Histoire

La Tunisie et l’Afrique, une si longue histoire

Africaine, la Tunisie ? Les propos polémiques que son président, Kaïs Saïed, a tenus le 21 février ont pu semer le doute. Sa géographie, son histoire, sa culture et ses valeurs disent pourtant, et sans équivoque, son africanité.

Par  - à Tunis
Mis à jour le 11 mars 2023 à 11:03

 
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L’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny accueille son pair tunisien Habib Bourguiba à Abidjan, en décembre 1965. © Archives Jeune Afriqu

 

Même si la récente polémique née des propos du président Kaïs Saïed peut amener à s’interroger sur l’africanité de la Tunisie, cette question n’en est pas vraiment une. Car non seulement la Tunisie est géographiquement située en Afrique mais elle a donné son nom au continent. Les Romains n’appelaient-ils pas, déjà, ce territoire « Ifriquiya » ?

Et la proximité n’est pas seulement géographique, elle est aussi – et a toujours été – culturelle. L’archéologie démontre que des échanges existaient entre le nord et le sud du Sahara dès le Néolithique : certains artéfacts, comme la céramique, portent l’empreinte d’une influence saharienne. Quelques siècles plus tard, le navigateur carthaginois Hannon entreprit un périple le long de la côte ouest de l’Afrique jusqu’au golfe de Guinée, selon les récits d’explorateurs grecs.

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Certaines traditions tunisiennes sont très clairement imprégnées de réminiscences africaines. On songe, par exemple, à la légende de Bou Saadia, ce roi du Mali qui ne cesse de chercher sa fille, Saadia, en errant au rythme des tambourins et des crotales. Il emprunte les routes caravanières pour faire du commerce mais aussi pour se livrer à la traite négrière organisée pour le compte, entre autres, de l’Empire ottoman. Une pratique qui marginalisera la communauté noire de Tunisie, y compris après l’abolition de l’esclavage, en 1846, et engendrera un malaise persistant sur fond de déni de racisme.

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Des traces d’africanité, on en déniche aussi dans les stambélis ou les bangas – des cérémonies rituelles saturées d’encens et de ferveur mystique, de coups de cymbales et de percussions, lorsque des marabouts comme Sidi Lasmar donnent un ton profane à l’islam. Écartées, à l’époque de l’indépendance, au nom de l’unité nationale et du progrès, ces pratiques semblables au rite des Boris, né chez les Haoussas du Niger, connaissent aujourd’hui en Tunisie un regain sans précédent.

Musique et rituels communs

Au-delà des rituels, la musique aussi tisse un lien entre la Tunisie et le sud du Sahara. À Tunis, on sait que « dimanche à Bamako est jour de mariage », on revendique sur des paroles d’Alpha Blondy, et les plus jeunes découvrent Fela et les éternels Miriam Makeba ou Manu Dibango. Tous ces musiciens, et tant d’autres, ont évolué sur les scènes tunisiennes. Le cinéma africain est, lui, au cœur des Journées théâtrales de Carthage, et les Tunisiens collaborent activement au Fespaco, à Ouagadougou.

L’Afrique n’est pas une terre inconnue de l’homo tunisianis version 2023. Leurs rapports se sont simplement distendus, avec une mise à l’écart de l’africanité tunisienne sous le régime de Ben Ali, qui penchait plus volontiers vers le Moyen-Orient ou vers l’Europe.

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Pourtant, la séquence des indépendances, sur fond de panafricanisme, avait engendré de nouveaux liens fondés sur la coopération et la fraternité, surtout avec les pays de l’Afrique de l’Ouest. Le statut de pays fondateur de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ancêtre de l’actuelle Union africaine, a donné une crédibilité supplémentaire à la Tunisie.

Bourguiba, Senghor et Houphouët

Initiateur de cette politique, le président Habib Bourguiba estimait qu’une solidarité et des rapports étroits entre pays affranchis de la colonisation permettraient d’avoir plus de poids pour traiter, notamment, avec le général de Gaulle.

Son amitié avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, son admiration pour l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, sa tournée d’un mois, en 1966, qui l’a conduit dans neuf pays du continent, son adhésion active au groupe de Monrovia, la fondation de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), puis la fondation de la Francophonie lui conférèrent une stature africaine ainsi qu’une grande popularité.

Bourguiba n’était pourtant pas un « mordu » d’Afrique, mais un pragmatique : en montrant son implication en matière de partenariat et d’assistance, il tissait des liens forts. Il mettait l’expertise tunisienne à la disposition des pays amis, à défaut de pouvoir leur offrir un appui financier. Ainsi, des décennies plus tard, les ophtalmologues mauritaniens ne tarissent pas d’éloges sur l’apport de leurs confrères tunisiens, qui ont contribué à implanter la spécialité dans le pays. Et la Guinée se souvient encore que c’est la Banque centrale de Tunisie, la BCT, qui a contribué à la création de la Banque centrale de Guinée.

Ces initiatives étatiques se sont élargies, dès les années 2000, aux entreprises privées. Abderrazak Lejri, le fondateur du Groupement informatique (GI), a ainsi été parmi les pionniers du secteur bancaire africain en travaillant au Rwanda, au Mali, au Niger, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Congo.

 

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Kaïs Saïed, au palais de Carthage, à Tunis le 2 septembre 2022. © Fethi Belaid/AFP

 

Parallèlement, les entreprises se lançaient à l’assaut de secteurs tels que le BTP ou l’agro-alimentaire. Cette nouvelle dynamique a rendue la Tunisie plus proche, plus attrayante pour des milliers d’Africains dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la santé. Le président Moncef Marzouki a, d’ailleurs, tenté de reprendre le flambeau de Bourguiba lors d’une visite officielle au Mali, au Niger, au Tchad et en Guinée équatoriale. Son successeur, Béji Caïd Essebsi, a également adopté un discours volontariste lors des sommets de l’UA.

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L’installation de la Banque africaine de développement (BAD) à Tunis, de 2003 à 2014, a donné de la visibilité à « l’africanité économique » de son pays hôte. Simultanément, la diplomatie économique a pris le relais de la diplomatie classique, grâce notamment au Tunisian African Business Council (TABC), qui rassemblait des chefs d’entreprise et qui a conduit de nombreuses délégations d’affaires sur tout le continent.

Épisode fâcheux

Ce conseil s’est imposé comme une interface entre les gouvernements. Ce fut ainsi le cas, en 2017, lors du voyage qu’entreprit Youssef Chahed, le chef du gouvernement tunisien, au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Le TABC est aussi un organisme militant, qui souhaite aider les entreprises tunisiennes à conquérir des marchés africains – ces derniers représentent 3% des exportations du pays – et qui rappelle que le gouvernement doit accompagner cet objectif en mettant en place des conditions douanières, administratives, bancaires et de transport, minimales.

