Un engagement judicieux et à long terme.
Une option « qui est la marque d’un bon jugement » et qui a pour ambition de « s’inscrire dans la durée ». C’est cela le plan ! et maintenant proposons les détails que je soumets à l’appréciation des confrères, surtout des plus jeunes.
Donner du pain à un pauvre, ou lui proposer quelques pièces de monnaie quand il en demande, payer des frais de scolarité pour un jeune, c’est une réponse honorable à un besoin urgent des personnes que nous connaissons dans nos milieux d’apostolat. Nous l’avons tous fait d’une façon ou d’une autre. Le bénéficiaire en sera, certes, très reconnaissant, il fera des bénédictions au bon bienfaiteur et probablement décidera de passer le revoir de temps en temps quand il se retrouve dans le besoin ; parce que les besoins, il en aura toujours ; mais il y a la probabilité que le bienfaiteur peut partir un jour.
En prenant un peu de recul je pourrais envisager une autre façon d’aider, plus judicieuse, plus efficace, avec le rêve de résoudre au moins une partie du problème à très long terme.
Un engagement solidaire pour une meilleure solidarité
C’est là que je rêve d’une option, d’un engagement qui mobilise toute la Société comme un seul homme, avec la ferme résolution de soulager efficacement le poids de la pauvreté et de donner à ceux qui n’en peuvent plus, la capacité de se prendre en charge et de s’en sortir finalement par eux-mêmes (développement), gardant ainsi toute leur dignité.
Ce que je suggère n’est pas nouveau, car des confrères l’ont déjà vécu avant qu’un certain individualisme ne prenne le dessus. Ils avaient fait le choix de privilégier une réflexion communautaire audacieuse qui pouvait les sortir du « cercle vicieux » de la distribution automatique et purement mécanique : « j’ai reçu, je donne », avec le risque de créer, en passant, un « fan club » ou carrément des « dépendants ». Les Africains ne disent-ils pas que « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit » ?
Si deux, trois, cinq confrères « qui ont reçu gratuitement », s’engagent dans une consultation communautaire pour juger comment mieux aider les populations qu’ils servent (chrétiens, musulmans, hindous, bouddhistes, pratiquant des religions ancestrales), s’ils mettent dans le coup la solidarité de la Société, pour commencer par exemple une petite école des métiers, qui formera des jeunes, ces enfants des pauvres autours d’eux, pas seulement leurs pauvres « préférés », pour leur donner des compétences afin qu’ils participent au développement de leur pays en gagnant du même coup leur vie… ces jeunes garderont leur dignité et se sentiront capables de participer au développement de leur pays, grâce au métier acquis. C’est libérateur car ils ne seront plus obligés de porter les stigmates d’une pauvreté non choisie.
Donner aux pauvres le pouvoir et la capacité de s’entraider
En effet je crois profondément à ce que nous avons toujours voulu dire en disant « empowerment », que nous traduisons maladroitement par « capacitation ». Faciliter à une personne ou un groupe de personnes, les possibilités de se déployer positivement et de s’améliorer en améliorant du même coup leur environnement immédiat. La formation est un moyen très efficace pour arriver à cette « capacitation ». Apprendre aux pauvres à mieux tirer parti de leur environnement grâce aux techniques agricoles adaptées (école d’agriculture) ; former les jeunes d’un village à construire des bâtiments solides et décents pour améliorer l’habitat et aussi gagner leur vie (maçonnerie) ; des menuisiers, des mécaniciens, des électriciens, des tailleurs, etc. Des gens qui vont travailler, développer leur contrée et donner une meilleure qualité de vie à leur famille. Ce qui pourra alors nous manquer c’est la queue de ces personnes assises devant nos bureaux pour quémander et parfois subir nos « engueulades », parce qu’ils n’ont vraiment pas le choix s’ils veulent arriver à nous soutirer quelques sous.
