En Algérie, la bataille du Haut Sebaou, l’« Alésia kabyle »
Malgré sa supériorité militaire, la France coloniale de Napoléon III eut bien du mal à venir à bout de la résistance kabyle, menée en Algérie par Lalla Fatma N’Soumer, en 1854.
Ces batailles où l’Afrique a triomphé des colons : Anoual, El Herri, Haut Sebaou, Adoua….
« Des adversaires dignes de nous »
Si Napoléon III avoue son inquiétude en même temps que son soulagement, c’est parce qu’il était prévu que la « soumission » des tribus
ous avions eu, dans ces divers combats, environ neuf cents officiers et soldats tués ou blessés. Si l’on rapproche ces pertes de l’effectif général dans les deux divisions, on reconnaîtra que, dans les luttes contre les Kabyles, nos soldats avaient trouvé des adversaires dignes d’eux. »
L’expédition obéit à une logique coloniale expansionniste, qui prévaut depuis le début de la conquête de l’Algérie, en 1830. Elle survient dans des circonstances particulières, la guerre de Crimée mobilisant les troupes françaises. Comme le relève Randon, « c’était la première fois que les tirailleurs allaient quitter le sol d’Algérie, laissant derrière eux leurs femmes et leurs enfants ».
Avec moins de militaires sur le sol algérien naît une crainte : « Les mesures qui avaient été prises pour prévenir tout principe d’agitation dans le pays arabe n’avaient d’action que sur les tribus dont la soumission était effective. Or les tribus kabyles du Haut Sebaou n’étaient pas dans ce cas ».
Chérif Boubaghla
Les inquiétudes françaises se concentrent autour de la personne du chérif Boubaghla. Depuis 1849, ce dernier prêche la guerre sainte contre l’envahisseur. Dans la guerre de Crimée, la France s’est engagée aux côtés de l’empire ottoman contre l’empire russe, mais le chérif l’accuse de vouloir renverser le sultan. Son discours convainc un auditoire grandissant. Les 300 cavaliers et les centaines de fantassins placés sous les ordres du bachagha (titre donné à des dignitaires de l’administration coloniale) Belkacem Oukaci entre Bougie (Béjaïa) et Dellys ne suffisent pas à maintenir l’ordre.
La crainte d’un embrasement qui gagnerait toute l’Algérie pousse Randon à envoyer en renfort le capitaine Charles Wolff, chef du bureau arabe d’Alger. Le 7 avril 1854, 50 spahis, 300 cavaliers et 2 500 fantassins kabyles attaquent Azazga, où se trouve le chérif Boubaghla. Malgré la supériorité numérique française, l’assaut dure jusqu’au 3 mai. Boubaghla, gravement blessé à la tête, se place sous la protection de deux puissantes tribus, les Aït Djennad et les Aït Idjer.
La percée de Mac Mahon
Débute alors, à la fin de mai, la bataille du Haut Sebaou, dont le nom vient du fleuve Sebaou, long de 97 kilomètres, qui part de l’actuelle wilaya de Tizi-Ouzou et débouche sur la Méditerranée. Les forces militaires françaises sont démultipliées. Deux divisions sont engagées : l’une, menée par le général Patrice de Mac Mahon, futur président de la République française, forte de 5 167 hommes ; l’autre, sous les ordres du général Jacques Camou, compte 6 570 hommes.
La division Camou progresse dans des villages vidés de leurs habitants. Toutes les défenses des Aït Djennad sont concentrées sur la crête de la montagne, au village d’Aghribs, fortifié à la fois par les résistants, qui ont dressé des murs en pierre sèche, et par la nature, les épaisses haies et les chemins boisés faisant barrage. Mais, face à une division plus nombreuse et mieux armée, les 3 000 combattants kabyles ne suffiront pas. De son côté, Mac Mahon marque des points sur les Aït Hocein, et, la victoire acquise, des incendies de villages se succèdent afin d’obtenir la reddition des résistants et des familles alliées. C’est chose faite le 6 juin.
Montagnes du Djurdjura
La deuxième partie de la conquête vise les autres protecteurs du chérif Boubaghla, le clan Aït Idjer. Contre toute attente, et plutôt que de marcher en direction de la tribu, le général Randon décide que ses troupes bifurqueront à l’opposé, vers les montagnes du Djurdjura. Vierge de toute présence coloniale, le territoire et son peuple impressionnent l’officier français : « C’est la première fois que l’on découvrait ainsi le cœur de la Kabylie, et l’on ne pouvait se défendre d’une pensée de recueillement en songeant aux difficultés considérables qu’offrait la conquête de cette contrée, aussi bien défendue par la nature que par le courage de ses habitants. »
L’effet de surprise fonctionne, et, le 16 juin, à Aït Hichem, l’armée française peut faire tonner 21 coups de canon pour célébrer, avec quelques jours d’avance, le 24e anniversaire de la prise d’Alger.