Car le constat est là : bien que le pays soit membre du Comesa (le marché commun de l’Afrique orientale et australe), membre observateur de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), le repli de la présence tunisienne en Afrique est une réalité. Certains l’expliquent par une sous-représentation diplomatique. En effet, cinq postes d’ambassadeurs de Tunisie sur le continent sont vacants depuis plus d’un an (il y a au total 26 ambassades). Un manque à combler d’urgence si la Tunisie veut faire en sorte que sa présence soit plus visible et si elle veut renouer la confiance avec ses partenaires africains.

La diplomatie semble l’avoir compris et veut tourner la page de l’épisode fâcheux des propos du président Kaïs Saïed. Mais, pour y parvenir, il faudra que les autorités tunisiennes y mettent du leur, notamment par une présence au plus haut niveau lors du prochain sommet de l’UA. La Tunisie a tous les atouts pour réaffirmer son africanité et marquer son retour dans le sud du Sahara. Encore faut-il qu’elle décide de s’en donner les moyens.

Niger : Ali Saïbou à l’heure de la conférence nationale souveraine (5&6)

Publié le : 

En cette fin d’année 1991, le chef de l’Etat nigérien Ali Saïbou est confronté à une importante crise politique qui l’oblige à s’expliquer devant son peuple lors d’une houleuse conférence nationale. Il est directement mis en accusation par un officier de son armée, devant les caméras de télévision…

 

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Jacques Foccart1né Jacques Koch-occarta le  à Ambrières-les-Vallées (Mayenne)
et mort le 
 à Paris 17e2, est un homme d'affaires et un homme politiquefrançais.

Ancien résistant, gaulliste historique, il a mené diverses activités commerciales avant de devenir secrétaire général de l'Élysée aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974 sous le général de Gaulle puis sous Georges Pompidou, devenant un personnage central de cette politique qui sera désignée plus tard sous le nom de « Françafrique ».

Considéré comme un des hommes de l'ombre du gaullisme, il est aussi l'un des fondateurs du SAC.

  

Biographie

Origines familiales et enfance

Jacques Foccart naît en Mayenne en 1913. Il est le fils de Guillaume Koch-Foccart (1876-1925) — planteur-exportateur de bananesconsul de Monaco en Guadeloupemaire de Gourbeyre (Guadeloupe) de 1908 à 1921 — et d'Elmire Courtemanche de la Clémandière, une Béké guadeloupéenne issue d'une famille très fortunée.

Jacques Foccart grandit dans le château du Tertre mayennais jusqu'à l'âge de 3 ans alors que ses parents sont repartis en Guadeloupe. En 1916, son père, revenu en France pour la mort de son propre père, emmène son fils avec lui en Guadeloupe. Il a 6 ans lorsqu’il revient en métropole avec ses parents. Jacques Foccart conserve ensuite des liens forts avec cette colonie, devenue département d'outre-mer en 1946. Son père meurt l’année de ses 12 ans. Élève du lycée de l'Immaculée-Conception à Laval d' à , il entre dans la vie professionnelle comme prospecteur commercial chez Renault. Il est ensuite employé dans une société commerciale d'import-export qui traite avec l'outre-mer.

Seconde Guerre mondiale

Après son service militaire effectué dans les années 1930, Jacques Foccart devient sergent de réserve. Il est mobilisé à la caserne Chanzy de Châlons-sur-Marne en  comme sous-officier à l'état-major de l'aviation. Démobilisé en  à Agen à la suite de l'armistice de juin, il regagne Paris.

 

Liens avec l'Organisation Todt

En 1941, Jacques Foccart fonde avec une de ses relations de service militaire, Henri Tournet, une importante affaire d'exploitation de bois à La Forêterie, lieu-dit de la commune de Rânes (Orne). Pour la coupe de soixante hectares de bois, il fait travailler une équipe importante : le bois est en particulier destiné à la production du charbon de bois, carburant des véhicules à gazogène, indispensable pendant cette période de restriction. L'entreprise travaille d'abord avec Citroën afin d'alimenter ses gazogènes, étend ensuite son domaine forestier avec cent hectares, achetés à un minotier à l’automne 1942, puis avec l'achat d'une grande coupe de bois, vendue par le châtelain local Claude Richardb,3.

À l'automne 1942, il commence, par l'entremise de Georges Desprez, à travailler pour les Allemands : deux convois sont livrés chaque semaine — grâce à des intermédiaires — à l'Organisation Todt, avec laquelle il a établi des relations commerciales.

En 1943, l'Organisation Todt suspecte Jacques Foccart, Henri Tournet et Georges Desprez d'escroqueriec. Foccart et son associé sont écroués en  à Argentan et à Saint-Malo. Ils sont libérés après quelques jours de détention moyennant le paiement d’une caution4 d'un million de francs de l’époque ; leur entreprise est en outre réquisitionnée.

Ultérieurement, la police judiciaire de Rouen enquête sur la possible implication de Jacques Foccart et d'Henri Tournet dans l'assassinat en 1944 de François Van Aerden, ancien agent consulaire de Belgique au Havre, qui aurait été témoin d'un trafic entre leur entreprise et un officier de l'Organisation Todt. En l'absence d'éléments matériels probants, le dossier est classé sans suite5.

 

Résistance

En 1942, Jacques Foccart prend contact avec la Résistance sur sa terre natale en Mayenne. Adjoint de Régis des Plasd pour le réseau Action Plan Tortue pour la zone Centre et Sude, il structure le réseau Action-Tortue Foccart avec un poste de commandement à Rânes et un centre de liaison à Ambrières-les-Vallées en Mayenne.

Le nom de Foccart est évoqué, en 1953, par le SRPJ de Rouen comme étant lié à deux énigmes criminelles datant de 1944, l'affaire François Van Aerden (voir supra) à Rânes et l'affaire Émile Buffon à Joué-du-Plain.

Pendant une fuite à Paris, il crée le  sous son propre nom une affaire dont l'objet est « commission-importation-exportation ». Ce commerce prend le nom de « Safiex » le , et reste ultérieurement la base de l'activité professionnelle de Jacques Foccart.

 

Libération

Il prend part à la bataille de Normandie avec son groupe de résistance en harcelant les Allemands. Traqué à nouveau, il se replie en Mayenne avec deux aviateurs américains qu'il conduit à la rencontre des avant-gardes de l'Armée française de la Libération. Entre la mi-juillet et fin , il rejoint une division américaine et devient commandant.

