Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Quelle « option préférentielle pour les pauvres » ?
(PE n° 1093 – 2018/07)

Un engagement judicieux et à long terme.

Une option « qui est la marque d’un bon jugement » et qui a pour ambition de « s’inscrire dans la durée ». C’est cela le plan ! et maintenant proposons les détails que je soumets à l’appréciation des confrères, surtout des plus jeunes.

Donner du pain à un pauvre, ou lui proposer quelques pièces de monnaie quand il en demande, payer des frais de scolarité pour un jeune, c’est une réponse honorable à un besoin urgent des personnes que nous connaissons dans nos milieux d’apostolat. Nous l’avons tous fait d’une façon ou d’une autre. Le bénéficiaire en sera, certes, très reconnaissant, il fera des bénédictions au bon bienfaiteur et probablement décidera de passer le revoir de temps en temps quand il se retrouve dans le besoin ; parce que les besoins, il en aura toujours ; mais il y a la probabilité que le bienfaiteur peut partir un jour.

En prenant un peu de recul je pourrais envisager une autre façon d’aider, plus judicieuse, plus efficace, avec le rêve de résoudre au moins une partie du problème à très long terme.

Un engagement solidaire pour une meilleure solidarité

C’est là que je rêve d’une option, d’un engagement qui mobilise toute la Société comme un seul homme, avec la ferme résolution de soulager efficacement le poids de la pauvreté et de donner à ceux qui n’en peuvent plus, la capacité de se prendre en charge et de s’en sortir finalement par eux-mêmes (développement), gardant ainsi toute leur dignité.

Ce que je suggère n’est pas nouveau, car des confrères l’ont déjà vécu avant qu’un certain individualisme ne prenne le dessus. Ils avaient fait le choix de privilégier une réflexion communautaire audacieuse qui pouvait les sortir du « cercle vicieux » de la distribution automatique et purement mécanique : « j’ai reçu, je donne », avec le risque de créer, en passant, un « fan club » ou carrément des « dépendants ». Les Africains ne disent-ils pas que « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit » ?

Si deux, trois, cinq confrères « qui ont reçu gratuitement », s’engagent dans une consultation communautaire pour juger comment mieux aider les populations qu’ils servent (chrétiens, musulmans, hindous, bouddhistes, pratiquant des religions ancestrales), s’ils mettent dans le coup la solidarité de la Société, pour commencer par exemple une petite école des métiers, qui formera des jeunes, ces enfants des pauvres autours d’eux, pas seulement leurs pauvres « préférés », pour leur donner des compétences afin qu’ils participent au développement de leur pays en gagnant du même coup leur vie… ces jeunes garderont leur dignité et se sentiront capables de participer au développement de leur pays, grâce au métier acquis. C’est libérateur car ils ne seront plus obligés de porter les stigmates d’une pauvreté non choisie.

Donner aux pauvres le pouvoir et la capacité de s’entraider

En effet je crois profondément à ce que nous avons toujours voulu dire en disant « empowerment », que nous traduisons maladroitement par « capacitation ». Faciliter à une personne ou un groupe de personnes, les possibilités de se déployer positivement et de s’améliorer en améliorant du même coup leur environnement immédiat. La formation est un moyen très efficace pour arriver à cette « capacitation ». Apprendre aux pauvres à mieux tirer parti de leur environnement grâce aux techniques agricoles adaptées (école d’agriculture) ; former les jeunes d’un village à construire des bâtiments solides et décents pour améliorer l’habitat et aussi gagner leur vie (maçonnerie) ; des menuisiers, des mécaniciens, des électriciens, des tailleurs, etc. Des gens qui vont travailler, développer leur contrée et donner une meilleure qualité de vie à leur famille. Ce qui pourra alors nous manquer c’est la queue de ces personnes assises devant nos bureaux pour quémander et parfois subir nos « engueulades », parce qu’ils n’ont vraiment pas le choix s’ils veulent arriver à nous soutirer quelques sous.