Les manifestations de joie de l’occupant sont prématurées. Le lendemain, plusieurs tribus kabyles, neutres jusque-là, s’allient pour encercler le village. Une série de combats commence, et une figure de la résistance émerge : Lalla Fatma N’Soumer (« Lalla » est une marque de respect due à son rang, « Soumer » est le nom du village d’où sa famille est originaire).
Avec son frère, Sidi Tahar, la jeune femme de la tribu des Aït Itsouragh recrute les Imseblen, des volontaires dont le devoir est de combattre jusqu’à la mort. La maraboute, âgée de 24 ans, a déjà montré sa force de caractère quatre ans plus tôt en refusant un mariage arrangé, ce qui lui a valu le surnom de Fatma N’Ouerdja.
Elle a suivi un enseignement normalement réservé aux hommes avec l’assentiment de son père, chef d’une école coranique. Sa piété se manifeste lors des méditations, et son éducation lui a ouvert la porte des cercles politiques kabyles, largement masculins. Dès 1849, elle s’est engagée dans la résistance aux côtés de son frère et, en 1854, s’est ralliée au chérif Boubaghla.
Coups d’éclat
À l’issue de combats acharnés, la bataille du Haut Sebaou se conclut par la soumission des Aït Idjer. L’ « Alésia kabyle », comme la surnomment certains, n’est que le début d’une guerre qui reprend presque aussitôt. Le chérif Boubaghla mourra à la fin de décembre 1854.
Devenue cheffe de la résistance, Lalla Fatma N’Soumer se bat sans relâche pendant trois ans. Des coups d’éclat qui ne peuvent contenir indéfiniment l’armée française, numériquement supérieure. La jeune femme est arrêtée le 11 juillet 1857. Son aura est telle que, le 27 juillet 1854, le Journal des débats politiques et littéraires la décrit comme « une espèce d’idole chinoise » et note que, « du moment où elle fut entre [les] mains [des Français], toute résistance cessa, et [leur] succès fut assuré ».
La Jeanne d’Arc kabyle
Emprisonnée puis placée en surveillance surveillée à Tablat, Lalla Fatma N’Soumer y décédera en 1863. Dans la culture populaire, ses faits d’armes l’inscrivent dans la lignée de la Kahina. Sa tombe devient un lieu de pèlerinage régional. Contes, poèmes et chants alimentent sa légende. Entre mythe et réalité, ceux-ci célèbrent celle que l’historien et islamologue français Louis Massignon surnommera « la Jeanne d’Arc du Djurdjura ». Dans Poésies populaires de Kabylie (1867), le général Adolphe Hanoteau cite entre autres celui-ci :
« Voici le chrétien qui franchit le col,
Avec son infanterie et ses goums,
Il nous a vaincus par la ruse,
Il nous a vaincus par ses munitions nombreuses
Et Fatma de Soumeur est sa prisonnière.
Ô mes yeux, pleurez des larmes de sang ! »
La reconnaissance de l’État algérien viendra bien plus tard. La dépouille de Lalla Fatma N’Soumer sera transportée, en 1995, au Carré des martyrs, au cimetière d’El-Alia, à Alger. Le peuple, lui, ne l’a jamais oubliée. Quand il s’est soulevé, lors du Hirak, son nom a été scandé par des manifestantes pour invoquer l’esprit, toujours vivace, de la moudjahida.
JO Paris 1924
JO de Paris 1924 : il y a un siècle, les derniers Jeux de Coubertin
Grand format
Pour la troisième fois de son histoire, la capitale française s’apprête à accueillir les Jeux olympiques. Un an avant Paris 2024, La Croix L’Hebdo fait un bond cent ans en arrière, au cœur des Jeux de 1924.
Benjamin Bousquet,
Accoudé au comptoir de La Belle Époque, à Colombes, Moussa scrute la télévision. BFMTV retransmet, ce matin d’avril, un déplacement de la ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra, venue inaugurer la première partie du futur lieu de résidence des athlètes des Jeux olympiques de 2024 à Paris. Moussa n’est pas indifférent au sujet mais ne peut s’empêcher une certaine forme de cynisme. « Ils nous font croire qu’ils ne sont pas en retard dans les travaux », pouffe-t-il.
Peu enclin à défendre la tenue des prochains Jeux dans la capitale, il estime que tout cela « va coûter des milliards et que les athlètes préféreront aller à l’hôtel ». Ce fan inconditionnel de sport semble loin de se douter qu’un siècle plus tôt, c’est à quelques dizaines de mètres de là que se dressait le premier village olympique de l’histoire, à l’époque sans grandes fioritures. Il avait été construit pour les Jeux de 1924.