À la libération de Paris, Jacques Foccart intègre les services de renseignement de l'État : la Direction générale des études et recherches (DGER, futur SDECE) dirigés par Jacques Soustelle, un gaulliste historique. Il dirige un temps à Angers la IVe région militaire où il succède au commandant Jean-François Clouet des Pesruches.

Missions spéciales

Jacques Foccart indique avoir rejoint au mois d'6 l'Angleterre comme lieutenant-colonel pour y rejoindre les services spéciaux alliés. Il participe à l'opération Vicaragef. Selon son biographe Pierre Péan, c'est en fait en  que Jacques Foccart participe à cette opération. Pour Pierre Péan, Jacques Foccart navigue entre l'Ouest de la France et Paris, avant d'être affecté le  à la Compagnie de services no 1 de la DGER, et les services spéciaux qui deviendront la SDECE. Il se démène jusqu'à la fin de  pour récupérer sa caution d'un million de francsg que M. Courballée, patron de la « Société franco-belge de courtage et de gestion » avait prêtée pour permettre à Jacques Foccart et Henri Tournet de sortir de la prison de Saint-Malo le . Le remboursement de la caution est effectué par l'État sous le maintien du secret absolu des activités de Foccart et Tournet entre l'automne 1942 et le h. Le paiement est effectué par l'État le 7.

Gaulliste indiscutable, à l'automne 1944, il est au bureau de la Mission des liaisons de l'inspection des arméesi, dirigée à Paris par Jacques Chaban-Delmas. Rejoint par Tournet, ils mènent des missions spécialesj en compagnie de Tournet, Clouet des Pesruches, et Lebert.

En , Jacques Foccart participe dans le cadre des Special Allied Airborne Reconnaissance Force à l'opération Vicarage.

Démobilisé le , il lance son affaire d'import-export spécialisée dans les produits antillais, tout en conservant son exploitation forestière, et est employé dans l'administration au ministère du ravitaillement.

 

Entrée en politique

Jacques Foccart soutient Jacques Soustelle, « parachuté »k en Mayenne, en 1945. Il est candidat de l'Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR) sur une liste composée de trois résistants : Jacques Soustelle, Francis Le Basser et lui-même en troisième position. Seul Soustelle est élul.

Il devient un des hommes de confiance du général de Gaulle, chargé de missions politiques essentielles et délicates. Entre 1947 et 1954, il est par exemple responsable de l'implantation du RPF aux Antilles et en Guyane où il effectue plusieurs déplacements et noue de solides amitiés dans les milieux politiques de ces départements d'outre-mer. Il publie pendant une dizaine d'années, d'octobre 1949 à décembre 1958, un bulletin hebdomadaire (puis bimensuel) envoyé aux adhérents du RPF installés outre-mer8.

Dans le secteur de l'import-export, il entretient de nombreuses relations dans les milieux d'affaires implantés dans les colonies. Il siège à partir de 1950 à l'Assemblée de l'Union française, à Paris. Il y défend les intérêts des colons et s'oppose à l'idée d’autonomie pour les colonies françaises d'Afrique8.

Sous la IVe République, il est membre du conseil national, puis secrétaire général adjoint, puis succède en 1954 à Louis Terrenoire comme secrétaire général du RPF, le parti politique créé par de Gaulle, où il travaille activement au retour du chef de la France libre au pouvoir. Il s'occupe des questions africaines au RPF dès 1954. Il est un des organisateurs de l'Opération Résurrection.

Membre fondateur du SAC avec Achille Peretti et Charles Pasqua, il est mis en cause[Par qui ?] comme principal responsable de l'assassinat de Robert Boulin en  (notamment dans le téléfilm Crime d’État de 2013), avec l'éventuelle complicité de collègues du SAC et de Jacques Chirac ; la motivation aurait été[réf. nécessaire] la crainte que Robert Boulin, alors ministre de Valéry Giscard d’Estaing, ne dévoilât un certain nombre de dossiers sur le financement du RPR.

 

« Monsieur Afrique »


Le contexte : la stratégie politique de la France et du bloc occidental

Avec l'indépendance de l'Algérie en 1962, la France perd l'exploitation du pétrole saharien. Charles de Gaulle, pour qui il n'y a pas de grande puissance sans indépendance énergétique, décide donc de se tourner vers les pays de l'ancien Empire colonial français en Afrique noire, qui regorgent de richesses minières et pétrolières. L'exploitation de ces ressources, qui s'effectue sur des cycles longs de 5 à 10 ans entre la découverte des gisements et la mise en service de l'exploitation, requiert dans les pays concernés une authentique stabilité politique si bien qu'est décidée une politique de soutien très active aux dirigeants particulièrement francophiles et dociles de ces pays devenus indépendants de la France en 1960.

Cette volonté politique forte est confortée par le souhait des pays de l'OTAN, dans le contexte de la guerre froide, de barrer la route de l'Afrique au communisme. Ainsi, la France est investie implicitement du rôle de « gendarme de l'Afrique », en échange de quoi son activisme énergétique particulièrement autoritaire est toléré.

 

La mise en œuvre de la stratégie de la France en Afrique

Dès 1952, Jacques Foccart est coopté par le groupe sénatorial gaulliste pour participer à l'Union française, censée gérer les rapports de la France avec ses colonies. En 1953, il accompagne de Gaulle dans un périple africain durant lequel il fait la connaissance à Abidjan de Félix Houphouët-Boigny.

Il revient aux affaires en 1958, en étant nommé par de Gaulle au poste de conseiller technique à l'hôtel Matignon, chargé des affaires africaines9. À partir de 1959, il installe le secrétariat général pour la Communauté puis le secrétariat général à la présidence de la République pour les affaires africaines et malgaches à l'hôtel de Noirmoutier10 puis à partir de 1970 au 2 rue de l’Élysée.

Il s'affirme alors comme l'indispensable « Monsieur Afrique » du gaullisme, homme de l'ombre du général de Gaulle puis de Georges Pompidou, chargé avec Pierre Guillaumat, autre homme de base du gaullisme et PDG d'Elf d'organiser la politique africaine de la France.

Il orchestre avec efficacité et sans états d'âme le soutien des uns et la déstabilisation des autres, fort de moyens humains et financiers considérables. Il a en effet la haute main sur l'activité tant des services secrets que la diplomatie française en Afrique et peut compter sur les libéralités d'Elf. Il s'impose alors comme l'unique et exclusive courroie de transmission entre les chefs d'État français et africains à partir de 1964. Tous les mercredis, il avait un entretien téléphonique avec le président Houphouët-Boigny sur la situation de son pays et de l'Afrique francophone en général.

