Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Restitutions d'œuvres d'art: un rapport qui suscite beaucoup d'espoir en Afrique

media Le directeur général du Musée des civilisations noires Hamady Bocoum dans son bureau à Dakar. RFI / Guillaume Thibault


Le rapport d’experts qui propose la restitution de milliers d'œuvres d'art à l’Afrique est remis ce vendredi 23 novembre au président Emmanuel Macron, qui va devoir juger de sa faisabilité. En attendant, dans les musées africains, on se réjouit.

Avant même sa remise au président Macron, le rapport sur la restitution de l'héritage culturel de l'Afrique a été largement diffusé et commenté, il est même édité aux éditions du Seuil comme un ouvrage de référence. Il est vrai que les propositions sur le sujet sont assez révolutionnaires. Il s'agit de rendre aux pays d'Afrique subsaharienne tous les objets détenus dans les musées nationaux français dont on ne pourrait pas justifier l'achat consenti.

Le rapport ne cible que l'Afrique en raison, expliquent les rapporteurs, d'une situation sans équivalent, puisque près de 90% des biens culturels africains, estiment-ils, sont détenus hors du continent.

Les deux auteurs, les universitaires Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, recommandent à l'Etat français de conclure des accords bilatéraux avec chaque Etat africain qui en fera la demande afin de prévoir la restitution de biens culturels transférés hors de leur territoire d'origine pendant la période coloniale française.

« Le plus important, c'est le principe »

Une nouvelle positive estime-t-on au Musée des civilisations noires de Dakar. A moins de quinze jours de son ouverture, c’est la dernière ligne droite. Les caisses qui contiennent les œuvres du Burkina Faso, d’Egypte sont ouvertes en présence d’Hamady Bocoum. Le directeur général du musée se félicite bien évidemment d’un retour possible des biens spoliés par la France. « Le plus important c’est le principe. Je pense que l’une des conditions quand même, c’est d’avoir des équipements adaptés », souligne-t-il.

Difficile d’estimer le nombre d’œuvres qui pourraient être rendues par la France au Sénégal. Statues, masques... Hamady Bocoum pense également au sabre d’El Hadj Omar Tall, chef religieux vaincu par les Français. Son arme a été prise par l’armée à la fin du XIXe siècle. « C’était une forme d’humiliation. Ce sabre est là-bas, on nous l’a prêté deux fois. A chaque fois, ça a coûté extrêmement cher. Mais maintenant on va le revendiquer », explique-t-il.

Devant le Musée des civilisations noires, les caisses d'œuvres en provenance du Burkina Faso et d'Egypte. RFI / Guillaume Thibault

Faire revenir le patrimoine en Afrique, c’est aussi la possibilité d’écrire l’histoire et de la transmettre estime Hamady Bocoum. « Il y a un patrimoine africain, rappelle-t-il. Partout, le patrimoine africain est parti dans des conditions difficiles : colonisation, esclavage. C’est une belle initiative. Pas pour culpabiliser, juste comprendre, savoir, tirer les leçons et avancer. Ce sont des choses qui ne doivent plus se reproduire. »

Si le continent manque encore de lieux, de compétences, le tout nouveau Musée des civilisations noires est l’exemple que l’Afrique se dote de structures aptes à recevoir les œuvres détenues par la France.

Au Bénin, bientôt quatre nouveaux musées

Le Bénin lui est en pointe dans la demande de restitution de ses trésors culturels. Le chef de l’Etat Patrice Talon a fait sienne cette cause. Mais il faut pouvoir gérer un tel retour des biens culturels. Alors le pays, qui dispose de six musées nationaux, s’y prépare.

En dehors de ceux de Natitingou et de Honmè assez bien tenus, c'est chez les privés qu'on trouve des conditions de conservation dignes des standards internationaux. Comme à la fondation Zinsou, où en 2006, trente objets du trésor royal du roi Béhanzin prêtés par le musée du quai Branly ont été exposés. « On a un bâtiment qui est entièrement équipé. On a un contrôle très régulier des œuvres et on essaye d'être aux normes », précise Marie-Cécile Zinsou, directrice de la fondation.

