Histoire

Algérie-France : où en est le rapport d’Abdelmadjid Chikhi sur la période coloniale ?

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Mis à jour le 16 août 2021 à 09h02
Abdelmadjid Chikhi à Alger, en août 2020

Plus d’un an après la nomination du chargé des mémoires algérien, toujours aucun rapport sur le bureau d’Abdelmadjid Tebboune.

« Dommage, c’est tout ce que je peux dire ! » Lors d’une conférence en juillet dernier sur les coulisses de son rapport sur la réconciliation des mémoires entre la France et l’Algérie, l’historien français Benjamin Stora a confirmé l’absence de relations avec son confrère Abdelmadjid Chikhi et a regretté le silence de ce dernier.

Chargé en juillet 2020 par Emmanuel Macron de « dresser un état des lieux juste et précis » sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora a rendu ses travaux en janvier 2021. Nommé à la même période par Abdelmadjid Tebboune au poste de conseiller chargé des archives et de la mémoire, et censé entreprendre une mission du même type, Abdelmadjid Chikhi n’a en revanche pas remis de rapport au président algérien pour le moment.

« Je ne sais pas ce qu’il se passe »

En octobre 2020, Abdelmadjid Chikhi avait indiqué à l’agence de presse officielle APS que le travail bilatéral sur la restitution des archives algériennes transférées en France « n’[avait] pas encore débuté du fait de la propagation de la pandémie Covid-19 » mais avait réaffirmé la volonté politique de faire avancer ce dossier de part et d’autre de la Méditerranée. Mais dix mois plus tard, « je ne sais pas du tout ce qu’il se passe du côté algérien, affirme Benjamin Stora, contacté par Jeune Afrique. Je suis les déclarations dans la presse. »

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IL AVAIT DÉFRAYÉ LA CHRONIQUE EN AFFIRMANT QUE LES TROUPES COLONIALES FRANÇAISES AVAIENT EXTERMINÉ LES ALGÉRIENS LETTRÉS

Selon une source élyséenne, le suivi de la mise en œuvre des préconisations du rapport Stora se fait « en lien étroit avec l’ambassade de France à Alger et son service culturel ». Certains dossiers, comme celui de l’ouverture des archives sur la guerre d’Algérie ou celui de la restitution des restes humains, sont gérés par des commissions d’experts des deux pays. Une réunion du groupe de travail chargé du dossier des essais nucléaires – qu’Emmanuel Macron a remis sous les projecteurs en déclarant que la France avait une dette envers la Polynésie – a d’ailleurs eu lieu les 19 et 20 mai derniers, sans toutefois que la teneur de leurs échanges et l’identité des experts rassemblés ne soient communiqués.

Certaines autres préconisations ne nécessitent en revanche pas de coopération avec l’Algérie, notamment la création d’un musée de l’histoire de la France et de l’Algérie, pour lequel la ville de Montpellier s’est proposée.

Rapport « franco-français »

Alors que l’année 2022 marquera les soixante ans des accords d’Évian qui mirent fin à la guerre d’indépendance algérienne, les questions de mémoire entre Paris et Alger sont toujours aussi sensibles. Différentes déclarations d’Abdelmadjid Chikhi le montrent bien. Celui qui avait défrayé la chronique en mars dernier en affirmant que les troupes coloniales françaises avaient exterminé les Algériens lettrés a qualifié le rapport Stora de « franco-français ». Il a aussi déclaré que « la France coloniale a œuvré pour répandre l’analphabétisme en Algérie ».

Réputé intransigeant, Abdelmadjid Chichi réclame la restitution de toutes les « archives nationales détenues par la France ». En octobre 2020, interrogée par le site d’information français Mediapart, Karima Dirèche, directrice de recherches au CNRS, voyait sa nomination comme une démonstration du manque de volonté de l’Algérie d’ouvrir les archives. « Il est le prototype de l’apparatchik, la caricature de l’oligarque qui n’a aucune envie de débattre de l’état historiographique avec les Français », estimait cette spécialiste du Maghreb.

« Nous souhaitons que les deux historiens accomplissent leur travail dans la vérité, la sérénité et l’apaisement », avait pourtant déclaré le président Tebboune à la télévision algérienne le 19 juillet 2020, au moment de la nomination de son conseiller.