Des jeunes en apprentissage à Sharing Centre à Kampala


Pourquoi j’insiste sur les écoles de métiers ? Parce que dans beaucoup de pays où nous sommes en Afrique, des pays en développement, il manque cruellement des jeunes bien formés dans les différents métiers de base qui entrent directement en jeu dans le développement. Nous nous plaignons souvent que les entreprises chinoises importent même leur propre main d’œuvre chinoise. Parfois des entreprises ont du mal à trouver de la main d’œuvre qualifiée pour réaliser des infrastructures et travaux aussi simples qu’un bon crépissage ou une plomberie correcte. Les écoles de métiers sont rares alors que les universités qui produisent des « semis-intellectuels » pullulent, jetant sur le marché du travail des jeunes pas vraiment qualifiés. Si le rythme actuel continue, l’Afrique risque de s’enfoncer davantage dans le sous-développement. Ceci n’est pas une bonne nouvelle.

Pour une charité efficace et féconde

Si la providence a permis que certains dons des bienfaiteurs transitent par nos mains, et si nous sommes vraiment engagés dans l’annonce de la Bonne Nouvelle en Afrique, alors nous pouvons participer au « miracle de la charité » en choisissant d’aider les pauvres de la manière la plus efficace que nous pouvons imaginer ensemble, afin de les aider à devenir agents de leur propre bien-être et pourquoi pas de leur propre bonheur ? On ne pourra peut-être pas éradiquer la pauvreté ; elle existe depuis l’aube des temps. Par ailleurs, nous avons la preuve que la vie de certains peuples s’est nettement améliorée depuis quelques décennies, après avoir connu des périodes de pauvreté parfois extrême. N’avons-nous pas des confrères qui « distribuent » parce qu’eux-mêmes ont trop souffert de la pauvreté et, maintenant, ils ont fait le choix de « faire profiter les pauvres » de la largesse de leurs bienfaiteurs ? Nobles sentiments… C’est seulement le résultat qui ne l’est pas tout à fait, car il crée des dépendances sans que cela ne soit leur but ; et puis, c’est plus facile de se faire des amis avec l’argent des bienfaiteurs.

Pour nous, Missionnaires d’Afrique, « l’option préférentielle pour les pauvres » pourrait passer, comme l’économe général nous l’a proposé, par un bureau interne de développement qui nous aidera à poser des gestes communautaires qui aident vraiment les pauvres, grâce à un discernement judicieux des projets que nous souhaitons réaliser et par l’étude de l’impact de nos réalisations. Nous y gagnerons, certainement, à faire les choses ensemble pour un résultat qui respecte la dignité des personnes, avec un impact durable dans le milieu. C’est une chose que d’avoir de l’argent et c’en est une autre que de savoir bien l’utiliser…

Être audacieux, risquer de faire les choses différemment, même si cela va nous priver de notre « succès » ; montrer une bonne ambition pour les pauvres que nous voulons aider, cela est à notre portée. c’est une belle « option préférentielle pour les pauvres ». Il y a tant de confrères qui ont des bonnes idées et qui sont prêts à les partager ; il y en a aussi qui « reçoivent » beaucoup et qui aimeraient faire un bien qui relève et qui dure. Il nous suffira d’aller les uns vers les autres et d’échanger sans tabou, même s’il s’agit de parler d’argent.

Où trouver le personnel pour tous ces « beaux projets » ? Fausse question qui nous amènera à une fausse réponse. « Avec qui pourrons-nous le faire ? » Voici la question « synergique » que nous pourrons courageusement nous poser…

Un confrère à qui j’ai soumis ce texte m’a dit : « Commencer une école pour les pauvres ou un centre d’apprentissage demandera des ressources consistantes ; et si on n’a pas ces ressources ?» Alors ne commençons pas ! Mais cela ne nous empêche pas d’en chercher si nous connaissons des personnes ou des organismes qui peuvent nous aider à aider efficacement. L’idée de base ici est d’utiliser judicieusement, rationnellement toutes ces ressources qui passent pas nos mains individuelles et en faire un outil d’apostolat en tant que Société. À vos stylos, donnez vos idées, parlez de vos expériences !

