Histoire

Belgique: les experts rendent un rapport accablant sur le passé colonial du pays

Déjà qualifié d’accablant par ses premiers lecteurs, le rapport rendu par la Commission spéciale se penche sur 80 ans d’histoire coloniale belge en Afrique centrale pour rétablir une vérité historique. Il y a trois pays dans le passé colonial belge, le Congo-Kinshasa de 1885 à 1960, et le double protectorat du Ruanda-Urundi après la défaite allemande de 1918 jusqu'en 1962. Le colonialisme belge a été dominé par la brutalité. 

Avec notre correspondant à Bruxelles, Pierre Bénazet

Les experts mandatés par la « Commission spéciale chargée d’examiner l’État indépendant du Congo et le passé colonial de la Belgique au Congo, au Rwanda et au Burundi, ses conséquences et les suites qu’il convient d’y réserver » viennent de rendre leur rapport aux parlementaires de la chambre des représentants.

Racisme, brutalité, travail forcé...

Tout au long des 689 pages de leur rapport, les historiens dressent un tableau sombre de la présence des Belges en Afrique centrale : travail forcé, brutalité, violences, contrainte permanente, imposition de lois qui ont modifié durablement les sociabilités traditionnelles, en particulier avec le rabaissement du rôle de la femme, et le racisme comme fondement de l’administration coloniale. Les routes et autres infrastructures n’ont pas servi à développer les colonies, mais à permettre l’exploitation des ressources pour leur exportation vers la Belgique. Des pillages des débuts de la colonisation au XIXe siècle jusqu’à l’agriculture ou les mines 80 ans plus tard, il n’est question de mise en valeur du territoire qu’au profit de la métropole. 

La deuxième partie du rapport recommande spécifiquement des réparations que la Belgique devrait mettre en place, par exemple présenter des excuses officielles qui aillent plus loin que les regrets formellement exprimés par le roi Philippe en son nom personnel, ou encore restituer des milliers d’objets africains présents dans les musées belges. Une loi est d’ailleurs prévue pour le début de l’année 2022 sur ce point. Les parlementaires de la commission spéciale devront en outre selon les auteurs du rapport examiner la question de réparations financières.

►À lire aussi : Colonisation du Congo: des femmes métisses attaquent l’État belge pour crime contre l’humanité

Restitutions : « Le Bénin est heureux de marquer l’histoire aux côtés de la France »

Mis à jour le 27 octobre 2021 à 21:33
 


Le président français Emmanuel Macron et le ministre béninois des Affaires étrangères Aurélien Agbénonci, devant l’une des oeuvres qui sera restituée au Bénin, le 27 octobre 2021 au musée du quai Branly, à Paris. © Michel Euler/Pool via REUTERS

 

Les 26 pièces pillées par le colonel Dodds au Bénin, en 1892, prendront l’avion 9 novembre prochain pour Cotonou, avant d’être exposées à Ouidah. Le président français l’a confirmé lors d’une cérémonie à Paris, ce mercredi 27 octobre.

La bataille de la récupération des oeuvres d’arts africains est un combat de longue haleine. Et Emmanuel Macron en a conscience quand il foule le sol du théâtre Claude Levis-Strauss du musée du Quai Branly-Jacques Chirac ce mercredi 27 octobre.  « Nous sommes ici pour marquer l’aboutissement d’un travail qui vient de très loin » a-t-il rappelé devant une salle comble.

Accompagné du ministre béninois des Affaires étrangères, Aurélien Agbénonci, du ministre de la Culture du Bénin, Jean Michel Abimbola, et de son homologue française Roselyne Bachelot ainsi que de l’écrivain Felwine Sarr et de l’historienne Bénédicte Savoy, le président français a ouvert une nouvelle page de l’histoire en restituant les pièces pillées par le colonel Dodds. Dès le début du mois de novembre, elles pourront dormir sur la terre de leurs ancêtres.

« Le Bénin est heureux de marquer l’histoire aux côtés de la France », a déclaré le ministre béninois des Affaires étrangères, qui a salué le retour prochain de ces œuvres qui « constituent une part indéniable de l’identité cultuelle et culturelle ». « Cette restitution c’est plus qu’une restitution, a abondé le président français. C’est tout un programme de coopération qui doit permettre de renforcer nos liens, de créer de nouvelles opportunités d’échanges, de rencontres, de projets. »

109 ans d’absence

Avec cet acte symbolique, la France devient ainsi le premier pays au monde à restituer à un pays africain une part symbolique de son patrimoine. Mais cette restitution n’est pas que symbolique. Aurélien Agbénonci et Emmanuel Macron ont insisté sur le fait que ce retour va marquer le début d’une nouvelle coopération entre les deux pays. Celle-ci sera centrée sur un partenariat de coopération scientifique, une délivrance de bourses aux étudiants béninois en patrimoine, un travail de coopération patrimonial à Ouidah et à Abomey …

À cela s’ajoute la volonté des deux pays d’élaborer un répertoire permettant d’assurer l’identification et l’histoire de l’ensemble des pièces d’origine béninoise.

Après 109 ans d’absence, début novembre, ces œuvres prendront le chemin du retour. Mais en attendant, elles sont exposées durant 5 jours au musée du quai Branly afin de célébrer la semaine culturelle du Bénin et acter une restitution historique.

Statues royales et trônes

Pour l’occasion, bon gré mal gré, le Musée du Quai-Branly a fait les choses en grand : une exposition soignées des 26 œuvres concernées par ce retour en fanfare et plusieurs journées d’animation (visites guidées, colloque scientifique international, spectacles, matinée de discussions et d’échanges, cycle de cinéma).

Sont ainsi présentées pour cinq jours, avant d’être emballées et expédiées, les œuvres pillées à Abomey en 1892. À savoir trois statues royales bochio, six autels portatifs asen, les trônes de Ghézo et Glélé, un siège royal, un tabouret tripode katakié, une calebasse sculptée, trois récades, un fuseau et un métier à tisser, quatre portes de palais du roi Glélé, une tunique et un pantalon de soldat, et un sac en cuir.

Les commissaires de l’exposition ont même veillé à donner le plus d’explications possible sur les auteurs de ces œuvres, comme par exemple Likohin Kankanhau Sossa Dede à qui sont attribuées (avec plus ou moins de certitude) les impressionnantes statues mi-homme mi-poisson de Béhanzin, mi-homme mi-lion de Glélé et mi-homme mi-oiseau de Ghézo.

La bataille de Cotonou

Comment en est-on arrivé là ? Comme souvent en la matière, il est possible de faire débuter l’histoire à Berlin, en 1885. Cette année-là, quatorze puissances européennes – parmi lesquelles la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne –  se partagent l’Afrique. Le Togo revient à l’Allemagne, le Nigeria aux Britanniques et le Dahomey aux Français.

Mais fait étrange et surprenant, il se trouve que des hommes vivent sur ces terres et que certains d’entre eux n’ont pas vraiment envie de se soumettre à l’annexion. Ainsi, à Cotonou, le roi Glélé oppose une fin de non-recevoir à l’émissaire français Bayol en 1889. Rebelote un an plus tard, quand le monarque décède. Son successeur, le roi Béhanzin, refuse lui aussi de se soumettre.

Après la bataille de Cotonou (février-mars 1890), la France coloniale décide d’employer la manière forte et d’envoyer vers Abomey une colonne expéditionnaire conduite par le colonel Dodds, le 27 mars 1892. Il s’agit d’affronter Béhanzin, notamment armé par les Allemands. Le 17 novembre, les militaires français s’emparent des lieux et, comme le précise la chronologie de faits proposée par le musée du quai Branly, « le roi Béhanzin, dans sa fuite, exige que les Palais royaux soient détruits par le feu ».

À l’époque, il n’existe pas encore de loi internationale sur le pillage des œuvres d’art. « Dodds et les officiers qui l’accompagnaient ont pu se servir dans les palais à titre tout à fait personnel, explique la co-commissaire de l’exposition Gaëlle Beaujean. L’État français n’a donné aucune consigne en ce sens. On ignore combien d’objets ont été pris. » Et sans doute certains sont-ils encore, aujourd’hui, entre les mains de descendants de militaires français ou de collectionneurs privés bien discrets.

Ce que l’on sait en revanche, c’est que le colonel Dodds, désormais général, remet les 26 pièces saisies de sa propre initiative dans les palais d’Abomey au musée d’ethnographie du Trocadéro entre 1893 et 1895.

À partir de 1937, certaines seront exposées au Musée de l’Homme avant que toutes ne rejoignent le Musée du quai Branly, où deux statues royales seront exposées de manière permanente à partir de 2006. Entretemps, en 1989, certaines auront été « prêtées » (sic !) au Bénin et exposées à Abomey pour une exposition organisée par Marlène-Michèle Biton.

Une première demande signée Christiane Taubira

Il est intéressant de noter qu’une première demande de restitution a lieu en 2005, à l’initiative de celle qui est alors députée de Guyane, Christiane Taubira. Une demande suivie d’un long silence de 7 ans, rompu par le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) qui prend le relai, en 2013. Efficacement, puisqu’en 2016, le gouvernement du Bénin demande officiellement la restitution des 26 œuvres volées par Dodds !

La suite est un peu mieux connue. En mars 2017, la France refuse cette demande au nom du principe d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du patrimoine national. En novembre 2017, à Ouagadougou, le président français Emmanuel Macron affirme sa volonté de restituer les œuvres mal acquises du patrimoine africain aux Africains. Un discours suivi d’effet, puisqu’en novembre 2018, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr remettent leur rapport sur la question – du moins en ce qui conserve le secteur public (musée, institutions) puisque la question des possessions privées (collectionneurs, entreprises, etc.) n’est quasiment pas étudiée.

Enfin, si la loi française d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité n’est pas modifiée sur le fond, une exception est faite pour le Bénin et le Sénégal. Le 24 décembre 2020 est promulguée la loi dérogatoire relative à la restitution de biens culturels aux deux pays. C’est elle qui rend possible le retour en avion de ces 26 pièces, le 9 novembre prochain.

Loi dérogatoire

Pour les statues royales Bochio des rois Glélé, Ghézo et Béhanzin, comme pour les 23 autres œuvres, le temps est donc venu de retrouver le pays natal. Ce sera d’abord à la maison du gouverneur de Ouidah, au côté du Musée international de la mémoire et de l’esclavage, qu’elles trouveront refuge. Les lieux sont « presque prêts » à les accueillir, comme l’indique Abdoulaye Imorou, gestionnaire du site des Palais royaux d’Abomey.

Quant au futur Musée de l’épopée des amazones et des rois du Danhomé d’Abomey, il verra le jour dans « un an ou deux », mais les travaux n’ont pas encore commencé, selon le même Imorou. « La France s’est engagée dans un programme de soutien et de coopération à cet égard avec le Bénin », indique sans plus de précision le Musée du quai Branly.

Le site de l’Agence française de développement est un peu plus disert : « Financé en don et en prêt par l’AFD à hauteur de 22,95 milliards de francs CFA (35 millions d’euros), ce projet sera mis en œuvre par l’ANPT avec l’appui technique d’Expertise France et du ministère français de la Culture. Il permettra la mise en valeur du site historique d’Abomey grâce à la réhabilitation de quatre palais royaux et à la construction d’un nouveau musée aux standards internationaux où seront exposées les œuvres héritées du royaume du Danhomè. »

35 millions d’euros

26 œuvres seulement, c’est beaucoup et c’est peu à la fois. C’est beaucoup, parce que c’est une première porte ouverte à un mouvement de restitution plus global qui concerne l’ensemble des puissances coloniales et pas seulement la France. Si l’on en croit l’annonce faite le 29 avril dernier par la secrétaire d’État allemande à la culture Monika Grütters, Berlin compte ainsi restituer au Nigeria, à partir de 2022, ses « bronzes du Bénin ».

BIEN DES COLLECTIONNEURS PRIVÉS RECÈLENT ENCORE CHEZ EUX LE PRODUIT DE LARCINS COLONIAUX

En Belgique, le secrétaire d’État Thomas Dermime a de son côté proposé que les œuvres pillées par son pays au Congo et actuellement conservées à l’AfricaMuseum (ex-Tervuren) fassent l’objet d’un transfert de propriété juridique aux autorités congolaises, qui pourraient alors réclamer la restitution.

C’est peu, aussi, parce que ce retour surmédiatisé qui ne concerne que 26 pièces a exigé plus de cinq années de tractations et une double volonté politique, française et béninoise – laquelle fait souvent défaut aussi bien en Europe qu’en Afrique, pour des raisons bien entendu différentes. C’est peu, également, parce que le regard reste obstinément braqué sur les collections publiques, alors que bien des collectionneurs privés recèlent encore chez eux, au secret, loin du regard des populations, le produit de larcins coloniaux.

Deux articles sur le site de RFI à ce propos :

Les œuvres de l'ancien royaume du Dahomey exposées à Paris avant leur restitution au Bénin

J-M Abimbola: la restitution de ces oeuvres d'art béninoises «n'est qu'un début»

 

Pour voir les images et les textes, cliquer sur les liens ci-desous :

La réédition de «Batouala», Goncourt 1921, fait redécouvrir un roman écrit au coeur de l'Afrique

 

En cette semaine de remise de prix littéraires en France, les éditions Albin Michel ont décidé de rééditer un prix Goncourt 1921 attribué à l'auteur René Maran pour son roman « Batouala ». L'occasion de redécouvrir un texte qui n'a pas pris une ride malgré ses cent ans ainsi qu'un auteur français qui, jusqu'à sa mort en 1960, déplora qu'on le renvoie sans cesse à « son statut de premier Noir récompensé par le Goncourt ». 

René Maran est né en Martinique de parents guyanais. En 1890, il a trois ans quand sa famille prend le bateau pour l’Afrique où son père est nommé à un poste administratif colonial. Il en a sept quand il est envoyé en internat, seul, suivre sa scolarité à Bordeaux.

Pétri de culture classique, amoureux fou des livres et de la littérature, René Maran deviendra administrateur colonial. Pur produit de son éducation humaniste, il croit en une mission civilisatrice de la colonisation française.... Avant de déchanter devant la réalité.