Le Tchad accède à l’indépendance le 11 août 1960 avec François Tombalbaye

Photo non datée de François Tombalbaye, le premier président tchadien, à Ndjamena.
Photo non datée de François Tombalbaye, le premier président tchadien, à Ndjamena. © AFP Photo

Le parcours du Tchad pour accéder à la souveraineté nationale ressemble à celui de plusieurs autres colonies françaises d'Afrique, celui d'une entente avec la puissance coloniale. Le Parti progressiste tchadien (PPT) de Gabriel Lisette, puis de François Tombalbaye, y joue un rôle central. 

Le 11 août 1960, sur le perron de l’hôtel de ville de Fort-Lamy, François Tombalbaye, Premier ministre prononce le discours d’indépendance du Tchad aux côtés d’André Malraux, représentant du général de Gaulle et de la France. Dans la cour de l’hôtel de ville, les convives composés essentiellement de l’élite locale, des fonctionnaires, des politiciens, notables et commerçants assistent debout au discours quand, soudain, une coupure d’électricité survient. L’ancien Premier ministre Alingué Jean Bawoyeu, jeune fonctionnaire à l’époque, se souvient : « Il y a eu ce petit incident quand la lumière s’est éteinte. Mais en bon enseignant, Tombalbaye, qui avait sans doute une bonne partie de son discours en tête, s’est débrouillé avant que le ministre Malraux ne l’aide avec une lampe torche ».  

Le lendemain matin, dans la cour de la résidence de Gabriel Lisette, ancien Premier ministre qui fut administrateur des colonies, une scène surréaliste survient. François Tombalbaye, Pierre Toura Ngaba et Gabriel Lisette se disputent des bouts de tissus. Il s’agit des trois couleurs qui devraient composer le drapeau du jeune État. « On avait commandé des rouleaux des trois couleurs. Au moment de constituer le drapeau, les trois leaders du parti progressiste tchadien (PPT/RDA) se battaient pour avoir l’honneur de composer le drapeau.  Finalement, Tombalbaye a envoyé chercher Seïna Mani, un grand commerçant qui a soutenu le PPT/RDA pour lui demander de composer le premier drapeau du Tchad », raconte l’homme politique Issakha Ramat Allahamdou.  

Plus tard, commence le défilé des différentes délégations conviées aux festivités. Une jeune fille superbement habillée, perchée sur un char, ouvre le défilé. À sa suite, des chevaux harnachés, des ballets de musiciens traditionnels jouant ici de la flûte, là du tambour, agrémentent le premier défilé de l’indépendance du Tchad. Mais la fête n’est pas du goût des premières autorités qui programment les vraies festivités pour la fin de l’hiver, en janvier 1961, pour permettre à toutes les provinces de participer.   

La longue marche vers l’indépendance 

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Avant d’arriver à l’indépendance, le Tchad, colonie de la France, est marqué par la participation de ses ressortissants aux deux guerres mondiales (1914-1918 et 1939-1945). C’est surtout au cours de la Seconde Guerre mondiale que le Tchad s’illustrera en devenant le premier territoire d’outre-mer à rallier la France libre du général de Gaulle. Partie de Fort-Lamy, la colonne dirigée par le général Leclerc participera activement à la victoire des Alliés en 1945.  

► À lire aussi : Tchad, le souvenir de la France libre

La fin de la Seconde Guerre mondiale marque aussi le début du mouvement d’émancipation des peuples colonisés. Dès 1947, un Conseil représentatif de 30 membres est mis sur pied, avec des pouvoirs limités. Il évoluera pour devenir une Assemblée nationale en 1952. Le 23 juin 1956, la  loi-cadre Defferre est adoptée. Cette loi va accélérer la marche du Tchad vers l’indépendance. Une semi-autonomie est accordée aux colonies qui se dotent de gouvernements et de Parlements. Le 28 novembre 1958, le Tchad, qui dispose d’un conseil de gouvernement et d’une assemblée législative, devient une République autonome tout en restant dans la communauté française. Mais l’exécutif en place prépare d’ores et déjà l’accession à l’indépendance. Le 31 mars 1959, une nouvelle Constitution est adoptée. Après la mise en place du Parlement, un premier ministre est élu.