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Des jeunes en apprentissage à Sharing Centre à Kampala |
Pourquoi j’insiste sur les écoles de métiers ? Parce que dans beaucoup de pays où nous sommes en Afrique, des pays en développement, il manque cruellement des jeunes bien formés dans les différents métiers de base qui entrent directement en jeu dans le développement. Nous nous plaignons souvent que les entreprises chinoises importent même leur propre main d’œuvre chinoise. Parfois des entreprises ont du mal à trouver de la main d’œuvre qualifiée pour réaliser des infrastructures et travaux aussi simples qu’un bon crépissage ou une plomberie correcte. Les écoles de métiers sont rares alors que les universités qui produisent des « semis-intellectuels » pullulent, jetant sur le marché du travail des jeunes pas vraiment qualifiés. Si le rythme actuel continue, l’Afrique risque de s’enfoncer davantage dans le sous-développement. Ceci n’est pas une bonne nouvelle.
Pour une charité efficace et féconde
Si la providence a permis que certains dons des bienfaiteurs transitent par nos mains, et si nous sommes vraiment engagés dans l’annonce de la Bonne Nouvelle en Afrique, alors nous pouvons participer au « miracle de la charité » en choisissant d’aider les pauvres de la manière la plus efficace que nous pouvons imaginer ensemble, afin de les aider à devenir agents de leur propre bien-être et pourquoi pas de leur propre bonheur ? On ne pourra peut-être pas éradiquer la pauvreté ; elle existe depuis l’aube des temps. Par ailleurs, nous avons la preuve que la vie de certains peuples s’est nettement améliorée depuis quelques décennies, après avoir connu des périodes de pauvreté parfois extrême. N’avons-nous pas des confrères qui « distribuent » parce qu’eux-mêmes ont trop souffert de la pauvreté et, maintenant, ils ont fait le choix de « faire profiter les pauvres » de la largesse de leurs bienfaiteurs ? Nobles sentiments… C’est seulement le résultat qui ne l’est pas tout à fait, car il crée des dépendances sans que cela ne soit leur but ; et puis, c’est plus facile de se faire des amis avec l’argent des bienfaiteurs.
Pour nous, Missionnaires d’Afrique, « l’option préférentielle pour les pauvres » pourrait passer, comme l’économe général nous l’a proposé, par un bureau interne de développement qui nous aidera à poser des gestes communautaires qui aident vraiment les pauvres, grâce à un discernement judicieux des projets que nous souhaitons réaliser et par l’étude de l’impact de nos réalisations. Nous y gagnerons, certainement, à faire les choses ensemble pour un résultat qui respecte la dignité des personnes, avec un impact durable dans le milieu. C’est une chose que d’avoir de l’argent et c’en est une autre que de savoir bien l’utiliser…
Être audacieux, risquer de faire les choses différemment, même si cela va nous priver de notre « succès » ; montrer une bonne ambition pour les pauvres que nous voulons aider, cela est à notre portée. c’est une belle « option préférentielle pour les pauvres ». Il y a tant de confrères qui ont des bonnes idées et qui sont prêts à les partager ; il y en a aussi qui « reçoivent » beaucoup et qui aimeraient faire un bien qui relève et qui dure. Il nous suffira d’aller les uns vers les autres et d’échanger sans tabou, même s’il s’agit de parler d’argent.
Où trouver le personnel pour tous ces « beaux projets » ? Fausse question qui nous amènera à une fausse réponse. « Avec qui pourrons-nous le faire ? » Voici la question « synergique » que nous pourrons courageusement nous poser…
Un confrère à qui j’ai soumis ce texte m’a dit : « Commencer une école pour les pauvres ou un centre d’apprentissage demandera des ressources consistantes ; et si on n’a pas ces ressources ?» Alors ne commençons pas ! Mais cela ne nous empêche pas d’en chercher si nous connaissons des personnes ou des organismes qui peuvent nous aider à aider efficacement. L’idée de base ici est d’utiliser judicieusement, rationnellement toutes ces ressources qui passent pas nos mains individuelles et en faire un outil d’apostolat en tant que Société. À vos stylos, donnez vos idées, parlez de vos expériences !