Conscient de l'état déplorable des lieux existants, le gouvernement a lancé un programme de rénovation et la construction de quatre nouveaux musées. Porto-Novo, Ouidah, Allada et Abomey vont accueillir des musées sur l'épopée des rois et des amazones, sur des civilisations vaudou et orisha et un musée Toussaint Louverture de la résistance.

« Quand on fait le calcul des surfaces prévues, on arrive à quelque chose de l’ordre de 7 500 mètres carrés, résume Alain Godonou, directeur des "programmes musées" à l'agence du patrimoine et du tourisme. Cela ressemble à un très grand terrain de football. »

Ouverture prévue pour 2021. Pour Alain Godonou, l'érection de nouveaux établissements n'effacent pas toutes les appréhensions. « L'état actuel de l'existant n'est pas satisfaisant, concède-t-il. Cela nous demande tout simplement d'être sérieux et de continuer à accorder l'attention qu'il faut à ces questions et à ces établissements qui seront mis en place. »

« Nous sommes prêts »

Le Gabon de son côté a quasiment terminé la rénovation d'un bâtiment colonial chargé d'histoire pour avoir longtemps servi d'ambassade des Etats-Unis à Libreville. Le tout nouveau Musée national ouvre dans quelques semaines et il est prêt à accueillir dans de meilleures conditions les œuvres qui se trouveraient en France.

France: Les actes antisémites en forte hausse en 
2018, s’inquiète Édouard Philippe (France 24)

Quatre-vingts ans après la funeste nuit de Cristal, le Premier ministre a dénoncé dans une tribune publiée vendredi sur Facebook la très forte hausse des actes antisémites cette année (+69 %) et assure préparer un plan pour « ne rien laisser passer ».

« Chaque agression perpétrée contre un de nos concitoyens parce qu’il est juif résonne comme un nouveau bris de cristal », affirme le chef du gouvernement Édouard Philippe dans une tribune (voir plus bas, ndlr) publiée exactement 80 ans après la funeste nuit de Cristal et ses exactions nazies contre les Juifs en Allemagne, le 9 novembre 1938.[…]

« Pourquoi rappeler, en 2018, un aussi pénible souvenir ? Parce que nous sommes très loin d’en avoir fini avec l’antisémitisme », écrit Édouard Philippe, évoquant les chiffres « implacables » des actes antisémites en France sur la partie écoulée de 2018.

« Alors qu’il était en baisse depuis deux ans, le nombre de ces actes a augmenté de plus de 69 % au cours des neuf premiers mois de l’année 2018 », poursuit-il. Après une année 2015 record, les actes antisémites avaient nettement reculé en 2016 (-58 %). La décrue s’était poursuivie en 2017 (-7 %), avec 311 actes répertoriés, même si elle masquait une augmentation des actes violents visant les Juifs.
Ces chiffres ne sont « pas une surprise », a réagi le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Francis Kalifat, interrogé sur LCI. « L’antisémitisme est profondément ancré dans notre pays […]. Nous atteignons des niveaux qui vont devenir insupportables », a-t-il estimé, en appelant à traiter ce phénomène de manière spécifique.…Lire la suite: Les actes antisémites en forte hausse en 2018, s’inquiète Édouard Philippe – France 24, 09/11/18.

La tribune d’Édouard Philippe postée sur Facebook le 9 nov. 2018

C’était il y a 80 ans, jour pour jour. Le 9 novembre 1938, les nazis livrèrent l’Allemagne à une nuit de violences dirigées systématiquement contre les synagogues, contre les magasins tenus par des Juifs, contre les habitations des Juifs. Le bruit sinistre des vitrines brisées a donné son nom à cet épisode terrible de l’histoire : la nuit de cristal.

Pourquoi rappeler, en 2018, un aussi pénible souvenir ?