Jeux Olympiques d'été de 1924 à Paris. Entrée du village olympique. / TopFoto / Roger-Viollet
Une soixantaine de maisons en bois, avec l’eau courante – privilège important partagé par seulement 15 % de la population –, un bureau de poste et un restaurant se chargent d’accueillir les athlètes venus du monde entier. Sommaires, les toilettes et salles de bains sont communes, les compétiteurs vivent dans une ambiance de dortoir où toutes les nations se côtoient et se mélangent. Joyeusement fébriles dans l’attente de la cérémonie d’ouverture.
Une « faveur exceptionnelle » pour Paris
Les Jeux de Paris vont débuter ce 5 juillet 1924, pour une vingtaine de jours. Un rendez-vous historique qui fut le fruit, pourtant, d’une bataille idéologique longue et haletante. « L’anecdote demeure méconnue mais en 1924, Amsterdam était largement favorite pour accueillir les Jeux, explique l’historien du sport Pierre Lagrue, spécialiste des Jeux olympiques. Pierre de Coubertin les voulait absolument à Paris et a mis sa démission dans la balance. Si la capitale française décrochait l’organisation, alors il passait la main. Ce qu’il a fait. »
Dans ses Mémoires olympiques, le baron Pierre de Coubertin justifiera sa démarche en des termes choisis : « Nul ne contestera au rénovateur des Jeux olympiques le droit de demander qu’une faveur exceptionnelle soit faite à sa ville natale, Paris, où fut préparée par ses soins, et solennellement proclamée, le 23 juin 1894, la reprise des Olympiades. Je veux donc, loyalement, vous prévenir, mes chers collègues, que lors de notre prochaine réunion, je ferai appel à vous afin qu’en cette grande circonstance vous me consentiez le sacrifice de vos préférences et de vos intérêts nationaux et que vous acceptiez d’attribuer la IXe Olympiade à Amsterdam et de proclamer Paris siège de la VIIIe. » Dès lors, Paris obtenait les Jeux de 1924, laissant à Amsterdam le soin d’organiser les suivants, quatre ans plus tard.
« En 1924, comme un siècle plus tard, les mêmes revendications se font entendre : les Jeux coûtent cher, à quoi bon ? »
Éric Monnin, docteur en sociologie, spécialiste de l’olympisme
Pourtant, la tenue des Jeux olympiques à Paris suscite des interrogations de la part des Parisiens eux-mêmes. Quand bien même cet événement puisse-t-il mettre en avant la Ville lumière, certains s’opposent jusqu’au jour même de la cérémonie. « Paris ne veut pas entendre parler des Jeux », rappelle Éric Monnin, docteur en sociologie des organisations et maître de conférences à l’université de Franche-Comté, spécialiste de l’olympisme. « Globalement, l’opinion publique ne perçoit pas la nécessité d’organiser des Jeux et le Comité olympique français va même jeter l’éponge à un moment donné. En 1924, comme un siècle plus tard, le même genre de revendications se fait entendre : les Jeux coûtent cher, à quoi bon ? », s’amuse le sociologue.
Un comité olympique « profondément politique »
Et pour cause, à l’été 1924, la question de la guerre est au cœur des discussions géopolitiques. « En 1919, le CIO se réunit et s’interroge sur la relance des Jeux », rappelle l’historien du sport Michel Merckel. La réponse sera donnée avec les Jeux interalliés, la même année, à Paris, qui auront alors une résonance mondiale. Une question subsistait néanmoins : devait-on intégrer les pays battus ? « Pierre de Coubertin a milité pour que l’Allemagne y figure, mais la majorité s’y est alors opposée, explique l’historien. L’Allemagne ne rejoindra les Jeux qu’en 1928, mais le message de Coubertin a été très clair dès le début : il voulait préserver la dignité des vaincus. »
En 1924, « six ans après la fin de la guerre, l’Allemagne n’est pas réintégrée. Cent ans après, avec le cas de la Russie, la situation est plus complexe. »
Lukas Aubin, directeur de recherche en géopolitique à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris)
Alors que les 44 délégations venues du monde entier s’apprêtent à arriver en France, le voisin allemand est absent. Ici s’ébauche la complexité du rôle géopolitique du CIO, parfois malgré lui. Directeur de recherche en géopolitique à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), Lukas Aubin le rappelle : le CIO « ne cesse de promouvoir un sport apolitique, alors qu’en réalité, il est profondément politique. L’exemple de 1924 est intéressant. Six ans après la fin de la guerre, l’Allemagne n’est pas réintégrée. Cent ans après, avec le cas de la Russie, la situation est plus complexe car la guerre perdure, explique le spécialiste. Le CIO est sans doute plus flexible qu’il y a un siècle, car on voit bien qu’il hésite. »
Fort heureusement pour Paris, qui pare progressivement ses rues et ses parcs de décorations multicolores, la géopolitique ne vient pas gâcher la fête. Prête à recevoir les Jeux, la capitale s’illumine et devient le centre du monde. Bien loin de ce qui s’est passé vingt-quatre ans plus tôt. En 1900, les Jeux, qualifiés alors par les organisateurs de l’Exposition universelle de « concours internationaux d’exercices physiques et de sports », auront du mal à se faire un nom. Le caractère olympique des épreuves sera peu mis en valeur et certains spectateurs et athlètes eux-mêmes n’ont d’ailleurs pas réalisé qu’ils ont assisté ou participé aux Jeux olympiques.