Il établit le Gabon, eldorado pétrolier de l'époque, comme pierre angulaire de la politique africaine de la France. Dans un premier temps, le président Léon Mba est ainsi activement aidé à structurer son administration, avant d'être ré-installé au pouvoir après un coup d'État militaire, puis entouré d'une garde présidentielle avant d'être invité à se doter d'un vice-président « prometteur » Omar Bongo.

Il est également considéré comme l'instigateur d'interventions militaires, de conspirations et coups d'État dans les autres pays de l'ancien Empire colonial français en Afriquem. En Guinée, il appuie les opposants d'Ahmed Sékou Touré ; au Congo-Kinshasa, il soutient le maréchal Mobutu. Il est également dès 1967 un acteur important du concours apporté par la France aux sécessionnistes biafrais du Nigeria, par livraisons d'armes et mercenaires interposés (dont Bob Denard et Jean Kay).

Les méthodes et « réseaux Foccart »

Les méthodes de Jacques Foccart, extrêmement directives, visent à maintenir les chefs d'État des anciennes colonies françaises sous l'influence de l'ancienne métropole.

À l'instar des mouvements de Résistance qu'il a connus de l'intérieur, il met en place une structure centralisée et cloisonnée, de façon à en rester l'unique ordonnateur. Cette organisation en réseau est une organisation de terrain, entièrement tournée vers l'efficacité opérationnelle. Plusieurs centaines d'assassinats, y compris de « Français pro-FLN », ou d'attentats seront ainsi commandités durant la guerre d'Algérie11.

Ces réseaux sont à la fois des réseaux de renseignement et d'action. Concernant l'information, ils puisent naturellement dans les rangs des services de renseignement, des services secrets et de la diplomatie, mais, aussi, dans ceux des hommes d'affaires et notables œuvrant localement (les « correspondants »). Pour l'action, aux côtés des services secrets sont fréquemment mobilisés des mercenaires.

Des membres du SDECE composent des Postes de liaison et de renseignement (PLR) placés auprès de chaque présidence africaine, souvent dans l’enceinte même du palais présidentiel, permettant de surveiller de près les chefs d’États amis8.

Ses autres missions

En plus de l'Afrique, il est chargé par de Gaulle à la fois du suivi des services secrets et des élections, et en particulier des investitures durant les années 1960. En collaboration avec les services secrets français, il planifiera un coup d'État pour renverser le panafricain Ahmed Sékou Touré peu après l'indépendance de la Guinée pour son "NON" au projet de communauté porté par le général de Gaulle, coup d'État démantelé car Sékou Touré fut alerté. Pendant les campagnes électorales, il fut accusé à plusieurs reprises d'utiliser barbouzes et blousons noirs contre les candidats de gauche. En 1969, pendant le bref passage d'Alain Poher à l'Élysée, il fut le seul haut fonctionnaire de la présidence à être immédiatement destitué, avant d'être remis en place par Georges Pompidou ; une commode qui permettait d'enregistrer les autres pièces du palais fut découverte. L'affaire fut dévoilée par Le Canard enchaîné et connue sous le nom de commode à Foccart12.

Pour les opérations les plus délicates, comme la déstabilisation économique de la Guinée ou l'assassinat de l'opposant camerounais Félix-Roland Moumié, il fixe la doctrine du « feu orange » : si l'opération était révélée, le gouvernement n'en assurerait pas la responsabilité et le responsable était réputé avoir pris une initiative personnelle8.

Il fut le cofondateur du Service d'action civique (SAC), service d'ordre et bras clandestin du mouvement gaulliste, qui sera finalement dissous en 198213 après la tuerie d'Auriol. Il est aussi à l'origine de la création de l'Union nationale inter-universitaire (UNI), mouvement universitaire créé à la suite de mai 68.

Résidences[modifier | modifier le code]

Foccart reçoit régulièrement les chefs d'État africains « amis » soit dans son appartement de la rue de Prony, dans le 17e arrondissement de Paris, ou dans la « case à fétiches », nom de son bureau dans les combles de sa villa Charlotte à Luzarches14, au nord de Paris.

Les archives Foccart[modifier | modifier le code]

Foccart écrivait beaucoup et était très attaché à la conservation d'archives nombreuses pour éclairer l'Histoire et laisser une trace de ses actions. Ses archives sont particulièrement volumineuses : le fonds Foccart (410 mètres linéaires d’archives) est le plus important de tous les fonds archivistiques depuis la IIIe République (de 1870 à 1974)15.

L'évolution de la Françafrique[modifier | modifier le code]

Ce système d'influence de la France en Afrique, appelé couramment « Françafrique » par ses détracteurs - terme emprunté à Félix Houphouët-Boigny, repris par François-Xavier Verschave dans son ouvrage La Françafrique, le plus long scandale de la République, qu'il a fondé, puis, profondément installé, est encore en vigueur aujourd'hui, même si le rapport de forces s'est sensiblement équilibré du fait de la fin de la guerre froide. Il a, en effet, été poursuivi sous les présidences successives de Valéry Giscard d'Estaing (qui remplace Jacques Foccart, qu'il soupçonne d'être trop proche des gaullistes16, mais garde son adjoint René Journiac, ancien magistrat dans les colonies), François Mitterrand17 Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy18, chacun confirmant l'existence même de la cellule africaine de l'Élysée, indépendante des autorités du Premier ministre et du ministère des Affaires étrangères et confiant le pilotage de celle-ci à un proche. D'ailleurs, selon Gaspard-Hubert Lonsi Koko dans Mitterrand l'Africain ?, « le principe intangible qu’est la continuité de la politique africaine de la France s’était, dans le passé, imposé à tous les chefs d’État français, au point d’obliger François Mitterrand à reprendre le rapport sur la programmation militaire des années 1977-1982 conçu durant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing et à utiliser notamment les mêmes réseaux mis en place par Jacques Foccart, le Monsieur Afrique successivement de Charles de Gaulle et de Georges Pompidou ». L'avocat d'affaires franco-libanaisRobert Bourgi, a prétendu succéder à Jacques Foccart mais ne faisait que la transmission de messages entre certains dirigeants africains et français et le « portage de valises ».


Décorations

 

Il est l'initiateur de la Françafrique, le père fondateur de cette immense toile qui devait, après les indépendances, maintenir sous son giron l'Empire dont avait besoin la France pour restaurer sa puissance. Jacques Foccart, petit homme à la fois craint et discret, n'a pas d'équivalent sous la Vème République. Ce résistant, gaulliste de la première heure, s'est posé comme l'intermédiaire indispensable entre Paris et ses anciennes colonies africaines. 

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Jacques Foccart (à gauche), Hubert Maga (au centre),
président de la république du Dahomey et Guy Chavanne (à droite), maire de Torcy,
lors d'une visite d'une école à Torcy (Seine-et-Marne), en 1961.