Parce que nous sommes très loin d’en avoir fini avec l’antisémitisme. Je viens de prendre connaissance des chiffres les plus récents sur l’évolution des actes antisémites dans notre pays. Ils sont implacables. Alors qu’il était en baisse depuis deux ans, le nombre de ces actes a augmenté de plus de 69 % au cours des 9 premiers mois de l’année 2018.

Elie Wiesel nous l’a enseigné en peu de mots : « le vrai danger, mon fils, se nomme indifférence ». Le Gouvernement a précisément choisi de ne pas rester indifférent.

Ne pas rester indifférent, c’est mieux accueillir les victimes, savoir prendre en compte leurs plaintes, pour mieux sanctionner les auteurs. Dans le cadre du plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, nous avons décidé d’expérimenter un réseau d’enquêteurs et de magistrats spécifiquement formés à la lutte contre les actes haineux, avec un nouveau modèle d’audition. Je souhaite que cet effort soit poursuivi et amplifié. Le dispositif de « pré-plainte » en ligne est désormais opérationnel pour les victimes d’actes haineux (https://www.pre-plainte-en-ligne.gouv.fr).

Ne pas rester indifférent, c’est éduquer les jeunes générations au respect de l’autre. Dès la mi-novembre, au ministère de l’Éducation nationale, une équipe nationale sera mobilisable en permanence pour intervenir dans les établissements scolaires en appui de tout enseignant confronté à l’antisémitisme. Sur ce sujet, comme sur toute violence, le gouvernement préfèrera toujours la transparence et l’action à la peur et au silence du #PasdeVague. Et je souhaite aussi mettre en valeur les initiatives menées pour défaire les préjugés racistes et antisémites. A ce titre, je remettrai, début 2019, le prix national Ilan Halimi, nouvellement créé.

Ne pas rester indifférent, c’est ne rien laisser passer sur internet et les réseaux sociaux. Le Gouvernement engagera, en 2019, un chantier législatif pour obtenir le retrait rapide des contenus haineux. Il se battra pour que ce sujet soit traité comme une priorité par le Parlement européen et la Commission qui seront issus des élections de mai 2019.

Chaque agression perpétrée contre un de nos concitoyens parce qu’il est juif résonne comme un nouveau bris de cristal. Le Gouvernement définit et met en œuvre des « plans contre » : contre l’antisémitisme, contre le racisme, contre l’homophobie. Il le fera avec détermination. Mais il appartient aussi à chaque Français de se mobiliser « pour » : pour la vie en commun, pour l’identité de la France, pour les valeurs de la République.

Guinée: marche des femmes de l'opposition
contre les violences policières

Des femmes de l'opposition ont manifesté ce 13 novembre à Conakry, en Guinée, pour réclamer la fin des violences policières.
© RFI/Carol Valade

En Guinée, la marche des femmes de l'opposition de ce 13 novembre a été dispersée par des jets de gaz lacrymogènes dans la capitale, Conakry.

Quelques centaines de manifestantes se sont réunies mardi 13 novembre à Conakry, la capitale de la Guinée, pour protester contre les violences policières et réclamer justice pour les personnes qui ont perdu la vie en marge des manifestations politiques.

Coiffées d'un foulard rouge en signe de colère, ces femmes brandissaient les portraits des victimes tout en pointant la responsabilité des forces de sécurité. « Ils sont là pour tuer nos enfants ! s'écrient-elles. Pourquoi ? Ils rentrent dans les maisons pour frapper nos mamans ! Vraiment, on en a marre ! On est fatigués ! »

« Qu'on ne tue plus ! »

« Nous sommes là pour manifester notre colère suite aux tueries que nos enfants ont subies depuis que M. Alpha Condé est au pouvoir, explique une manifestante. Maintenant, nous sommes venues pour manifester notre colère ! Notre indignation ! »

La semaine passée, deux jeunes hommes ont perdu la vie en marge d'une manifestation et un policier a succombé à ses blessures. « Nous serons satisfaites le jour où on verra qu’il y a eu des enquêtes policières et qu’il y a manifestation, poursuit une autre manifestation. Qu’on ne tue plus ! »

A l'approche du rond-point Belle Vue, la marche a été dispersée par des gaz lacrymogènes. « Une action en justice est ouverte de manière systématique pour chacun de ces cas », affirme le garde des Sceaux, Cheick Sako, qui dit comprendre la colère des familles tout en soulignant la difficulté de mener des enquêtes.

Migrants: «Attendre et espérer»:
le jour où j’ai rencontré Adama (T.C.)

Tout au long de leurs parcours, les personnes migrantes sont soumises à différentes formes d’attente au cours desquelles elles apprennent que leur temps est jugé sans valeur. À travers cette dépréciation de leur temps, c’est le mépris pour la valeur sociale des personnes migrantes qui devient manifeste.

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Une jeune femme s’effondre, consolée par des amis alors qu’elle quitte le centre d’accueil temporaire des migrants et réfugiés de l’enclave espagnole de Mellila pour Malaga, le 19 septembre 2018.
Fadel Senna/AFP

Carolina Kobelinsky, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Dans un centre pour demandeurs d’asile dans la campagne bavaroise, Adama Touré – nom fictif – attend des nouvelles de la procédure qu’il a entamée afin d’obtenir le statut de réfugié.

Il attend surtout de pouvoir « passer à autre chose, reprendre la vie un peu ». Depuis bientôt deux ans, il attend. Non, « tout ça a commencé il y a bien plus longtemps, bien trop longtemps », me rappelle-t-il au téléphone la dernière fois que j’ai de ses nouvelles, en novembre 2017.

Tout au long de leurs parcours, les personnes migrantes sont soumises à différentes formes d’attente au cours desquelles elles apprennent que leur temps est jugé sans valeur. À travers cette dépréciation de leur temps, c’est le mépris pour la valeur sociale des personnes migrantes qui devient manifeste.

Trois ans auparavant à Melilla, enclave espagnole en territoire marocain où j’ai fait sa connaissance, Adama Touré attendait de poursuivre son chemin en Europe. Deux semaines plus tôt il était encore de l’autre côté du triple grillage haut de 6 mètres qui matérialise la frontière terrestre entre l’Afrique et l’Europe. Au Maroc, il était resté un an. Avant l’attente ouverte par le dépôt de la demande d’asile en Allemagne, le parcours d’Adama Touré est ainsi fait de poches d’attente. Attente qui à chaque fois, dans chaque endroit, prend une texture singulière.

Capture d’écran, Google Earth, 24 septembre 2018, Mellila, enclave espagnole en territoire marocain, la porte de l’Europe.

Vers la « salida »

Né en Côte d’Ivoire il y a 29 ans, Adama Touré avait réussi le saut des clôtures deux semaines avant notre rencontre. Fier de cet exploit, mais surtout soulagé de se trouver en territoire européen, « même si Melilla c’est la petite Europe », il attendait alors la « Salida », la « sortie » de l’enclave, qui s’incarnait tout d’abord par un document délivré par les autorités locales indiquant son transfert vers la péninsule ibérique.

Dans les premiers moments, cette attente était joyeuse et remplie d’optimisme. Il retrouvait des choses simples : « Qu’est-ce que ça fait du bien de se laver tous les jours ! ». « Ici on a le ventre plein et ça fait du bien ! » S’il restait très discret par rapport à son passé ainsi qu’aux motivations qui l’avaient poussé à quitter son pays, Adama disait haut et fort qu’il était « tout près d’une nouvelle vie », « une vie sans violence, dans des conditions correctes ». Attendre et espérer étaient deux faces d’une même temporalité où l’attente était la condition de possibilité de cette nouvelle vie qu’il espérait de l’autre côté de la Méditerranée.

Les semaines passant l’attente prenait plus de place, elle était plus lourde à supporter. Les lundis et les mardis étaient critiques, angoisse et anxiété dans l’air, patienter devenait trop dur. C’étaient ces jours-là que l’administration du CETI – [Centro de Estancia Temporal de Inmigrantes], le centre de séjour temporaire des immigrés – annonçait les noms de celles et ceux qui auraient leur « Salida » et quitteraient l’enclave avec le ferry du mercredi soir.

« Ceux qui prient au moins ils ont quelque chose à faire »

Au moment de l’arrivée en Péninsule ibérique, les personnes migrantes apprenaient le sort que leur réservaient les autorités : enfermement dans un centre d’internement afin d’organiser leur expulsion vers leur pays d’origine ou prise en charge provisoire par une association quelque part en Espagne.

Après un mois à Melilla, sans argent et sans possibilité de travailler, Adama Touré avait l’impression de vivre une succession de journées interminables. « Ceux qui prient au moins ils ont quelque chose à faire, moi je prie pas ça fait bien trop longtemps, je vais pas m’y mettre maintenant, ce serait pas sérieux ! Je ne peux donc pas passer mon temps à la mosquée ! » Bien que sur un ton badin, Adama disait là combien il enviait ses compères pieux, pour qui les journées étaient rythmées par les temps des prières et non plus seulement par le temps creux de l’attente.

Écouter de la musique, discuter avec les compagnons de fortune, fumer des cigarettes assis à l’ombre, sous un pont proche du CETI, étaient les occupations principales d’Adama Touré pendant sa vie dans l’enclave. Et jouer au foot. Les Maliens l’avaient coopté dans leur équipe puisqu’il n’y avait pas assez de joueurs ivoiriens et parce qu’il était « très bon ».

« Un Éléphant devenu Aigle à cause de la situation », m’avait-il dit, un sourire sur les lèvres, en reprenant les symboles des deux équipes nationales, avant d’avouer que dans les tournois organisés sur le mont Gourougou, au Maroc, il faisait déjà partie des Aigles.

En effet, avant d’être bloqué à Melilla, Adama Touré l’a été au Maroc un an dont 10 mois dans les campements du Gourougou, montagne du Rif située à quelques kilomètres de la barrière. Là où s’organise la vie dans l’attente de la traversée.

« Trois minutes » pour passer la frontière

Parmi les personnes migrantes qui s’y trouvent, nombreuses sont celles qui ont d’abord essayé de passer la frontière par voie maritime et ce n’est qu’après plusieurs échecs qu’elles se résignent à tenter le saut des grillages.

Comme tous ceux qui essaient de franchir cette frontière, Adama Touré a vite compris que pour tenter sa chance il fallait se préparer, devenir très agile, endurcir son corps, escalader avec promptitude, courir plus vite. Mais aussi pour mieux résister aux blessures, bien trop fréquentes lors de ces tentatives, causées par les barbelés, les chutes du haut des clôtures ou la confrontation violente avec les agents de la Gendarmerie royale marocaine et de la Guardia civil espagnole.

Adama s’est alors mis au rythme des camarades qui étaient au Gourougou depuis plus longtemps. Entraînement tous les jours, au même titre que la recherche de nourriture et de fourniture pour « survivre dans la brousse ». Ils marchaient plusieurs heures par jour en portant du bois, des bidons. « On s’entraînait comme des soldats ». Ils grimpaient sur des arbres, ils se chronométraient pour améliorer leur temps.

« Frapper la barrière » est une affaire collective et bien étudiée. Adama m’explique ce que d’autres avant lui m’ont déjà raconté : réussir le franchissement de la frontière nécessite de l’organisation, du courage, mais aussi de la rapidité. Sept minutes, c’est le temps maximal qu’ils peuvent accorder à la première étape, celle qui consiste à atteindre la première barrière du côté marocain. Trois minutes, le temps maximal pour sauter les trois clôtures et se retrouver en territoire espagnol. Dépassé ce temps, ils seront immanquablement interceptés par les forces de l’ordre (marocaines ou espagnoles).

Spectre de la mort

Adama Touré ne se souvient pas du nombre exact de fois qu’il a participé à ces tentatives, « dix, douze peut-être ». Mais il garde un souvenir précis du spectre de la mort qui hantait chaque nouvel essai, des blessures physiques qu’il fallait soigner de retour au campement, de la mortification morale d’avoir été chassés « comme des bêtes ». Il se souvient surtout que la fois où il s’est blessé à la jambe, un camarade est décédé.

Huit mois après avoir réussi le franchissement des clôtures, Adama Touré a pris le ferry du mercredi, peu avant minuit, avec une vingtaine d’autres personnes qui, comme lui, se reprenaient à rêver la suite de leur parcours. Depuis Malaga où le bateau a accosté, Adama a été conduit à Getafe, ville proche de Madrid. Il y a été pris en charge par une association pendant six mois avant de décider qu’il était temps de continuer la route vers le nord. Une bénévole de l’association lui a acheté un billet de train et il est parti. Il n’avait qu’un petit sac avec son téléphone, deux ou trois habits et un peu plus de 200 euros en poche. La frontière entre l’Espagne et la France, il l’a traversée en taxi, avec deux autres camarades de voyage. Il est ensuite monté dans un car en direction de Paris. Le jour même de son arrivée, il est reparti, toujours en car vers la frontière. Avec trois compagnons, il a partagé un taxi pour faire les derniers kilomètres.

« On va maintenant m’envoyer en arrière, c’est pas logique »

Je ne connais pas les détails de son arrivée en Allemagne. Je sais juste qu’il y a déposé une demande d’asile et qu’il a été conduit dans un centre en Bavière. En raison des accords de Dublin, sa requête est renvoyée vers les autorités compétentes en Espagne, pays par lequel il est entré sur le territoire européen.

Lors d’une conversation par Skype il me dira : « Si j’avais su tout ça… mais je ne savais pas. C’est d’une grande stupidité. On est pénalisé parce qu’on est Noir, parce qu’on est pauvre, parce qu’on nous maltraite physiquement, à la frontière, au Maroc, on nous maltraite psychologiquement aussi et en plus ils nous maltraitent avec ce Dublin et toutes ces règles qu’on ne comprend pas. Qui embrouillent. On va maintenant m’envoyer en arrière, c’est pas logique ».

Après avoir quitté sa maison près d’Abidjan en mai 2013, Adama Touré a traversé le Mali, l’Algérie, le Maroc. Il a réussi à franchir la frontière européenne un an et demi plus tard. Après l’Espagne et la France, c’est en Allemagne qu’il a voulu « se poser ». En novembre 2017, il avait perdu tout espoir de pouvoir y rester et attendait son renvoi vers l’Espagne pour enfin « trouver un peu de stabilité ». Depuis, son téléphone ne répond plus et son compte Facebook est inactif.


Cet article est publié en collaboration avec le blog de la revue Terrain.The Conversation

Carolina Kobelinsky, Chargée de recherches, anthropologue, CNRS-LESC, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Drame des abus sexuels, sur les pas du pape François

La Documentation catholique a sollicité le Père Stéphane Joulain, missionnaire d’Afrique, psychothérapeute, pour mettre en perspective la démarche du pape François au regard des abus sexuels dans l’Église, « pour essayer de faire émerger un peu de l’univers herméneutique du Saint-Père et pouvoir entrevoir ce qu’il désire mettre en place au niveau pastoral ». En effet, la Lettre au Peuple de Dieu du pape François, en date du 20 août 2018 fait suite à deux autres lettres importantes, celles qu’il a écrites le 17 mai 2018 aux évêques chiliens venus le rencontrer à Rome et celle du 30 mai 2018 écrite au Peuple de Dieu qui chemine au Chili.

Lisez l’article du journal La Croix du 8 novembre 2018