Freddy Kyombo Senga, M.Afr.

La liberté religieuse toujours menacée
dans le monde (Vatican News)

Dans le monde, la liberté religieuse est de plus en plus menacée, dans l’indifférence générale.

Dans un pays sur cinq, la liberté religieuse est menacée, selon le nouveau rapport de l’Aide à l’Église en Detresse. L’AED dénonce une banalisation des atteintes à la liberté religieuse, dans un contexte de fondamentalisme grandissant et d’ultra-nationalisme agressif dans certains pays.

Une banalisation des atteintes à la liberté religieuse. C’est ce que dénonce le nouveau rapport de l’AED (L’Aide à l’Eglise en Détresse), qui fait état de violations importantes de la liberté religieuse dans 38 des 196 pays étudiés, de juin 2016 à juin 2018.

Marc Fromager est directeur de l’AED, il s’inquiète des menaces que les acteurs étatiques font peser sur la liberté religieuse, comme c’est notamment le cas en Russie. Dans certains pays tels que l’Inde, l’hostilité à l’encontre des minorités religieuses devient un phénomène d’ultra-nationalisme agressif, détaille le rapport de l’AED. Il y a en Inde «une surenchère idéologique sur l’hindouisation du pays», explique Marc Fromager. Dans un pays où 75% de la population est hindou, le directeur de l’AED s’inquiète des rêves du pouvoir d’avoir un pays entièrement hindou.

Inquiétude face à des mouvements islamistes militants

[…] Par ailleurs, le rapport met en lumière la propagation dans certaines régions de mouvements islamistes militants, comme en Égypte ou au Nigeria. L’Occident n’est pas épargné, l’AED estime que les attaques extrémistes motivées par la haine religieuse connaissent une «recrudescence préoccupante».

Cependant, il faut tout de même noter une amélioration dans certains pays comme la Tanzanie ou le Kenya. Dans ces pays, les violations des libertés religieuses attribuées aux islamistes tendent à diminuer.

Le cas de la Syrie et de l’Irak

Paradoxalement, la situation s’améliore en Syrie et en Irak, où l’on assiste à des reconstructions et à des retours de populations «même si c’est encore très compliqué», tempère le directeur de l’AED.

[…] L’AED appelle ainsi les pouvoir publics à respecter les droits des communautés religieuses, les responsables religieux à faire preuve d’ouverture au dialogue et les «communautés religieuses et les familles à transmettre aux jeunes générations le souci du respect réciproque.».

Illuminations en mémoire des martyrs

Pour sensibiliser l’opinion et rendre hommage aux personnes persécutées, des monuments parisiens s’habilleront de lumière rouge ce jeudi 22 novembre au soir. La butte de Montmartre, la cathédrale orthodoxe russe mais aussi la grande mosquée et la grande synagogue participent à l’opération, «nous sommes très heureux d’avoir obtenu l’accord des responsables de ces cultes», se réjouit Marc Fromager.

Interview de Marc Fromager, directeur de l’AED à écouter sur l’article-source: La liberté religieuse toujours menacée dans le monde – Vatican News, 22/11/18.

Le migrant est l’avenir du monde (T.C.)

 

Le débat sur la migration est stupéfiant et pourtant il dure, s’enlise et même s’encastre dans l’ordinaire de notre culture politique contemporaine. Il paralyse l’Europe qui en parle tout le temps, mais n’en délibère jamais. Il envahit les propagandes partisanes et s’impose comme une sorte de friandise électorale dont se délectent les populistes de tous poils, de droite et maintenant d’une certaine gauche. Il tétanise les gouvernements qui craignent que le respect de la vérité ou qu’un sursaut d’humanisme ne leur vaillent une chute dans les sondages.

Bertrand Badie, Sciences Po – USPC

Depuis le début de ce siècle encore tout jeune, 50 000 êtres humains sont morts au fond de la Méditerranée et l’imagination de la gouvernance humaine se limite à renforcer les contrôles, consolider « Frontex » ou désarmer l’Aquarius. Qu’est donc devenu le Conseil européen, incapable d’imaginer ce que pourrait être une politique de migration à l’aube du troisième millénaire ?