► À écouter :Tchad: ils racontent l'indépendance

Pendant ce temps, les discussions avec la France pour préparer l’indépendance se poursuivent pour aboutir à la proclamation de l’indépendance le 11 août 1960 par François Tombalbaye, qui représente la majorité parlementaire de l’époque. Il écarte rapidement Gabriel Lisette. Dès 1962, ne supportant pas le régime parlementaire, il change les règles du jeu. En septembre 1963, des leaders tels que Koulamallah, Jean Baptiste et Kerallah sont mis en prison. C'est le début des tensions qui aboutiront à la jacquerie de Mangalmé en 1965.

Côte d’Ivoire: la marche à reculons vers l’indépendance


Le Premier ministre de la Côte d'Ivoire, Felix Houphouet-Boigny en avril 1960.

Le Premier ministre de la Côte d'Ivoire, Felix Houphouet-Boigny en avril 1960.
 © Keystone-France / Gamma-Keystone via Getty Images

Colonisée par la France depuis le XIXe siècle, la Côte d’Ivoire accéda à l’indépendance le 7 août 1960, sous l’égide de son leader historique Félix Houphouët-Boigny, qui deviendra le premier président du pays. Considéré comme l’homme de la France en Afrique, ce dernier conduisit une politique de coopération étroite avec l’ancienne puissance coloniale, arrimant son pays solidement au bloc occidental. 

La colonie française de la Côte d’Ivoire est officiellement née le 10 mars 1893. Son premier administrateur était un certain Louis-Gustave Binger, un officier de marine, qui était passé par Dakar où il avait servi comme officier d’ordonnance du général Faidherbe. L’homme s’était également distingué par ses missions de reconnaissance des territoires inconnus de la boucle du Niger. Il donnera son nom à la deuxième capitale de la Côte d’Ivoire, Bingerville, qui supplanta Bassam en 1900, avant de céder à son tour sa place de première ville du pays à Abidjan, en 1934.

Conquête et pacification

Les Français avaient été présents dans les régions côtières du golfe de Guinée dès le XVIIe siècle. L’établissement du premier comptoir français à Assinie, situé à l’est d’Abidjan, date de 1687, mais c’est seulement au XIXe siècle que la présence française devint significative avec la création de comptoirs notamment à Grand-Bassam (1842) et à Dabou (1853). Cependant, lors de la constitution du territoire ivoirien en colonie française en 1893, Paris n’avait pas tout à fait le contrôle sur l’ensemble de l’espace ivoirien. 

Bien implantés dans le sud-est du pays, les Français se heurtèrent dans les premières années de la colonisation à de nombreuses résistances, en particulier dans les savanes islamisées du Nord où ils firent face aux troupes du redoutable Samory Touré. À l’issue d’une longue traque, le chef militaire et religieux fut finalement défait en 1898, capturé et déporté au Gabon où il mourut en captivité. La conquête de tout le territoire, rattaché à l’Afrique occidentale française (AOF) en 1905, aboutit très progressivement.

D’après les historiens de la colonisation, les résistances à la conquête furent nombreuses et prirent des formes diverses allant de la révolte à l’insubordination, en passant par la soustraction au travail et à l’impôt. « La conquête de ce qui deviendra la Côte d’Ivoire, écrit l’historien Fabio Vitti dans Cahier d’études africaines (1)a été, de par la résistance rencontrée, l’une des plus longues et sanglantes que la colonisation française ait eu à affronter en Afrique de l’Ouest. »

► À écouter aussi : Côte d’Ivoire: les opérations de renommage des rues d’Abidjan font-elles réfléchir les riverains ?

Mise en valeur des ressources ivoiriennes

En 1915, la pacification de la colonie est considérée comme à peu près achevée. C’est le début de l’exploitation de ses innombrables ressources naturelles dont la mise en valeur était assurée par quelques grandes compagnies. Les infrastructures furent construites pour permettre l’évacuation des produits d’exportation : café, cacao, bois, caoutchouc, huile de palme…

Dès 1904, la puissance occupante lança la construction d’un chemin de fer qui relia la côte Atlantique à Bouaké au centre du pays (dès 1912), puis à Bobo-Dioulasso, au sud du Burkina actuel (à partir de 1933). Les travaux d’aménagement du port d’Abidjan furent également engagés dès les premières années.