L’amateurisme prévaut encore
En 1924, radical changement de tableau ! Les Jeux existent en leur propre nom. Si les budgets ont considérablement augmenté – quelque 15 millions d’anciens francs (soit environ 14,3 millions d’euros, en prenant en compte l’inflation, selon l’Insee) –, l’amateurisme prévaut encore sur plusieurs aspects. Il faut voir les mines déconfites des athlètes au moment de découvrir le stade de Colombes, reconstruit pour l’occasion…
Départ des athlètes olympiques, épreuve du 10 000 mètres, au stade de Colombes. / Bettmann Archive/Getty images
« Le stade de Colombes, quand il est achevé, n’est pas du tout à la hauteur des attentes et aux standards internationaux. Face au stade de Wembley en Angleterre, achevé quasi en même temps, il paraît bien pâle, avec ses tribunes non-couvertes », confirme Franck Delorme, architecte et historien au sein de la Cité de l’architecture et du patrimoine. Et pour cause, en 1924, « la France a un énorme retard sur la qualité et la dimension des équipements ».
Pas suffisant toutefois pour freiner les 40 000 privilégiés venus assister à la cérémonie d’ouverture. Les délégations pénètrent dans le stade par ordre alphabétique. L’Afrique du Sud en tête de peloton et la Yougoslavie pour conclure. Les trompettes sonnent, les canons résonnent. Un lâcher de pigeons, synonyme de paix entre les peuples, fait vibrer le stade. La montée du drapeau olympique au sommet du mât grave l’instant, sous le regard ébahi des spectateurs assis jusqu’au bord des pistes d’athlétisme. Toutes les musiques et les chorales exécutent ensemble la Marche héroïque de Saint-Saëns. Vient le temps de la prestation du serment olympique par le Français Géo André, médaillé en saut en hauteur en 1908 puis au 4 × 100 m en 1920.
« Une religion du sport »
Dans la tribune officielle, copieusement garnie, le prince de Galles, futur Édouard VIII, s’installe au côté du président Gaston Doumergue. Les chroniqueurs sportifs et mondains notent la présence de Carol II, prince héritier de Roumanie et son épouse, ainsi que du futur empereur Haïlé Sélassié Ier d’Éthiopie. Les athlètes arborent des uniformes élégants et forment un tableau sobre mais vivant de diversité culturelle, qui donne à cette cérémonie d’ouverture une allure solennelle.
Le baron Pierre de Coubertin, président du Comité International Olympique, le prince de Galles, le comte de Clary, président du Comité National Olympique Français, le baron de Blonay du Comité International Olympique Suisse et J. Sigfrid Edstroem du Comité International Olympique Suédois traversent le stade pour féliciter les athlètes lors des Jeux Olympiques de 1924 à Paris. / IOC Olympic Museum/Getty Images
La veille de la cérémonie, un grand nombre d’athlètes s’étaient rendus à la messe célébrée pour l’occasion, comme en témoigne La Croix dans son édition du 4 juillet 1924. Le préambule spirituel au grand raout sportif est alors un marqueur d’une filiation évidente entre l’olympisme et l’Église catholique. « L’Église a un lien historiquement fort avec le sport de par la nature même de celui-ci, occasion de croissance physique et intégrale de la personne », souligne Isabelle de Chatellus, la directrice du projet JO 2024 au sein de l’Église catholique.
En 1924, le catholicisme et le protestantisme sont majoritaires parmi les tenants de l’olympisme et des instances mondiales du sport. La tenue d’une grande messe ne relève nullement du hasard tant l’éducation catholique, au sein d’une famille conservatrice puis chez les pères jésuites, fait de Pierre de Coubertin un homme convaincu, désireux de créer une nouvelle forme de religiosité.
Pierre de Coubertin « est le promoteur d’une sorte de religion du sport, dans laquelle l’athlète occupe une place essentielle pour servir la paix sociale et internationale ».