Le Nigeria moderne en dix dates clés: émergence et évolution

 

Géant économique de l’Afrique et le pays le plus peuplé du continent avec plus de 220 millions d’habitants, le Nigeria vote, ce samedi 25 février, pour élire son président et ses députés. Rappel des événements majeurs qui ont marqué l’histoire récente de ce géant aux pieds d’argile.

1914 : vous avez dit « Amalgamation » ?

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Frederick John Dealtry Lugard, 1er baron Lugard, 1858 - 1945, alias Sir Frederick Lugard. Soldat britannique, mercenaire et explorateur de l'Afrique et administrateur colonial, gouverneur de Hong Kong et premier gouverneur général du Nigeria. Il est le fondateur du Nigeria moderne. © Universal Images Group via Getty Images

 

Le Nigeria moderne naît en 1914 de la fusion territoriale et administrative du protectorat du Nigeria du Nord et du protectorat du Nigeria du Sud (comprenant la colonie de Lagos et le Oil Rivers Protectorate), sous l’égide de la couronne britannique. L’opération désignée à l’époque par le terme « amalgamation » fut supervisée par le Lord Lugard, le premier haut-commissaire du Nigeria. La viabilité de cette nouvelle entité baptisée le Nigeria, répartie entre la « Northern Region » (Région du Nord), la « Eastern Region » (Région de l’Est) et la « Western Region » (Région de l’Ouest), était fortement contestée dans la presse et par les leaders d’opinion. Pour les critiques, cet ensemble artificiel était condamné car il réunissait des peuples et des traditions beaucoup trop différents, notamment des Igbo à l’Est, des Yoruba à l’Ouest et des Haoussa au Nord. Les divergences se sont davantage accentuées pendant la période coloniale, avec le nord du Nigeria, à majorité musulmane, évoluant sous un régime administratif et culturel distinct, dirigé par des chefs traditionnels et religieux fermés sur leurs privilèges, alors que la population du Sud, à majorité chrétienne et animiste, était scolarisée par les missions chrétiennes et était ouverte aux influences occidentales.

Les revendications indépendantistes qui se font jour après la Seconde Guerre mondiale conduisent les Britanniques à doter la colonie d’une Constitution (1954), lui conférant une relative autonomie dans le cadre d’un système de gouvernance fédéral. La période de l’après-guerre voit aussi la naissance de partis politiques, à bases régionales et ethniques fortes, dont sont issus les premiers hommes politiques nigérians qui prennent les rênes du pouvoir à Lagos et dans les régions, après l’indépendance du pays.

1960 : indépendance et après

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Abuja, 1er octobre 2010, Cérémonie du 50ème anniversaire de l'indépendance

 

Le Nigeria proclame son indépendance le 1er octobre 1960, mais il faut attendre 1963 pour voir l’avènement de la première République et l’entrée en fonction des institutions dont le pays se dote sur le modèle du parlementarisme britannique. Ces premières années de la République nigériane sont marquées par un partage de pouvoir entre les différentes communautés qui composent le pays, comme l’illustrent la désignation à la présidence de Nnamdi Azikiwe, chrétien d’origine ibo et leader du Conseil national du Nigeria et des Camerouns (NCNC), représentant la région de l’Est, et celle d’Abubakar Tafewa Balwa, représentant du Parti nordiste (NPC) musulman, à la primature, à la tête d’un gouvernement de coalition. En 1963, afin de mieux refléter la représentativité des communautés, la fédération se dote d’une nouvelle région Centre-Ouest, mais cela ne l’empêche pas de sombrer rapidement dans les tensions intercommunautaires grandissantes. À peine né, le pays est miné par les luttes des partis régionaux pour le contrôle du pouvoir central et par l’opposition du Sud et des minorités septentrionales à l’hégémonie du Nord.

1966 : d’un coup d’État à l’autre

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Arrivé au pouvoir à la suite du coup d'Etat de 1966, le général Yakubu Gowon a gouverné le Nigeria jusqu'à 1975., 
RFI Hausa



Profitant des violences ambiantes, le 15 janvier 1966, une poignée de militaires « révolutionnaires » renverse le gouvernement fédéral, au terme d’un coup d’État sanglant. Le Premier ministre Abubakar Tafewa Balwa est assassiné et le président Nnamdi Azikiwe contraint à une retraite forcée. Pendant les trois décennies suivantes, l’histoire du Nigeria est ponctuée de coups d’État et de contre-coups d’État. Ces trente années sont aussi marquées par quelques-unes de grandes tragédies que le pays a connues.

Le coup d’État de 1966 marque la fin de la première République nigériane. Or les généraux qui s’installent à la tête du pays ne se révèleront pas plus capables que les hommes politiques de ramener la paix. Le général Aguiyi Ironsi, à la tête du pays pendant six mois, est renversé à son tour par Yakubu Gowon. Chef de l’État de 1966 à 1975, ce dernier porta à douze le nombre des États fédérés. Ce nouveau découpage administratif met le feu aux poudres dans un pays aux équilibres fragiles et où les communautés s’accrochent jalousement à leurs prérogatives. Ce sera bientôt la guerre civile.  

1967-70 : la guerre du Biafra

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                                           Le drapeau de la république sécessioniste du Biafra. Photo: Wikimedia commons

 

La guerre civile débute lorsque, le 30 mai 1967 la région de l’Est, le territoire d’origine de la communauté igbo, fait sécession et forme l’État séparatiste du Biafra. Ce sont les troubles visant les Igbo qui éclatent dans le Nord du pays dans la foulée du coup d’État de janvier 1966, qui sont à l’origine de ce conflit. Il s’agit de véritables pogroms anti-Igbo, qui font des dizaines de milliers de morts, tandis qu’un million d’autres fuient vers l’Est.

L’enjeu du conflit est aussi économique. Les Igbo craignaient que les réformes administratives et territoriales initiées par les autorités fédérales nigérianes ne les privent de leur autonomie dans la gestion de leur territoire et de l'accès aux immenses ressources pétrolières de la région du Delta.

Au terme d’une guerre fratricide de trente-et-un mois (mai 1967 – janvier 1970) et d'un blocus meurtrier sur la région, le Biafra se rend. Le 15 janvier 1970, le conflit prend officiellement fin, après avoir fait plus d’un million de morts dans le camp rebelle, essentiellement de famine. Avec la fin de la guerre, le Nigeria tourne une page sanglante de son histoire. La politique du gouvernement fédéral de « ni vainqueurs ni vaincus » favorise la réconciliation nationale, mais ne peut effacer le traumatisme de la guerre civile qui a été vécue par nombre d’Igbo comme un génocide.