Un monde où tout le monde voit tout le monde

C’est pourtant bien de cela dont il s’agit : d’avoir le courage et la lucidité de penser une mondialisation dont tout le monde parle, sans jamais savoir la regarder en face et en tirer les conséquences. Nous sommes entrés dans un monde d’interdépendance et de communication généralisée pour lequel la mobilité des personnes est devenue un principe irréversible avec lequel il faut apprendre à vivre.

Nous sommes dans un monde où tout le monde voit tout le monde, ne cesse de se comparer à l’autre et de déployer un imaginaire qui est, cette fois, à la dimension de la planète tout entière. Un monde dans lequel nul ne pourra plus jamais se voir interdire de penser que la souffrance des siens pourrait être moindre ailleurs, un monde où l’absence d’avenir chez soi suscite l’espoir de trouver un correctif ailleurs.

Un monde où l’humanité est, pour la première fois dans l’histoire, tributaire de la planète tout entière. Un monde où chacun des 7 milliards et demi d’humains est comptable autant que solidaire de tous les autres. Ainsi en est-il, personne n’en a décidé, sinon le mouvement d’une histoire dont nous restons, soit dit en passant, les privilégiés…

Besoin des autres

Ce changement majeur qui affecte la profondeur de nos visions et de nos comportements est une réalité vécue avec plus d’intensité encore lorsqu’on appartient au monde de la souffrance, celle- là même qu’on ne peut plus aujourd’hui privatiser ni rejeter dans des terrae incognitae qui n’existent plus. Guère davantage derrière les murs de la souveraineté incapables de résister à la communication moderne.

Pourtant, la révolution n’est ni spectaculaire ni douloureuse : la part des populations migrantes n’est passée, en un demi-siècle, que de 2,2 % à un peu plus de 3 % de la population globale, sachant, en outre, que les migrations Sud-Nord ne représentent qu’un tiers des migrations totales !

Le pari est d’autant plus aisé à relever que les raisons positives d’intégrer les populations migrantes sont aussi nombreuses que tenues secrètes par nos politiques. Notre Europe vieillissante a besoin d’une population active renouvelée. Nos budgets sociaux ont besoin de ces actifs cotisants dont le régime de la clandestinité les prive. Celui-ci prospère en favorisant de manière scandaleuse passeurs et mafieux de tous genres dont il est agréable de penser qu’ils perdront leur emploi dans un contexte de gouvernance transparente des flux migratoires.

Mais surtout, nous avons besoin de ponts, de rencontres, de convergences et d’échanges culturels pour nous mettre au diapason de notre monde et de notre siècle. Ne nous trompons pas de pathologie : l’orthodoxie identitaire, l’archaïsme culturel, la crispation néo-nationaliste sont infiniment plus dangereux que l’ouverture au monde, que les transferts d’une culture vers l’autre qui ont invariablement permis d’amorcer les grands virages de notre histoire, comme de celle des autres…

Pour une gouvernance mondiale de la migration

Conservatisme et changement ont été les dilemmes permanents fabriquant en tout temps les choix qui façonnèrent notre monde. Le premier anime aujourd’hui une gigantesque vague populiste qui s’alimente d’une obsession identitaire, dénonçant les menaces « déferlantes » et les risques de « submersion ».

À coup de stigmatisations souvent grossières, ses concepteurs se réclament d’un ordre qui n’a rien à vendre dans un contexte mondialisé, sinon une vision hiérarchique des cultures, une apologie des ghettos et une vaste maçonnerie de murs en tous genres. Perspective idéale pour s’installer dans un monde habité de fondamentalistes triomphants, meilleur cadeau qu’on puisse offrir aux entrepreneurs de violence qui prospèrent sur la souffrance et l’humiliation subies par les plus faibles. La vieille droite y faisait son ordinaire, rejointe aujourd’hui par une ancienne gauche qui, en Allemagne, en France ou en Italie, espère ainsi sa part de gâteau électoral.

Le changement, quant à lui, ne peut évidemment pas ressortir d’une stratégie du cavalier seul. Il s’inscrit dans la mondialisation et l’œuvre multilatérale. La première n’est ni bonne ni mauvaise : elle sera ce qu’on en fera. Il est temps qu’elle s’inscrive dans un véritable humanisme. De même que celui-ci put peu à peu arracher la société industrielle montante à la brutalité de ceux qui l’entreprirent, il est urgent de suivre ceux – ONG, associations, agences onusiennes, acteurs individuels – qui s’escriment, souvent dans le silence et l’indifférence, à construire un monde plus humain, sachant que leurs victoires sont dès à présent, saisissantes.

Quant au multilatéralisme lui-même, arraché au chantage permanent des grandes puissances, il se doit d’aller vers ses missions sociales que ne cessait de rappeler Kofi Annan. Une gouvernance mondiale de la migration doit ériger un édifice institutionnel offrant un optimum d’avantages aux trois partenaires essentiels : migrants, sociétés de départ, sociétés d’accueil. Il doit créer des agences partout dans le monde pour concrétiser cet effort d’information, de formation, d’orientation et d’intégration qui sont le cheminement normal de la mobilité humaine au cours de ce troisième millénaire.

C’est à nos dirigeants de jouer : qu’ils cessent un moment d’être des acteurs politiques pour être des hommes d’État qui pensent enfin l’avenir hors des contingences électorales. Alors peut-être la Méditerranée ne sera-t-elle plus ce cimetière anonyme qui aujourd’hui engloutit tous les espoirs et encourage toutes les lâchetés.The Conversation

Bertrand Badie, Professeur de Sciences politiques, Sciences Po – USPC

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Mali : l’accord de paix entre peuls et dogons fragilisé après de nouvelles violences

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Depuis le début de la semaine un affrontement entre l'armée et des chasseurs et des violences inter-communautaires ont fait une dizaine de morts dans le cercle de Koro, dans le centre du Mali, fragilisant l’accord de paix signé entre les communautés peules et dogons.

La signature, fin août, d’un accord de paix entre peuls et dogons dans le cercle de Koro avait suscité beaucoup d’espoir. Youssouf Toloba, chef de l’aile militaire du groupe d’autodéfense communément appelé Da Na Amassagou décidait dans la foulée de déposer les armes, s’alignant sur la position de l’aile politique de son mouvement. Depuis, les enlèvements et assassinats avaient certes continué, mais leur intensité avait baissé.

Une nouvelle branche de Da Na Amassagou ?

Cette trêve fragile n’aura duré que deux mois. Depuis le début de la semaine, le cercle de Koro dans la région de Mopti, est de nouveau le théâtre de violences. Lundi 19 novembre, « il y a eu un accrochage entre l’armée et des chasseurs dans un village dogon, à 3 kilomètre de Kologo (cercle de Koro) », rapporte le gouverneur de la région de Mopti, Sidi Alassane Touré.

Selon lui, les militaires se sont déployés dans le village après avoir entendu des coups de feu. À leur arrivée, « les chasseurs ont tiré sur les militaires ». Le bilan serait de quatre morts côté chasseurs, et le gouverneur affirme que 15 personnes ont été arrêtées et des armes saisies.

En représailles, mercredi soir, des chasseurs auraient assassiné « six peuls » dans un village, selon Sidi Alassane Touré. Sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes se réclamant du groupe Da Na Amassagou ont ensuite multiplié les appels à la mobilisation des chasseurs. Une position condamnée fermement par l’aile politique du mouvement. Contacté par les autorités locales, Youssouf Toloba a assuré ne pas être responsable de cette nouvelle escalade de violence et a condamné l’accrochage de lundi avec l’armée.