Patrick Clastres, historien spécialiste de l’histoire du sport et de l’olympisme
« Il est le promoteur d’une sorte de religion du sport, dans laquelle l’athlète occupe une place essentielle pour servir la paix sociale et internationale », explique ainsi Patrick Clastres, historien spécialiste de l’histoire du sport et de l’olympisme à l’Université de Lausanne. « La création des Jeux modernes est le fruit de l’amitié entre deux chrétiens », rappelle-t-il. Pierre de Coubertin et le père Henri Didon – à qui nous devons la devise, reprise en 1924, « Citius, altius, fortius ! » (« plus vite, plus haut, plus fort ! ») – en étaient ainsi les précurseurs.
Il n’est donc pas étonnant de voir se dresser une aumônerie dans le premier village olympique de l’histoire. Exclusivement catholique en cet instant, elle s’ouvrira à toutes les grandes religions monothéistes par la suite.
Une médiatisation inédite
Le jour J, la presse est venue en nombre. Une nuée de photographes rivalisent de flashs, des reporters fiévreux assurent, pour la première fois de l’histoire, la retransmission en direct à la radio. Ce sont « les premiers (jeux) à connaître une audience importante, avec une couverture médiatique jamais vue et les épreuves commentées en direct grâce à l’arrivée de la TSF », estime l’historien du sport Pierre Lagrue. C’est ainsi sous les voix nasillardes et emphatiques des premiers commentateurs sportifs que les athlètes entament les compétitions devant un public conquis.
Déjà, la tenue des sportifs, qui évoluera au fil des époques, raconte une histoire. Les shorts longs et larges des sprinteurs ne leur facilitent pas la course. Ce qui n’empêche pas les « Finlandais volants » – surnom donné aux athlètes finlandais de l’entre-deux-guerres en raison de leur suprématie dans les épreuves de fond et de demi-fond –, de remporter huit titres olympiques et douze médailles au total.
Le public admire également les gestes gracieux des tenniswomen en robe ample, comme la Britannique Kitty McKane ou la Française Julie Vlasto, qui domptent un accoutrement pourtant peu adapté. Certains athlètes, américains notamment, popularisent la veste de sport, un blazer confortable au tissu léger qu’ils arborent le long des terrains pour échapper au froid avant de pénétrer sur la piste. Les crampons détachables liés aux semelles en cuir font leur apparition lors des épreuves de football et de rugby à XV.
Hazel Wightman et Helen Wills durant leur match de tennis contre Kitty McKane et Phyllis Howkins-Covell, le 19 juillet 1924. / Hulton Archive/Getty Images
Cette technologie de pointe n’empêche toutefois pas la pelouse du stade de se détériorer à chaque rencontre. Quelques jours avant le début officiel des Jeux, lors des matchs de qualification, la large victoire de l’équipe américaine de rugby contre l’équipe de France, sur le score de 17 à 3, sera d’ailleurs vécue comme une humiliation par le public français. Et débouchera sur une bataille rangée contre les spectateurs américains, laissant le soin aux jardiniers de récupérer ce qu’ils pourront de la pelouse du stade de Colombes.
Roger Ducret, la « gloire » française
Pour assister aux courses de natation, les spectateurs se ruent vers la piscine des Tourelles, où brille notamment Johnny Weissmuller. L’Américain d’origine hongroise avait réussi la prouesse d’être, deux ans auparavant, le premier nageur à passer sous la barre d’une minute aux 100 m, avec un temps de 58 secondes et 6 centièmes. Ses quatre médailles à Paris lui valent la une de toute la presse. L’athlète, qui éclabousse alors de sa classe le monde de la natation, prend goût à la célébrité. Si bien qu’il incarnera Tarzan à l’écran en 1932, un rôle qui est resté dans l’histoire du cinéma.
Le nageur américain John Weissmuller lors de l’épreuve de nage libre des Jeux Olympiques de Paris, en 1924. / akg-images / ullstein bild
Quelques curieux s’empressent également pour voir évoluer Richard Norris Williams. Le tennisman américain avait failli être amputé douze ans plus tôt, après avoir nagé dans l’eau gelée lors du naufrage du Titanic, le 15 avril 1912. Le rescapé étonne et séduit. Il ira jusqu’au bout de la légende en décrochant la médaille d’or du double mixte avec sa compatriote Hazel Wightman.
Au fur et à mesure que se déroulent les épreuves, le baron Pierre de Coubertin et le Comité d’organisation commencent à s’affoler. Qui sera le ou la Française à se démarquer pour assurer la place du sport français dans le panthéon mondial ? Heureusement surviennent les épreuves d’escrime. Le Français Roger Ducret écrase la compétition. Son niveau est tel que tous les concurrents s’inclinent rapidement face à la nouvelle égérie française.
En quelques jours, il conquiert le titre olympique en fleuret (individuel et par équipes) et en épée par équipes. Se « contentant » des médailles d’argent en épée (individuel) et au sabre (individuel), il devient l’athlète le plus médaillé des Jeux. La France et Pierre de Coubertin tiennent leur idole tricolore. L’ancien prisonnier de guerre de 1914-1918 sera proclamé « gloire du sport » – une distinction accordée chaque année aux sportifs jugés les plus légendaires – soixante-neuf ans plus tard, en 1993.
Roger Ducret, escrimeur et athlète le plus médaillé des Jeux de 1924. Il recevra en 1993, 69 ans plus tard, la distinction de « gloire du sport ». / Smith /Alamy/Hémis.fr
En marge des épreuves et du folklore des Jeux, les traces de la Première Guerre mondiale demeurent visibles. Les archives de la Bibliothèque nationale de France (BnF) ont conservé des centaines de lettres de veuves et de mutilés de la Grande guerre, quémandant de pouvoir vendre de la nourriture et des boissons près du stade. Livrés à eux-mêmes depuis la fin du conflit, ils cherchent, comme tant d’autres, à survivre.
Une atmosphère particulière marque d’ailleurs ces Jeux. Entre les deux guerres, l’antisémitisme semble gagner l’Europe. Certains sportifs, à l’instar du britannique Harold Abrahams, profitent des Jeux et de leur notoriété pour protester contre ce fléau. En remportant la mythique épreuve du 100 m, Abrahams inspirera, cinquante-sept ans plus tard, le célèbre film Les Chariots de feu, réalisé par Hugh Hudson (1981).
L’héritage de 1924 toujours présent
Gravité et futilité sont la marque d’un événement international aux multiples dimensions et qui concentrent (déjà !) des préoccupations pour le moins diverses, sinon hétéroclites. Certains puristes s’étonnent par exemple de voir se dérouler une épreuve de tir aux pigeons avec des cibles d’argile. Le résultat d’une bataille idéologique menée vingt-quatre ans plus tôt, à Paris déjà, où certaines associations en faveur des animaux militaient pour l’arrêt du tir aux pigeons vivants.
Ce fut la première et seule fois dans l’histoire olympique où des animaux furent tués volontairement, provoquant la colère des premiers militants actifs en faveur de la protection des espèces. Anecdotique toutefois pour le sociologue Éric Monnin : « Le combat pour ne pas intégrer de pigeons vivants est cocasse, mais la question environnementale reste un épiphénomène en 1924, explique-t-il. À l’époque, on voulait surtout calquer les Jeux de l’Antiquité, en s’adressant aux bourgeois. »
Ne s’intéresser qu’à l’élite ou ouvrir les Jeux au plus grand nombre ? Paris s’interroge et s’imagine plus grand. « L’idée est de diffuser les Jeux jusqu’aux villes en bordure de Paris », rappelle l’architecte Franck Delorme. Versailles accueille des épreuves de tir, Argenteuil l’aviron, Saint-Cloud devient terre d’accueil des épreuves de polo. « En 1924, une réalité s’impose, explique-t-il, la ville de Paris ne peut pas accueillir les équipements intra-muros. »
Ainsi, vis-à-vis des étrangers et visiteurs du monde entier, les organisateurs restent discrets sur le fait que les épreuves ne se déroulent pas à Paris même. « Ce qui importait, c’était de savoir si les lieux étaient accessibles ou pas. On pense à un plus grand Paris, on perçoit bien qu’en l’état, il y a des entraves économiques. Il faut faciliter les échanges, les flux de personnes, de marchandises… », explique Franck Delorme.
Certains équipements de 1924 seront réutilisés en 2024, à l’instar du stade de Colombes, qui accueillera les épreuves de hockey sur gazon.
Au-delà d’étendre les Jeux en banlieue, la question d’assurer une longévité aux équipements sportifs se pose. « Les Jeux sont l’occasion de construire des enceintes sportives dont les villes étaient alors dépourvues », rappelle l’architecte. Aujourd’hui, l’héritage de 1924 est bien présent. Certains lieux seront d’ailleurs réutilisés en 2024, à l’instar du stade de Colombes, qui accueillera les épreuves de hockey sur gazon.
De retour à notre époque, Moussa, lui, songe à l’histoire passée et philosophe : « Peut-être que Paris ne devait pas recevoir à nouveau les Jeux, peut-être qu’elle devait… La question, c’est surtout de savoir si nos sportifs feront bonne figure. » S’il reste un an au Comité d’organisation et aux pouvoirs publics pour s’assurer de la bonne tenue des Jeux, les athlètes français, eux, sont prévenus : en 1924, la France se classait troisième au classement des médailles derrière les États-Unis et la Finlande, avec 38 médailles, dont 13 en or. Cent ans après, la marche est haute.
Pour aller plus loin
Des livres :
• Paris 2024. Un défi français
Défi sportif, économique, politique, social, environnemental, culturel et organisationnel : et si ces Jeux étaient l’occasion d’un New Deal, avec la promesse de s’extraire de la crise, toutes générations confondues, pour construire une société plus unie et plus solidaire ? Vincent Roger, délégué ministériel chargé de la grande cause nationale de 2024, en émet le souhait dans un livre très documenté.
L’Archipel, 288 p., 18 €
• Dieux des stades, as du ciel
René et Maryvonne Gaudart proposent une passionnante traversée du XXe siècle à travers le parcours de Géo André, célèbre athlète et porte-drapeau français lors des Jeux de 1924, et de son fils Jacques, aviateur et athlète de classe internationale. Les guerres mondiales, omniprésentes dans leurs vies, scindent des parcours aussi incroyables que résonnants.
Éd. JPO, 388 p., 24,35 €
Un reportage :
« Les JO de 1924 à Colombes : souvenirs de spectatrices »
En 2004, les journalistes Bertrand Lambert, Frédérique Bobin et Sonia Barie s’étaient entretenus avec d’anciens spectateurs des Jeux de 1924. Une spectatrice qui avait 9 ans à l’époque se rappelle être venue en famille écouter son père jouer L’Arlésienne devant 4 000 athlètes. Une autre se souvient avoir assisté à l’ouverture alors qu’elle avait 4 ans. À retrouver sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA).
C’est connu : la plupart du temps, l’histoire est écrite par les vainqueurs. Ce fut tout particulièrement le cas quand les puissances européennes colonisèrent l’Afrique. France, Espagne, Royaume-Uni, Italie produisirent chacun à leur manière des récits nationaux glorieux et élevèrent au rang de héros des bouchers engalonnés, n’hésitant pas à user et abuser de leur supériorité militaire pour massacrer des populations. Parfois même, ils turent la dimension martiale de la colonisation pour mettre en avant tantôt le progrès dont ils se pensaient porteurs, tantôt l’évangélisation qu’ils imaginaient nécessaire.
Fin de la domination
Fusils et canons contre poignards et sagaies, les victoires n’étaient pas toujours honorables mais que voulez-vous, c’est ce qu’il faut contre des sauvages ! Entre la fin du XVIIIe siècle et les années 1960, l’impérialisme européen parvint à assujettir par la force la plupart des peuples africains – exception faite de l’Éthiopie.
Les mouvements et les guerres d’indépendance mirent fin, au moins sur le papier, à cette domination. Par la négociation ou par la guerre, comme ce fut le cas en Algérie. De nouveaux récits nationaux furent écrits, où les résistances africaines avaient désormais droit de cité.
Connaît-on bien pour autant, aujourd’hui, les grandes victoires militaires remportées au Xe siècle et au début du XXe par les populations agressées ? Pas vraiment, et la littérature manque cruellement en la matière. Si nous nous intéressons aujourd’hui à sept grandes batailles où les Africains prirent, pour un temps, le dessus, c’est pour battre en brèche quelques idées reçues. Oui, il y eut dès le début des résistance fortes à l’oppression ; oui, il y avait sur le continent des armées capables d’en découdre avec l’envahisseur, même avec une technologie militaire et des armes moins efficaces.
Si les victoires d’Adoua (1896) et d’Isandhlwana (1879) sont connues, c’est moins le cas pour celles de Nsamankow (1824), du Haut Sebaou (1854), d’El Herri (1914) et d’Anoual (1921). Quant à celle de Vertières, le 18 novembre 1803, qui vit la défaite du général Donatien de Rochambeau, envoyé par Napoléon, face aux hommes de Jean-Jacques Dessalines, elle ne se passe bien entendu pas en Afrique, mais le symbole qu’elle représente est tellement important que nous ne pouvions pas la passer sous silence.
Haute-Volta: Thomas Sankara, l’icône panafricaine (1&2)
Publié le :
Thomas Sankara.
Il ne sera resté que quatre années à la tête du Burkina Faso (ex Haute-Volta) et pourtant, quatre décennies plus tard, ses compatriotes mais également la jeunesse africaine dans son écrasante majorité et même certains leaders sud-américains, le considèrent encore comme l’un des personnages les plus marquants de l’histoire du XXème siècle.
L’évocation de son seul nom suscite encore et toujours beaucoup de passion. Thomas Sankara est perçu comme le symbole de la lutte contre le néocolonialisme et le défenseur de l’authenticité, la vraie.
Hymne algérien: le troisième couplet, évoquant la colonisation française, ne passe pas à Paris
Le président Abdelmadjid Tebboune a rétabli par décret le troisième couplet du Kassaman l'hymne national algérien. Ce couplet qui évoque la colonisation française est qualifié d’anti-français. Catherine Colonna, la ministre française des Affaires étrangères, a estimé vendredi soir 17 juin que cette décision pouvait « apparaître à contre-temps » et qu’il fallait replacer l’hymne « dans son contexte de la décolonisation ».
Un décret présidentiel datant de mai dernier impose l’exécution du Kassaman, l’hymne national algérien, dans son intégralité lors de commémorations officielles en présence du président de la République.
Écrit par le poète Moufdi Zakaria durant la guerre d’indépendance (1954-1962), l’hymne national d’Algérie, adopté en 1963, compte cinq couplets. Le troisième couplet cite la France : « Ô France ! Le temps des palabres est révolu. Nous l’avons clos comme on ferme un livre. Ô France ! Voici venu le temps où il te faut rendre des comptes. Prépare-toi ! Voici notre réponse. Le verdict, notre révolution le rendra car nous avons décidé que l'Algérie vivra. »
Ce troisième couplet n'a jamais été supprimé malgré des tentatives comme durant la présidence de Chadli Benjedid. Dans un décret de mars 1986, un article stipulait qu'il « peut être procédé à l'exécution de l'hymne national dans des circonstances ou situations spécifiques, dans sa version intégrale ou réduite », rappelle TSA. Ce décret n'avait « pas fixé clairement » quand l'hymne national pouvait être exécuté dans sa version intégrale ou expurgé du couplet anti-français. « Ce nouveau décret est en somme une manière de formaliser les choses », estime le site d'information, observant que « dans la pratique, l'exécution du couplet citant la France a été rétablie depuis quelques années ». « Il a été notamment exécuté lors de la cérémonie d'investiture du président Abdelmadjid Tebboune le 19 décembre 2019 », rappelle TSA.
La cheffe de la diplomatie française a estimé qu'un décret étendant l'utilisation d'un couplet évoquant la France coloniale dans l'hymne national de l'Algérie pouvait « apparaître à contre-temps » au moment où les deux pays s'efforcent de donner un nouvel élan à leur relation.
Ce nouveau décret présidentiel pris en mai est venu modifier celui de 1986. « Sa teneur peut être interprétée comme une manière (...) de rendre obligatoire l'exécution des cinq couplets dans les situations prévues par la loi », a expliqué cette semaine TSA. Interrogée sur LCI vendredi soir, Catherine Colonna a souligné que c'était « très daté » et qu'il fallait replacer « cela dans son contexte de la décolonisation ».
Mais elle a aussi souligné qu'elle s'interrogeait sur « la décision d'étendre l'usage d'un hymne qui date d'une autre époque au moment même où le président de la République Emmanuel Macron et le président (algérien Abdelmadjid) Tebboune ont décidé, à l'été dernier, de donner un nouvel élan à nos relations ».
Une visite du président Tebboune était annoncée en France en mai -en réponse à celle d'Emmanuel Macronà Alger l'an dernier,visite reportée à juin, puis sine die car l'embellie s'est ennuagée. Alger voit d'un mauvais œil les récentes mises en cause de l'accord migratoire franco-algérien dans le projet de loi des Républicains, dans les déclarations d'Edouard Philippe et dans le nouveau livre de l'ancien ambassadeur de France en Algérie,Xavier Driencourt.
Vers une renégociation d'un accord sur l’immigration avec l'Algérie?
L'ancien Premier ministre d'Emmanuel Macron, Édouard Philippe, prône une renégociation d'un accord de 1968 avec l'Algérie sur les sujets migratoires, position relayée par d'autres responsables de droite au moment où le sujet de l'immigration est de nouveau au centre du débat politique français. Cette proposition, qui pourrait de nouveau tendre les relations délicates entre Paris et Alger, refait surface alors qu'une visite du président algérien est prévue prochainement, même si les dates n'ont pas encore été fixées.
L'accord de 1968 organise l'entrée, le séjour et l'emploi des Algériens en France, selon des règles dérogatoires au droit commun. Sur certains points, les Algériens sont favorisés par rapport aux autres étrangers (notamment en matière de regroupement familial), sur d'autres, ils sont perdants (notamment pour les étudiants).
Dans une note publiée fin mai pour le centre de réflexion libéral Fondation pour l'innovation politique, l'ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt appelle également à la dénonciation de cet accord. Le président de droite du Sénat Gérard Larcher s'est également dit favorable à un réexamen, au moment où la majorité présidentielle veut essayer de trouver un compromis avec la droite pour un énième projet de loi sur l'immigration.
Les déclarations d'Édouard Philippe ont suscité de nombreuses critiques dans la presse algérienne. Interrogé jeudi 8 juin, le ministère français des Affaires étrangères s'est borné à dire que « l'accord de 1968 et, de façon générale, la coopération et les échanges entre nos deux pays, font évidemment l'objet d'un dialogue régulier avec nos partenaires algériens ». La France a délivré 600 000 « certificats de résidence » pour des Algériens en 2022, selon la statistique publique.