1971 : le boom pétrolier et admission du Nigeria à l’OPEP

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Avec le ministre nigérian Mohammed Barkindo, le Nigeria prend la tête de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole, le 2 juin 2016. PIUS UTOMI EKPEI / AFP

 

Le Nigeria est le premier producteur mondial du pétrole en Afrique. L’exploitation des gisements pétroliers dans les États du delta du Niger a débuté en 1958, mais c’est seulement dans les années 1965-1970, avec l’accélération de la production nationale qui passe de 274 000 barils par jour en 1965 à 540 000 barils/jour et l’augmentation du prix du brut sur les marchés internationaux, que l’or noir est devenu la source majeure des revenus du pays. Admis dans l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 1971, le Nigeria est aujourd’hui un membre incontournable de cette organisation.

Selon les experts, le boom pétrolier favorisa la réconciliation nationale et la consolidation de l’unité du pays au sortir de la guerre du Biafra. Le secteur pétrolier qui contribue aujourd’hui autour de 10% du PIB est aussi source de corruption, le grand fléau qui gangrène la vie économique et sociale du pays. Par ailleurs, la prépondérance du secteur pétrolier a été préjudiciable aux autres secteurs telles que l'industrie et l'agriculture qui constituaient autrefois les piliers de l'économie nigériane.

1979-1983 : une seconde République éphémère

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                                       Sheshu Shagari, premier président nigérian élu au suffrage universel en 1979. AFP

 

Le général Olusegun Obasanjo qui jouera un rôle de premier plan dans les années 1990-2000, se signale à l’attention une première fois à la fin de la décennie 1970. En 1975, il est le nouveau chef d’état-major. Successeur à la tête du pays de Yakubu Gowon renversé par un coup d’État en 1975 et de Murtala Mohammed, assassiné au bout d’un bref exercice de pouvoir en 1976, Obasanjo transfère le pouvoir au gouvernement civil issu des élections. La deuxième République, fondée sur la base d’une Constitution présidentielle et fédérale inspirée de celle des États-Unis, voit le jour le 1er octobre 1979. Elle est présidée par le président Shehu Shagari, leader du Parti national du Nigeria (NPN), qui est entré dans l’Histoire en tant que premier président nigérian élu au suffrage universel.

Malheureusement, cette expérience démocratique sera de courte durée. Des fraudes électorales massives lors du scrutin de 1983, doublées de la corruption débridée de l’élite bourgeoise et la crise pétrolière, suscitent le mécontentement populaire, favorisant une nouvelle intervention par les militaires. Le 1er janvier 1984, l’armée reprend le pouvoir, jetant en prison la majorité des hommes politiques, accusés de « crimes économiques ». Les deux décennies qui suivent sont marquées par une succession de coups d’État et de gouvernements autoritaires. L’autoritarisme écrit l'une de ses pages les plus sanglantes au Nigeria avec le général Sani Abacha qui s'empare du pouvoir en 1993. L'homme était qualifié de « Bloody Dictator » par la presse nigériane de l’époque.

1995 : la pendaison de Ken Saro-Wiwa

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Un motard ogoni tenant une affiche montrant Ken Saro-Wiwa, lors d'un rassemblement sur la route de Port Harcourt, le 10 novembre 2005. AFP / PIUS UTOMI EKPEI

 

Écrivain de renom et militant écologiste, Ken Saro-Wiwa dirige au début des années 1990 la révolte des populations ogoni dans le delta du Niger contre les compagnies pétrolières, au premier rang desquelles Shell. Compagnie pétrolière anglo-néerlandaise. Celle-ci est accusée de polluer les sols et les eaux de la zone. Le Mouvement pour la survie du peuple ogoni (MOSOP) parvient à contraindre Shell à arrêter sa production, qui représentait 40% du pétrole nigérian. En représailles, Sani Abacha qui s’était emparé du pouvoir en 1993 déclenche une violente campagne de répression contre les Ogoni et fait exécuter par pendaison leurs cadres dont Ken Saro-Wiwa, assassiné en novembre 1995.

Les assassinats des leaders ogoni suscitent l’ire de la communauté internationale, conduisant à l’exclusion du Nigeria du Commonwealth et l’imposition de sanctions économiques. Mis au ban de la communauté internationale, le Nigeria entre dans une période de turbulences quand, en juin 1998, Sani Abacha meurt subitement, officiellement d’une crise cardiaque.

1999 : retour de la démocratie avec Olusegun Obasanjo

 

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                                           L’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo (photo d'archives).
 Getty Images

 

Selon les historiens, ce sont les sanctions internationales dont le Nigeria est victime sous le régime de Sani Abacha, qui poussent l’élite politique à s’entendre avec l’armée pour renouer avec la démocratie au tournant du millénaire, au terme de 16 ans de dictature militaire sanglante. Le général Abusalami Abubakar, successeur de Sani Abacha, accélère le processus de transition qui aboutit à l’élection à la présidence d’Olusegun Obasanjo, ancien général revenu à la vie civile. En tant que leader du Parti démocratique du peuple (PDP), Obasanjo est réélu pour un second mandat en 2003.

Les années Obasanjo se caractérisent par le retour au fédéralisme après le centralisme exacerbé pratiqué par les militaires. Le retour en force de la doctrine fédérale est signifié par l’organisation, le même jour, de la prestation de serment du nouveau président et celle des gouverneurs des 36 États qui composent désormais le Nigeria. C’est encore sous le régime d’Obasanjo que l’on assiste à une répartition plus équitable de la manne pétrolière entre les États, avec la part des revenus pétroliers versés aux neuf États producteurs du delta du Niger passant de 3 à 13%. Or, tout n’est pas rose dans le Nigeria nouveau. Ainsi, parallèlement aux avancées démocratiques, les relations entre chrétiens et musulmans se détériorent, à la suite notamment de la réintroduction de la charia en 2001 dans douze États du Nord.

En 2002, naît le groupe islamiste radical Boko Haram, qui ne cesse d'étendre son influence jusqu'à son « apogée » en 2014, où il contrôle une grande partie du territoire et enlève 276 lycéennes à Chibok, dans le Nord-Est du Nigeria, déclenchant l'indignation internationale. Cet épisode entache le mandat du président nigérian sortant, Jonathan Goodluck, et favorise l'élection de l'ancien général Muhammad Buhari en 2015.