Fondée sur une économie de plantation, le développement rapide de la colonie pendant la période de l’entre-deux-guerres fit de ce pays le territoire le plus prospère de l’AOF. Ce développement profitait avant tout aux colons européens qui détenaient les rênes de l’économie et dictaient leurs lois à la métropole. Le développement permit aussi l’enrichissement d’une poignée de planteurs noirs qui avaient fondé leur prospérité sur le café et le cacao. Face sombre du développement, le travail forcé auquel était soumise la population autochtone, doublé de brutalités, de sévices et ségrégation raciale, avec une administration trop souvent complice de ces crimes. 

Discriminations et privilèges

Il va falloir attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que la politique coloniale française évolue. Le signal du changement fut donné par la Conférence de Brazzaville organisée en 1944 à l’initiative du général de Gaulle. La Conférence accepta le principe de l’admission à la citoyenneté de tous les Africains et reconnut la nécessité de donner aux colonisés une plus grande voix dans la gestion politique de leurs pays.

Sur le terrain, en Côte d’Ivoire, encouragés par l’esprit nouveau qui soufflait sur l’administration, les planteurs africains créèrent en 1944 un syndicat agricole africain (SAA), avec pour objectif de mettre un terme aux discriminations économiques dont les paysans noirs étaient victimes. Pendant la guerre, les planteurs locaux avaient aussi vu leur production chuter, faute de main d’œuvre d’une part et à cause, d’autre part, des diverses astreintes auxquelles ils étaient soumis contrairement à leurs homologues métropolitains. Le travail forcé en vertu duquel les autochtones, y compris les planteurs, étaient obligés de quitter leur plantation pour aller travailler dans des plantations européennes était devenu la véritable plaie de la Côte d’Ivoire coloniale.

C’est en tant que président du SAA que Félix Houphouët, qui ne s’appelait pas encore Boigny, entra dans l’arène ivoirienne en 1944. Issu d’une riche famille de propriétaires terriens, le quadragénaire engagea immédiatement l’épreuve de force avec le camp puissant des colons. Au sein du SAA, il militait pour les droits des planteurs autochtones, mais aussi pour les droits des ouvriers agricoles humiliés par les pratiques abusives des colons.

Conscient de la complexité des rapports de force, Houphouët déplaça rapidement la bataille sur le terrain politique en se faisant élire à la fin de la guerre à l’Assemblée nationale à Paris. Il fit voter en 1946 la loi qui abolit le travail forcé dans les territoires d’outre-mer et qui porte son nom. Acclamé par son peuple qui lui conféra le titre de « Boigny » (« bélier » en baoulé), Houphouët le Bélier fonda alors son propre parti, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et prit la tête du Rassemblement démocratique africain (RDA), un mouvement anticolonial panafricain, affilié au Parti communiste français.

Vers l’indépendance « sans Cha Cha »

Désormais, l’histoire de la Côte d’Ivoire va se confondre totalement avec celle d’Houphouët-Boigny, même si les années 1950 verront ce dernier prendre ses distances par rapport aux luttes anticolonialistes de sa jeunesse. En 1951, le leader ivoirien rompt les amarres avec les communistes, choisissant de s’allier un temps avec la gauche modérée de la métropole représentée par le tandem René Pleven et François Mitterrand, avant de s’affirmer comme un pilier du gaullisme, à la faveur du retour du général de Gaulle aux affaires en 1958.

Calculs ou revirement idéologique sincère ? Difficile de répondre. Toujours est-il que cette fidélité exemplaire fut récompensée, avec la cooptation de l’Ivoirien dans tous les gouvernements français sans interruption entre 1956 et 1959. Cela faisait dire à l’intéressé lui-même, comme le rapporte le journaliste français Thomas Hofnung : « J’étais pris en otage, car chaque président du Conseil qui passait me laissait à son successeur » (2).

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Ces positions d’influence dans la plus haute sphère politique française permirent à Houphouët-Boigny de participer à l’élaboration des réformes qui aboutirent à la décolonisation. Selon les historiens, le président ivoirien ne voulait pas de cette indépendance pour la Côte d’Ivoire, du moins pas en 1960, estimant que son pays n’était pas prêt. « Son idéal était l’arrimage définitif de la Côte-d’Ivoire à la France », écrit Marcel Amondji, auteur d’une biographie critique du leader ivoirien (3). Houphouët fut en effet un ardent défenseur de la Communauté franco-africaine, projet mort-né d’une union entre la France et ses ex-colonies d’Afrique francophone, qui tomba définitivement à l’eau avec le « non » retentissant de la Guinée de Sékou Touré en 1958.

Ainsi, le 7 août 1960, la Côte d’Ivoire entra à son tour dans l’ère des indépendances sans que son leader historique Félix Houphouët Boigny l’ait vraiment souhaitée. Mais tout au long de sa longue présidence à la tête de son pays (1960-1993), l’Ivoirien restera fidèle à sa vision « françafricaine », jouant le jeu de la continuité et de l’alliance avec l’ancienne puissance coloniale. Il conduisit une politique de coopération étroite avec la France, permettant aux entreprises métropolitaines de contrôler une grande partie de l’économie. Avec 40 000 ressortissants résidant en Côte d’Ivoire au début des années 1980, la communauté française était la plus importante de l’Afrique. Longtemps après l’indépendance, les administrations ivoiriennes ont continué d’être gérées par des cadres et des coopérants venus de France. Jusqu’à la fin du règne d’Houphouët, la présidence elle-même comptait deux Français parmi les plus proches collaborateurs du président.

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Sur le plan géopolitique également, Abidjan était la pièce maîtresse du dispositif diplomatique pour l’affirmation par la France de sa prééminence tant en Afrique que dans les organisations multilatérales. Les liens d’Houphouët furent si étroits avec les dirigeants français, en particulier avec la cellule africaine de l’Élysée, sous notamment Jacques Foccart, le célèbre « Monsieur Afrique » des présidents français, que des observateurs se sont parfois demandé si le « Vieux » n’avait pas plus d’influence sur ses interlocuteurs du bord de la Seine qu’eux sur lui. Dans ces conditions, comment s’étonner que le terme « Françafrique » ait été inventé quelque part entre Abidjan et le village natal de l’ex-président ivoirien, Yamoussoukro ?

(1) Les massacres de Diapé et de Makoundié (Côte d’Ivoire, juin 1910), Fabio Vitti, in Cahier d’études africaines, n° 225, 2017

(2) La crise en Côte d’Ivoire, Thomas Hofnung, éditions La Découverte, 2005

(3) Félix Houphouët et la Côte-d’Ivoire : l’envers d’une légende, Marcel Amondji, éditions Karthala, 1984

Côte d’Ivoire : indépendance et après en 5 dates

7 août 1960 : Proclamation de l’indépendance de la République de Côte d’Ivoire.

20 septembre 1960 : Admission de la Côte d’Ivoire à l’ONU.

3 novembre 1960 : Promulgation de la Constitution qui établit un régime de type présidentiel.

27 novembre 1960 : Élection de Félix Houphouët-Boigny à la présidence de la République. Il instaure un régime de parti unique avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Il sera réélu en 1965, 1970, 1975, 1980, 1985 et 1990.

24 avril 1961 : Signature d’un traité de coopération entre la Côte d’Ivoire et la France. Ce traité comporte plusieurs volets : économique, monétaire, financier, éducatif et culturel. Les deux pays signeront le 24 avril 1962 un accord de défense et d’assistance militaire et technique.

Le 5 août 1960, la Haute-Volta, future Burkina Faso, devient indépendante

La ratification de l'indépendance de la Haute-Volta entre Louis Jacquinot et Maurice Yaméogo le 4 août 1960.
La ratification de l'indépendance de la Haute-Volta entre Louis Jacquinot et Maurice Yaméogo le 4 août 1960. Domaine public

Le 5 août 1960, Maurice Yaméogo proclame l'indépendance de la Haute-Volta à la radiodiffusion nationale.  Les Africains prennent les rênes du pouvoir. La population qui ne bénéficie pas des mêmes droits que les colons français accueille ce jour avec soulagement. 

Démantelée en 1932 pour fournir de la main d’œuvre aux colonies voisines (Soudan français actuel Mali, Niger, Côte d'Ivoire), la Haute-Volta est reconstituée en 1947 avec les droits acquis des colonies françaises d'Afrique dont la représentation nationale. La Haute-Volta, territoire pauvre, ne bénéficie alors d'aucune politique de mise en valeur. En mars 1957, la nouvelle Assemblée territoriale est élue au suffrage universel. Elle désigne un gouvernement de douze membres présidé par Ouezzin Coulibaly, l'un des grands leaders africains, mort en 1958.

Le 28 septembre 1958, la Haute-Volta répond « oui » au référendum proposé par le général de Gaulle. Elle devient donc une République autonome le 11 décembre 1958, au sein de la Communauté fondée par de Gaulle. Maurice Yaméogo s'impose comme le chef du gouvernement. En mars 1959, le pays se retire du projet de Fédération du Mali qui réunissait la Haute-Volta, le Soudan français, le Dahomey et le Sénégal. Elle adhèrera deux mois plus tard au Conseil de l'entente ( Niger, Dahomey actuel Bénin, Côte d'Ivoire) mené par l'Ivoirien Félix Houphouët-Boigny. 

► À (ré)écouter : Mémoire d'un continent : 5 août 1960 : indépendance de la Haute-Volta

Le 11 décembre 1959, un an après la naissance de la République de Haute-Volta, Maurice Yaméogo dans un discours, marque son attachement aux symboles et aux emblèmes de la jeune République et notamment aux trois couleurs de son drapeau (noir, blanc, rouge) qui sont celles des trois affluents du fleuve Volta, les Volta noire, blanche et rouge.

Le 5 août 1960, entouré des présidents du Dahomey, Hubert Maga, du Niger, Hamani Diori et de la Côte d'Ivoire, avec Félix Houphouët-Boigny, Maurice Yaméogo, sur les ondes de la radio nationale s'adresse à ses concitoyens : « Aujourd’hui, 5 août 1960, à zéro heure, au nom du droit naturel de l’homme à la liberté, à l’égalité, à la fraternité, je proclame solennellement l’indépendance de la République de Haute-Volta. Neuf siècles d’histoire ont révélé au monde la valeur morale de l’homme voltaïque. Au nom de cette morale à partir de laquelle nous voulons bâtir notre nation, j’exprime ma profonde reconnaissance à tous les artisans de notre indépendance nationale ». Maurice Yaméogo, 39 ans, entre dans l'histoire à jamais. En décembre 1960, il est confirmé à la tête du pouvoir par une Assemblée nationale composée majoritairement de membres du Rassemblement Démocratique Africain (R.D.A.), parti unique.

Le pays est admis à l'ONU en septembre 1960. 

À l’indépendance, l'opposition est rendue muette dans le pays. Maurice Yaméogo met petit à petit en place un pouvoir personnel. De nombreux opposants sont arrêtés, les concurrents écartés grâce à des nominations à des postes de prestige. Son train de vie (voyage coûteux), sa vie privée (répudiation de sa première épouse) et sa politique d'austérité (diminution des salaires des fonctionnaires, augmentation des impôts…) provoquent des remous de plus en plus importants. La population ne voit pas venir les bénéfices de l'indépendance.

En avril 1961, Maurice Yaméogo se rend en France pour signer les accords de coopération.  Et celui qui avait remercié le général de Gaulle pour son « courage » et sa « magnifique lucidité » prend ses distances en refusant d'accorder des bases militaires à la France. Maurice Yaméogo ne souhaite pas hypothéquer en permanence sa sécurité extérieure par l'intégration explicite ou implicite à un bloc militaire. Toutefois, la plupart des décisions prises, surtout en ce qui concerne les questions budgétaires, les questions économiques, restent très influencées par les décisions des assistants techniques français.

En janvier 1966, un soulèvement populaire sous l’impulsion des syndicats voit le jour, l'armée prend le pouvoir. Le général Sangoulé Lamizana devient président. Il restera près de 15 ans à la tête du pays.

Le 4 août 1984, Thomas Sankara renomme la Haute-Volta en Burkina-Faso, le « pays des hommes intègres ». Le drapeau et l’hymne changent. 

Le 4 août 1984, Thomas Sankara rebaptisait la Haute-Volta en Burkina Faso

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Mis à jour le 04 août 2021 à 13h56
Thomas Sankara, ex-président du Burkina Faso, le 7 février 1986 à Paris.

Thomas Sankara, ex-président du Burkina Faso, le 7 février 1986 à Paris. © Pascal George/AFP

Il y a 37 ans, Thomas Sankara renommait l’ancienne Haute-Volta en Burkina-Faso, le Pays des hommes intègres. Un changement de nom officiel et très symbolique, destiné à rompre avec le passé colonial et à concrétiser les objectifs de la révolution sankariste.

En vertu d’une ordonnance du 2 août 1984, le capitaine Thomas Sankara, désireux de faire table rase du « passé réactionnaire et néocolonial », rebaptise la Haute-Volta en République démocratique et populaire du Bourkina Fâso (orthographe originelle). Le premier mot signifie « homme intègre » en langue mooré et le second « terre natale » en dioula, soit « le pays des hommes intègres ». Ses sept millions d’habitants ne sont plus des Voltaïques mais des Bourkinabè.

Le drapeau de l’ancienne Haute-Volta, composé de trois bandes noire, blanche et rouge, est aussi remplacé. Le nouvel étendard national est désormais composé de deux bandes horizontales rouge et verte, frappées d’une étoile jaune à cinq branches. Le tout représentant respectivement les idéaux de révolution, de travail de la terre, et d’espérance.

Autre transformation : l’hymne national. La chanson Volta laisse la place au Ditanie, ou « chant de la victoire ». La devise nationale est elle aussi modifiée, passant de « Unité-travail-justice » à « La patrie ou la mort, nous vaincrons ».

Sankara à la guitare

Ce changement de nom de l’ancienne colonie française est célébré deux jours plus tard, le 4 août, jour du premier anniversaire de la révolution de Thomas Sankara. Ce jour-là, le Conseil national révolutionnaire (CNR) organise des festivités dans tout le pays en l’honneur du nouveau Bourkina Fâso. Outre les cérémonies officielles, des matchs de football et de boxe, ainsi qu’une course cycliste, sont organisés.

À Ouagadougou, les festivités sont menées par le capitaine Sankara en personne. Le jeune leader de 36 ans, qui a pris le pouvoir avec un groupe d’officiers un an plus tôt, jubile. Au petit matin du 4 août, après une nuit de fête avec une vingtaine de proches dans son quartier général, il attrape une guitare dont il commence à gratter les cordes. Un de ses ministres et un sergent-chef lui emboîtent le pas. Le petit groupe tire l’assemblée de sa somnolence.

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IL FALLAIT PRENDRE DES INITIATIVES AUDACIEUSES ET RADICALES »

Parmi les convives, un invité de marque : le président ghanéen John Jerry Rawlings, dont les grandes lunettes sombres ne masquent pas l’étonnement face aux talents cachés de son hôte. Comme l’écrit Mohamed Selhami, alors envoyé spécial de Jeune Afrique, « la révolution n’est pas seulement cette chose qui immobilise l’esprit, elle sait aussi l’égayer, surtout lorsque Thomas Sankara s’en occupe ».

« Effacer les traces du colonialisme »

Muni de son inséparable revolver incrusté d’argent et d’ivoire, le capitaine anti-impérialiste expliquera à notre ancien collaborateur avoir changé le nom de son pays « pour mieux appliquer notre conception révolutionnaire ». Selon lui, « il fallait prendre des initiatives audacieuses et radicales, entre autres effacer les traces du colonialisme. À commencer par l’appellation donnée par celui-ci à notre pays. Le nom Haute-Volta ne répondait ni à des critères géographiques ni à des critères sociologiques ou culturels ».

Trente ans plus tard, le Burkina Faso reste connu dans le monde entier comme le « Pays des hommes intègres ». Le capitaine Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987 dans des circonstances troubles, est lui devenu une légende, adulé bien au delà des frontières de l’ancien berceau de la révolution sankariste.

Lire l’article de Mohamed Selhami, paru dans le Jeune Afrique n°1232-1233, paru entre le 15 et le 22 août 1984 :

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Cet article a initialement été publié sur jeuneafrique.com en juillet 2014.