Les autorités craignent-elles la naissance d’une nouvelle branche dissidente de Da Na Amassagou ? Pour le gouverneur de la région, « les jours prochains permettront de déterminer s’il s’agit d’un acte isolé et de faire la lumière sur les événements. »

Des ex-miliciens concernés par le DDR

Dans le même temps, le dialogue continue entre les différents signataires de l’engagement afin de préserver la paix dans cette région instable. Dans un rapport publié le 20 novembre, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH) dénoncent des violations des droits humains contre les populations dans le centre du Mali, pouvant être qualifiées de crimes de guerre.

Entre les attaques jihadistes, les exactions des milices d’auto-défense et les bavures observées lors d’opérations anti-terroristes, les populations sont prises au piège. « Le centre, qui concentre 40% des attaques dans tout le pays, est devenu la zone la plus dangereuse du Mali », pointent les organisations de défense des droits humains.

« Pour briser le cercle de violence, l’armée va continuer son rôle de patrouilles et de désarmement. Le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) que nous comptons lancer d’ici la fin de l’année sera ouvert à ceux qui sont dans les milices, qu’elles soient peules ou dogons », détaille Sidi Alassane Touré. « Moins il y a de combattants armés, mieux nous pourrons nous concentrer sur la lutte contre le jihadisme. »

Peut-on être à la fois « Africain » et « Français » ?

(The Conversation)

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« Collège de la Sagesse », Chéri Samba, Africa Remix 2004-2007.
Beauté Congo/Fondation Cartier

Ary Gordien, Sciences Po – USPC

Au lendemain de la coupe du monde de football, Trevor Noah, le présentateur sud-africain du talk-show étatsunien The Daily Show, célébrait la « victoire africaine » de la France. La réponse que lui avait alors opposé Gérard Araud, ambassadeur de France aux États-Unis, avait été abondamment commentée.

Les échanges qui suivirent entre les deux hommes révélèrent la persistance et la prégnance d’un malaise français concernant la reconnaissance des sentiments communautaires de minorités, notamment lorsque ces sentiments se fondent sur la couleur ou la race.

La « race » est ici bien sûr entendue comme « race sociale » ; l’humanité a été historiquement catégorisée sur la base de critères physiques et culturels non-scientifiques durant l’histoire coloniale. Ces catégories continuent néanmoins à avoir un impact politique, culturel et social (racisme, discrimination et sentiments d’appartenance) qu’analysent historiens, sociologues et ethno-anthropologues.

La question de la place de communautés ethnico-raciales au sein de la République française ne se limite pas uniquement à des rapports de domination mais s’articule également avec des logiques d’auto-identification subjectives. En l’occurrence, les propos de Trevor Noah questionnent plus précisément la possibilité de concilier deux sentiments d’appartenance : l’un qu’il qualifie d’ africain et l’autre français.

Ce qu’être « noir » signifie

Les manières dont s’exprime un sentiment d’appartenance noir ou africain ne peuvent pas être d’emblée disqualifiées comme du communautarisme ou du racisme mortifères qui causent forcément des divisions et des tensions.

Il existe bien certaines tendances radicales qui renversent le discours raciste pour affirmer une supériorité noire. Néanmoins, la célébration de la noirceur est surtout l’expression d’une quête de fierté dans des contextes sociaux et culturels où, y compris en France (outre-mer et dans l’hexagone), un complexe d’infériorité s’est durablement enkysté dans les mentalités.

Ce complexe s’explique notamment par le fait que l’utilisation du terme « noir », pour désigner un individu ou des populations, est héritée de l’histoire de la colonisation de l’Afrique, des traites négrières et des esclavages.

Il en est de même pour les représentations souvent dévalorisantes du continent africain et des cultures et individus qui lui sont plus ou moins directement liés généalogiquement. En dépit de l’existence d’élites et de royaumes africains connus des Européens avec lesquels ils échangent au moins de puis le XVe siècle, l’image d’un continent arriéré sur le plan technique et culturel et d’hommes et de femmes noir·e·s aux aptitudes physiques inversement proportionnelles à leur capacité intellectuelle se sont imposées.

Josephine Baker est emblématique de la période où « jovialité » et « sensualité » exotiques sont mises en avant pendant l’entre-deux guerres, ici aux Folies-Bergere à Paris, (1926).
French Walery/Wikimedia

Et ce y compris dans les tendances négrophiles manifestées notamment dans l’entre-deux-guerres en France et aux États-Unis exaltant la créativité, la jovialité et la sensualité « africaines ».

Inverser le stigmate

En réponse à ce racisme, dans une logique d’inversion du stigmate, des consciences noires se sont ainsi construites essentiellement sur le désir de revaloriser une identité négative, assignée à travers les histoires coloniales. Le mouvement de la Négritude incarnée notamment par Aimé Césaire en est l’un des plus beaux exemples. S’il a existé des relations entre populations, communautés et ensembles politiques africains bien avant la colonisation européenne, il n’est pas excessif de considérer que l’idée d’unité africaine naît en réponse à la domination et émane d’ailleurs souvent des descendants de captifs africains réduits en esclavage dans les Amériques.

À Saint-Domingue, en Guadeloupe et en Jamaïque ou encore à l’île de la Réunion, pour ce qui concerne l’Océan indien, à travers des révoltes d’esclaves, la constitution de populations d’esclaves fugitifs ou encore de la création, d’institutions communautaires telles que la National Association for the Advancement of Colored People, des identités noires en références parfois directe au continent africain se sont construites de manière métonymique (références bibliques à l’Éthiopie) ou en en lien avec les ancêtres.

C’est le cas du rastafarisme ou par exemple du mouvement plus récent de redéfinition d’une identité Akan (Ghana) dans certains réseaux noirs états-uniens.

Quatre des militants les plus actifs de la NAACP, brandissant un poster contre l’état du Mississippi en 1956 (Henry L. Moon, Roy Wilkins, Herbert Hill, Thurgood Marshall).
Library of Congress/Wikimedia

Aussi bien le racisme anti-noir que certaines doctrines qui visent à le combattre en affirmant une identité noire ou africaine reposent sur un essentialisme théoriquement et politiquement problématique.

Essentialisme « noir »

Certaines théories afrocentristes ou panafricaines telles que celle de l’égyptologue sénégalais Cheikh Anta Diop, visent ainsi tout autant à réhabiliter ce que les politiques et théories esclavagistes et coloniales ont contribué à dénigrer qu’à affirmer la grandeur d’une « race » ou d’une « civilisation africaine ».

Ainsi, loin de se limiter aux populations du continent, la catégorie d’« Africain » est employée par des citoyens de pays européens, américains ou caribéens afin de revendiquer cette identité primordiale.

Certains mouvements noirs plus radicaux et minoritaires ont même parfois cherché et cherchent encore à subvertir et inverser le discours eurocentré pour définir l’Afrique (parfois nommée Kemet en référence à l’Égypte antique) comme l’origine de la civilisation humaine et les « Africains », au sens large, comme supérieurs aux Blancs ou Européens sur les plans culturels et biologiques.

Toutefois comme toute doctrine politique ou religieuse, il convient d’analyser les manières dont ceux qui y souscrivent en viennent à adhérer à de tels postulats.

L’essayiste polémique Kemi Seba en interview à Bamako en juillet 2017. Il a co-fondé notamment l’organisation Tribu Ka, dissoute en France par décret pour incitation à la haine raciale.
Boubs Sidibe/Wikimedia, CC BY-NC

Attribuer du sens via l’afrocentrisme

Sans nécessairement souscrire à des théories racialistes aussi radicales, certaines femmes et hommes estiment que leur attachement génétique, généalogique ou spirituel à l’Afrique constitue une part essentielle de leur identité. Ils trouvent à travers l’afrocentrisme un moyen de valoriser à tout prix l’Afrique et les populations noires.

Cela se produit dans des contextes où ces personnes et communautés peinent à trouver des sources d’identification positives. Comme l’avait déjà signalé Frantz Fanon, il s’avère en réalité impossible de retrouver une essence pure d’avant la colonisation.

Ce type de bricolage sert précisément à attribuer du sens à des trajectoires personnelles et communautaires diasporiques conflictuelles et complexes. C’est, selon un libraire du Quartier Latin, le cas de nombre de jeunes noirs et métis qui, en l’absence d’une transmission culturelle par le biais de leurs parents, semblent particulièrement friands d’écrits afrocentristes radicaux.

En dépit des similitudes que révèlent les expériences communes des personnes d’ascendance africaine, compte tenu de la pluralité et de la diversité des expériences noires et africaines, les contours de la conscience africaine s’avèrent ainsi beaucoup plus flous et labiles qu’il n’y paraît.

Le souci de revalorisation se retrouve chez bien des personnes identifiées et s’identifiant comme noires ou africaines qui n’adhèrent pas aux postulats (modérés ou plus radicaux) de l’afrocentrisme.

Les propos de Trevor Noah sur l’équipe de France de football tout comme son engouement manifeste pour le film Black Panthers (partagé à l’échelle planétaire notamment au sein des populations noires), montrent plutôt à quel point les personnes africaines, d’ascendances africaines (ou qui, à défaut d’endosser cette identité, se la voit assigner du fait de leur type physique) sont avides de modèles d’identification positifs.

En creux, cela révèle également, plus de 65 ans après la publication de Peau noire, masques blancs de Franz Fanon, à quel point un sentiment d’infériorité continue à être ressenti.

Portrait du psychiatre Frantz Fanon (1925-1961).
Pacha J. Willka/Wikimedia, CC BY-ND

Ce sentiment demeure plus ou moins largement partagé mais il ne s’enracine pas pour autant dans une conscience communautaire forte et univoque. Outre le fait, et c’est là une évidence, que les personnes et populations perçues ou se définissant comme noires ou africaines diffèrent entre elles sur bien des points, la « conscience noire » qu’elles partagent ne les empêche nullement par ailleurs de se différencier elles-mêmes, dans certains contextes, sur la base de critères nationaux, ethniques, de classe sociale voire encore de race et de couleur.

Se défaire des implicites raciaux

Lorsque l’on est conscient des ressorts théoriques de certains mouvements noirs, il est tout à fait légitime de s’interroger sur les issues attendues de ceux qui se focalisent sur l’exaltation d’une identité primordiale africaine au soubassement parfois racialistes.

Et tout comme le présentateur Trevor Noah, on peut néanmoins tout autant se questionner sur ce que signifie le refus absolu d’entendre le désir de faire reconnaître une spécificité alors que les considérations liées à la couleur et à la race façonnent les relations sociales de multiples façons.

Certes, a contrario, les modèles multiculturalistes britanniques, étatsuniens ou canadiens peuvent entraîner une exacerbation du racial qui débouche potentiellement sur une reconnaissance plus ou moins solide des différences ethnico-raciales tout en minimisant voire occultant les mécanismes d’exclusion de nature sociale.

Néanmoins, en Angleterre par exemple, la reconnaissance d’une présence et d’une identité noire ne s’est pas faite au détriment de l’identité nationale britannique.

En dépit de la mobilisation de codes afrocentristes, une diversité d’expériences coloniales, postcoloniales, de migration, de réussites et d’épreuves difficiles ont, tant bien que mal, été intégrées au récit national.

La France et l’Angleterre ayant chacune leur histoire propre, il est bien sûr impossible de calquer sans les adapter aux réalités françaises ce type de politiques. Il s’avère néanmoins, en tout état de cause, qu’il est bien possible de trouver une manière originale de concilier sentiment d’appartenance noir ou africain, d’une part, et citoyenneté/nationalité européenne, de l’autre.

La question se pose donc de savoir selon quelles modalités cela pourrait se produire en France. Une partie du processus consistera nécessairement à se défaire des implicites raciaux derrières les catégories d’africain (« noir ») et de français (« blanc »). La condition d’autres minorités, notamment celles s’identifiant comme arabes ou musulmanes (ou encore à qui une telle identité est assignée de manière fantasmagorique) devra également être prise en compte.The Conversation

Ary Gordien, Anthropologue, postdoctorant, Cercle de Recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme (Paris 8), enseignant, Sciences Po – USPC

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