2015-2023 : présidence Buhari et la fragilisation du pays

 

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Des manifestants réclament le départ du président Buhari lors d'un rassemblement à Abuja le 12 juin 2021. AFP - KOLA SULAIMON

 

Pendant les années Buhari, avec un PIB qui se situe à 2 585 dollars par habitant, le Nigeria dépasse l'Afrique du Sud et devient la première économie de l'Afrique, grâce a l'envolée des prix du pétrole, et grâce aussi à son secteur culturel prolifique (Nollywood est la seconde industrie de cinéma au monde en nombre de films produits, derrière le Bollywood indien mais devant les États Unis). En 2015, Buhari est élu avec enthousiasme, sur la promesse de mettre fin à la corruption et à Boko Haram, mais la lune de miel sera de courte durée. En 2016, le pays rentre en récession, et le président âgé alors de 74 ans tombe malade et disparaît dans les hôpitaux de Londres pendant de nombreux mois. Il est réélu en 2019 grâce à ses soutiens politiques, malgré un bilan économique et sécuritaire médiocre. L'année 2020 est « annus horribilis », qui commence avec des mois de confinement dus au Covid, extrêmement stricts, qui mettent l'économie à genoux: le nombre de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour explose passant de 83 millions en 2019 à plus de 130 millions (63% de la population). La population se révolte en octobre 2020 autour du mouvement #EndSARS, qui dénonçait d'abord les violences et exactions policières, puis plus généralement la mauvaise gouvernance. Le mouvement est maté dans le sang.. 

Le bilan des années Buhari est désastreux, dû essentiellement à la mauvaise gestion des ressources et aux nombreux pillages des oléoducs par des groupes armés, faisant chuter la production pétrolière de plus de 2 millions de barils par jour en 2019 à moins de 1,2 millions de barils. Le pays ne parvient même pas à atteindre les quotas fixés par l'OPEP. La corruption généralisée, les procès a répétition et les politiques économiques du gouvernement Buhari finissent par effrayer les investisseurs étrangers qui se retirent peu à peu de cette manne pourtant gigantesque des sous-sols. D'un point de vue sécuritaire également, les conflits se sont multipliés avec le Boko Haram s'affirmant comme l'État Islamique en Afrique de l'Ouest, les "bandits" dans le Nord-Est qui pillent le bétail et terrorisent les populations et une nouvelle poussée sécessioniste dans le Sud. 

2023, une année électorale

 

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Peter Obi, candidat de la jeunesse nigériane au scrutin présdentiel du 25 février 2023. Il est soutenu par l'ancien président Olusegun Obansanjo © Vanguard

 

Le 25 février 2023, les Nigérians se rendent aux urnes pour désigner le successeur de Muhammad Buhari, élu successivement en 2015 et en 2019. Quatre candidats sont en lice cette fois : Bola Ahmed Tinubu du All Progressive Congress (APC), parti au pouvoir, Atiku Abubakar qui se présente au nom du principal parti d’opposition, le Parti démocratique populaire (PDP), Peter Obi, le candidat outsider, issu des rangs du PDP, mais membre aujourd’hui du Parti travailliste. Le quatrième candidat, Rabia Kwankwaso, a peu de chances de l'emporter au niveau national, mais l’homme est très populaire dans son État de Kano, capitale du Nord à majorité musulmane. Qui sera le vainqueur ? Cette élection perpétuera-t-elle le système bipartite qui domine la vie politique nigériane ou y aura-t-il un changement de donne avec l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle classe politique ? Telles sont les questions qui se posent aujourd’hui dans le pays le plus peuplé du continent. Le résultat dépendra de la participation, disent les observateurs. Si près de 40% des électeurs inscrits sont aujourd’hui âgés de moins de 34 ans, laissant entrevoir la possibilité d’un renouveau, beaucoup évoquent l’apathie électorale dont font preuve traditionnellement les électeurs nigérians le jour du scrutin. Le pays connaît aussi d'immenses problèmes de sécurité dans de nombreuses régions (États d'Imo, d'Anambra, Benue, Katsina, Zamfara, Sokoto, Borno...) qui empêchent les gens d'aller voter.

Le 25 février, les Nigérians voteront aussi pour renouveler leur parlement bicaméral, fort de 360 députés et 109 sénateurs.

Histoire : le partage de l'Afrique par les Européens

QUESTION RÉPONSE

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A une époque où la colonisation n’est pas encore considérée comme un but en soi, la Conférence de Berlin (1884-1885) est perçue comme le moment où les puissances coloniales européennes se sont réunies pour se partager le continent africain. C’est la première fois qu’une rencontre diplomatique européenne porte exclusivement sur la question de l’Afrique : elle contribue à définir les règles communes pour de futures acquisitions territoriales par les pays d’Europe.

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Au XIXe siècle, les Européens sont présents sur les côtes africaines où ils ont établi des comptoirs de commerce ; les premières explorations à l'intérieur des terres commencent en empruntant les fleuves. Ces explorations sont motivées par des perspectives d'échanges commerciaux, de découvertes géographiques ou l'établissement de missions pour évangéliser les populations. Ce partage de l'Afrique s'est concrétisé par des traités signés entre voyageurs européens (envoyés ou non par leur gouvernement) et souverains africains.

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L'EXPLORATEUR PIERRE SAVORGNAN DE BRAZZA, ILLUSTRATION POUR LE PETIT JOURNAL, 13 MARS 1905 ; BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE. © GALLICA.BNF.FR / BNF.
 

Partage de l'Afrique : la question du Congo

Un vaste territoire encore peu exploré attire les convoitises : le bassin du Congo. Les Portugais y revendiquent leur présence ancienne mais doivent composer avec les velléités d'impérialisme britannique, français et belge. Dans les années 1870-1880, la France et la Belgique sont en concurrence par l'intermédiaire de deux explorateurs qui parcourent la région : l'officier de marine Pierre Savorgnan de Brazza est au service de la France et le journaliste américain Henry Morton Stanley travaille pour le compte du roi des Belges Léopold II. En 1884, la Grande-Bretagne reconnaît des droits du Portugal sur l'embouchure du Congo : ce traité va provoquer l'organisation d'une Conférence internationale à Berlin.

 
 
Carte de l'Afrique en 1884 par J. Bartholomew. © Wikimedia Commons, domaine public.
 
CARTE DE L'AFRIQUE EN 1884 PAR J. BARTHOLOMEW. © WIKIMEDIA COMMONS, DOMAINE PUBLIC.
 

En Europe, dans les années 1880, des lobbies coloniaux existent mais l'idée de la colonisation n'est pas encore acquise par les gouvernements ni par l'opinion publique. La France et la Grande-Bretagne possèdent déjà des territoires en Afrique du Nord (Algérie, Égypte) et au Sénégal. Le roi des Belges Léopold II va engager sa fortune personnelle au Congo et se révéler fin stratège pour y faire valoir ses intérêts : il crée notamment une association à but philanthropique censée lutter contre l’esclavage, l'Association internationale africaine (en 1876) et l'Association internationale du Congo (en 1882). Léopold II souhaite se donner une réputation de bienfaiteur bien que ses motivations soient purement économiques et politiques. Des multiples témoignages établissant l'exploitation indigne de la population congolaise (esclavage, malnutrition, mutilations), vont entraîner un mouvement international de protestation mené par la Grande-Bretagne. Les expéditions militaires sont désignées comme responsables de massacres alors qu'elles sont destinées à combattre l'esclavagisme, objectif proclamé par la Conférence de Berlin pour l'attribution du Congo au roi des Belges.

