointains disciples d’Arius, pour être finalement reconnus dans leur pleine identité islamique.

L’étude historique n’a mis en évidence que des échanges de type controversiste, révélant par là des attitudes profondément exclusivistes de part et d’autre et on ne peut donc pas parler d’un vrai dialogue, bien qu’ avec Jean Damascène et le théologien Timothée, du côté chrétien, et Ibn Hazam et Al Ghazali, du côté musulman, l’argumentation ait bien évolué par rapport aux premiers temps des échanges islamo-chrétiens.

L’exclusivisme et la polémique n’ont pas été seulement un fait au Moyen Âge.

Dans la deuxième partie, plus théologique de son livre, H.A. Gawad étudie les œuvres du prédicateur et écrivain musulman Ahmed Deedat et du pasteur Jimmy Swaggart; il montre à quel point encore le vingtième siècle a eu son lot d’échanges polémiques. Ces auteurs cherchaient davantage à se lancer des défis et à essayer de convertir l’autre que de se rencontrer dans un vrai débat.

Ainsi H.A.Gawad a pu mettre en évidence le problème fondamental de ce genre d’ échanges islamo-chrétiens où l’un combat l’autre sur la base de sa propre théologie et conception de la révélation. Tous ces discours révèlent aussi le rôle particulièrement contre-productif de la dogmatique comme objet des discussions, qui finissent toujours sur une incompréhension mutuelle et un désaccord.

Pour dépasser ce genre de discours, l’auteur essaie encore de chercher un terrain commun, si possible théologique. Mais très vite, les propositions mutuellement exclusives des théologies classiques chrétienne et musulmane aboutissent à une impasse, car la théologie chrétienne ne saurait s’aligner sur la christologie coranique et vice-versa.

Alors, dans la troisième partie du livre, H.A. Gawad décide de quitter le terrain théologique au profit d’une autre approche, à savoir philosophique pour fonder une éthique rationnelle du dialogue islamo-chrétien. Il fait appel à Jürgen Habermas, l’un des penseurs post-kantiens, qui a mis au point « une éthique de la discussion« . Selon ce philosophe, c’est de l’intérieur de l’acte d’une vraie discussion que l’universalité peut naître. Or, il n’y a de discussion valable que tant que la recherche du meilleur argument possible et accepté par tous demeure l’horizon des participants. Il ne faut pas voir un autre objectif à atteindre des discussions sinon le consensus qui s’en suit. Habermas exclut aussi les thèmes métaphysiques et dogmatiques et exige des participants encore trois attitudes éthiques, à savoir la symétrie, la sincérité et la liberté d’adhésion ou l’absence de contrainte extérieure.

C’est en intégrant la problématique du dialogue islamo-chrétien à l’éthique de la discussion selon Habermas et en y introduisant en plus le critère du partage, que H.A. Gawad obtient que l’éthique de discussion peut devenir une éthique du dialogue, à savoir « un travail intersubjectif conjoint sur deux héritages que l’on se propose de partager, afin de construire une solution à un problème de société touchant les deux communautés » ( p. 126).
Ainsi le dialogue islamo-chrétien n’a pas comme objet une simple rencontre interculturelle ou fraternelle, mais il consiste dans la pratique d’échanges, cadrés par une éthique, qui font intervenir les spécificités de chacune des deux traditions religieuses et dont l’aboutissement est un consensus pratique qui profite à tous. Ainsi on désarme les risques de controverses et on rapproche les deux communautés.

L’auteur termine son livre par une proposition qui est un souhait: que la question qui devrait aujourd’hui gouverner les échanges islamo-chrétiens soit celle de la place que les musulmans et les chrétiens veulent bien donner – librement et sans motif égoïste – au bien commun de toute la société ou autrement dit à l’action désintéressée, librement consentie et tournée vers le bien commun de tous.

Nous estimons que Hicham Abdel Gawad nous a donné par ce livre encore un travail intéressant et bien utile. On aurait souhaité cependant qu’il nous illustre ses conclusions avec quelques exemples concrets.

Hugo Mertens.

Quel islam pour l’Europe ? (Compte-rendu)

Couverture Ben Achour

 

 

Yadh Ben Achour & François Dermange: Quel islam pour l’Europe ? Ed. Labor et Fides, Genève 2017, p. 130 p.

Yadh ben Achour est juriste et spécialiste des théories politiques en islam, membre du Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

François Dermange est professeur de l’éthique à l’Université de Genève et spécialiste des questions religieuses.

L’islam en Europe est un sujet débattu aujourd’hui dans tous les milieux, mais il s’agit rarement d’un débat objectif. C’est pourquoi Yadh ben Achour, dans la première partie du livre, part d’abord de quatre données dont nous devons prendre conscience si nous voulons parler de l’islam en Europe. Il les résume ainsi :

  1. Ne parlons pas de l’islam en Europe comme d’un fait nouveau.
  2. Cessons de considérer la barbarie comme un fait spécifique à telle ou telle civilisation ou religion.
  3. L’élément explicatif essentiel de la violence ne doit pas être recherché dans la religion d’elle-même.
  4. Cessons de considérer l’islam comme un tout monolithique.

Après l’explication de ces remarques préliminaires, l’auteur examine les ruptures et les malentendus du côté des immigrés et du côté du milieu d’accueil. Ces ruptures mettent en relief les antagonismes religieux et culturels des deux communautés et divisent la société en deux : les citoyens de souche européenne d’origine et de l’autre côté les citoyens de second rang de souche turco-arabo-berbère. Cette situation n’est pas propice au développement du dialogue, mais le rend d’autant plus nécessaire « pour la pacification des consciences » (p. 43).

Il n’ y a qu’une solution à ces ruptures, c’est une cohabitation pacifique grâce au dialogue et à la concertation, qui doivent déboucher sur des actions et des décisions concrètes. L’auteur en étudie les conditions.

La première condition est qu’il faut maintenir la lutte contre certaines formes de nationalismes qui débouchent sur la haine de l’autre et en particulier sur l’islamophobie. Il faut donc rejeter catégoriquement tous les extrémismes par une action politique, par la vigilance intellectuelle et par des tentatives de rencontre où on apprend à mieux se connaître.

La deuxième condition, d’après l’auteur, consiste à développer, encourager et promouvoir ce qu’il appelle « l’islam libéral« , un islam réformé et citoyen. Il est convaincu que la présence de l’islam en territoire européen, dans un contexte de liberté, peut faciliter ce projet. Comme toutes les autres religions, l’islam doit donc comprendre que pour survivre dans le monde européen, il doit s’adapter aux normes de la morale et du droit universellement reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. L’auteur montre que ce travail est en train de se faire actuellement en Europe par des penseurs et des associations musulmanes ici et là.

La troisième condition, qui est une conséquence de la deuxième, consiste à assumer la bataille de la liberté contre toutes les théologies et les idées politiques antidémocratiques.

La quatrième et dernière condition dont parle l’auteur, consiste à instituer une alliance avec les forces progressistes, qui admettent cette démarche, à savoir la presse, les associations, les autorités morales et religieuses, mais également et surtout les autorités publiques et les gouvernements. Les musulmans doivent donc sortir de leur « silence » et devenir eux-mêmes responsables et complices de la culture européenne. Par de là tout, c’est au politique que revient le rôle essentiel de juger, de communiquer et parfois d’arbitrer avec sagesse les débats pour arriver à cette culture de l’homme partagée par tous.

Si ces conditions sont respectées, « l’islam peut devenir un élément constitutif de la nouvelle identité européenne« , écrit l’auteur (p. 54).

Ce dialogue implique nécessairement la neutralité absolue de l’État et que la religion et l’État demeurent chacun dans son ordre propre. L’État garantira à la fois la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. Du côté de l’islam, il est demandé « qu’il s’intègre au mieux dans le cadre de la culture et de la civilisation européennes et qu’il perde son caractère de religion ‘étrangère’ en territoire européen  » ( p. 62).

Et l’auteur conclut avec l’espoir qu’ainsi l’appartenance européenne devienne, petit-à-petit, pour les enfants musulmans, leur première appartenance et que l’allégeance à l’égard du pays puisse prévaloir sur toute autre.

Dans la deuxième partie du livre, François Dermange pose surtout la question : « Quelle attitude l’Europe doit-elle avoir face aux musulmans ? »

Pour lui également l’État libéral doit pouvoir permettre la coexistence pacifique des cultures et des religions. Il en étudie les principes politiques et la place que l’État libéral devrait laisser aux religions.

Dans un monde pluraliste, où les divisions morales, philosophiques et religieuses divisent les citoyens, il faut que l’État renonce à imposer des normes de vie et des buts communs. Il faut, d’après l’auteur, dissocier les sphères éthiques et politiques.

« Le libéralisme politique repose uniquement sur la raison politique et celle-ci exige de quiconque prend part à la délibération qu’il partage sincèrement une conception de la justice publique, qui l’oblige à reconnaître que les autres citoyens sont aussi libres et égaux que lui » ( p. 79).

Les principes de l’État libéral sont la séparation des religions et du politique, la liberté du culte et la non-discrimination qui découle de l’égalité de tous devant la loi. L’identité de l’État libéral est supra-communautaire. L’ État est tenu à une laïcité de neutralité. Il n’est ni religieux ni athée.

Par contre, dans une société libérale, chacun des groupes majoritaires et minoritaires a le droit de faire valoir ses convictions substantielles, culturelles, religieuses et éthiques, du moment qu’il respecte les autres expressions et que ses propos n’incitent pas à la haine d’un tiers ou qu’ils ne lui nuisent pas.

Cependant, d’après l’auteur, l’État ne peut pas toujours faire totalement fi des représentations que la communauté majoritaire se fait d’elle-même. Car une société partage une identité commune marquée par des valeurs communes et par des liens de solidarité, grâce à une histoire partagée et une culture tirée de cette histoire commune. En Europe le christianisme, dans la diversité de ses formes, a joué de manière évidente un rôle essentiel marquant de son empreinte les arts, les coutumes, les rythmes de la vie et des temps, etc.

De là l’obligation pour les hommes d’une minorité, quand ils viennent habiter dans un pays européen et qu’ils en prennent la nationalité, de s’y intégrer et d’ accepter la façon de vivre des gens qui y vivent.

Il est difficile de résumer tous les débats et les problèmes concrets qui peuvent se poser ainsi dans la vie de tous les jours. Certaines questions intéressantes, qui se sont posées en Suisse, sont traitées dans ce livre.

Au-delà de certaines pages assez techniques et juridiques, le livre nous donne certainement les pistes importantes pour le vivre-ensemble aujourd’hui en Europe où l’islam est un fait social, culturel et politique indéniable.

Les auteurs, par leurs propos mesurés, nous tracent également les conditions d’une intégration réussie des musulmans, tâche décisive pour l’avenir de tous les pays d’Europe.

Hugo Mertens.

Iran : bas les voiles ! (The Conversation)

 

logo the Conversation

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Une jeune iranienne soutient le mouvement spontané « My stealthy freedom » (ma liberté furtive) aussi appelé « mercredi blanc ».
My Stealthy Freedom

Homa Hoodfar, Concordia University

Récemment, le monde entier a été surpris par l’émergence d’un nouveau mouvement féministe en Iran. Des Iraniennes non voilées se tiennent debout sur des plateformes et des bancs dans les lieux publics en brandissant des foulards blancs au bout d’un bâton pour protester contre le port obligatoire du hijab.

Seules et silencieuses, ces femmes peuvent difficilement être accusées de se mobiliser contre le régime ou de troubler la paix, qui sont les motifs habituellement invoqués pour arrêter les manifestantes. Certaines femmes ont été arrêtées pour avoir ôté leur hijab en public, mais les autorités détournent en général le regard pour éviter d’exacerber les tensions, d’attirer l’attention sur les militantes et de donner prise au mouvement.

Néanmoins, des vidéos et des images de ces gestes sont largement relayées sur les réseaux sociaux, ce qui engendre un nouveau désir d’émancipation chez les Iraniennes et attire l’attention des médias internationaux.

Les filles de la Révolution

Les jeunes militantes sont appelées « les filles de la Révolution ». Ce mouvement inattendu n’a entraîné aucune réponse cohérente du régime, et le nombre de femmes brandissant leurs foulards en guise de protestation dans les lieux publics ne cesse d’augmenter. Bien qu’il n’existe encore aucune organisation militante centralisée, ces gestes isolés ont attiré de nombreux sympathisants.

Nous assistons à la naissance d’un mouvement citoyen spontané qui exprime l’insatisfaction d’un large pan de la population masculine et féminine, y compris les femmes qui continueraient de porter le hijab, mais qui s’opposent au port obligatoire.

Nous connaissons au moins un cas de femme vêtue d’un tchador ayant brandi un foulard dans une rue fréquentée pour protester contre l’oppression de sa liberté. L’enjeu n’est pas le voile à proprement parler, mais bien les inégalités politiques qu’il représente, et de son utilisation comme symbole silencieux d’opposition envers le contrôle de l’état sur la liberté des femmes.

L’aspect politique qui entoure le port du voile soulève parfois l’incompréhension. Par exemple, en Turquie et dans certaines régions d’Europe, les musulmanes luttent pour le droit de porter le hijab alors qu’en Iran, les femmes s’opposent depuis près de 40 ans au port obligatoire du voile. Dans un cas comme dans l’autre, les femmes revendiquent la liberté de choisir, une étape essentielle vers la reconnaissance de leur identité et de leurs droits en tant que citoyennes.

                           
Les femmes s’opposent à l’oppression physique chaque jour en Iran. Le nombre de femmes qui brandissent leurs foulards en guise de drapeau dans les lieux publics ne cesse d’augmenter.
Facebook/mystealthyfreedom

Quand le 8 mars m’a conduit en prison

Il y a deux ans, j’ai célébré le 8 mars à Téhéran en marchant dans les rues, en empruntant le métro pour me rendre à un groupe de discussion et en lisant des messages d’encouragement sur les réseaux sociaux. Je garde gravée dans mon cœur et dans mon esprit cette journée passée dans des compartiments réservés aux femmes, à célébrer ces Iraniennes vêtues de leurs tenues colorées et de leur voile dénoué, s’opposant à un régime voulant contrôler leur corps et opprimer leur liberté.

Grâce à l’esprit d’entreprise extraordinaire de ces femmes, les wagons du métro de Téhéran sont devenus des plateformes publiques pour discuter des sujets qui les touchent, mais aussi des lieux de magasinage clandestins. Les femmes de tous les horizons peuvent s’y procurer une incroyable diversité de biens, malgré les efforts déployés par les autorités pour mettre fin à ce commerce parallèle et empêcher les femmes d’entrer et de sortir du train avec des articles de cuisine, des vêtements, du maquillage, des articles de sport et bien d’autres marchandises.

Le soir du 9 mars, je suis rentrée le cœur rempli d’optimisme et j’ai commencé à faire mes valises en prévision de mon départ le jour suivant. C’est à ce moment que mon appartement a été perquisitionné par les Gardiens de la révolution. J’ai été arrêtée et envoyée à la prison d’Evin, inculpée pour avoir « participé à des activités féministes et dangereuses », un crime qui, juridiquement, n’existe pas.

Je me consolais en pensant que mon incarcération était bien insignifiante comparativement à certaines luttes menées par les femmes dans l’histoire. J’essayais aussi de garder le moral en me remémorant l’hymne féministe de mon enfance, « Bread and Roses » de Joan Baez ainsi que la chanson iranienne « Zan » (femme) par Ziba Shirazi, qui adresse ce message à l’Ayatollah Khomeini : les femmes sont plus douces que des pétales et plus solides que le fer, il ne faut pas les voiler, car tous les hommes, lui compris, leur doivent la vie

1979, hijab pour toutes

En 1979, j’ai constaté avec quelle facilité les progrès et les gains modestes réalisés par les femmes en Iran au fil des ans ont été renversés à peine deux semaines après la Révolution. Ces événements ont appris aux générations de femmes qui ont suivi la Révolution que les droits ne sont pas garantis, il faut les protéger.

Peu après la création de la République islamique d’Iran, les dirigeants du pays ont décidé que les femmes symboliseraient, collectivement, l’islamisation de la nation en Iran et à l’étranger. Le 7 mars 1979, le port obligatoire du hijab était décrété.

Le lendemain matin, soit le 8 mars (une journée qui n’est habituellement pas célébrée en Iran) des milliers de femmes ont envahi les rues pour manifester contre la nouvelle mesure.

Surpris par cette violente et soudaine opposition, les dirigeants ont temporairement suspendu leur décision. Au cours des deux années suivantes, le régime a utilisé le discours nationaliste pour réinstaurer le port obligatoire du voile, d’abord pour les employées de l’état, puis dans les bureaux du gouvernement, et ensuite pour les étudiantes.

Enfin, le port obligatoire du voile en public fut imposé à toutes les femmes de plus de neuf ans, qu’elles soient musulmanes ou non. Le gouvernement a décrété que les femmes non voilées faisaient naître des désirs impurs chez les hommes, un argument fallacieux utilisé pour rabaisser la femme et permettre aux hommes d’agir en toute impunité.

L’oppression politique extrême durant les premières années de la République islamique d’Iran, alliée à une guerre sanglante et coûteuse avec l’Irak de 1981 à 1988, ont empêché toute action collective organisée pour les droits des femmes. Malgré tout, certains mécanismes de résistance ont perduré. Par exemple, de nombreuses femmes se sont opposées aux groupes ultraconservateurs appuyés par la République en refusant de porter le tchador noir (qui signifie littéralement tente), au profit de foulards et de manteaux, arguant que le tchador n’existait pas au temps du Prophète.

Ces femmes ont également remis en cause la légitimité des couleurs permises par l’État (brun, blanc, bleu marine et gris), soulignant que même dans les interprétations les plus conservatrices, il n’existe aucune prescription à ce sujet dans les textes islamiques, et que la couleur préférée du Prophète était le rose.

À cette époque, plusieurs Iraniennes, dont moi lorsque je visitais le pays, portions des vêtements d’un vert très vif appelé « vert saoudien », ce qui irritait particulièrement les dirigeants du régime, et contre laquelle la police des mœurs était impuissante, puisque le vert est généralement reconnu comme la couleur de l’islam. Quelques années plus tard, les femmes ont commencé à porter d’autres couleurs vives en public.

Le régime entendait faire du hijab un symbole de fierté nationale s’opposant à la mode occidentale « hédoniste » popularisée par l’ancien gouvernement. Les Iraniennes ont continué de déjouer les intentions du régime en modernisant la tenue traditionnelle, par exemple en portant des motifs ethniques aux couleurs vives, mais parfaitement conformes aux codes islamiques de modestie.

La police des mœurs et autres agents de l’État n’avaient donc aucune raison légitime d’arrêter ces femmes pour violation du code vestimentaire, permettant ainsi à la première génération de femmes vivant sous la République islamique d’Iran de continuer d’exprimer leur opposition.

Vers une nouvelle révolution ?

Avec le temps, des générations de filles de tous les horizons ayant grandi sous le régime de la République islamique d’Iran ont commencé à porter des tuniques plus courtes et plus moulantes sur leurs leggings. Leurs voiles aussi sont devenus plus courts plus lâches. Les femmes plus âgées, sous prétexte d’avoir dépassé l’âge d’être désirables, ont commencé à laisser tomber les foulards sur leurs épaules en public dans les villes et les villages.

Malgré des investissements massifs pour l’embauche de centaines de milliers d’employés et de bénévoles de la police des mœurs, et près de 40 ans à tenter d’inculquer aux étudiants les valeurs « islamiques » du pays, le régime n’a toujours pas atteint son objectif.