« Batouala » le succès inattendu

Quand il remporte le prix Goncourt au dernier tour de scrutin, le 14 décembre 1921, René Maran est un inconnu. Il a mis près de huit ans à peaufiner Batouala, qu’il a  écrit au cœur de l’Afrique. La nouvelle fait le tour du monde, car la France vient de décerner son plus prestigieux prix littéraire à un auteur français et noir, une première. 

La nouvelle ne parviendra à l'intéressé que dix jours plus tard, administrateur colonial en Oubangui Chari entre le Congo et le lac Tchad, René Maran se trouve à plusieurs jours de marche du premier relai de poste.  Ce premier roman est un conte sur la vie quotidienne d'un mokoundji (un chef africain), sur ses activités politiques et religieuses, ses rivalités avec un guerrier plus jeune. C'est aussi un livre rempli de sons…. Une ode à la faune, à la flore, à l'intense beauté de la nature africaine.

La presse s'enthousiasme. « C'est la première fois que les Noirs jouent et gagnent » titre le journal Le Petit Parisien. Pourtant ce prix Goncourt fait scandale. Fabrice Gardel a réalisé pour le pôle outre- mer de France Télévisions un documentaire consacré à la vie et à l'oeuvre de l’écrivain : « René Maran n'est pas un militant politique, ce n'est pas du tout un idéologue, ce n'est pas un Franz Fanon (essayiste et psychiatre, fondateur du courant de pensée tiers-mondiste et figure majeure de l'anticolonialisme). Il se considère comme un écrivain français comme Mauriac ou Gide ou Paul Valéry. Ce qui a mis le feu aux poudres ce n’est pas Batouala c’est la petite préface qui dénonce la colonisation et où il écrit : « civilisation tu bâtis ton royaume sur des cadavres », plus il reste en Afrique plus il découvre la façon dont les coloniaux exploitent l'Afrique ».

 À écouter aussi : René Maran, précurseur de la négritude

Succès et désillusion

Le pillage de l'Afrique, l'alcoolisme et le peu de formation des coloniaux, les abus en tout genre, René Maran les découvre avec effroi. L'honnête homme qui a reçu une culture classique pétrie d'humanisme, s'est fait fort d'apprendre les dialectes locaux à son arrivée à Fort Archambault au nord de l ‘AEF, l'Afrique équatoriale française. Il croit au rêve d’une colonisation qui apportera l'éducation, la sant,  mais ses idéaux butent sur de terribles constats.  Dans le même temps, la puissance du continent africain, ses populations, ses traditions, le fascinent. Il décide d'écrire Batouala, roman  redécouvert un peu par hasard par Stéphane Barsacq, éditeur chez Albin Michel. « On est en 1921 et pour la première fois, on montrait un continent raconté depuis un point de vue qui n’est pas celui d’un colon. Pour la première fois, on a des héros noirs racontés par un auteur noir qui connait l’Afrique. C’est quelque chose d’étonnamment moderne et qui le reste. Par moment on peut avoir le sentiment de lire du rap, du slam. Il y a texture linguistique que Maran travaille avec un grand talent, son écriture n’est absolument pas démodée, c’est cela qui m’a le plus surpris. On lisait un livre qui avait un siècle et on avait l’impression qu’il avait été écrit hier ».

Trop noir pour les Européens, trop blanc pour les Africains

René Maran, comme tous les hommes libres, compte bon nombre de détracteurs. On l'accuse d'être un usurpateur, de ne pas avoir écrit Batouala, ou encore « de mordre la main de la France qui l'a nourrie ».  Trois ans après son prix Goncourt il démissionne de l'administration coloniale, il publiera jusqu'à la fin de sa vie une vingtaine de livres : romans, conte animalier ou philosophique, poèmes et plusieurs biographies sur les pionniers de l'empire comme Pierre Savorgnan de Brazza, son modèle, grande figure de l'expansion coloniale française et philosophe de la non-violence.

« On voit bien que la question du colonialisme aujourd’hui, explique l’éditeur Stéphane Barsacq, la question des artistes noirs, la question simplement d’une présence noire est sous  les feux de l’actualité. A juste titre. Tout ça vient de très loin. René Maran a connu le scandale et un siècle plus tard d’une certaine manière le scandale perdure. On voit que la question d’une altérité à la civilisation occidentale est quelque chose qui ne va pas de soi. Nous avons la volonté de rétabli , de corriger, de remettre en perspective  et une histoire et une mémoire et aussi des gens de valeur qui sont des phares pour tout le monde ».

Batouala sera traduit en anglais, aux débuts des années 30. Dans une Amérique ségrégationniste, un écrivain noir français qui dénonce le racisme fait grand bruit. « Le scandale de Batouala sera mondial, René Maran fait la Une du New York Times, il dénonce la colonisation sept ans avant Gide, il est cité par Alan Locke …. Batouala a joué un rôle majeur », souligne le réalisateur Fabrice Gardel.

Toute sa vie René Maran a souhaité être considéré comme Un homme pareil aux autres, titre de son roman d'inspiration biographique paru en 1947. Réédité lui aussi cet automne aux éditions Le Typhon.

Le centenaire du roman Batouala de René Maran

Restitutions : quand l’Europe tarde à lâcher son butin

21 octobre 2021 à 15:29
Mis à jour le 21 octobre 2021 à 16:04
 


Statues des rois Glèlè, Ghézo et Béhanzin. © Photomontage JA / Photos : Pauline Guyon Musée du quai Branly

Après de très longues négociations, la France va enfin restituer les œuvres promises au Bénin. Un premier pas bien timide au regard du nombre d’objets spoliés et toujours conservés en Europe et outre-Atlantique. Jeune Afrique a fait le compte.

« Elles seront la fierté du Bénin. Et parce que restituer des œuvres à l’Afrique, c’est rendre accessible à la jeunesse africaine sa culture, ces restitutions seront aussi la fierté de la France. » C’est en des termes enthousiastes qu’Emmanuel Macron a officiellement annoncé, le 8 octobre dernier, la première concrétisation de l’engagement qu’il avait pris il y a près de quatre ans, lors du discours de Ouagadougou de novembre 2017. Dernière étape du très long processus de la restitution exceptionnelle et quasi inédite de 26 œuvres du trésor d’Abomey, pillées par le général Alfred Dodds en 1897, et conservées jusqu’à présent au musée du Quai Branly, à Paris.

Une semaine plus tard, c’est de Berlin qu’est venue une autre bonne nouvelle sur le front des restitutions : les autorités allemandes ont à leur tour annoncé un accord prévoyant le retour au Nigeria, à partir de 2023, de quelque 1 100 des précieux bronzes du royaume du Bénin (au Nigeria), parmi ceux réclamés par Abuja depuis de longues années.

La restitution des œuvres pillées – ou « mal acquises » – pendant la colonisation a toujours fait polémique entre l’Afrique et l’Europe. En 2018, la publication du rapport commandé sur le sujet par l’Élysée, et rédigé par le Sénégalais Felwine Sarr et la Française Bénédicte Savoy, a fait date.

Guerre de tranchées

Depuis, les promesses, souvent symboliques, ainsi que les projets de recherche et de collaboration avec les pays africains se sont multipliés, à l’image de la création du Benin Dialogue Group,un groupe de travail nigérian chargé de mener les discussions avec l’Occident. Derrière les sourires de rigueur lors de ces annonces, c’est une guerre de tranchées qui se joue sur plusieurs fronts. La principale bataille se livre sur la définition des critères permettant d’identifier les œuvres qui doivent être restituées. Parle-t-on de « retour », de « circulation », de « mise en dépôt » ou de « restitution » ? Faut-il prendre en compte le contexte dans lequel ces œuvres ont été rapportées en Europe ? Toute acquisition d’une œuvre dans un contexte colonial relève-t-elle de l’exercice d’une domination illégitime, et donc d’un pillage ?

CERTAINS CRAIGNENT D’OUVRIR LA BOÎTE DE PANDORE ET DE VIDER LES MUSÉES EUROPÉENS

Autant de débats sémantiques à haute portée politique dont les réponses divergent d’un pays à l’autre. Certains craignent en effet qu’une définition trop large ouvre la boîte de Pandore, vide les musées européens et fasse chuter le marché des maisons de vente et les collectionneurs privés.

La majorité des anciennes puissances coloniales privilégient aujourd’hui une approche au cas par cas, objet par objet. Concrètement, cela suppose de mener des enquêtes sur l’origine de dizaines de milliers de pièces afin de déterminer leur modalité d’acquisition (butins de guerre, pillages, vols, dons, trocs). Une gageure, à la fois archéologique et historique, d’autant plus que dans de nombreux cas, les œuvres sont passées de mains en mains, du soldat colonial au marin en passant par les héritiers et les collectionneurs privés avant d’arriver dans les réserves des musées où, aujourd’hui encore, les inventaires sont loin d’être exhaustifs.

Qui possède le plus grand nombre de ces biens culturels pillés pendant la colonisation ? Qui se dit prêt à les rendre ? Où en est, concrètement, le processus de restitution engagé ? État des lieux en cartes et infographies :

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Burundi : Melchior Ndadaye, l’espoir assassiné (5/6)

Mis à jour le 15 octobre 2021 à 15:55


de Funérailles de Melchior Ndadaye, le 6 décembre 1993, à Bujumbura © ALEXANDER JOE/AFP

« On a tué le président ! » (5/6). Alors que s’est ouvert le procès des assassins présumés de Sankara, Jeune Afrique vous propose de redécouvrir les destins tragiques de six présidents africains. Aujourd’hui, Melchior Ndadaye, dont la froide élimination, le 21 octobre 1993, plongera le Burundi dans la guerre civile

Depuis quelques heures déjà, la rumeur s’est faite insistante au sein de l’armée burundaise. Le 20 octobre 1993, le major Dieudonné Nzeyimana, chef des renseignements de la gendarmerie, informe ses supérieurs qu’à Bujumbura, la tension est perceptible parmi les soldats. Vers 16 heures, le même jour, le major Isaïe Nibizi, commandant du 2e bataillon commando, demande à rencontrer d’urgence le chef de cabinet du président Melchior Ndadaye, Frédéric Ndayegamiye, pour l’informer que des éléments du 1er bataillon parachutiste et du 11e bataillon blindé sont très excités, qu’ils préparent un coup d’État et ont l’intention d’arrêter certaines personnalités politiques.

Le commandant ajoute qu’il a déjà informé l’état-major général de l’armée qu’un putsch semble imminent. Il demande donc à Ndayegamiye de lui fournir un véhicule banalisé afin de procéder à une tournée d’inspection des unités concernées. Le chef d’état-major des Forces armées burundaises, le colonel Jean Bikomagu, se veut malgré tout rassurant. Il indique s’être rendu en personne à la caserne du « 1er Para » et n’avoir rien constaté d’anormal. Pourtant, la rumeur continue de se propager à travers Bujumbura…

À 17 heures, le conseiller politique et diplomatique du chef de l’État est informé par le chef d’état-major de la gendarmerie que le 11e Para et le 11e Blindé fomentent un putsch pour le lendemain. Il essaie de prendre contact avec le ministre de la Défense, le lieutenant-colonel Ntakije, qui assiste au conseil des ministres. En vain. De partout, le même renseignement afflue : un coup d’État est sur le point de viser le président Melchior Ndadaye.

Populaire et charismatique

Ce dernier croit-il en sa bonne étoile ? Âgé de 40 ans, ce politicien d’inspiration marxiste avait participé à la fondation du Parti des travailleurs du Burundi (UBU) avant de donner naissance, avec quelques autres militants, au Front pour la démocratie au Burundi (Sahwanya-Frodebu), un parti à l’origine clandestin qui sera officialisé en 1991.

Trois mois plus tôt, en juillet 1993, Melchior Ndadaye a réussi un double exploit : devenir le premier président du Burundi élu au suffrage universel dans un pays où la dévolution du pouvoir rimait jusque-là avec coup d’État et, surtout, devenir le premier président hutu du pays depuis l’’indépendance. Faux jumeau du Rwanda, composé lui aussi de Hutu et de Tutsi, le Burundi était en effet jusque-là– à l’inverse du « pays des mille collines » – demeuré sous le contrôle des Tutsi, dans l’armée comme au sommet du pouvoir politique.

POUR CERTAINS TUTSI, QUI SE CONSIDÉRAIENT COMME DÉTENTEURS DU POUVOIR POUR L’ÉTERNITÉ, SON ÉLECTION FUT UN CHOC TERRIBLE

« C’était un politicien très populaire et charismatique, analyse l’intellectuel burundais David Gakunzi. Très jeune, il était parti vivre en exil au Rwanda, et il avait été membre de l’UBU, où il y avait deux tendances : l’une ethniciste et tribaliste, dans la lignée du Palipehutu burundais [Parti pour la libération du peuple hutu] ou du Parmehutu rwandais [Parti du mouvement de l’émancipation hutu] ; et une autre plutôt marxisante et dogmatique, qui analysait la société burundaise en termes de classes sociales, Hutu et Tutsi confondus. Melchior Ndadaye appartenait à cette seconde tendance. »

« Pour un certain nombre de Tutsi, qui se considéraient comme détenteurs du pouvoir pour l’éternité, l’élection de Ndadaye fut un choc terrible », témoigne le journaliste Innocent Muhozi, alors journaliste-réalisateur à la télévision nationale, chargé des questions économiques et politiques, qui est par ailleurs – comme leurs noms ne l’indique pas – le frère du journaliste et écrivain David Gakunzi.

Sans résistance

Ce mercredi 20 octobre, à mesure que la journée s’écoule, les informations se font de plus en plus inquiétantes. Vers 18 heures, le lieutenant Rugigana, du 2e Commando, est informé par un officier de son unité que quelque chose se trame et qu’il convient de demeurer sur ses gardes.

Lorsque le conseil des ministres prend fin, à 21 heures, le président Melchior Ndadaye est enfin informé de l’imminence d’un coup d’État par son ministre de la Communication, Jean-Marie Ngendahayo. En arrivant au palais présidentiel, 30 minutes plus tard, il en avertit son épouse, Laurence, avant de se retirer dans ses appartements, tout en laissant son téléphone cellulaire allumé. Le président se sait menacé. Au mois de juillet précédent, à la veille de son investiture, il a fait l’objet d’une tentative de putsch qui a été repoussée par sa garde rapprochée, en particulier par son garde du corps : Gratien Rukindikiza.

DITES-MOI CE QUE VOUS VOULEZ, ON PEUT NÉGOCIER. MAIS SURTOUT, PAS D’EFFUSION DE SANG

Pendant ce temps, plusieurs officiers se concertent afin de décourager toute tentative de coup de force. Car au camp Para, où sont cantonnés le 1er Para et le 11e Blindé, c’est l’effervescence depuis 23 heures. Aux alentours de 1h30 du matin, le 21 octobre, des hommes issus de ces deux régiments quittent le camp en direction du palais présidentiel à bord de véhicules blindés sans rencontrer la moindre résistance. Au même moment, plusieurs détachements installent des barrages à travers la capitale et prennent le contrôle de l’état-major de l’armée, de la base aérienne, de la station de radio et de la Compagnie du téléphone.

Au palais présidentiel, en dépit des multiples avertissements reçus au cours des dernières heures, la sécurité de Melchior Ndadaye n’est assurée que par une quarantaine d’hommes et seulement deux blindés. Quand il est informé par l’un de ses ministres qu’un coup d’État est en cours, Melchior Ndadaye revêt des habits civils et grimpe à la hâte dans un véhicule censé l’emmener loin du palais, où demeurent toutefois son épouse et leurs enfants.

« Faites-en ce que vous voulez ! »

Quelques minutes plus tard, les blindés des régiments séditieux font irruption devant la présidence. Les premiers coups de feu d’armes automatiques et tirs de roquettes se font entendre. Peu après 7 heures du matin, Melchior Ndadaye, qui a entre-temps endossé un uniforme militaire,  se retrouve au camp Muha, ainsi que sa famille. S’adressant aux soldats putschistes, il les exhorte, en kirundi : « Dites-moi ce que vous voulez, on peut négocier. Mais surtout, pas d’effusion de sang. Pensez à votre pays ! Pensez à vos familles ! »

Selon Laurence Ndadaye, le colonel Bikomagu – qui se propose d’évacuer la famille du président burundais – aurait lancé aux soldats : « Voilà l’homme que vous cherchez : faites-en ce que vous voulez ! » Vers 8h30, Melchior Ndadaye est conduit au camp Para. Il n’y survivra pas longtemps. Si les conditions exactes de sa mise à mort demeurent obscures, il semble qu’il ait été poignardé par un militaire tandis que deux autres le maîtrisaient au moyen d’une corde enroulée autour de son cou.

CE N’ÉTAIT PAS CRÉDIBLE QU’ON CHERCHE À L’ÉLIMINER TROIS MOIS À PEINE APRÈS SON ÉLECTION

David Gakunzi, qui travaille à l’époque pour une organisation suisse, la Fondation pour le progrès de l’homme, se trouve en Tanzanie, dans un hôtel de Dar es Salam, lorsqu’il apprend la nouvelle. Il vient de rentrer de Butiama, le village de naissance de l’ancien président tanzanien Julius Nyerere, lequel s’est réjoui devant lui des conditions en apparence idylliques dans lesquelles s’est déroulée la transition burundaise entre le major Pierre Buyoya et Melchior Ndadaye.

En ce matin du 21 octobre 1993, le réceptionniste de l’hôtel vient frapper à la porte de sa chambre. « Il était dans tous ses états et m’a dit d’écouter la BBC car il y avait une très mauvaise nouvelle dans mon pays : le président venait d’être assassiné, relate-t-il. Ce fut un choc car j’ai tout de suite ressenti que le Burundi venait de basculer dans une période sombre de son histoire et que le sang allait de nouveau couler. Malheureusement, la suite allait me donner raison. »

Innocent Muhozi, qui avait animé les interviews des candidats avant l’élection présidentielle de 1993, se trouve, lui, à Buja, dans le quartier Ngarara, dans le sud de la capitale. « Vers 11 heures du matin, lorsque j’apprends que des tirs contre le palais présidentiel ont eu lieu pendant la nuit, mon pressentiment est simple : il est impossible qu’un coup d’État réussisse, témoigne-t-il. D’abord parce qu’une première tentative avait échoué à la veille de son investiture ; ensuite parce que ce n’était pas crédible qu’on cherche à l’éliminer trois mois à peine après son élection, qui marquait la première présidentielle digne de ce nom depuis l’indépendance. »

« C’est vrai qu’il y avait des tendances ethnistes qui parcouraient la société, admet Innocent Muhozi. Mais il y avait aussi aussi un souffle démocratique qui me semblait devoir dissuader un coup de force. » À ce moment-là, le journaliste ne sait pas encore quel sort a été réservé à Melchior Ndadaye.

Halo de mystère

Vingt-huit ans après, les responsabilités dans l’assassinat du président restent baignées d’un halo de mystère. « On sait qui a porté le coup fatal puisqu’un caporal l’a lui-même reconnu, résume David Gakunzi. Et plusieurs noms d’officiers ont été cités, notamment lors du procès qui s’est tenu en 1998. Mais un flou relatif continue d’entourer les circonstances et responsabilités autour de ce drame. » Si le colonel Bikomagu (assassiné en août 2015 à Bujumbura) a été souvent décrit comme le deus ex machina dans cette affaire, Innocent Muhozi doute de son implication : « Il a été la cible des deux camps : les extrémistes hutu parce qu’il était à la tête de l’armée ; et les extrémistes tutsi parce qu’il ne jouait pas leur jeu. »

PIERRE BUYOYA M’A CONFIÉ QU’IL ÉTAIT LUI-MÊME SUR LA LISTE DES PERSONNALITÉS QUI DEVAIENT ÊTRE ASSASSINÉES

Au moment de la signature de l’accord de paix d’Arusha, en 2000, censé mettre fin à près de dix années de guerre civile, la mise sur pied d’une Commission vérité et réconciliation est évoquée. Celle-ci aurait notamment eu pour objectif de situer les responsabilités et de nommer les coupables dans l’assassinat de Melchior Ndadaye. Mais celle-ci s’abstiendra de se saisir du dossier.

Après 2015, alors que le président Pierre Nkurunziza vient d’être réélu pour un troisième mandat contesté, l’affaire resurgit opportunément devant les tribunaux. La justice est alors instrumentalisée pour incriminer des militaires et des responsables politiques – essentiellement tutsi –, notamment l’ancien président Pierre Buyoya, qui avait cédé la place à Melchior Ndadaye en 1993 avant de reprendre le pouvoir par un putsch en 1996 contre Sylvestre Ntibantuganya.

David Gakunzi a eu l’occasion d’évoquer cette question avec Pierre Buyoya. « Il m’a répondu qu’il n’avait aucun intérêt à ce que ce coup d’État contre Melchior Ndadaye ait lieu, mais surtout qu’il était lui-même sur la liste des personnalités qui devaient être assassinées en octobre 1993. Il en avait été averti par un officier de l’armée burundaise dans la nuit du 20 au 21 octobre et était aussitôt parti se réfugier à l’ambassade des États-Unis à Bujumbura. Il ne faut pas oublier que ceux qui s’en sont pris à Melchior Ndadaye étaient des Tutsi radicaux qui reprochaient à Pierre Buyoya d’avoir remis le pouvoir à un Hutu.’

Deux hommes sulfureux à Buja

En apprenant que Melchior Ndadaye a été tué pendant le putsch, Innocent Muhozi a la même réaction que son frère David Gakunzi : il pressent que le risque de massacres à venir est très sérieux. « J’ai éprouvé un sentiment d’effroi, d’autant que je connaissais très bien Ndadaye. Avant son élection, j’avais participé, avec lui et avec des cadres du Front pour la démocratie au Burundi et d’autres partis, à des réunions clandestines. Pour moi, son assassinat était inimaginable. »

IL A PAYÉ DE SA VIE LE CLIVAGE ETHNIQUE ENTRE TUTSI ET HUTU

Ce politicien atypique avait pris ses distances avec les extrémistes hutu du Rwanda – il avait ainsi refusé le parrainage du président Juvénal Habyarimana ou du maréchal zaïrois Mobutu, en qui il ne se reconnaissait pas –, leur préférant les leaders du progressiste Parti social démocrate (PSD) rwandais, mais appartenait à un parti jugé hostile par une frange de l’élite tutsi du Burundi. Il a donc payé de sa vie le clivage ethnique qui, dans son pays, avait pris le pas sur toute autre considération.

Ses deux voisins voyaient par ailleurs d’un mauvais œil ce chef d’État dont l’accession au pouvoir n’était pas pour les arranger : une élection présidentielle démocratique, unanimement saluée pour sa transparence ! Et Innocent Muhozi de rappeler qu’à la veille du putsch, deux personnages sulfureux se trouvaient à Bujumbura : le chef des services de renseignements militaires rwandais de l’époque, Aloys Ntiwiragabo, et l’ex-gendarme français Paul Barril, spécialiste des opérations clandestines et proche de la présidence rwandaise de l’époque.

Alors, à qui aura profité l’assassinat de Melchior Ndadaye ? « Dans cette affaire, tout le monde y a perdu, estime Innocent Muhozi. Des populations tutsi qui n’avaient rien à voir avec ce coup d’État ont ensuite été massacrées sur les collines. Et des Hutu ont subi le même sort sur les collines comme dans les villes. Puis le Burundi s’est retrouvé plongé dans une guerre civile qui a duré jusqu’à la signature des accords d’Arusha, en 2010, mais dont les soubresauts se manifestent encore aujourd’hui. »