 
Portrait de Léopold II roi des Belges (1835-1909). © Wikimedia Commons, domaine public.
PORTRAIT DE LÉOPOLD II ROI DES BELGES (1835-1909). © WIKIMEDIA COMMONS, DOMAINE PUBLIC.

Les enjeux de la Conférence de Berlin

Le chancelier allemand Bismarck jusqu'alors préoccupé par des enjeux politiques européens (Alsace-Lorraine, politique russe), se tourne à son tour vers l'acquisition de territoires d'outre-mer. Lors de la Conférence de Berlin, il se produit un transfert des enjeux européens sur l'espace africain. Bismarck est à l'initiative de cette conférence qui se déroule entre le 15 novembre 1884 et le 26 février 1885 : quatorze pays sont présents mais aucun représentant africain n'est convié. Les discussions ont pour support une carte de l'Afrique car les diplomates ne maîtrisent pas l'espace géographique africain, alors que cette question devient déterminante pour les relations entre Etats européens. Le découpage de l'Afrique n'est pas inscrit à l'ordre du jour de la Conférence ; les sujets suivants occupent l'essentiel des discussions : les règles d'occupation future des côtes africaines, le commerce dans le bassin du Congo, la liberté de navigation sur les fleuves Congo et Niger.

 

Caricature de la Conférence de Berlin de 1885 : le chancelier Bismarck découpe le "gâteau africain" entre les différents pays européens ; sous-titre "à chacun sa part si l'on est bien sage". Journal <em>L'Illustration, </em>1885. © Wikimedia Commons, domaine public.

 

CARICATURE DE LA CONFÉRENCE DE BERLIN DE 1885 : LE CHANCELIER BISMARCK DÉCOUPE LE "GÂTEAU AFRICAIN" ENTRE LES DIFFÉRENTS PAYS EUROPÉENS ; SOUS-TITRE "À CHACUN SA PART SI L'ON EST BIEN SAGE". JOURNAL L'ILLUSTRATION, 1885. © WIKIMEDIA COMMONS, DOMAINE PUBLIC.
 

La Conférence de Berlin aboutit à des décisions importantes : le principe du libre-échange économique est confirmé sur les fleuves Niger et Congo, répondant ainsi aux rivalités franco-anglaises ; l'Europe se dote d'une mission civilisatrice en prétendant ouvrir le continent africain au développement économique, grâce au commerce international. L'esclavage est proclamé interdit : les Européens se concentrent désormais sur l'intérieur du continent pour lutter contre la traite esclavagiste, tout en développant des pratiques de travail forcé. Le Congo est devenu l'un des enjeux principaux de la Conférence : le roi des Belges parvient à faire accepter l'idée de la neutralité politique sur le bassin du Congo, tout en y affirmant la liberté de commerce. En 1908, cette région quatre-vingts fois plus grande que la Belgique, deviendra le Congo belge.

Le partage du continent africain se met en place

La Conférence de Berlin débouche finalement sur la délimitation des frontières coloniales. Des règles d'implantation sont définies : chaque puissance doit établir une zone d'influence dont les contours sont délimités, pour confirmer sa domination politique et économique. Pour se faire reconnaître un territoire, l'occupation doit être effective, ce qui va mener les Etats européens à concevoir des pratiques de colonisation. Après la Conférence de Berlin, commence la période des expéditions militaires afin de soumettre les populations et de s'approprier les territoires.

 

 

Carte du partage de l'Afrique après Berlin, en 1884-1885. © SeneNews.com.

 

CARTE DU PARTAGE DE L'AFRIQUE APRÈS BERLIN, EN 1884-1885. © SENENEWS.COM.

Dans les années 1890, l'Afrique entière fait l'objet de négociations et de nombreux traités bilatéraux sont signés entre Européens. Ces décisions diplomatiques se traduisent par l'envoi de commissions chargées de délimiter les nouvelles frontières. La fin du XIXe siècle offre le tableau d'une compétition entre impérialismes européens, qui provoque des crises entre France et Grande-Bretagne, notamment à Fachoda en 1898 : elle aboutit à une convention franco-britannique qui limite les zones d'influence respectives des deux puissances coloniales.

Au début du XXe siècle, l'Afrique est presque entièrement partagée entre Européens : seuls l'Ethiopie et le Liberia conservent leur indépendance, ainsi que l’Afrique du Sud qui accède à l' en 1910. Le reste du continent est colonisé selon diverses modalités : avec le système du protectorat en Tunisie et au Maroc, la France maintient en droit leur souveraineté antérieure mais devient leur véritable administrateur. Dans les territoires français d'Afrique subsaharienne, les protectorats mis en place deviennent rapidement des colonies. Certaines sont d'abord concédées à des compagnies à charte qui pratiquent le travail forcé (en Afrique Equatoriale française) ; ce type de gestion disparaît pour laisser la place au gouvernement direct de la métropole.

 
Carte du partage effectif de l'Afrique après la Première Guerre mondiale. © Lelivrescolaire.fr.
 
CARTE DU PARTAGE EFFECTIF DE L'AFRIQUE APRÈS LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE. © LELIVRESCOLAIRE.FR.

La France regroupe ses colonies en deux fédérations : l'Afrique Occidentale française (Sénégal, Soudan français, Guinée et Côte-d'Ivoire) en 1895, qui regroupe Sénégal, Haut-Sénégal et Niger, Mauritanie, Guinée, Côte-d'Ivoire, Dahomey en 1904 et l'Afrique Equatoriale française (Gabon, Moyen-Congo, Tchad, Oubangui-Chari) en 1910. A l'intérieur de ces territoires, des frontières sont aussi créées : chaque colonie est divisée en circonscriptions dirigées par un commandant. D'autres territoires deviennent des colonies de peuplement : c'est le cas de l’Algérie conquise en 1830, qui dépend du ministère de l'Intérieur et est divisée en trois départements ; c'est également le cas de la Namibie pour l'Allemagne et du Kenya pour la Grande-Bretagne. En 1914, les frontières de l'Afrique sont fixées, même si quelques modifications ont lieu après la Première Guerre mondiale, lorsque l'Allemagne perd ses colonies. La France et la Grande-Bretagne se taillent la « part du  », aux dépens du Portugal, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne.