Le philosophe, auteur d’un « Plaidoyer pour la fraternité » (Albin Michel, 2015), réagit à la décision de la Cour de cassation, qui a en partie censuré, vendredi 6 juillet, le « délit de solidarité » au nom du principe de fraternité.
La Croix : Comment réagissez-vous à la décision de la Cour de cassation, qui a décidé de censurer en partie, vendredi, le « délit de solidarité » au nom du principe de fraternité ?
Abdennour Bidar : Je me réjouis que le principe de fraternité trouve là une application concrète, en protégeant et en valorisant l’engagement solidaire, le courage solidaire, de celles et ceux qui viennent au secours de la détresse des migrants. Ils sont des « réfugiés », c’est-à-dire des femmes et des hommes qui viennent chercher dans nos pays un refuge contre la guerre, la violence, la misère. Nous avons la responsabilité de les secourir comme sœurs et frères humains.
Ce principe de fraternité vous semble-t-il aujourd’hui sous-estimé, par rapport à la liberté et à l’égalité ?
A. B. : Oui. Nous, Français, nous sommes battus depuis le XIXe et le XXe siècle pour toujours plus de liberté et d’égalité, et d’ailleurs le combat continue tant les forces de destruction de l’humain sont puissantes dans notre monde. Mais aujourd’hui il nous faut ajouter la fraternité, et même renverser la devise républicaine : avoir une conception fraternelle de la liberté et de l’égalité, et cultiver en nous cette vertu de fraternité qui ne se décrète pas.
La fraternité est une disposition du cœur et une attitude concrète de paix, de tolérance, de compassion, d’entraide, etc., qui implique un travail sur soi. Exactement ce dont nous avons besoin aujourd’hui : une transformation personnelle au service d’une transformation sociale.
Au-delà de l’aspect juridique de ces débats, quelle est votre définition de la fraternité ?
A. B. : Se sentir frère ou sœur, c’est ressentir une proximité avec l’autre, et à partir de là ne plus supporter de rester indifférent au besoin qu’il a de nous mais être touché, bouleversé, par ce qui lui arrive, et se servir de cet élan du cœur comme énergie pour agir de façon plus altruiste, engagée, au lieu de l’égoïsme ordinaire. La fraternité est l’un des gisements d’énergie durable du XXIe siècle ! Et comme le ressentent les mystiques, au fond de nous c’est la conscience – à éveiller ou réveiller – d’un lien vital entre l’humain et tous les vivants.
Source : Abdennour Bidar : « La fraternité est l’un des gisements d’énergie durable du XXIe siècle » – La Croix, Recueilli par Loup Besmond de Senneville , 09/07/2018.